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LE PACTE RIBBENTROP-MOLOTOV

lepacte1939

Description :

En août 1939, un pacte est signé en l'Allemagne nazie et l'URSS. Ce blog explique les origines et les conséquences de ce pacte

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  • Création : 25/06/2008 à 12:58
  • Mise à jour : 26/06/2008 à 05:22
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LA PACTE STALINE HITLER

RUSSIE – ALLEMAGNE
LES RELATIONS DOUTEUSES


CHAPITRE I
PREMIERE RENCONTRE : LENINE ET SON WAGON PLOMBE

CHAPITRE II
SECONDE RENCONTRE : BREST-LITOVSK LE 3 MARS 1918

1° LA PAIX AVANT TOUT

2° LES OPPOSANTS A LA PAIX

3° LE TEMOIGNAGE DE ROBERT VAUCHER

4° LE DEBUT DE LA TERREUR

CHAPITRE III
L'AIDE ALLEMANDE AUX BOLCHEVIQUES

1° L'AIDE ALLEMANDE A LENINE

2° LA RUSSIE LIVRE SA FLOTTE A L'ALLEMAGNE

CHAPITRE IV
TROISIEME RENCONTRE : L'ACCORD SECRET GERMANO-RUSSE DU 27 AOUT 1918

CHAPITRE V
QUATRIEME RENCONTRE : RAPALLO LE 16 AVRIL 1922

1° 1922 : L'ANNEE DE TOUS LES ESPOIRS POUR STALINE

2° 1922 : LA CONFERENCE DE GENES

3° 1922 : RAPALLO

4° 1925 : LA CONFERENCE DE LOCARNO

5° RAPALLO : LA SUITE

6° LA NAIVETE DES INTELLECTUELS

7° HISTORIQUE DE 1926 A 1930

CHAPITRE VI
L'ARRIVEE D'HITLER AU POUVOIR

1° STALINE-HITLER : LES POINTS COMMUNS

2° LA POLITIQUE DE STALINE ENVERS HITLER EN 1933

3° LE VOYAGE EN ALLEMAGNE DE LEOPOLD TREPPER

4° LES RELATIONS ENTRE LES SOCIALISTES ET COMMUNISTES FRANCAIS

5° LA VISION DE JACQUES DORIOT (1898-1945)

6° LA VISION DE LEON TROTSKI (26 octobre 1879- 10 août 1940)

7° LES ELECTIONS PRESIDENTIELLES EN ALLEMAGNE

8° LE DEBUT DE LA FIN

CHAPITRE VII
CINQUIEME RENCONTRE : DETRUIRE L'ARMEE ROUGE

1° RADIO MOSCOU LE 11 JUIN 1937

2° LA MARECHAL MIKHAIL TOUKHATCHEVSKI (16 février 1893- 11 juin 1937)

3° LE TEMOIGNAGE DE LEOPOLD TREPPER (23 février 1904-19 janvier 1982)

4°LE GENERAL SKOBLINE

5° LES RAISONS DE CETTE PURGE

6° LA FIN DE TOUKHATCHEVSKI

7° LE BILAN DES PERTES

8° PARLONS DES VICTIMES

9° LES CONSEQUENCES DE CE MASSACRE ?

10° ENCORE UNE ELIMINATION COMMUNE

CHAPITRE VIII
HITLER ET STALINE SE FONT DES CADEAUX

1° L'INCENDIE DU REICHSTAG

2° LE TEMOIGNAGE DU GENERAL BERZINE

3° LE TEMOIGNAGE DE BERTRAND DE JOUVENEL (1903-1987)

4° LE TEMOIGNAGE DE E. JURIS

5° LE CAS DE MARGARETE BUBER-NEUMANN (1901-1989)

6° LE MASSACRE DES COMMUNISTES POLONAIS

7° LE POUM (PARTI OUVRIER D'UNIFICATION MARXISTE)

8° LE BOURREAU PALMIRO TOGLIATTI (1893-1964)

9° BELA KUN (1886-1937)

10° LE BUND

11° L'EPURATION DU PC YOUGOSLAVE, DU PC FINLANDAIS ET DU PC ALLEMAND

12° UNE TENTATIVE D'EXPLICATION

CHAPITRE IX
SIXIEME RENCONTRE : LE PACTE RIBBENTROP-MOLOTOV

1° LES ORIGINES DE LA GUERRE

2° L'ABANDON DE LA TCHECOSLOVAQUIE

3° LES RISQUES DE COUP D'ETAT

4° LES REACTIONS FACE A LA DEFAITE DE MUNICH

5° LA POLITIQUE ISOLATIONNISTE DES ETATS-UNIS

6° LA DEMISSION DE DUFF COOPER

7° L'AMBASSADEUR ANDRE FRANCOIS-PONCET (13 juin 1887- 8 janvier 1978)

8° LA RENCONTRE DU 6 DECEMBRE 1938

9° JOACHIM VON RIBBENTROP (1893-1946)

10° L'INVASION DU RESTANT DE LA TCHECOSLOVAQUIE

11° LE LIMOGEAGE DE MAKSIM LITVINOV (1876-1951)

12° LE NOUVEAU MINISTRE : MOLOTOV (9 mars 1890- 8 novembre 1986)

13° LE TEMOIGNAGE DE LEOPOLD TREPPER (23 fevrier 1904- 19 janvier 1982)

14° LES NOMBREUSES RENCONTRES ASTAKHOV-SCHNURRE

15° LES OPPOSANTS D'HITLER

16° L'ETE DE TOUS LES COMPROMIS

17° 19 AOUT 1939 : STALINE PARLE

18° LES DERNIERS EFFORTS

19° LA RENCONTRE RIBBENTROP-MOLOTOV

20° COMPRENDRE LA LOGIQUE DE STALINE

21° DESCRIPTION DE HITLER PAR STALINE

22° DESCRIPTION DE STALINE PAR HITLER

23° LES CONSEQUENCES DU PACTE

24° LA PRESSE AU LENDEMAIN DU PACTE

25° L'ATTITUDE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS

26° LE TEMPS PASSE ET RIEN NE CHANGE

27° LE PACTE EST SIGNE : LA GUERRE PEUT COMMENCER

28° LE TRAITE DU 23 AOUT 1939

29° LE 1ER SEPTEMBRE 1939 : l'ALLEMAGNE ATTAQUE LA POLOGNE

30° LE TRAITE DU 28 SEPTEMBRE 1939

31° LE SORT DES ETATS BALTES

32° LE TEMOIGNAGE D'ALBERT SPEER (19 mars 1905- 1er septembre 1981)

33° LA CONNAISSANCE DU PROTOCOLE SECRET PAR LES OCCIDENTAUX

34° LA GUERRE EN FINLANDE

35° STALINE N'OUBLIE JAMAIS RIEN

CHAPITRE X
LA DEFAITE FRANCAISE

CHAPITRE XI
LA COLLABORATION CONTINUE

CHAPITRE XII
LA GUERRE

1° STALINE REJETTE LES AVERTISSEMENTS DE SES ESPIONS

2° LE TEMOIGNAGE DE LEOPOLD TREPPER

3° STALINE REJETTE LES AVERTISSEMENTS DES BRITANNIQUES ET DES AMERICAINS

4° LE TEMOIGNAGE DE LORD MOUNTBATTEN (1900-1979)

5° LE TRAITE SOVIETO-JAPONAIS

6° ET POURTANT STALINE NE CROIT PAS A LA GUERRE

7° L'HYPOTHESE DE VICTOR SOUVAROV

8° LES CONSEQUENCES DE L'INCONSEQUENCE DE STALINE

9° LE DESARROI DE STALINE

CHAPITRE XIII
MALGRE LA GUERRE : ENCORE DES RENCONTRES

1° RENCONTRE DE JUIN 1943

2° RENCONTRES DE STOCKHOLM

3° LA DERNIERE PROPOSITION DE PAIX

CHAPITRE XIV
LES CONSEQUENCES DU PACTE : LE MASSACRE DES POLONAIS

1° LE MASSACRE DE KATYN

2° LA BATAILLE DE VARSOVIE

3° LE DEMEMBREMENT DE LA POLOGNE

4° LE BILAN HUMAIN

CHAPITRE XV
ENCORE D'AUTRES MASSACRES

1° LE MASSACRE DES REFUGIES SOVIETIQUES

2° LE MASSACRE DES TATARS

3° LE MASSACRE DES AUTRES NATIONALITES

4° LE MASSACRE DES SOLDATS PRISONNIERS

5° L'ABSURDITE DU SYSTEME NAZI

6° LE SORT TRAGIQUE DES JUIFS

7° L'UTILISATION DES CAMPS ALLEMANDS PAR LES SOVIETIQUES


CONCLUSION

POUR FINIR QUELQUES PAROLES DE SAGESSE

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES


Etat, toi qui es le plus effroyable de tous les monstres.
Friedrich Nietzsche (1844-1900)

Seul mérite la liberté et la vie celui qui doit les conquérir chaque jour.
Johann Wolfgand Von Goethe (1749-1832) Le deuxième Faust 1833

J'ai souvent éprouvé un amer chagrin à la pensée de ce peuple allemand, si estimable en ses individus et si misérable dans son ensemble.
Sa comparaison avec les autres soulève un sentiment pénible que j'essaye de surmonter de toutes les façons.
Goethe

L'Allemand est, de tous les peuples civilisés, celui qui est le plus facilement et le plus constamment gouvernable ; il est ennemi des nouveautés et de la résistance à l'ordre établi.
Emmanuel Kant (1724-1804) Anthropologie du point de vue pragmatique 1798

Je pensais qu'il était absolument inconcevable que cet homme pût devenir le chef unique de l'un des peuples les plus puissants, les plus créatifs et les plus travailleurs qui soient au monde.
Max Warburg (1867-1946) à propos de Hitler Aufzeichningen 1952

Hitler possède tous les défauts de l'homme de parti, sans les grandes vertus de l'homme d'Etat.
Tout en lui est impulsif, sans rien de créateur.
C'est un danger mortel...
Je souffre terriblement quand je pense à lui.
Oswald Spengler (1880-1936)

Un millier d'années passeront sans pouvoir effacer la culpabilité de l'Allemagne.
Hans Frank (1900-1946)

Si j'avais du m'inquiéter de chaque Allemand engagé dans une carrière d'assassin, j'aurais eu fort à faire...
Constantin von Neurath (1873-1956)

Personne au monde ne croit que le peuple allemand se sente fier de l'histoire que fabriquent ses despotes, misérable charlatanerie faite de sang et de larmes.
Les aventuriers maudits qui poursuivent l'asservissement du monde sentent au fond d'eux-mêmes que, dès aujourd'hui, ils ont perdu.
Thomas Mann (1875-1955) Déclaration à la BBC à la fin de 1940 Appels aux Allemands

Le grand Lénine a illuminé notre voie
Staline nous a formés.
Il nous a inspiré
La fidélité au peuple, l'effort, les exploits.
Nous vîmes le soleil à travers les nuages,
Lénine le Grand nous montra la voie,
Staline, lui, nous apprit le bel ouvrage.
La fidélité et les grands exploits.
Hymne de l'URSS dans la version d'avant 1977

Le règne sanglant de Staline ne représente qu'une parenthèse historique.
André Lajoinie

Bilan globalement positif.
Georges Marchais (1920-1997)

Le goût qu'on a pour le pouvoir absolu est dans un rapport exact avec le mépris qu'on a pour ses citoyens.
Alexis de Tocqueville (1805-1859)

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable
Nicolas Boileau (1636-1711)

La vérité vaincra
Jan Hus (1369-1415)

INTRODUCTION

Le 1er septembre, l'ambassadeur du gouvernement de Sa Majesté à Berlin a reçu pour instructions d'informer le gouvernement allemand, à moins qu'il ne soit prêt à donner au gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni des assurances satisfaisantes que le gouvernement allemand avait suspendu tout acte d'agression contre la Pologne et était prêt à retirer promptement ses troupes du territoire polonais, le gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume Uni s'acquitterait sans hésitation de ses obligations à l'égard de la Pologne. (5)

Le 3 septembre 1939, à 11 heures du matin, l'Angleterre entre en guerre contre l'Allemagne.
Ce même jour à 17 heures, la France rejoindra la Grande-Bretagne.

Cette guerre était-elle inévitable?

De nombreux documents nous expliqueront les volontés parfois communes, parfois divergentes des deux principaux acteurs de cette tragédie : Hitler et Staline.

Mein Kampf Mon combat, publié le 18 juillet 1925, la bible du nazisme (ouvrage s'il avait été pris au sérieux par les démocraties, nous aurait évité le désastre que l'on sait) indiquait le rêve, l'ambition effrénée du futur Führer (titre signifiant guide en allemand copié sur le Duce de Mussolini) :

-« Nous autres nationaux-socialistes, nous reprenons la tache là où elle a été laissée il y a six cents ans.
Nous arrêtons l'interminable exode allemand vers le sud et l'Ouest et nous tournons nos regards vers les terres de l'est.
Si nous parlons du sol de l'Europe d'aujourd'hui, nous ne pouvons penser en tout premier lieu qu'à la Russie et à ses Etats limitrophes.
Le gigantesque empire de l'Est est mur pour l'écroulement, et à la fin du règne juif en Russie sera la fin de la Russie en tant qu'Etat. » (14)

Fondant le national-socialisme, cet ouvrage reprend les thèmes développés par des théoriciens allemands de l'État comme Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) et Georg Wilhem Friedrich Hegel (1770-1831), par les pangermanistes et par des théoriciens racistes tels que Joseph Arthur Gobineau (1816-1982).

Le pangermanisme est une doctrine visant à grouper dans un même État tous les peuples réputés germaniques.

Concernant Gobineau, nous pouvons citer son ouvrage Essai sur l'inégalité des races humaines qu'il écrivit entre 1853 et 1855.

Ce traité pseudo-scientifique fait de la race germanique l'héritière d'une race jadis supérieure (celle des Aryens) qui réunissait de multiples caractères aristocratiques.
Les pangermanistes (fondation de la Gobineau-Vereinigung en 1894), puis les nazis virent là une justification de leurs thèses, et même de l'antisémitisme, pourtant absent chez Gobineau.

On ne peut comprendre les raisons de la seconde guerre mondiale et donc les relations complexes entre l'Allemagne et l'URSS, si l'on ne distingue pas les causes idéologiques et les causes plus classiques d'une guerre, le gain de territoires.

D'abord, prenons un exemple sur ce dernier point.

Dans Mein Kampf, Hitler explique que :

- « Sur cette terre, seul un espace suffisamment vaste assure à une nation la liberté d'existence.
Sans s'embarrasser de traditions, ni de préjugés, le mouvement national-socialiste doit trouver le courage de rassembler notre peuple et sa force pour marcher sur la route qui, de son espace vital actuellement restreint, conduira ce peuple à la possession de nouvelles terres. »

Sur le plan idéologique, le national-socialisme fut considéré comme un frein au communisme.

Hitler déclarait qu' :

- « Un régime comme le régime bolchevique ne peut pas renoncer, sans porter sa propre condamnation, à son existence même, c'est -à- dire à la révolution dans le reste du monde et au bouleversement des valeurs sociales admises en Europe. »

Le 13 mars 1936, Marcel Bucard (1895-1946) affirma :

- « L'Allemagne de Hitler sera, avec l'Italie de Mussolini, l'alliée le plus nécessaire et le plus précieux rempart de l'occident contre la peste bolchevique. » (20)

Bucard sera fusillé le 19 mars 1946 au fort de Châtillon.

Le 22 juin 1941, Jacques Doriot (1898-1945) présida à Villeurbanne, un congrès du PPF (Parti Populaire Français).

En apprenant l'attaque allemande en Russie, il proclama :

- « Si une guerre m'est sympathique, c'est bien celle-ci. » (19)

Robert Brasillach (1909-1945) dans un article de Je suis Partout du 30 juin 1941, écrivait :

-« Cette guerre doit avoir un sens.
Elle en a un pour l'Allemagne.
Elle va en avoir un pour l'Europe.
Elle aura aussi, il faut qu'elle ait un sens pour nous, à condition que la lutte contre le communisme marxiste demeure la lutte pour un national-socialisme français. » (33)

Brasillach sera fusillé le 6 février 1945.

Cet ouvrage a pour objectif de comprendre si le pacte germano-soviétique est un accident de l'histoire du à la mauvaise volonté de la France, de l'Angleterre et de la Pologne de négocier avec l'URSS, ou bien si la signature de ce traité était un moyen pour Staline d'espérer le déclenchement d'une guerre qui apporterait, peut-être dans un jour plus ou moins proche, la défaite de l'Allemagne, et donc sa conséquence directe :

- l'introduction d'un régime communisme en Allemagne.

D'ailleurs dans son ouvrage Problèmes du Léninisme, Staline n'a t'il pas écrit :

-« Une guerre provoquera certainement la révolution et compromettra l'existence même du capitalisme, comme ce fut le cas au cours de la première guerre impérialiste. »

Je me rends compte aujourd'hui de la difficulté d'écrire cet ouvrage.

Les témoignages, certes, ne manquent pas, je dirais même qu'ils sont trop nombreux !

Paul Winterlon, correspondant du New Chronicle, à Moscou dans l'après-guerre, donna un avis qui me paraît fort pertinent :

-« Il n'y a pas d'experts en ce qui concerne l'Union soviétique, il n'y a que des degrés dans l'ignorance. » (255)

CHAPITRE I
PREMIERE RENCONTRE : LENINE ET SON WAGON PLOMBE

Cette politique d'entente ne commence pas le 23 août 1939, mais en 1917, plus précisément le 8 avril, date du départ de Lénine de Zurich vers Petrograd.
Saint Pétersbourg fut appelé Petrograd de 1914 à 1924.
Ensuite jusqu'en 1991, comme on le sait, elle se nommera Leningrad.

En mars 1917, la première révolution russe a commencé.

Le 15 mars 1917, un gouvernement provisoire est mis en place, avec à sa tête le prince Gheorghi Ievghenievitch Lvov (1861-1925).
Membre du parti Cadet (K.D), monarchiste libéral, Lvov fut appelé à la tête du premier gouvernement provisoire après la révolution dite de Février.
Alexandre Fiodorovitch Kerenski (1881-1970) est nommé ministre de la justice.
Kerenski n'était pas un inconnu.
Il était déjà député socialiste révolutionnaire à la Douma de 1912.
Par la suite, Kerenski aura de l'avancement.
Le 18 mai 1917, il devient ministre de la Guerre.
Enfin, le 5 août 1917, Kerenski devient président du gouvernement provisoire.
Après la prise du pouvoir par les bolcheviques, il s'exilera aux Etats-Unis.

Dans la nuit du 15 au 16 mars 1917, le tsar Nicolas II (1868-1918) abdique.

Mais Vladimir Ilitch Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine (1870-1924) est absent.
Il est exilé à Zurich et n'a aucun moyen pour revenir en Russie.
La seule puissance pouvant permettre à Lénine de retourner dans son pays est l'Allemagne.

Deux députés socialistes, Robert Grimm (1881-1958) et le Suisse Fritz Platten (1883-1942) mènent alors des négociations avec les autorités allemandes.

Fritz Platten sera arrêté lors des procès de Moscou et finira sa vie dans des camps de Sibérie où il sera abattu en 1942.
Sa compagne Berta Zimmermann sera fusillé en 1937.

Dans son ouvrage LA REVOLUTION RUSSE, Nicolas Sukhanov nous indique qu'à la suite du retour de Lénine, Platten fut interdit de séjour en Russie :

-« Milioukov nous expliqua qu'il ne l'avait pas autorisé à entrer en Russie parce qu'il avait de bonnes raisons de le croire agent de l'étranger, et qu'il avait rendu service à un gouvernement ennemi en organisant le voyage de Lénine via l'Allemagne. » (145)

Paul Nicolaievitch Milioukov (1859-1943) fut ministre des Affaires étrangères en 1917.
Il était le fondateur et le leader du parti des cadets, en sommes les démocrates-constitutionnels.
Il s'agissait d'un parti libéral qui préconisait une monarchie constitutionnelle, voire la république.
C'était le parti des propriétaires terriens progressistes, des classes moyennes et des intellectuels.
De février à octobre 1917, il regroupa les adversaires de la gauche révolutionnaire.
Milioukov, en plus de son activité politique, était historien.
Il écrivit un Essais sur l'histoire de la culture russe et en 1933 une Histoire de la Russie.

Le colonel Walther Nicolai chef du Nachrichtenburo (service de renseignements de l'armée impériale allemande) conseilla à Ludendorff de laisser passer Lénine par l'Allemagne. (86)

Walter Nicolai est l'auteur d'une maxime qui est devenu celle de toutes les CIA-KGB-DGSE du monde :

-« Le Service de Renseignements est un service de seigneurs. »

Un de ses agents les plus connu était Elsbeth Schragmuller, plus connue sous le nom de Mademoiselle Docteur.
Pour les lecteurs curieux qui voudraient en savoir plus sur cette espionne, je leur conseille de voir un film, sorti en 1936, de Georg Pabst (1885-1967) intitulé justement Mademoiselle Docteur.
Dans ce film, on retrouve notamment, Dita Parlo (1906-1971), Jean-Louis Barrault (1910-1994) et Louis Jouvet (1887-1951).

Après avoir obtenu l'appui du maréchal Hidemburg (1847-1934), Ludendorff envoya le colonel Walther Nicolai à Zurich négocier avec le fondé de pouvoir de Lénine, Karl Radek, les détails concernant les passages de frontières. (86)

Karl Sobelsohn, dit Karl Radek (1890-1939) milita dans les rangs de l'extrême gauche et, en 1917, gagna Petrograd avec Lénine.
Dirigeant du Kominterm, il fit partie de l'opposition de gauche, puis fut exclu du parti communiste en 1927.
Rallié à Staline en 1929, il devint l'éditorialiste du quotidien gouvernemental les Izvestia avant de disparaître dans les grandes purges staliniennes.

Le gouvernement allemand se montre immédiatement favorable à l'idée d'aider Lénine.
N'oublions pas que la Russie est en guerre avec l'Allemagne.
Si Lénine prend le pouvoir, le désordre sera telle que soit la Russie sera totalement vaincue, soit Lénine devra négocier avec l'Allemagne la cessation des hostilités.
Ainsi les Allemands pourront rapatrier ses effectifs vers la France pour pouvoir de nouveau faire une offensive qui terminera enfin la guerre.

Pour Erich Ludendorff (1865-1937) qui fut le chef d'état major de l'armée allemande de 1914 à 1916 et l'adjoint de Hindenburg de 1916 à 1918 :

-« En envoyant Lénine en Russie, notre gouvernement assume une lourde responsabilité, mais elle est justifiée au point de vue militaire car il faut à tout prix hâter la défaite de la Russie. » (77)

Pour Nicolas Soukhanov qui était présent en Russie durant le déclenchement de la révolution russe :

-« Il est certain que les camarades émigrés, réputés défaitistes et surveillés en tant que tels par les polices des grandes démocraties, devaient utiliser les services de l'impérialisme allemand.
La bienveillance allemande était appréciée à sa juste valeur par les émigrés.
On leur facilitait le passage dans l'espoir qu'ils couperaient l'herbe sous le pied à l'impérialisme russe et conduiraient la Russie vers une paix séparée. » (145)

Les marins de la flotte de la Baltique adoptèrent la résolution suivante lors du retour de Lénine :

-« Apprenant que Lénine est revenu chez nous avec la permission de Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne, roi de Prusse, nous exprimons notre profond regret d'avoir participé à son entrée solennelle à Saint-Pétersbourg.
Si nous avions su par quelles voies il était arrivé, à la place de notre enthousiasme auraient retenti nos exclamations indignées : Dehors !
Retourne dans le pays à travers lequel tu es arrivé chez nous ! » (145)

Dans ce fameux train plombé, on trouve évidemment Lénine, mais également Fritz Platten, Karl Radek, Grégoire Apfelbaum dit Zinoviev (1883-1936), Olga Ravitch dont le mari est un agitateur du nom de Safarov (1891-1942).
Par la suite, Olga Ravitch se maria avec Zinoviev. (77)

Dans ce train, il y a également la femme de Lénine, Nadejda Kroupskaia (1869-1939) qu'il a épousé le 22 juillet 1898, mais également sa maîtresse Elisabeth, plus connue sous le nom d'Inès Armand (1875-1920).
Après la prise du pouvoir de Lénine, elle deviendra présidente du conseil économique.
Elle décédera le 10 septembre 1920 du choléra.
Le choc du être rude pour Lénine car cette dernière aura droite à des obsèques nationales.

Plus étonnant encore, on y retrouve un jeune homme de 16 ans, Emil Belzner, qui monta clandestinement dans ce fameux train.
Il décrivit cet événement dans son ouvrage Le Train de la Révolution publié aux Editions Hachette.

Le 8 avril 1917, vers 15H10, notre fameux train quitte Berne pour Petrograd où il arrivera le 16 avril.

Le 7 novembre 1917, Lénine prend le pouvoir.

Le nouveau gouvernement prend alors le nom de Conseil des commissaires du peuple.
Dans ce gouvernement, Joseph Vissarionovitch Djougatchvili, plus connu sous le nom de Staline (l'homme d'acier) devient commissaire du peuple chargé des nationalités.

CHAPITRE II
SECONDE RENCONTRE : BREST-LITOVSK LE 3 MARS 1918

Brest-Litovsk, aujourd'hui ville appartenant à la Biélorussie et qui fut polonaise de 1919 à 1939, va marquer un nouvel acte de notre histoire houleuse des relations entre l'Allemagne et la Russie.

Le 3 mars 1918, les Allemands ont gagné leur pari.
Le traité de Brest-Litovsk met fin à la guerre entre les Russes et les Allemands.

C'est la deuxième rencontre entre Russes et Allemands.

Comme on le verra par la suite, ce ne sera pas la dernière.

Pourquoi Lénine a-t-il voulu la paix ?

1° LA PAIX AVANT TOUT

François Brigneau va maintenant nous montrer la vision de Lénine sur la situation politique en Russie au lendemain de la première révolution, celle de février 1917 :

-« A Stockholm, un de ses amis est arrivé porteur d'un paquet de cette Pravda que dirige Kamenev (Léon Berisovitch Rosenfeld Kamenev 1883- 1936), récemment libéré de Sibérie.
En lisant les éditoriaux, Lénine a poussé des cris de rage.

Il a parcouru le wagon en citant à ses amis des phrases comme celle-ci :

Nous n'avons pas besoin de forcer les événements.
Ils se développent d'eux-mêmes avec une remarquable rapidité.
Ce serait une faute politique de poser dès maintenant la question d'un changement du Gouvernement provisoire. (Pravda, 15 mars)

La guerre continue !
Quand une armée se trouve en face d'une autre armée, la politique la plus insensée serait de proposer à l'une d'elles de mettre bas les armes et de rentrer dans ses foyers.
Ce ne serait pas une politique de paix, mais une politique d'esclavage que le peuple russe repousserait avec indignation. (Pravda, 15 mars)

-Vous m'entendez bien, camarades, crie-t-il de sa voix de tribun, voilà ce qu'écrit le journal de notre parti, la Pravda ! Notre journal !
Moi, je dis que c'est du charlatanisme politique, car je prétends qu'il faut au contraire, mettre fin par tous les moyens à cette guerre impérialiste de rapines.
Il ne faut faire aucune concession, si minime soit-elle, à la défense nationale.
Il faut dire à nos soldats de fraterniser avec les soldats allemands.

-Et quant au Gouvernement provisoire, je prétends, au contraire, qu'il ne faut lui apporter aucun soutien, qu'il faut démontrer le caractère parfaitement mensonger de toutes ses promesses, qu'il faut le démasquer.
Qu'il faut crier que ce gouvernement est un gouvernement capitaliste.
Ah ! Mes amis, je savais bien qu'il était temps de rentrer ! » (77)

La Pravda (la vérité) était l'organe central du parti communiste soviétique fondé à Saint-Pétersbourg en 1912 par des militants bolcheviks.

Une autre partie de la réponse va nous être donnée par Gérard Walter :

-« A la fin de 1917, Lénine se rendait bien compte que si son parti avait pu s'emparer du pouvoir, c'était parce qu'il avait promis de faire cesser la guerre et de conclure la paix immédiatement.
La promesse devait être tenue, coût que coûte.
Le sort du nouveau régime, de toute la révolution en dépendait.
Devenu chef du gouvernement, il dut s'apercevoir assez rapidement qu'il ne fallait pas espérer pouvoir forcer la masse paysanne, qui formait les neuf dixièmes des effectifs combattants de l'armée, à se battre encore.
Il du également comprendre que celle-ci était arrivée à un tel degré de décomposition qu'au premier choc de l'ennemi, les foules exaspérées des soldats, abandonnant leurs positions, auraient reflué vers l'arrière en apportant avec elles le chaos et l'anarchie où sombrerait définitivement le régime soviétique.
Une paix signée dans le plus bref délai pouvait seule, estimait Lénine, permettre d'éviter ce danger.
Pour l'obtenir, il se tenait prêt à toutes les concessions possibles.» (78)

Hélène Carrère d'Encausse va nous donner une réponse moins matérialiste et plus idéologique que Gérard Walter :

-« La première guerre mondiale avait vu sombrer la II ème Internationale dans une ferveur patriotique où dirigeants et militants socialistes découvrirent soudain que la solidarité nationale et la défense de la terre natale leur importaient infiniment plus que les liens internationaux de la classe ouvrière.
Presque seul dans ce climat nationaliste, Lénine ose soutenir que l'effondrement militaire de son pays servira les intérêts des travailleurs, qu'il faut partout tirer profit de la guerre pour accélérer les révolutions.
Et considérant le discrédit de la II ème Internationale, dès septembre 1914 il proclame que la IIIème Internationale doit prendre la relève et accomplir l'½uvre révolutionnaire que l'opportunisme socialiste condamnait à une attente perpétuelle. » (79)

Lénine se moque de savoir que le traité avec l'Allemagne lui fait perdre des territoires comme l'Ukraine et la Finlande, l'important est sauver la révolution en Russie, pour permettre par la suite de répandre la révolution dans le reste de l'Europe.

-"Si les Allemands avaient menacé le pouvoir soviétique, il aurait fallut se battre pour préserver le pouvoir, et non pour maintenir des territoires."

D'ailleurs n'avait-il pas écrit dès 1914 :

-« La guerre est le plus beau cadeau fait à la révolution. »

Et en 1915 :

-« Cette guerre n'a d'autre issue qu'une révolution... »

Et toujours la même année :

-« Nous sommes des antipatriotes. » (48)

-« La défaite de l'armée gouvernementale affaiblit ledit gouvernement, contribue à l'affranchissement des peuples opprimés par lui et facilite la guerre civile contre les classes dirigeantes. »

La foi bolchevique en une révolution mondiale et en la solidarité prolétarienne condamnait comme hérésie l'étroitesse des sentiments nationaux.
Ce fut Staline, en cherchant à rallier le peuple contre l'invasion des armées nazies, qui délibérément alluma la ferveur nationale russe. (48)

Trotski était d'ailleurs du même avis :

-« Ni la victoire ni la défaite, mais la révolution. » (13)

Cet accord de paix est pourtant loin de faire l'unanimité.

Dans ses souvenirs, Nicolai Nicolaievitch Soukhanov raconte qu'un soldat, alors que Lénine faisait un discours, s'écria :

-« Eh bien, un type comme ça, il faudrait le tuer à coups de baïonnettes pour ce qu'il dit !
Vous entendez !
C'est un boche ! » (145)

Pourtant la Russie, durant la première guerre mondiale, connue des pertes énormes :

- 1 700 000 morts
- 4 950 000 blessés
- 2 500 000 prisonniers

La rupture entre bolchevique et Socialiste Révolutionnaires est consommée.
Le résultat de cette rupture va amener une vague de violence dont les victimes seront nombreuses.

Le 6 juillet 1918, l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, le comte Wihelm von Mirbach est assassiné par un Socialiste-Révolutionnaire, Jacob Bloumkine, afin de rouvrir les hostilités avec l'Allemagne.

L'ambassadeur de Russie en Allemagne en 1918, est Adolf Abramovitch Joffe (1881-1927).
Il arrive à Berlin en Avril 1918.

C'était même d'ailleurs le premier ambassadeur russe version communiste de l'histoire, car la Russie soviétique de l'époque n'avait qu'une ambassade, celle de Berlin, capitale d'un pays qui était encore son ennemi quelques mois plus tôt.
Ioffe n'avait pas le titre d'ambassadeur mais de Polpred qu'on peut traduire comme délégué plénipotentiaire.
La raison de ce nouveau terme est lié au fait que le nouveau régime m'aimait pas les noms et les titres datant du Tsar!

Mais cette première ne dura guère car dès novembre 1918, Ioffe est expulsé pour activités subversives.
Il est vrai que la mission de Ioffe n'était pas exclusivement diplomatique, il devait aussi soutenir les communistes allemand afin de préparer la révolution allemande.

Adolf Abramovitch Joffe, comme son collègue Mirbach, aura également un destin tragique.
Joffe fut avec Trotski, le fondateur de la Pravda.
C'est lui qui en tant que chef de la délégation russe à Brest-Litovsk avait signé cet accord.
Joffe négocia, en 1921, le traité de paix avec la Pologne.
Il négocia également un pacte d'amitié entre les gouvernements de Lénine et Sun Yat-sen.
Joffe fut également ambassadeur en Chine en 1923, en Autriche en 1924, et enfin au Japon en 1925.
De retour en URSS, il devient recteur de l'Université chinoise de Moscou.
Déprimé, traqué, il se suicide le 16 novembre 1927.

Face à son opposition, Lénine est obligé d'expliquer sa politique :

-« Donnez-moi une armée de cent mille hommes, forte, disciplinée, qui ne tremblerait pas devant l'ennemi, et je ne signerai pas la paix.
Pendant deux mois, je vous ai laissé pleine liberté d'action.
Avez-vous su en profiter pour créer une armée ?
Qu'avez vous apporté d'autre que du bavardage et une épée de carton ?
Oui, c'est une sale paix, une paix infâme, mais vous devez la signer au nom du salut de la révolution.
Ah ! Vous croyez que le chemin de la Révolution est semé de roses ?
Qu'il ne s'agit que de marcher de victoire en victoire, au son de l'Internationale, drapeaux flottant au vent ?
Ce serait facile d'être révolutionnaire, alors !
Non, la révolution n'est pas une partie de plaisir.
J'estime que j'accomplis mon devoir.
Je suis convaincu que la classe laborieuse qui sait ce que c'est une guerre, ce qu'elle lui a coûté, dans quel état d'épuisement elle l'a plongée, je ne doute pas un instant, que, tout en reconnaissant l'ignominie inouïe de ces conditions de paix, elle approuve notre conduite. » (78)

Dans un article publié dans la Pravda du 21 février 1918, Lénine écrivait :

-« En bref, nous sommes dans l'obligation de reculer et de signer la paix humiliante que les Allemands nous imposent parce que notre régime économique est inférieur au système allemand.
Le régime qui serait supérieur au système allemand n'existe pas encore.
Il se constitue seulement. » (115)

Le chancelier d'Allemagne Georg von Hertling (1843-1919), chancelier du 25 octobre 1917 au 3 octobre 1918, dans une déclaration de juillet 1918, affirma :

-« Son désir d'exécuter loyalement le traité de Brest-Litovsk.
Les difficultés qu'il soulève sont nombreuses, et le gouvernement actuel, qui mérite la confiance allemande, n'a pas toujours, au milieu des graves désordres intérieurs, le pouvoir nécessaire pour tenir ses sincères promesses.
En tout cas l'Allemagne veut avant tout éviter une nouvelle guerre avec la Russie, que souhaite l'Entente, comme le prouve l'assassinat du comte Mirbach, inspiré par l'Entente. » (121)

Mais le calme est loin de revenir en Russie.

2° LES OPPOSANTS A LA PAIX

Le 20 juin 1918, dans une rue de Petrograd (nom donné à Saint Pétersbourg de 1914 à 1924, ensuite cette vie devient Leningrad avant de revenir sous son nom d'origine après la chute du communisme), un ouvrier tire sur le commissaire du peuple pour la presse, l'agitation et la propagande, Moise Markovitch Goldstein Volodarski (1891-1918) et le tue.

Le 30 août de la même année, un jeune homme de dix-neuf ans abat Moise Salomonovitch Ouritski (1873-1918), chef de la Tcheka à Petrograd, mais c'est un autre attentat qui rend célèbre cette date : lors d'un meeting à l'usine Michelson de Moscou, Fanny Roid Kaplan, une militante socialiste-révolutionnaire, tire sur Lénine.
Ce dernier ne sera que légèrement blessé mais une vague de terreur répondra à cet attentat et l'on évalue à un millier le nombre des exécutions en représailles. (123)
C'était en 1918, la seconde tentative d'assassinat sur la personne de Lénine.
La première avait eu lieu le 14 janvier 1918.

Ouritzki était Menchevik depuis 1903. Il se rallia aux Bolcheviks en juin 1917.
Le parti-social révolutionnaire fondé en 1900 par Victor Tchernov (1876-1952), prônait la collectivisation des terres et pratiquait l'action terroriste.
Majoritaires dans le soviet de Petrograd en 1917, les SR portèrent Kerenski au pouvoir.
Après la révolution d'octobre, les SR s'opposèrent aux léniniste, à l'exception d'une tendance de SR de gauche.
Les SR manifestèrent également leur opposition en mars 1918 contre la ratification de Brest-Litovsk et organisèrent en juillet 1918, un soulèvement dont l'écrasement entraîna leur élimination définitive.

En apprenant cette nouvelle, Staline envoya la dépêche suivante :

-« Le conseil de guerre de la région militaire du Nord-Caucase, ayant appris le criminel attentat des mercenaires capitalistes contre la vie du plus grand révolutionnaire, du dirigeant et éducateur éprouvé du prolétariat, le camarade Lénine, répond à cette ignoble attaque d'embuscade par l'organisation d'une terreur en masse ouverte et systématique contre la bourgeoisie et ses agents.»


3° LE TEMOIGNAGE DE ROBERT VAUCHER

Robert Vaucher, journaliste à L'Illustration fut témoin de ces événements:

-« L'assassinat d'Ouritzki.

Petrograd, 30 août.

Avec une rapidité folle, la nouvelle court de bouche en bouche.
En un instant, tout Petrograd la connaît : Ouritzky a été assassiné !
Bientôt chacun donne des détails, apporte de nouveaux commentaires.
Jamais, depuis des mois, je n'ai trouvé les Petrogradois aussi excités et anxieux d'avoir des éclaircissements.
Ce matin, en arrivant au restaurant, j'ai été assailli par un groupe d'amis, avides de détails.
Je sortais de chez moi où j'avais travaillé toute la matinée à chercher dans les documents de la police secrète de Moscou l'histoire des origines du mouvement communiste actuel.
J'ignorais donc tout.
Lorsque l'on m'apprit la mort du président de la Commission extraordinaire contre la contre-révolution et la spéculation, j'éclatai de rire, incrédule.
Depuis des semaines, on annonce touts les jours, à mi-voix, d'un air mystérieux, la mort de Lénine, la capture de Trotski par les Tchécoslovaques.
Tous les habitants des bords de la Neva qui se flattent d'appartenir à l'intelligentsia ont un ami, un cousin qui ont reçu une lettre certifiant que le tsar est en bonne santé.
Les affirmations sont si formelles, les lettres de la grande-duchesse Olga soi-disant datée d'Arkhangel, si explicites, que l'on arrive à douter de tout et à ne plus rien croire.
Néanmoins, ce matin, mon incrédulité paraît ne pas être de saison.
Un courrier diplomatique qui se trouvait à 10 heures au ministère de l'Intérieur a assisté à l'attentat et donne des indications précises.
Je vous avouerai que mon premier sentiment a été une joyeuse surprise, un soupir de soulagement.
Il faut vivre les journées de terreur qui se succèdent depuis le 1er août pour comprendre notre état d'âme : je dis, notre, car je crois pouvoir parler au nom de tous les malheureux qui vivaient dans la crainte continuelle d'être arrêtés et amenés par ce Marat russe.
L'idée qu'Ouritzki n'est plus est déjà un réconfort.
On en arrive à espérer que son successeur sera moins fanatique.
Ouritzki était devenu la personnification de cette terreur obscure qui fusille, qui arrête sans motif, et sous prétexte de vous transférer d'une prison à l'autre, pendant la nuit, vous tire un coup de fusil dans le dos et jette votre cadavre dans la Neva.
J'arrête qui je veux et je ne reçois de conseil de personne, répondait-il, il y a quelques jours, Ouritzki à Lounatcharsky, commissaire du peuple à l'Instruction publique, qui intercédait auprès de lui en faveur des artistes des théâtres de la République.

En relâchant les Français arrêtés pendant la première quinzaine d'août, Ouritzki leur déclara :

-Je vous relâche pour le moment, mais, si vos troupes reprennent l'offensive dans le Nord, je saurai vous retrouver.
Pour chaque bolchevik tué, je ferai fusiller dix Français.

Moise Salomonovitch Ouritzki, qui remplissait les rôles de commissaire du peuple aux Affaires intérieures, de préfet de police de Petrograd et de préfet de police de Petrograd et de président de la Commission extraordinaire contre la contre-révolution, était rentré en Russie en mars 1917.
Il abandonne alors le parti menchevik auquel il avait appartenu jusqu'alors et dont il était un des chefs, mais qu'il jugeait trop tiède et il devient un bolchevik ardent.
En octobre, il est déjà membre du comité central, et se prononce un des premiers pour le soulèvement contre le gouvernement de Kerenski.
Il prend une part active au mouvement qui devait donner le pouvoir à Lénine et à ses partisans.
On le trouve à ce moment à tous les endroits dangereux.
Cet homme, à la volonté de fer, ne craignait personne, ne connaissait d'autre loi que la discipline de parti.
Il était adversaire du traité de Brest-Litovsk, mais il l'admit dès que son parti eut décidé d'accepter, malgré son opposition, la paix honteuse imposée à la république des Soviets par le militarisme allemand.
Est-ce à dire que ce fut un apôtre ?
Beaucoup d'anecdotes qui circulent à Petrograd prouvent qu'il ne fut pas exempt de la contagion et que les pots de vin pénétrèrent à la Gorokhovaia 2, où il résidait, comme dans maintes autres sections de l'administration bolcheviste.
Après avoir vécu pauvrement sous le régime tsarien, il est mort millionnaire sous le régime communiste.
Il n'a d'ailleurs pas eu le temps de jouir des richesses qu'il a acquises par les mesures de pression les plus éhontés sur les malheureux bourgeois et les soi-disant contre-révolutionnaires qui tombaient sous sa main.

Dès ce soir la Krasnaia Gazette donne le ton des mesures de répression qui vont suivre le meurtre d'Ouritzky.

Sous le titre de Sang pour sang, elle écrit :

- Nous blinderons aujourd'hui nos c½urs d'acier ; nous les baignerons dans le sang des lutteurs ; nous les ferons cruels, durs et implacables.
Nous les ferons tels pour qu'il n'y pénètre plus ni pitié, ni commisération et pour qu'ils ne bronchent pas, même à la vue d'une mer de sang.
Ce ne sera pas un massacre en masse, car, dans un tel massacre, pourraient périr des gens qui n'ont rien de commun avec la bourgeoisie et nos vrais ennemis parviendraient à s'échapper.
Nous allons organiser le massacre méthodique, en faisant sortir de leur retraite tous les bourgeois et ceux qui leur sont dévoués.
Pour le sang d'Ouritzki, pour l'attentat contre Zinoviev et pour le sang non vengé de Volodarski, de Natanson, des soldats lettons et des matelots, que le sang des bourgeois coule !
Il faut beaucoup de sang !

Ce soir, il est possible de reconstituer avec assez d'exactitude les différents actes du drame qui s'est déroulé ce matin.
Vers 10 heures, au palais d'hiver, où se trouve le ministère de l'intérieur, un jeune homme est entré dans le vestibule n°6.
Vêtu d'une jaquette de cuir, portant une casquette genre officier, il arriva à bicyclette.
Il laissa sa machine sur le trottoir, près de la fenêtre.
Il la surveillait du fauteuil où il s'assit, en face de la porte d'entrée.
Peu à peu, le vestibule se remplit de visiteurs qui attendaient l'arrivée d'Ouritzky et l'ouverture du commissariat.
Vers 11 heures, le président de la commission contre la contre-révolution arriva en automobile, traversa rapidement le vestibule et se dirigea vers l'ascenseur.
Un coup de feu retentit, une fumée âcre envahit le local.
Ouritzky tomba sans pousser un cri.
Le jeune homme qui venait de tirer sortit rapidement, sauta sur sa bicyclette.

Au moment où il traversait la place du Palais d'Hiver, la garde du ministère se mit à sa poursuite en automobile.
L'auto put rattraper le cycliste au n°17 de la Milionaia Outitza.
Il s'arrêta, grimpa les escaliers de service, se jeta dans la première porte ouverte, qui était celle du Club anglais de Petrograd.
Pour qu'on ne le reconnaisse pas, il prit un paletot au vestiaire et il sortit, mais dans l'escalier, les gardes rouges l'arrêtèrent.
Il fit feu et s'échappa jusqu'à la cage de l'ascenseur, où il revêtit un manteau de soldat dans l'espoir de passer inaperçu au milieu de la foule des gardes rouges, mais dans le corridor, près de la sortie, il fut appréhendé et désarmé.
Avant d'être pris, il tira huit balles de revolver et blessa au pied un soldat.
Transporté à la Gorokhovaia 2 et interrogé par le commandement militaire de Petrograd, le camarade Chatoff, le meurtrier déclara s'appeler Léonide Akimowitch Kaniguiser.
C'est comme sa victime, un israélite.
Agé de vingt-deux ans, il est étudiant au Polytechnicum.
Il fut junker de l'Ecole Michel.
Pendant son séjour à l'école, qui dura jusqu'à la dissolution de celle-ci par le gouvernement bolchevik, il était président de l'Union des junkers socialistes de Petrograd.

La nouvelle de l'attentat contre Lénine.

Petrograd, 31 août.

Ce matin, les journaux annoncent un nouvel attentat à Moscou.
Lénine sortait hier à 7h30 du soir d'un meeting qui avait eu lieu à l'usine Michelson.
Au moment où il s'entretenait avec des ouvriers, il a été blessé de deux balles de revolver tirées par une femme.
Son état serait très grave.
Deux femmes sont arrêtées.

La Severnaia Kommuna (La Commune du Nord) est furibonde.

-Il y a seulement quelques jours, écrit le journal, nous avons réussi à détourner un attentat contre Zinoviev.
Hier, Ouritzky tombait.
Maintenant on ose lever la main sur le grand chef Lénine.
Nos ennemis, les contre-révolutionnaires russes et bourgeois, ne nous donnent pas le temps de respirer.
Ils ont recours à tous les moyens pour lutter contre les paysans et les ouvriers : la vente du pays aux impérialistes étrangers, la guerre ouverte contre la république des ouvriers et paysans, les émeutes de gardes blancs et les complots.

L'atmosphère est chargée d'électricité.
On arrête les bourgeois en masse, et, cette nuit, à chaque instant, la fusillade éclate.
Les funérailles d'Ouritzki se préparent pour demain et l'on annonce la publication des listes de ceux qui ont été fusillés par représailles.

Les funérailles d'Ouritzki : Mort aux bourgeois !

Ce matin, le ciel est d'un gris de plomb.
Les rues sont désertes.
Le vent fait claquer les vieux drapeaux rouges, décolorés et loqueteux, qui, par-ci par-là, pendant lamentablement, comme s'ils étaient, eux aussi, fatigués par la révolution.
Les organisateurs des funérailles d'Ouritzki ont pris une mesure habile.
Pour qu'il y ait, à côté de l'armée rouge (qui est en service commandé), des prolétaires à l'enterrement du président de la Commission contre la contre-révolution, ils ont déclaré que l'on ne donnera, aujourd'hui, du pain qu'à ceux qui assisteront, jusqu'au bout, aux funérailles.
En rentrant des obsèques, chaque participant au cortège recevra une livre de pain.
Quand, vers une heure, j'arrive au restaurant, je trouve les volets clos.
Les bourgeois, aujourd'hui, devront se nourrir des discours prononcés au Champ de Mars, où le cercueil du commissaire des affaires intérieures va prendre place aux côtés des héros de la révolution.
Nous avons vu si souvent, ces derniers temps, des cortèges de ce genre, que je me dispense de vous décrire celui des funérailles d'Ouritzki.

Les placards rouges ou noirs portent entre autres les inscriptions suivantes :

-Les gardes blancs ont été trop longtemps impunis !
Mort à toute la bourgeoisie !
Une balle au front à tous les ennemis de la classe ouvrière !
Mort aux mercenaires du capital anglo-français !

Sur la tombe, Zinoviev (1883-1936), président de la commune de Petrograd, ouvre la série des discours :

-Répondant de l'exactitude de ms mots, je déclare ici que le tovarich Ouritzki a été tué sur l'ordre des Anglo-Français.
Il était détesté par eux, car il avait découvert leurs plans pour faire sauter les ponts de la voie ferrée de Svanka afin de nous priver entièrement de pain.
Messieurs les banquiers anglo-français osent nous considérer comme des sauvages.
Ils pensent que nous leur permettrons de fouler notre terre et de nous traiter comme ils le font depuis des dizaines d'années en Inde.
Le tovarich Derjinsky, qui vient de Moscou, a achevé l'½uvre d'Ouritzki.
Il a découvert la bande des comploteurs anglo-français qui, avec les socialistes révolutionnaires et la centaine noire, ont décidé de nous désorganiser à l'intérieur par une série d'actes terroristes.
Que ces vipères sachent que le peuple russe vit encore !
Nous saurons refouler les conquérants et leurs mercenaires.
Après le meurtre d'Ouritzki, on attente contre la vie du lion de la révolution ouvrière, le tovaritch Lénine.
Le lion blessé lutte actuellement contre la mort.
Cet attentat est également l'½uvre de la bourse française.
C'est elle qui a tué Jaurès qui entravait son chemin.
Maintenant c'est Lénine qui la gêne, car le moment viendra où il sera le président du conseil des députés des ouvriers et paysans du monde entier et le président du soviet des commissaires des peuples de l'univers. (On crie : Bravo, vive Lénine !)
Par tous ces crimes, le parti des SR de droite s'est mis hors la loi.
La bourgeoisie et tous ceux qui se trouvent sur le chemin de la Révolution ouvrière doivent être effacés de la surface du globe. (On crie : Mort aux bourgeois !)

A son tour, Sosnovsky prend la parole, au nom du comité central du parti bolchevik :

- Mort à la bourgeoisie, s'écrie-t-il, voici la devise que nous devons mettre en pratique.
Cela ne veut pas dire que nous devions tuer seulement certains représentants de la bourgeoisie ; c'est l'égorgement, en masse, de toute la classe bourgeoise que nous devons exécuter !

Lissovsky, commissaire du peuple pour la presse et la propagande, s'écrie :

- Nous ne vous demandons pas d'aller dans les appartements pour égorger les bourgeois, car les bandes noires des pillards se glisseraient parmi vous pour dévaliser ce qui vous appartient.
Nous ferons une terreur organisée, mais nos comités ne seront forts que par le soutien des masses.
C'est pourquoi chacun de vous doit être en éveil.
Si vous voyer qu'un bourgeois échappe à l'½il pourtant vigilant de notre organisation, attrapez-le et tuez-le de votre propre main.
Si vous remarquez qu'un SR de droite, un menchevik ou un autre traître quelconque réussit à se cacher, tuez-le également.

A 5 heures du soir, les discours continuent encore.
Sur la grande place où le cortège semble perdu, tant est faible la participation du peuple aux obsèques de l'ancien chef de la terreur, des orateurs inconnus prêchent le meurtre et l'assassinat immédiat.
Les résultats de cette excitation se font bien vite sentir.
Le jour même, des Anglais et des Français ont été arrêtés.
Ce soir, dans les rues sombres, des groupes d'individus de tout âge, généralement très bien mis, hommes et femmes, s'en vont vers les différentes prisons, escortés par des soldats, baïonnette au canon.
Il faudra que je reprenne cette nuit mes habitudes vagabondes des premiers jours d'août et que je couche partout, sauf chez moi, car la folie des arrestations sévit plus fort que jamais.

Le cauchemar de la fusillade au hasard.

Petrograd, 3 septembre.

Les journaux de ce matin annoncent que cinq cents personnes ont été fusillées cette nuit en représailles des attentats contre Ouritzki et Lénine et que d'autres listes de condamnés sont prêtes.
C'est la terreur sombre, sans jugement, la fusillade au hasard, dans la nuit, sans témoin.
Les anciens officiers envoyés à Kronstadt ont, paraît-il, été, eux aussi, exécutés en masse.
Cet après-midi, à quatre heures, tous les ministres et consuls neutres, accompagnés des consuls d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie, de Bulgarie et de Turquie, ont tenté une démarche près de Zinoviev, pour protester au nom du monde civilisé.
La protestation sera-t-elle efficace ?
J'en doute.

A Moscou : Tchitcherine (1872-1936) et les Alliés

Moscou, 4 septembre.

Grâce à la présence, dans le train que j'ai pris, de plusieurs délégués importants du soviet de Petrograd, nous arrivons à Moscou sans aucun retard, ce qui est actuellement extraordinaire.
Il fait vilain temps gris d'automne.
Moscou paraît tranquille en comparaison de petrograd.
Les arrestations en masse n'ont pas encore eu lieu, mais une personne qui vient de voir un des chefs maximalistes m'annonce qu'il s'agit d'un simple retard et nom d'une mesure de clémence.
La santé de Lénine s'améliore de jour en jour.
Il semble probable désormais qu'il réussira à échapper à la mort.
La femme Roydman, connue dans les milieux socialistes sous le nom de Dora Kaplan, qui a tiré sur le président des commissaires du peuple et que les journaux appellent ironiquement Charlotte Corday, vient d'être fusillée.

Petrograd, 6 septembre.

On annonce officiellement l'organisation de camps de concentration où seront envoyés les otages pris parmi la bourgeoisie.
Le premier camp sera établi à Nijni-Novgorod, dans un couvent de femme inoccupé.
Ce couvent étant entouré de murs très élevés, la garde des otages sera aisée.
2 millions et demi ont été votés pour cette organisation.
Le premier envoi d'internés sera de 5000 personnes.
A Moscou, les arrestations et les fusillades battent leur plein.

Kamenev (1883-1936) vient de déclarer à la séance du conseil des organisations ouvrières :

- Dans cette lutte mortelle entre la bourgeoisie et le prolétariat, chacun doit dire de quel côté de la barricade il se trouve.
S'il n'est pas avec le pouvoir des soviets, il doit être rayé de la surface de la terre.
La bourgeoisie ne marchande pas avec ses balles pour tirer dans l'ombre, avec l'argent anglais, sur les chefs de la révolution.
De ce plomb, le prolétariat fera une chaîne qui entraînera toute la bourgeoisie.

Comme les représentants des mencheviks demandent que l'on cesse la guerre civile, Kamenev répond :

- Messieurs les assassins, cessez la terreur les premiers.

Aujourd'hui, commence la publication des listes d'otage ; 512 personnes dont 10 socialistes révolutionnaires de droite ont déjà été fusillés.

En tête des personnalités qui forment la première liste de ceux qui seront immédiatement exécutés si un attentat est commis contre un chef bolchevik, je remarque les ex-grands-ducs

- Dimitri Constantinovitch,
- Nicolas Michailovitch,
- Georges Michailovitch,
- Paul Alexandrovitch,
- Gabriel Constantinovitch,

puis une série de personnalités connues telles que

- M Verkhovski, ancien ministre de la guerre sous Kerenski,
- les banquiers Manus et Gdanof,
- le financier prince Chakovskoi,
- les officiers serbes Niguevitch et Tchaikive,
- M.Schroder, l'ancien maire S.R.D de Petrograd.

La liste comprend 120 noms et porte la mention :

- A suivre. » (122)

Selon les rumeurs, Dora Kaplan, la femme qui tenta d'assassiner Lénine, ne fut pas fusillée.
Elle aurait survécu plus de vingt ans à son exécution comme bibliothécaire d'un pénitencier.

4° LE DEBUT DE LA TERREUR

La démocratie est une notion inconnue des bolcheviques.
La première opposition que doit affronter le nouveau régime est en janvier 1918, celle de l'assemblée constituante, élue à la fin de l'automne et dominée par les socialistes révolutionnaires de droite.
Cette rivalité ne dura guère.
Il suffira de la dissoudre manu-militari pour être tranquille.

Si il n'y avait eut que cet acte anti-démocratique dans ce nouveau régime, ce ne serait rien.
Enfin, façon de parler.

Il y a aura pire comme méthode de gouvernement :

- la terreur

Pour de nombreux communistes, l'existence de la terreur, du goulag serait une invention de Staline.
Aucune de ces horreurs ne se serait produite si Lénine n'était pas mort de manière prématurée.
Evidemment cette théorie est fausse.

La création de la Tcheka en est le parfait exemple.

La Tcheka (Commission extraordinaire) fut créé en 1917 pour combattre les contre-révolutionnaires et les saboteurs de l'Etat soviétique.
Elle fut remplacée le 6 février 1922 par la Guépéou.

Felix Edmoundovitch Dzerjinsky (1877-1926), l'homme qui créa la Tcheka le 20 décembre 1917, déclara en 1918 :

-« Nous sommes pour la terreur organisée.
La Tcheka n'est pas un tribunal.
Le devoir de la Tcheka est de défendre l'idéal révolutionnaire et d'écraser l'ennemi, même s'il arrive parfois que son épée vengeresse s'abatte sur des têtes innocentes. » (50)

Il affirmait également :

-« Notre appareil est l'un des plus efficace ; il a des ramifications partout.
Le peuple le respecte.
Le peuple le craint. »

Selon Suzanne Larbin, la fin de Dzerjinsky fut suspecte :

-« Un jour, il (Dzerjinsky) commit l'imprudence de critiquer une mesure de Staline.
Staline répondit par un juron :Dzerjinsky pâlit.
Il mourut le soir dans des circonstances énigmatiques.» (249)

Victor Serge (30 décembre 1890- 17 novembre 1947) décrivit également la vague de terreur qui suivit l'attentat d'août 1918 contre Lénine :

-« Les suspects furent emmenés par pleines charrettes hors de la ville et abattus dans les champs.
Combien ?
A Petrograd, entre 100 et 150, à Moscou, entre 200 et 300.
Les jours suivants, à l'aube, les familles des victimes erraient dans les champs, pour ramasser des reliques des morts, des boutons, des fragments de vêtements.
J'ai rencontré plus tard un des responsables du massacre de Petrograd.
Nous estimions, me dit-il, que si les Commissaires du Peuple voulaient être humanitaires, c'était leur affaire.
La nôtre était de réprimer la contre-révolution. » (126)

On trouve un exemple de l'étendue de cette répression dans le rapport d'un chef tchékiste, Martin Latsis (1888-1937), qui déclara que pour les dix-neuf premiers mois d'opérations de la Tcheka (janvier 1918 à juillet 1919) :

-« 344 soulèvements furent réprimés au cours desquels 3057 personnes furent tuées ; 412 organisations contre-révolutionnaires furent découvertes ; 8389 personnes furent exécutées ; 9436 envoyées dans des camps de concentration ; 34434 emprisonnées.
Le nombre total des arrestations fut de 86 893.» (126)

Latsis comme tant d'autres finira mal.
Il sera exécuté en 1937.

Selon Nicolas Werth, rien que durant les mois de septembre et octobre 1918, le bilan serait de 10 000 à 15 000 morts.

Claude Guillaumin nous indique que le bulletin officiel de la Tcheka de 1923 précisera que depuis 1917, donc en six ans seulement, 1 861 568 personnes ont été exécutées. (175)

D'ailleurs Lénine n'a t-il pas déclaré :

-« Quand la violence est exercée par les travailleurs, par la masse des exploités aux dépens des exploiteurs... alors nous sommes pour la violence. » (126)

-« Tant que nous n'appliquerons pas la terreur vis-à- vis des spéculateurs, une balle dans la tête, nous n'arriverons à rien ! » (173)

Dans une lettre de Staline à Lénine, on peut lire :

-« Avec les ennemis, nous agirons en ennemis. »

Lénine déclara également à ceux qui s'élevèrent contre la terreur :

-« Je n'en crois pas mes oreilles !
Il faut encourager la terreur, qui tire sa force des masses populaires ! » (50)

-« Il faut agir résolument : perquisitions massives.
Exécution pour port d'arme.
Déportations massives des mencheviks et autres éléments suspects. »

-« Il faut faire un exemple.
Pendre (et je dis pendre de façon que les gens le voient) pas moins de 100 koulaks (terme définissant les paysans riches en URSS avant la collectivisation des terres), richards, buveurs de sang connus. »

-« Pas de révolution sans bain de sang.
Nous ne faisons pas la guerre contre des personnes en particulier, nous exterminons la bourgeoisie comme classe.
Ne cherchez pas ce que l'accusé a fait contre l'autorité soviétique.
La première question que vous devez lui poser, c'est à quelle classe il appartient, quelles sont ses origines, son éducation, sa profession. »

En 1920, Lénine n'hésitait pas non à déclarer que :

-« La conception scientifique de la dictature est un pouvoir illimité fondé directement sur une force que rien ne limite, ni loi, ni règle absolue.
Rien de plus, et rien de moins. » (50)

-« Le centralisme socialiste soviétique ne contredit nullement le pouvoir personnel et la dictature ; la volonté de la classe est parfois réalisé par un dictateur qui en fait davantage à lui tout seul et est souvent plus indispensable. » (222)

Jean François Revel considère que :

-« La justification de la dictature stalinienne se trouve toute entière contenue dans cette phrase. » (222)

-«Ce n'est donc point pour s'être écarté de Lénine que le communisme a mal tourné, c'est pour l'avoir scrupuleusement suivi.
Comme celle de son disciple Mao, l'½uvre de Lénine montre que la pensée d'un homme peut façonner la vie de milliards d'autres hommes, pendant plusieurs générations, et être une aberration consternante.
Personne n'a été moins trahi que Lénine.
La faillite du communisme est la sienne » (222)

Lénine déclara également :

-« Croyez-vous vraiment qu'on puisse faire la révolution sans fusiller des gens !
Même si nous devions sacrifier dix millions d'êtres humains pour édifier le communisme, il en resterait encore assez pour peupler notre territoire. » (175)

Tout cela fera dire à Bazarov (un ancien bolchevik qui fut membre de la rédaction du journal de Maxime Gorki Lietopis), à propos de Lénine :

-« C'est un maniaque incurable qui signe les décrets en qualité de chef du gouvernement russe au lieu de suivre un traitement hydrothérapique sous la surveillance d'un aliéniste expérimenté.

Maxime Gorki (1868-1936) décrira ainsi Lénine :

-«Prestidigitateur cynique qui n'a cure ni de l'honneur ni de la vie du prolétariat. »

Il déclara également à propos des bolcheviks :

-« Ce sont des fanatiques aveugles, des aventuriers sans conscience pour qui la classe ouvrière est comme le minerai pour le métallurgiste. »

Gorki dénonça le gouvernement bolchevik comme une autocratie de sauvages, qui traite l'ouvrier russe comme un morceau de bois : il allume le fagot pour voir si, au pays russe, pourra s'enflammer la révolution européenne.
On est en train de faire sur le prolétariat une expérience qu'il paiera de son sang, de sa vie, et, ce qui est pis, d'une désillusion durable envers l'idéal socialiste.

Gorki (nom signifiant l'amer en russe), du fait de ses multiples désillusions sur l'URSS, résida en Italie de 1921 à 1928.
Il revint finir sa vie en Union soviétique.

Rien ne sera pardonné.
Selon Marcel Ollivier, si officiellement la mort de Gorki fut naturelle, en vérité il aurait été empoisonné.
Son refus d'encenser Staline en écrivant une hagiographie est une chose impardonnable pour le petit père des peuples!
Nous verrons dans un autre chapitre que son fils connu également la même fin tragique !

Dans son ouvrage La pratique et la théorie du bolchevisme édité en 1921, Bertrand Russel (1872-1970) raconta l'impression qu'avait produite sur lui, sa rencontre avec Lénine :

-« Il rappelle un pédant par son désir de vous voir comprendre sa thèse, par la fureur qu'il éprouve à l'égard de ceux qui la comprennent mal ou qui ne sont pas d'accord avec lui.
J'ai eu l'impression qu'il méprise beaucoup de gens et qu'il est un aristocrate intellectuel.
Il me fit l'effet d'être trop enraciné dans ses idées, et d'une orthodoxie trop étroite. »

Bertrand Russel était un mathématicien et philosophe britannique.
Il s'attacha à approfondir les principes du raisonnement mathématique, et fut le promoteur d'un logicisme rigoureux dans sa méthode d'analyse et son langage symbolique.
Il obtint le prix Nobel de littérature en 1950.

Et Trotski n'a t-il pas déclaré au Comité Central Exécutif, moins de deux mois après la révolution d'Octobre que :

-« En un mois tout au plus la terreur prendra des formes très violentes, suivant l'exemple de la grande révolution française. » (126)

En novembre 1918, un dirigeant de la Tcheka nommé Moroz affirmait avec satisfaction :

-« Aucun domaine de notre vie n'échappe à l'½il d'aigle de la Tcheka.» (50)

Victor Serge déclara à propos de la Tcheka :

-« Je considère la création de la Tcheka comme l'une des plus grave et des plus inconcevables erreurs commises par le Gouvernement Bolchevik quand les complots, les embargos et l'intervention étrangère lui ont fait perdre la tête. » (126)

Un homme avait prévu ce drame.

Alexandre Kerenski avait proclamé dès le 16 juin 1917 :

-« Vous, les bolcheviks, vous demandez des remèdes puérils : arrêter, tuer et détruire » (102)

-« Jamais le socialisme n'a conseillé de résoudre les problèmes économiques en emprisonnant les gens comme le font les despotes asiatiques...
Vous les bolcheviks, qu'êtes-vous donc ?
Des socialistes ou des policiers de l'ancien régime ? » (57)

Rosa Luxemburg (1870-1919) affirma également qu'en Russie :

-« Le pouvoir réel se trouve aux mains d'une douzaine de chefs de parti, animés d'une énergie inépuisable et d'un idéalisme sans borne ; où l'élite ouvrière est invitée de temps en temps à assister à des réunions pour applaudir aux discours des dirigeants et voter à l'unanimité les résolutions proposées ; la dictature d'une poignée de politiciens.
Le remède Lénine et Trotski, supprimer carrément la démocratie, est encore pire que le mal qu'il est censé guérir ; il obstrue la source vivante d'où auraient pu jaillir les correctifs aux imperfections congénitales des institutions sociales. »

-« La liberté, c'est toujours la liberté de ceux qui pensent autrement. »

Rosa Luxemburg était une révolutionnaire marxiste allemande; auteur notamment de l'Accumulation du capital en 1913.
Militante de l'aile gauche de la social-démocratie allemande, elle fut emprisonnée en 1914 à la suite d'une campagne pacifiste
A sa libération, elle fonda, avec Karl Liebknecht, le groupe Spartakus en 1914.
Lors de la révolution spartakiste, elle fut arrêtée et assassinée.

Le groupe Spartakus était une fraction du parti social-démocrate allemand (S.P.D.), dirigée par Karl Liebknecht (1871-1919) et Rosa Luxemburg, qui reprochait au S.P.D. d'avoir opté pour la guerre de 1914.
Ils publièrent clandestinement les Lettres de Spartakus.
En décembre1918, elle se transforma en un parti communiste de type soviétique.
Malgré la faiblesse de ses troupes et contre l'avis de ses deux dirigeants, ce parti déclencha une insurrection qui fut écrasée en janvier 1919.
Le père de Karl Liebknecht, Wilhelm Liebknecht (1826-1900) était le fondateur du parti social-démocrate allemand en 1869.
Il fut député au Reichstag de 1874 à sa mort.
Il devint le chef du socialisme allemand après le congrès de Gotha en 1875.
Le congrès de Gotha de mai 1875 créa le parti social-démocrate allemand en rapprochant marxistes et partisans de Ferdinand Lassalle (11 avril 1825-31 août 1864).

Dès 1919, la Tcheka distingue cinq types de camps : de prisonniers de guerre, de travail, de transit, de concentration ordinaire, à destination spéciale.
Les fonctions principales en sont déjà la punition et l'isolement, la rééducation par le travail, l'élimination et l'extermination. (164)

Le 6 février 1922, la Guépéou succède à la Tcheka.
Cet organisme fut absorbé par le NKVD en 1934.

Un arrêté du 16 octobre 1922 l'autorise à :

-« Engager des procédures extrajudiciaires pouvant mener jusqu'à l'exécution capitale et à déporter dans des camps des personnes reconnues socialement dangereuses.»

Le 10 juillet 1934, Staline institue l'administration centrale des camps, le Goulag, organisé en vastes complexes qui ont vu passer plus de 15 millions de personnes, et dont plusieurs millions ne sont pas revenus. (164)

Au début de la révolution, entre 1918 et 1921, beaucoup de Russes vont essayer de fuir à l'étranger pour échapper à cet enfer.
Mais la Russie empêchait le plus possible l'émigration, ce qui est d'ailleurs une vieille habitude de ce pays quel que soit le régime politique au pouvoir.

Déjà sous le régime des Tsars, il était, en effet interdit aux Russes de sortir de leur pays sinon ils apprendraient à connaître les m½urs et les conceptions d'autres peuples et pourraient songer à briser les chaînes de leur esclavage.
Personne n'échappait à la règle, même les princes qui en cas de désobéissance à l'ukase (ou oukase, il s'agit d'un Édit du tsar et plus tard d'un Décret de l'État en U.R.S.S.) pouvaient, comme les autres contrevenants, être inculpés à leur retour de haute trahison, damnés par l'église et condamnés à mort.
S'ils ne revenaient pas en Russie, leurs proches étaient soumis à la torture. (264)

Le poète Alexandre Alexandrovitch Blok (1880-1921) mourut d'avoir trop attendu son visa.
La femme de l'écrivain Fédor Sologoub (1863-1927) se suicida pour n'avoir pas été autorisé à émigrer.

Mais dans la période de 1921 à 1928, on assiste à un revirement complet de la politique soviétique.
Les Soviétiques acceptèrent le départ de tous ceux qui le désirèrent.

Mais en même temps, les Soviétiques favorisèrent les groupes d'émigrés qui prônaient le retour en Russie.

Nous sommes durant la période de la NEP.
NEP est l'acronyme pour Novaïa Ekonomitcheskaïa Politika : nouvelle politique économique.
Cette politique inauguré par Lénine le 12 mars 1921, restaura jusqu'en 1929, l'entreprise privée.

Certains émigrés pensaient que la NEP serait une donnée permanente.
Certes, avec le recul, on peut sourire de leur naïveté, mais il faut savoir que l'opinion publique pensait que la NEP symbolisait la fin de la révolution donc de l'utopie communiste, un peu comme Thermidor avait symbolisé la fin de la révolution française.

Ainsi on pouvait lire dans le Morning Post :

-« Le retour de Lénine au capitalisme marche à pas de géant.»

Et dans l'Observer, qui est entre parenthèses le plus ancien des journaux du dimanche de Grande Bretagne car il fut créé en 1791, on pouvait lire :

-« La liberté du commerce peut devenir le tombeau du communisme en Russie, Lénine admet le retour des capitalistes et des propriétaires. »

THE NATION ne tomba pas dans la naïveté de ses collègues:

-" M. Lloyd Georges se trompe s'il croit que Lénine est un opportuniste tel qu'il est lui-même.
Lénine est capable de céder temporairement, et se tient prêt à utiliser les moyens qui lui paraissent efficaces.
Mais il ne renonce pas un instant à son but fondamental : la transformation de la Russie entière en une immense exploitation collective."

Je laisse maintenant la parole à Lénine:

-"C'est une très grande erreur de croire que la NEP a mis fin à la terreur.
Nous reviendrons encore à la terreur et à la terreur économique."

Inutile de vous dire que les émigrés qui firent l'erreur de revenir disparurent dans les diverses purges staliniennes !
Cela nous rappelle le thème du film de Régis Wargner Est-Ouest, sortie en 1999.

Pour finir ce chapitre concernant le début de la terreur, je laisserais la parole à quelques illustres de nos contemporains.

Nous commencerons par Bertrand de Jouvenel (1903-1987) :

-«Si donc une nation peut trouver dans la révolution une vigueur nouvelle, comme la faible France de louis XVI y trouva la force de conquérir ses frontières naturelles, comme la Russie, vaincue en 1917, y trouva la force de vaincre en 1942, elle n'en doit jamais attendre la liberté.
Ce n'est pas pour l'homme, c'est pour le Pouvoir qu'en dernière analyse sont faites les révolutions. » (224)

Laissons maintenant la parole à Alexandre Zinoviev :

-« Le régime soviétique est un système fondé sur l'exercice de la violence réciproque des individus les uns par rapports aux autres. »

Alexandr Aleksandrovitch Zinoviev est né en 1922.
Zinoviev est un écrivain et philosophe soviétique dissident.
Ses écrits ont pour objet l'étude du monde soviétique et du phénomène totalitaire comme l'Avenir radieux en 1977, Homo Sovieticus en 1983 et Katastroïka en 1990.

Et pour finir, je laisse la parole à Lin Piao (1908-1971) :

-« Le pouvoir politique, c'est le pouvoir d'opprimer les autres. »

Lin Biao ou Lin Piao fut nommé en 1955, membre du bureau politique du Parti communiste chinois.
En 1959, il est nommé chef de l'armée.
Il fut le principal collaborateur de Mao Zedong (1893-1976), qui le désigna en 1969 comme son successeur.
Le 12 septembre 1971, accusé de trahison, il périt, officiellement dans un accident d'avion, en tentant de gagner l'Union soviétique.
Son avion, un jet Trident, s'écrasa en République populaire de Mongolie.
Bien évidemment, on peut penser à juste titre qu'il fut assassiné !

Pour en finir avec Brest-Litovsk, le 13 novembre 1918, soit deux jours après l'armistice entre les alliés et l'Allemagne, le gouvernement soviétique déclara nul le traité de Brest-Litovsk.

CHAPITRE III
L'AIDE ALLEMANDE AUX BOLCHEVIQUES

1° L'AIDE ALLEMANDE A LENINE

En 1917, le gouvernement de Alexandre Feodorovitch Kerenski (1881-1970) accusa Lénine d'avoir reçu des fonds du gouvernement allemand par l'intermédiaire de Alexander Helphand (1869-1924), plus connu sous le nom de Parvus et de Ganetsky. (57)

En juillet 1917, P.M. Pereversev, ministre menchevik de la justice, convoqua à son cabinet le plus sûr ennemi de Lénine, Grégoire Alexinsky, ancien bolchevique, président du groupe à la seconde Douma (nom donné aux assemblées législatives russes entre 1905 et 1917) :

- « Nous avons reçu un dossier accablant contre Oulianov, lui dit-il.
Celui-ci est un agent de l'Allemagne.
Les preuves nous ont été communiquées par un officier russe que nous avons laissé contacter par les services d'espionnage ennemi.

- Pourquoi n'entamez-vous pas une action judiciaire ? demanda Alexinsky.

- Kerenski et plusieurs ministres s'y opposent.
Mais je me fais un devoir de ne pas étouffer cette affaire.
Avez-vous la possibilité de la divulguer à la presse ? » (102)

Alexinsky prend connaissance du dossier et, en accord avec le comité central bolchevique, le répand dans les rédactions. (102)

Dans ce dossier, il y a le procès-verbal, daté du 16 mai 1917 et enregistré sous le numéro 3719, de l'interrogatoire d'un aspirant nommé Yermolenko.
Ce dernier déclarait avoir été envoyé par les Allemands dans les arrières pour y mener une propagande en faveur d'une paix séparée.
A l'état-major allemand, on lui avait déclaré que la même propagande était menée en Russie par d'autres agents, en particulier par Lénine.
Celui-ci devait faire tout son possible pour saper la confiance du peuple russe envers le Gouvernement provisoire.
L'argent et les instructions étaient reçu à Stockholm d'un employé de l'ambassade allemande. (145)
Cependant, le soviet prend la même position que Kerenski, en interdisant la publication de ce dossier contre Lénine.
Un seul journal, intitulé La parole vivante réussira à passer outre. (102)

Lénine répondit par l'intermédiaire du Journal de Alexei Maximovitch Pechkov Gorki (1868-1936) la Novaia Jyzn (La Vie nouvelle) qu'il n'avait jamais été en contact avec ces deux hommes.

La vie nouvelle fut fondée par Gorki en 1917.
Mais dès juillet 1918, ce journal est interdit par Lénine.

Les bolcheviks ont toujours prétendu qu'il s'agissait là d'une calomnie.
Et c'est pourquoi, lorsque quelques années plus tard, Eduard Bernstein (1850-1932) exposa toute l'affaire dans le Vorwarts : Ein dunkles Kapitel, Berlin 14 janvier 1921, on vit l'organe du parti communiste allemand, le mettre au défi de répéter ses accusations devant un tribunal.
Bernstein répondit qu'il était prêt à le faire si la Rote Fahne (Drapeau Rouge) prenait l'initiative d'engager l'action.
Mais on en resta là. (57)

Eduard Berstein était un homme politique allemand.
Social-Démocrate, il critiqua le marxisme dans de nombreux ouvrages.

Marcel Ollivier, de son vrai nom Marcel Goldenberg Aron, ancien secrétaire de la Fédération des Etudiants communistes de France, qui a rencontré Staline et la plupart des dirigeants bolcheviks à l'époque où il travaillait au Komintern en qualité de traducteur et d'interprète, va maintenant nous donner sa vision de cette histoire de fonds secrets :

-« Lénine répondit dans la Novaia Jyzn, de Gorki, qu'il n'avait jamais été en rapports avec Parvus et Ganetsky, ce qui était bien entendu un mensonge imprudent, il ne le faisait pas pour sa défense en tant qu'individu, mais dans l'intérêt de son parti, à qui ces fonds étaient destinés.
De même, lorsque quelque temps plus tard, interrogé par le juge devant lequel il comparaissait sur l'origine de ces fonds, provenant, selon ce dernier, de source allemande, Trotski protesta avec véhémence contre cette calomnie.
Il est difficile de croire qu'il ne jouait pas la comédie, car il ne pouvait ignorer, pour l'avoir lui-même combattu à ce propos, que Lénine ne reculait pas devant l'emploi des moyens les plus douteux pour parvenir à ses fins et qu'il avait toujours affirmé que pour cela il s'allierait avec le diable s'il le fallait.
Que le diable eût apparu au leader bolchevique sous l'uniforme d'officier allemand, avec croix de fer et casque à pointe, et que ce dernier eût traité avec lui, n'avait donc rien qui pût le surprendre.
Mais quoi qu'il en pensât, il lui fallait lui aussi nier la vérité et feindre l'indignation pour tromper l'adversaire.
Et cela avec d'autant plus d'assurance que, n'ayant pas encore à l'époque rejoint les rangs des bolcheviques, il ne savait rien des tractations qui avaient précédé l'envoi des fonds en question.
De cette affaire de fonds allemands en 1917, à l'invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes en 1968, en passant par la révolte de Cronstadt en 1921, les procès de Moscou au cours des années 30, l'alliance avec Hitler, l'arrêt de l'Armée rouge devant Varsovie, les massacres de Katyn, le complot des blouses blanches, la guerre bactériologique en Corée, les slogans sur l'Allemagne revancharde, le soulèvement fasciste en Hongrie, l'agression israélienne, etc. ; l'histoire du bolchevisme est jalonnée de mensonges énormes qui en accompagnent chaque chapitre.
Je dirais plus : le mensonge est le seul terrain sur lequel le régime bolchevique puisse se maintenir.
Privé de la possibilité de mentir, de donner à ceux qu'il tient sous son joug une image déformée de la réalité, il serait comme asphyxié, voué, à échéance plus ou moins longue, à l'effondrement.
Ce qui explique que, partout où il pénètre, son premier soin soit de supprimer la liberté de la presse. » (57)

Marcel Ollivier échappa pendant la guerre d'Espagne à une tentative d'enlèvement, puis à une tentative d'assassinat concerté par Moscou qui lui reprochait de prophétiser dans la presse la duperie du futur pacte germano-soviétique.
Il écrivit en 1929 Spartacus (avec une préface de Barbusse) et en 1970 Le Guépéou en Espagne.

Lénine lui-même ne disait-il pas :

-« Les communistes doivent être prêts à tous les sacrifices et même, au besoin, à employer toutes sortes de ruses, de plans, de stratagèmes illégaux, à nier et dissimuler la vérité.
La politique communiste vise concrètement à dresser un ennemi contre l'autre.
Nous, les communistes, nous devons nous servir d'un pays contre l'autre.
Mes paroles étaient choisies pour provoquer la haine, l'aversion et le mépris, non pour convaincre l'adversaire, mais pour disloquer ses rangs, non pour corriger ses erreurs, mais pour le détruire, balayer ses structures de la surface du globe.
Cette formulation est effectivement calculée pour susciter les pires pensées, les pires soupçons contre notre adversaire. » (50)

2° LA RUSSIE LIVRE SA FLOTTE A L'ALLEMAGNE

Conformément au traité de Brest-Litovsk, la Russie soviétique devait remettre à l'Allemagne la flotte de la Baltique.
Le contre amiral Chtchassny, commandant de la flotte à Cronstadt, en socialiste et patriote ardent qu'il était, refusa de remettre la flotte et la saborda.
Trotski, en sa qualité de chef des forces armées, déféra Chtchassny au tribunal militaire et se présenta personnellement à la séance du tribunal pour prononcer le réquisitoire et emporter la condamnation.
Chtchassny fut condamné à mort et fusillé. (205)

Cronstadt ou Kronstadt est une base navale, dans l'île de Kotline, à 30 kilomètres à l'ouest de Saint-Pétersbourg au fond du golfe de Finlande.
Elle est surtout célèbre par la révolte de ses marins en février 1921.
Cette révolte fut matée par un certain Toukhatchevski dont nous reparlerons beaucoup dans cet ouvrage.

CHAPITRE IV
TROISIEME RENCONTRE : L'ACCORD SECRET GERMANO-RUSSE DU 27 AOUT 1918

Si l'Allemagne a favorisé la venue au pouvoir des bolcheviques et leur maintien au pouvoir en permettant à Lénine de revenir en Russie et en acceptant de signer l'Armistice de Brest-Litovsk, elle les a également aidé sur le plan financier et militaire.

Le 27 août 1918, un accord est signé entre l'Allemagne et la Russie.
L'Allemagne se propose d'aider la Russie contre l'intervention des alliés. (149)

Cette union va encore plus loin.

Georges Clemenceau (1841-1929) reçu le 1er novembre 1918 un document venant de Suisse affirmant que des pourparlers se sont engagés entre le gouvernement allemand et les bolcheviks dans le but de venir en aide à l'Allemagne. (149)
Les Allemands auraient reçu de la part des Russes un milliard et demi en or et trois millions de pouds de céréales. (149)
Un poud correspond à 16,38 kilogrammes.
Le document ajoutait qu'en cas d'échec de la demande d'armistice le gouvernement russe se déclare prêt à proclamer une alliance avec l'Allemagne. (149)

Aujourd'hui, nous savons que ce traité additionnel avec l'Allemagne comporte une clause secrète.
Lénine autorise les troupes allemande de pénétrer en Russie pour chasser les Anglais qui occupe Mourmansk depuis le 9 mars 1918.

Un des rares à être septique de cette politique est Fritz Platten.
Il affirma le 10 septembre 1918 qu'il souhaitait la victoire de l'entente (les alliés) car c'était le seul moyen à ses yeux de parvenir à une révision des traités de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 et de Bucarest du 7 mai 1918.
Mais Platten souhaitait que la guerre ne finisse pas trop vite, car la révolution ne pourrait avoir lieu.
Il pensait que pour réunir les meilleures conditions du succès d'une révolution, la guerre devrait se prolonger encore un an ou deux. (149)

CHAPITRE V
QUATRIEME RENCONTRE : RAPALLO LE 16 AVRIL 1922

La quatrième rencontre entre Russes et Allemands aura lieu quatre ans plus tard, en marge de la conférence de Gênes, à Rapallo.

1922.
Une année riche concernant notre dossier.

C'est notamment le 30 décembre 1922 qu'est proclamé l'URSS.

1° 1922 : L'ANNEE DE TOUT LES ESPOIRS POUR STALINE

Le 4 avril 1922, Staline remplace Molotov (1890-1986) au poste de secrétaire général du parti.
Nous aurons l'occasion de reparler de Molotov dans un prochain chapitre.

Un mois plus tard, Lénine est victime de sa première attaque cardiaque.
Il n'a plus que deux ans à vivre.

Avant 1922, Staline fut commissaire du peuple aux nationalités.

Il fut aussi commissaire à l'inspection ouvrière et paysanne.
A ce poste, il était chargé d'épurer les administrations publiques.

Il fut également membre du conseil de défense lors de la guerre civile.

Une des questions que l'on peut se poser est comment cet homme a pu monter aussi haut dans la hiérarchie de son parti.

Dans son autobiographie Ma vie, Trotski (1879-1940) écrivait :

-«Qu'est-ce que Staline ?
C'est la plus éminente médiocrité du parti. »

-« La première qualification de Staline, c'est une attitude méprisante à l'égard des idées. »

Ma vie fut publiée en 1929 à Berlin.
Trotski y décrit sa carrière politique commencée à 17 ans en 1896 jusqu'à son exil en Turquie en 1929.

Trotski écrivit également sur Staline que:

-« Les bolcheviks déportés par le tsar profitent de leur séjour en Sibérie pour s'instruire.
Djougachvili (Staline), lui, s'assimile seulement quelques notions d'économie politique ; paresseux et peu doué, il s'efforce sans succès d'apprendre l'allemand et se rabat sur l'espéranto.
Nul, d'ailleurs, ne songe jamais à envoyer à l'étranger l'ancien séminariste de Tiflis.
C'est là qu'on forme les espoirs du parti : mais Djougachvili n'était pas un espoir du parti... » (204)

Pour Nicolas Boukharine (1888-1938) :

-« La première qualité de Staline, c'est la flemme.»

-« C'est un intrigant sans principes qui subordonne tout à son appétit de pouvoir.
Il change de théorie pour se débarrasser de quelqu'un, à tel moment donné...
Il ne connaît que la vengeance, le poignard dans le dos. »

Pour Lev Rosenfeld dit Kamenev (1883-1936) :

-« Vous vous imaginez que Staline se préoccupe de chercher des réponses à vos arguments ?
Rien de tel.
Il ne songe qu'à trouver le moyen de vous liquider impunément... »

Pour Anatole V.Baikalov:

-« Il était trapu, de taille moyenne, avec des jambes assez courtes, le visage marqué de petite vérole.
Sa moustache tombante, son front bas sous une abondante chevelure noire, lui donnait l'air d'un individu à l'intelligence très médiocre.
Ses petits yeux enfouis sous d'épais sourcils en broussaille étaient parfaitement inexpressifs.
Il parlait très mal le russe et s'exprimait sur un ton saccadé, avec un fort accent géorgien.
Dans l'ensemble, j'ai eu l'impression que le niveau intellectuel de Staline était très inférieur à celui de la moyenne des travailleurs du parti.
Il me fit l'effet d'un fanatique à l'esprit borné...
Physiquement, il était plutôt répugnant, il avait des manières vulgaires et un comportement brutal, provoquant et cynique. » (161)

En 1935, Raskolnikov (1892-1939) décrivit Staline comme un être perfide et vindicatif mais doté d'une volonté inhabituelle, surhumaine.

En 1938, Raskolnikov se réfugie en France.
Il écrivit une série d'articles, dénonçant la terreur stalinienne dans la revue de Kerenski Les jours.
Sa fin, comme tant d'autres personnages cités dans cet ouvrage, fut tragique.
Officiellement, il se serait suicidé en se jetant d'une fenêtre.
Mais selon Roy Medvedev dont nous reparlerons dans un prochain chapitre, Raskolnikov aurait été assassiné !

Pour Nicolas Soukhanov (1882-1940):

-« On vit aussi une des plus importantes figures du parti bolchevik : Staline.
J'ignore comment ce dernier a pu accéder aux postes élevés de son parti.
Les « influences » dans les sphères élevées, loin du peuple et discrètes, sont capricieuses.
Alors que le parti bolchevik possède des leaders de toute première grandeur, Staline, à l'époque de sa modeste activité au Comité exécutif, produisit et pas seulement sur moi l'impression d'une tache grise, s'éclairant parfois, d'une lumière assez pauvre, mais sans qu'il en restât une trace.» (145)

Comme tant d'autres, le destin de Soukhanov fut tragique.
En 1931, Soukhanov fut l'un des accusés du procès des mencheviks, prélude des épurations sanglantes de 1936-1937.
Soukhanov fut interné dans le camp de Verkhné-Ouralsk.
Je ne pourrais vous en dire plus, car comme l'indique Joël Carmichael dans l'introduction de La Révolution Russe, après sa condamnation on n'entendit plus parler de lui.
D'après mes sources, il aurait été libéré puis de nouveau arrêté en 1939.

Une petite anecdote en passant sur Soukhanov.
A la veille de la révolution d'Octobre, les chefs bolcheviques se réunirent en secret dans l'appartement de Soukhanov pour organiser leur future prise de pouvoir.
La femme de Soukhanov étant une militante bolchevique,
elle se débrouilla pour que mari fut absent pour organiser cette réunion décisive. (236)

Pour Jean-Jacques Marie :

-« Les idées ne sont guère pour lui que des moyens ou des prétextes.
Elles ne l'intéressent pas pour elles-mêmes.
Empirique, il se nourrit d'idées empruntées à Lénine d'abord, puis à ses alliés ou à ses adversaires....
Lorsqu'il n'aura plus ni opposant ni alliés..., la source de ses idées sera tarie. » (162)

David Riazanov (1870-1938) considérait que Staline avait un niveau intellectuel limité :

-« Arrête, Koba, ne te rends pas ridicule.
Tout le monde sait que la théorie n'est pas ton domaine. »

Maksim Litvinov (1876-1951) confiait à un ami en juin 1939 que Staline ne supportait pas les gens intelligents.

Laissons également la parole à Lénine, avec son fameux testament qui date du 25 septembre 1922 :

-« Staline est excessivement brutal, et ce travers, qui peut être toléré entre nous et dans les contacts entre communistes, devient un défaut intolérable pour celui qui occupe le poste de secrétaire général.
De ce fait, je propose que les camarades la possibilité d'écarter Staline de ce poste... »

-« Staline est trop brutal.. et ce défaut devient intolérable au poste de secrétaire général.
Par conséquent, je propose aux camarades de trouver un moyen de le démettre de cette fonction et d'y nommer un autre homme... plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentif envers ses camarades, moins capricieux... »

-«Je propose aux camarades de réfléchir au mayen de déplacer Staline de ce poste et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports, se distingue du camarade Staline par une supériorité, c'est-à-dire qu'il soit plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades. »

-«Le camarade Staline, en devenant secrétaire général, a concentré entre ses mains un pouvoir démesuré et je ne suis pas certain qu'il sache toujours en user avec suffisamment de prudence. »

Et l'on a envoyé en Sibérie les militants qui possédaient un exemplaire du testament de Lénine, le message où le fondateur de l'Union soviétique, mourant, demandait que, Staline trop brutal, soit démis de ses fonctions de secrétaire général. (49)
Le testament de Lénine fut publié par un journaliste américain proche de Trotski et admirateur de la révolution russe, Max Eastman (1883-1969), dans le New-York Herald.

Pour Nikita Khrouchtchev (17 avril 1894- 11 septembre 1971), le successeur de Staline :

-« Staline était un homme très méfiant, maladivement soupçonneux : nous avons appris cela en travaillant avec lui ; il pouvait fixer quelqu'un et lui dire : « Pourquoi votre regard est-il sournois aujourd'hui ? »

-« En ce temps-là, j'avais souvent des conversations avec Boulganine (1895-1975).
Un jour que nous nous promenions en voiture, il me dit : « Il arrive parfois qu'un homme aille rendre visite à Staline en ami et sur son invitation.
Et quand il est assis en face de Staline, il ne sait jamais où il se rendra en partant, chez lui ou en prison. »

-« Nous tremblions devant Staline.
Quand il nous convoquait, nous ne savions jamais si nous pourrions rentrer chez nous, libres... »

-« Staline devint encore plus capricieux, irritable et brutal ; en particulier, ses soupçons s'accrurent.
Sa folie de la persécution atteignit des proportions incroyables.
A ses yeux, de nombreux militants devinrent des ennemis.
Après la guerre, Staline ne fit que se séparer davantage de la collectivité.
Il décidait de tout, tout seul, sans considération pour quiconque et pour quoi que ce soit. »

Sacré Khrouchtchev, quelques années plus tôt, il se présentait tour à tour comme :

-« L'ami et le compagnon de Staline, le plus proche discipline et le compagnon d'armes de Staline, dirigeant stalinien des bolcheviques d'Ukraine, le plus proche compagnon d'armes du grand Staline. » (50)

Ne disait-il pas en janvier 1937, lors d'un meeting sur la Place Rouge où l'on fêtait les exécutions des victimes de l'épuration :

« La condamnation de ces assassins trotskistes, de ces déviationnistes, de ces agents du fascisme, est un avertissement à tous les ennemis du peuple, à tous ceux qui pourraient être tentés de lever la main sur notre Staline. » (50)

Dans son ouvrage, édité en 1962, Conversation avec Staline, Milovan Djilas (1911-1995), le décrivait comme :

-« Le plus grand criminel de l'histoire car il y avait en lui tout ensemble l'insensibilité d'un Caligula, les raffinements d'un Borgia, et la brutalité d'Ivan le Terrible.
Mais, sur le plan communiste, la personnalité la plus grandiose aussitôt après Lénine. »

Dans son ouvrage Staline, Boris Souvarine décrivit ainsi le petit père des peuples :

-«Un réalisme étroit mais efficace à la mesure d'un horizon restreint, allant de pair avec le manque de sens théorique et d'idées générales ; une dextérité orientale dans l'intrigue, l'absence de scrupules, l'insensibilité dans les rapports personnels, le mépris des hommes et de la vie humaine. » (202)

En novembre 1987, Mikhaïl Gorbatchev déclara :

-« La faute de Staline et son propre entourage devant le parti et le peuple pour les répressions massives et l'arbitraire qui régnait dans le pays est énorme et impardonnable. »

Pour conclure je laisserais la parole à Alexandre Soljenitsyne:

-« Le Père la moustache, vous voudriez qu'il vous plaigne, pauvres croquants, quand il se méfie de son propre frère. » (41)

Maintenant laissons la parole à la défense.

Charles Tillon (1897-1993) écrivit en 1949 que :

-« Staline n'est-il pas l'homme qui aura le plus fait pour tous les enfants du monde ?
Nul homme ne sait plus fortement témoigner de la valeur qu'il attache à la personne humaine. »

Pour Marcel Cachin (1869-1958) :

-« L'humanisme de Staline était profond, lucide, réaliste, et avant tout imprégné de véritable bonté, au sens plein de ce mot. »

Pour Serge Kirov (1887-1934) :

-« Tous les espoirs sont dans Staline, notre chef bien-aimé et notre maître, le grand maître des travailleurs du monde !
Ceux qui lui aboient aux chausses sont d'ignobles canailles, dignes d'un coup de revolver dans la nuque ! »

En 1942, Milovan Djilas écrivit :

« Y a-il un honneur et une joie plus grande que de sentir que ton camarade le plus proche et le plus aimé est Staline ?
Staline a réalisé le poème glorieux de la liberté et de la fraternité parmi les hommes et les peuples : la constitution stalinienne...
Staline est le seul homme d'Etat qui ait la conscience altruiste...
Staline est l'homme le plus parfait...
Il sait tout et il voit tout ; tout ce qui est humain lui est proche...»

Quant à Paul Eluard (1895-1952), c'est carrément un poème en hommage à Staline qu'il écrit :

-« Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd'hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d'amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite
Grâce à lui nous vivons sans connaître d'automne
L'horizon de Staline est toujours renaissant
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leur espoir sans bornes. »

Pour Edgar Faure (1908-1988) :

-« Parmi les grands dictateurs du monde moderne, Staline est le seul à avoir résisté au péril de la griserie, de la mégalomanie ou de l'hystérie. »

On peut également citer Harry Truman (1884-1972), président des Etats-Unis de 1945 à 1952 :

-« J'aime bien le vieux Joe Staline.
C'est un brave type, mais il est prisonnier du Politburo.
On s'arrangerait avec lui, mais les gens du Politburo ne le laisseraient pas tenir ses engagements. »

Nous avons même un portrait assez extraordinaire de Staline par un ancien ambassadeur américain à Moscou, Joseph E.Davies :

-« Le regard de ses yeux bruns est excessivement bon et aimable.
Je suis sûr qu'un enfant aimerait s'asseoir sur ses genoux et qu'un chien grimperait sur lui. »

Même le maréchal Pétain (1856-1951) montra son admiration :

-« Quel stratège !
Quel diplomate !
Quel politique !
Le voilà, le grand homme de ce temps... »

Pour terminer, je laisse la parole à Roger Vailland (1907-1965) :

-« Staline, ça te fout les jetons, ça te fout la chiasse, t'as peur pour ton magot, mercanti.
T'en fait pas, sera bientôt là, le Staline, et il nous pendra tous, toi, lui, le grand con qui nous regarde en rigolant, moi, ma bourgeoise, mes lardons, ma belle-mère, la tienne, rien à foutre, ils arrivent, les cosaques, on y passera tous à la potence, à la casserole, à la chaudière.
T'as les foies, hein, la taulière ?
Allons, l'addition, et magne-toi, grossis-le encore un peu, ton magot, avant que le petit père ne vienne te le prendre... » (235)

Au lendemain du rapport Khrouchtchev, Roger Vaillant décrocha le tableau de Staline installé au-dessus de son bureau :

-« J'en reste un peu comme mort.
J'ai pleuré le jour de la mort de Staline.
J'ai pleuré toute une nuit, quand j'ai dû le tuer une seconde fois dans mon c½ur, après avoir lu le récit de ses crimes. »

2° 1922 : LA CONFERENCE DE GENES

La conférence de Gênes de 1922 marque une étape importante dans les relations internationales.
Cette conférence se déroule au palais San Giorgo.
Elle constitue en effet la première rencontre entre l'occident et l'URSS.
Mais les Américains sont absents car ils ne veulent délibérer avec les Russes.
Il s'agit d'une conférence sur le redressement économique de l'Europe centrale et orientale et aussi sur le rétablissement de l'étalon or.

Le 10 avril 1922, lors de la première séance de cette conférence, Gheorghi Vassilievitch Tchitcherine (1872-1936) commissaire aux Affaires étrangères de l'URSS du 30 mai 1918 à 1930, déclare :

-« La reconstruction économique de la Russie, qui est le plus grand Etat de l'Europe avec ses richesses naturelles incalculables, apparaît comme une des conditions indispensables de la reconstruction économique universelle.
La Russie, de son côté, se déclare pleinement disposer à contribuer à la solution du problème posé devant la conférence, par tous les moyens en son pouvoir, et ces moyens ne sont pas insignifiants. » (17)

Mais la conférence de Gênes sera un échec pour notamment deux raisons.

D'abord, du fait des intérêts divergents de deux grandes compagnies pétrolières : la Royal Dutch Shell et la Standard Oil.
Les Soviétiques laissent à la Royal Dutch Shell le monopole des transports du pétrole russe.
La Standard Oil le prend très mal car ayant racheté les participations des frères Nobel dans les pétroles caucasiens, elle exige des droits égaux.
Cette guerre des pétroliers provoque forcément un désaccord entre la Grande Bretagne et les USA.

Ensuite, les alliées cherchent de leurs coté à obtenir la reconnaissance des dettes de l'Etat tsariste.
Les Soviétiques acceptaient de payer les 13 milliards de dollars qu'ils devaient aux occidentaux.
Mais, ils réclamaient aux occidentaux près de 60 milliards de dollars en réparation des dommages causés en Russie par les troupes d'intervention de l'Entente.
Entre parenthèses, les Soviétiques étaient près à réduire cette demande à 25 milliards de dollars !

De ce fait, bien évidemment, il n'y aura pas d'accord entre occidentaux et Soviétiques.

Ces derniers préfèrent donc dialoguer directement avec les pestiférés qu'étaient les Allemands. (17)
Pour ces deux pays, c'est la possibilité de rompre leur isolement diplomatique.

Alfred Griot (1885-1971) plus connu sous le nom de Rosmer va nous donner son point de vue sur la conférence de Gènes :

-« La conférence internationale de Gênes revêtait une importance considérable par le seul fait de sa réunion.
C'était la première fois depuis la guerre qu'on pouvait voir autour d'un même table des représentants de toutes les nations ; la classification en alliés et ennemis prenait fin.
Mais cela ne signifiait pas pour autant qu'on allait trouver un terrain d'entente, réaliser même un minimum d'accord.
Il apparut assez vite que les participants à la Conférence trouveraient constamment devant eux, barrant la route, une France volontairement fermée à une saine conception de l'économie européenne.
L'Angleterre insistait ; elle avait plus que besoin du rétablissement des grands échanges commerciaux.
Elle sortait, elle aussi épuisée de la longue guerre et les fruits de la victoire étaient bien amers.
Avec ses alliés, elle avait abattu sa rivale continentale, mais c'était pour voir l'Amérique lui ravir le rôle agréable et profitable d'arbitre qu'elle avait joué si longtemps à l'égard de l'Europe.
Elle était mieux disposée à voir la réalité, et ses hommes politiques s'étaient toujours montrés capables d'adaptation aux situations changeantes.
L'Italie, incapable également de donner du travail à une portion considérable de sa main-d'½uvre, appuyait les tentatives d'accord.
Tout était inutile.
La France prétendait imposer à la Russie des conditions draconiennes, pire que celles imposées à l'Allemagne par les traités de Versailles ; elle la croyait si épuisée qu'elle serait contrainte de les accepter.
Le résultat fut tout autre.
Traitées en parias, l'une parce qu'elle était l'Allemagne et qu'elle était vaincue, l'autre parce qu'elle était socialiste, l'Allemagne et la Russie soviétique conclurent un accord, le traité de Rapallo. »

3° 1922 : RAPALLO

Rapallo sera durant les années 20, la ville de tous les traités, car déjà le 12 novembre 1920 un important traité est signé dans cette ville, entre l'Italie et la Yougoslavie.
L'Italie reçoit Triste et Istrie.
La Yougoslavie reçoit la Dalmatie.
Fiume devient un Etat libre.

Fiume était la cause d'une crise diplomatique du fait de l'écrivain Gabriele d'Annunzio (1863-1938).
Dans la nuit du 11 au 12 septembre 1919, deux-cent quatre-vingt sept jeunes volontaires partent de Ronchi sous le commandement du lieutenant-colonel d'Annunzio, s'emparent de Fiume.
Fiume fut italienne de 1919 à 1947.
Après le traité de Paris, elle fut donnée à la Yougoslavie.
Désormais, cette ville se nomme Rijeka et appartient à la Croatie.

L'accord qui nous intéresse sera signé deux ans plus tard.

Le 16 avril 1922 en Italie dans un port de pêche dans le golfe de Gène appelé Rapallo va se dérouler un nouvel acte de notre histoire.

C'est dans cette ville que le successeur de Léon Trotski (1879-1940) au ministère des Affaires étrangères, Gheorghi vassilievitch Tchitcherine (1872-1936) signe un traité avec Walter Rathenau (1867-1922), ministre des affaires étrangères d'Allemagne depuis le 31 janvier 1922 et ancien président d'AEG.

Tchitcherine sera commissaire aux affaires étrangères de 1918 à 1930.

Rathenau sera assassiné deux mois plus tard, le 24 juin 1922 par deux nationalistes antisémites, membres d'une organisation secrète consul. (42)

L'Allemagne et l'URSS en signant ce traité, rétablissent entre eux des relations diplomatiques.

Nikolai Ivanovitch Krestinsky (1883-1938) représentera l'URSS à Berlin et le comte Ulrich von Brockdorff-Rantzau (1869-1928) représentera l'Allemagne à Moscou. (54)

Krestinsky restera à Berlin de 1922 à 1930.
Le Soviétique devint en 1931, vice-ministre des Affaires étrangères.
Krestinsky comme tant d'autres finira mal.

Artur London (1er février 1915-1986), lui aussi, vice-ministre des Affaires étrangères, mais en Tchécoslovaquie, et qui fut arrêté en 1951, le cite sans son ouvrage L'Aveu.

Lors de son procès, Krestinsky fera proche de courage en refusant d'admettre sa culpabilité :

-« Je ne me reconnais pas coupable.
Je ne suis pas trotskiste.
Je n'ai jamais fait parti du bloc des droitiers et des trotskistes dont j'ignorais l'existence.
Je n'ai pas commis non plus un seul des crimes qui me sont imputés, à moi personnellement ; notamment je ne me reconnais pas coupable d'avoir entretenu des relations avec le service d'espionnage allemand. » (58)

A Andrei Ianouarievitch Vynchinski (1883-1954) le procureur des procès de Moscou, qui plus tard de 1949 à 1953 devint ministre des Affaires étrangères et finit délégué à l'ONU, lui faisant remarquer qu'il avait signé ses aveux à l'instruction préalable, Krestinski avait répondu :

-« Avant que vous m'interrogiez, les déclarations que j'ai faites à l'instruction préalable étaient fausses.
Puis je les ai maintenues parce que ma propre expérience m'a convaincu que je ne pourrais plus, jusqu'à l'audience de la cour, si audience il y avait, les infirmer.
J'ai estimé que si je racontais ce que je dis aujourd'hui, que tout était faux, ces déclarations ne seraient jamais arrivées aux chefs du parti et du gouvernement. » (58)

Les partis communistes du monde entier se solidarisèrent sans réserve avec la politique stalinienne et donc acceptèrent sans réserves la culpabilité des accusés des procès de Moscou.

Laissons la parole à Léopold Trepper, le célèbre chef de L'Orchestre rouge :

-« J'étais à Paris lorsque Marcel Cachin (1869-1958) et Paul Vaillant-Couturier (1892-1937), qui avaient assisté au deuxième procès de Moscou, vinrent en rendre compte au cours d'un grand meeting salle wagram.
Que firent Marcel Cachin et Vaillant-Couturier ?
Et bien, ils rendirent hommage à la clairvoyance de Staline qui avait démasqué et démantelé le groupe terroriste. » (16)

-« Nous avons entendu Zinoviev et Kamenev s'accuser des pires crimes, s'écria Vaillant-Couturier ; pensez-vous que ces gens-là auraient avoué s'ils étaient innocents ? » (16)

-« Cachin, Vaillant-Couturier, comme l'ensemble du P.C.F, forgeaient exclusivement leurs convictions sur les sources soviétiques, mais pouvaient-ils savoir que les trois grands procès n'étaient que le vaste spectacle de l'avant-scène et que dans les coulisses, sans procès, sans aveux, disparaissaient des milliers de militants communistes ? » (16)

Marcel Cachin (1869-1958) fut directeur de l'Humanité de 1918 à sa mort.
Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) fut rédacteur en chef de l'Humanité de 1928 à sa mort.

A l'époque des procès de Moscou, André Malraux (1901-1976) déclara :

-« Les procès de Moscou n'ont pas diminué la dignité fondamentale du communisme. »

Malraux raconta à son retour d'URSS en 1934 :

- « Que là bas, il n'y a plus de névroses, que l'angoisse de la mort a disparu dans la patrie de la liberté. » (167)

Pour la femme de Maurice Thorez :

-« 85 millions de morts à cause du stalinisme, c'est un terrible mensonge.
J'ai toujours considéré que Staline était un grand homme, un grand homme, un véritable combattant, quelqu'un de raisonnable. »

L'un des rares communistes français à démissionner du fait des procès de Moscou, fut en 1938, Charles Rappoport (1865-1941).

Rappoport donnait la définition suivante de bolchevisme :

« Un socialisme à la sauce tartare »

Et de Staline :

-« Un aventurier de haut vol qui serrera la révolution si fort dans ses bras qu'il finira par l'étouffer. »

Bien avant lui, en 1922, le journaliste Henri Fabre (14 juillet 1876- 25 novembre 1969) est exclu du PCF pour avoir critiqué la terreur policière en URSS.

René Etiemble (1909-2002) quitte aussi le parti :

-« Certes les procès de Moscou, qui condamnèrent à mort Zinoviev, Kamenev, Smirnov, et ce ne fut qu'un commencement, ne s'ouvriront qu'en août 1936, et j'en tirai alors les conséquences, démissionnai de mes fonctions de secrétaire général de l'Association internationale des écrivains pour la défense de la culture, acceptai à Beauvais dès octobre une modeste classe de sixième où je fus à la fois très malheureux et détestable professeur.
Mais enfin j'aurai dû comprendre plus tôt ce que valait le stalinisme, dès mon premier séjour à Moscou en tout cas en 1934. »

Ivan Nikitich Smirnov fut commissaire politique de l'armée de Toukhatchevski en 1918-1919.
Il fut fusillé en 1937.

En 1924, l'année de la mort de Lénine (le 21 janvier), c'est au tour de Boris Souvarine (son vrai nom est Boris Lifschitz 1894- 1er novembre 1984) et Pierre Monatte (1881-1960), fondateur en 1909 de La vie ouvrière ( devenu depuis le 1er octobre 1993 l'hebdo de l'actualité sociale), ancien chef de la rubrique social de l'Humanité, d'être exclus du PCF.

Souvarine était un personnage étonnant.
A l'origine, il est de ceux qui soutiennent le plus l'adhésion de la SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière, fondée entre le 23 et 26 avril 1905) à la IIIème international, bien qu'en décembre 1920, il soit absent du congrès de Tours (25 au 31 décembre 1920).

Congrès, oh combien important !
Il symbolise le désaccord entre socialistes et communistes.
Les communistes sont partisans d'une révolution semblable à celle que vient de connaître la Russie, tandis que les socialistes restent favorables à une conquête du pouvoir dans la légalité.

Cette absence de Souvarine au congrès de Tours est indépendante de sa volonté car en décembre 1920, il se trouvait en prison.
Il fut arrêté en mai 1920 à la suite des grèves, notamment des cheminots.
Le président du conseil Alexandre Millerand (1859-1943), n'hésita pas à faite arrêter les membres du Bureau confédéral de la CGT et plusieurs dirigeants d'extrême gauche qui ont appelé à la grève comme Fernand Loriot (1870-1932) et Boris Souvarine.
Près de 18 000 cheminots sont licenciés à la suite de cette grève. (169)

L'évolution politique des grands personnages est toujours étonnante.

Etrange destin, après avoir été un pur et dur communiste, Souvarine deviendra l'un des premiers à dénoncer le stalinisme.

L'évolution politique des hommes politiques m'a toujours passionné et étonné !

Ainsi par exemple, Millerand était à l'origine un socialiste.
Il participa au gouvernement de Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904) entre 1899 et 1902, en tant que ministre du Commerce, de l'Industrie et du Travail.
Condamné par la IIème Internationale qui interdit à ses membres toute participation aux gouvernements bourgeois, Millerand est exclu de la Fédération socialiste de la Seine. (233)
Il fut ministre de la Guerre entre 1912 et 1913 et entre 1914 et 1915.
En 1920 il devint Président du Conseil, puis président de la République du 23 septembre 1920 à 1924.
Partisan d'un exécutif fort, Millerand songe à une réforme constitutionnelle, ce qui inquiète les partis de gauche.
Ceux-ci vont faire leur unité contre Millerand après son discours du 14 octobre 1923 à Evreux.
Oubliant son rôle d'arbitre, le président prend ouvertement parti pour la majorité en place et vitupère violemment les socialistes.
Le succès remporté par la gauche le 11 mai 1924 amènera la démission de Millerand. (233)

Marcel Déat (1894-1955) et Pierre Laval (28 juin 1883-1945) étaient dans leurs débuts politiques, militant socialiste.

En 1914, Laval est élu député socialiste d'Aubervilliers.
Il quitte la SFIO en 1919.
On connaît la suite !

Déat s'inscrit en 1914 à la SFIO.
Il quitte ce parti en 1933 et fonde le Parti socialiste de France avec un programme qui se résume par ce slogan : Ordre, autorité, nation.
Là encore, on connaît la suite.

Paul Marion (1899-1954) adhéra en 1922 au parti communiste.
En 1929, il démissionne du parti à son retour d'un voyage en URSS.
Le 11 août 1941, Marion deviendra secrétaire général de l'Information et de la Propagande.
Le 18 avril 1942, au retour de Laval, Marion devient secrétaire d'Etat à l'information jusqu'au 5 janvier 1944 où il sera remplacé par Philippe Henriot (1889-1944). (176)

Mieux encore, Jacques Doriot (1898-1945), un des leaders du parti communiste devint l'un des responsables les plus important de l'extrême droite.

N'oublions pas François Mitterrand (1919-1996) qui est à l'origine un homme d'extrême droite et qui deviendra le 10 mai 1981 le premier président socialiste de la V ème république.
Ce qui ne l'a pas empêché de garder des relations douteuses comme René Bousquet (1909-1993)!

Mais revenons quelques instants sur Souvarine.

Par la suite, en 1935, Victor Souvarine créa l'Institut d'Histoire Sociale, notamment pour abriter les archives de la Sociale Démocratie allemande que Souvarine, Boris Nicolaievski et Anatole de Monzie (1876-1947), ancien ministre de l'Education Nationale et des Travaux publics, avaient préservés.

Dans la nuit du vendredi au samedi 7 novembre 1936, l'IHS fut cambriolé par le NKVD afin de récupérer les archives de Léon Trotski mises en dépôt par son fils Léon Sedov.

A propos de ce cambriolage, écoutons le témoignage de Trotski :

-« En France, j'avais déposé une masse de lettres, de fiches et de documents à l'Institut d'histoire sociale, rue Michelet, à Paris.
Une nuit, de mystérieux cambrioleurs ont découpé au chalumeau la porte d'acier de l'Institut et, négligeant des manuscrits de grande valeur, ont emporté les soixante-six kilos de papier qui m'appartenaient. » (204)

Une petite anecdote sur l'IHS :
En 1940, après la défaite, les Allemands pillèrent les archives et les remirent à l'institut Marx-Engels de Moscou.
L'IHS est quand même un des rares instituts qui en quatre ans reçut la visite du NKVD et des SS !

Souvarine créa également le Bulletin d'études et d'informations politiques internationales qui deviendra en 1956 la revue Est-ouest.
Il écrira aussi dans la revue Le contrat social, publiée de 1953 à 1960.

Le principe de Souvarine s'exprimait ainsi:

- "Le goût de la vérité et l'envie de comprendre."

De 1998 jusqu'à son décès en 2006, Jean-François Revel fut président de l'IHS.

Le 24 décembre 1934, Souvarine écrivit une lettre à André Blumel, directeur du cabinet de Léon Blum, s'indignant que le populaire, organe de la SFIO, taise les arrestations de Zinoviev et de Kamenev. (163)

Blumel lors du procès Kravchenko fut l'avocat de André Wurmser.

Lors de ce procès, Margarete Buber-Neumann décrivait ses conditions de vie dans le camp soviétique où elle était déportée :

-« J'habitais dans une hutte d'argile, peuplée de millions de punaises.
Si je m'éloignais de 500 mètres, on me tirait dessus. »

Blumel lui répliqua ainsi :

-« Ce n'est pas un camp, cela s'appellerait en France une résidence forcée.

En novembre 1949, David Rousset (1912-1997) proposa de créer une commission d'enquête sur les camps soviétiques.

Bien évidemment, la réaction du PC ne tarde pas.

Pierre Daix écrivit dans Les lettres françaises :

-« Pourquoi David Rousset invente-t-il les camps soviétiques ? » (234)

Je préfère ne pas faire de commentaires.

Pierre Daix quitta le PC en 1974.
En 1976, Pierre Daix expliqua son parcours dans son ouvrage J'ai cru au matin aux éditions Robert Laffont et plus récemment en 2001 dans Tout mon temps, Révision de ma mémoire chez Arthème Fayard.

Les Lettres françaises furent créées, le 20 septembre 1942 par Daniel Decourdemanche (1910-1942) et Jean Paulhan (1884-1968).
Daniel Decourdemanche est plus connu sous le nom de Jacques Decour.
Il fut fusillé par les Allemands en 1942. (252)
Jean Paulhan fut directeur de la Nouvelle Revue française de 1925 à 1940 et de 1953 à sa mort.
A l'automne de 1972, la semaine même où l'on fêtait les soixante-quinze ans de Louis Aragon (1897-1982), le parti communiste français arrêta la publication des Lettres française.
Aragon fut directeur des Lettres françaises de 1953 à 1972.
Le parti reprochait à son hebdomadaire ses positions sur la Tchécoslovaquie. (252)
Il est vrai que Pierre Daix, gendre d'Artur London, refusa dans Les lettres françaises de faire le procès du film de Costa- Gavras, L'aveu, sorti sur les écrans en 1970. (52)

Le 27 mai 1936, Souvarine écrivit à Léon Blum pour lui demande de solliciter auprès de Staline une amnistie en faveur des condamnés politiques. (163)

En 1938, Souvarine écrivit à propos des procès de Moscou :

-« Au-dessus du vide noir dont parlait Boukharine, l'aube d'une vie nouvelle ne luira pour la Russie que le jour où les circonstances ouvriront, après le mensonge des procès, le grand procès des très grands mensonges. » (14)

Krestinsky sera réhabilité en 1963.
Boukharine, ainsi que Kamenev seront réhabilité en 1988.

Le 27 octobre de cette même année, un article des Izvestia rendait hommage au diplomate de l'école léninienne, et concluait :

- « Il a été une des victimes de l'arbitraire de la période du culte de la personnalité de Staline. » (64)

Les Izvestia (les nouvelles) furent créés le 13 mars 1917.

A l'origine, ce journal était l'organe du Conseil des députés ouvriers de Petrograd.
Par la suite, ce quotidien devint l'organe officiel du Présidium du soviet suprême.

Revenons maintenant aux signataires de Rapallo.

Quant à Ulrich Graf von Brockdorff-Rantzau, il fut ministre des Affaires étrangères en 1919, dans le cabinet de Philippe Scheidemann (1865-1939), premier chancelier de la république de Weimar.

Les principaux responsables du coté allemand de la signature du traité de Rapallo sont notamment, Walter Rathenau (1867-1922), le diplomate Freiherr von Maltzahn, le colonel Walther Nicolai, les généraux von Bredow, von Hammerstein, von Seeckt (1866-1936), et Goener.

Le général Curt von Bredow sera assassiné par les nazis le 30 juin 1934.

Dans son ouvrage, The Nemesis of Power (en français Le drame de l'armée allemande), l'historien anglais Wheeler-Bennet précise que le maréchal von Mackensen (1849-1945) et le général von Hammerstein réussirent à obtenir de Hitler, lors d'une réunion secrète du parti et des chefs militaires, le 7 janvier 1937, l'aveu que le meurtre des généraux von Bredow et Kurt von Schleicher (1882-1934) avait été erroné et la promesse que leurs noms figureraient de nouveau sur les archives de leur régiment.

August von Mackensen (1849-1945) fut un feld-maréchal allemand.
Feld-maréchal est le grade le plus élevé dans la hiérarchie militaire, en Allemagne et en Autriche.
Il fut Commandant des armées austro-allemandes sur le front oriental de 1915 à 1918.
Il fut battu en Macédoine en 1918.

Du fait de ce traité, l'Allemagne renonce à ses droits sur les entreprises allemandes en Russie nationalisés par l'URSS.

Là pour l'instant ce n'est pas d'un grand intérêt car beaucoup d'entreprises et de particuliers ont perdu en partie ou en totalité leur fortune du fait de la révolution bolchevique, mais la suite va devenir plus intéressante notamment pour les armées soviétiques et allemandes.

L'Armée rouge des ouvriers et des paysans, est une armée fondée dans la Russie révolutionnaire par le Conseil des commissaires du peuple, présidée par Lénine en janvier 1918.
Commissaire à la Guerre en mars 1918, Trotski l'organisa.
Mais en 1925, il est destitué par Staline et remplacé le 26 janvier par Mikhaïl Vassilievitch Frounze (1885-31 octobre 1925).

L'Armée rouge vainquit les armées contre-révolutionnaires dites blanches, durant la guerre civile de 1918 à 1921.
En septembre 1946, elle prit le nom officiel d'armée soviétique.

En 1922, l'armée Rouge manque de cadres, d'une doctrine.
Aucune école militaire n'acceptera de lui distiller l'enseignement nécessaire.

Quant à l'Allemagne, elle ne peut posséder ni chars, ni canons lourds, ni avions, ni marine. (54)

Karl Sobelsohn plus connu sous le nom Radek (1890-1939) va imaginer une coalition clandestine entre les deux pays :

-« Mettre l'expérience des officiers allemands au service de la jeune armée soviétique ; pour reconstruire aussi l'industrie de guerre russe complètement abattue.
En échange, la République des soviets fabriquera les armes interdites à la Reichswehr.
Et cette même Reichswehr les essaiera, s'entraînera à loisir en terre russe. » (54)

A Moscou, les partisans de Staline murmurent que le colonel Nicolai (l'homme qui comme on l'a vu dans un précédent chapitre a favorisé le retour de Lénine en Russie) a soufflé à Radek cette coopération. (54)

Radek, comme tant d'autres finira mal.
Condamné à 10 ans de prison lors du deuxième procès de Moscou en janvier 1937, il sera tué par un codétenu en 1939.
Il sera réhabilité seulement en 1988.

Entre parenthèse, j'ai une anecdote assez intéressante sur Radek.
Comme l'Allemagne tardait à exécuter les réparations prévues par le Traité de Versailles, la France occupa le 8 mars 1921, Düsseldorf et Duisburg.
Puis le 11 janvier 1923 avec l'accord de la Belgique et de l'Italie (mais pas de la Grande Bretagne), elle occupa militairement toute la Ruhr dont l'exploitation alimenta la caisse des réparations.
Mais l'occupation se passa mal.
Il y eut treize morts lors d'une manifestation à Essen.
Radek n'hésita pas alors à écrire un article dans un quotidien d'extrême droite la Reichswacht pour soutenir les manifestants.
La réciproque ne se fit pas attendre.
Un auteur du N.S.D.A.P. (Sigle de Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, Parti ouvrier allemand national-socialiste) écrivit un article dans la Rote Fahne, toujours pour dénoncer l'occupation de la Ruhr.

En 1924, l'adoption du plan Dawes organisa le départ progressif des troupes françaises, belges et italiennes.

Pour le comte Albrecht Bernstorff :

-« La Russie est le pays que nous pouvons exploiter le plus commodément.
La Russie a besoin des capitaux et des intelligences que notre industrie peut lui fournir.
Par-dessus tout, maintenant que le Bolchevisme commence à se répandre en Allemagne, nous sommes en train de devenir les cousins germains des Russes.
Il faut que nous nous accordions avec les Bolcheviks. » (187)

En échange de crédits bancaires et d'un appui technique allemand, l'URSS autorise l'Allemagne à expérimenter sur son territoire les armes interdites par le traité de Versailles, et à former les personnels destinés à les utiliser.

Les Panzers s'entraîneront à Kazan, la future Luftwaffe (en français, ce terme signifie : Arme aérienne) à Lipetsk à Voronej, et de nouveaux casques de combat seront testés à Saratov. (54)

Le centre d'entraînement pour l'aviation de Lipetsk fut créé en avril 1925.
Une école pour la guerre des gaz fut créée à Tomka près de Saratov en 1928.
Au printemps 1929, à Kazan, naquit un centre d'entraînement pour l'arme blindée.

La discrétion est la base de cet accord.
Pour cela, il suffit de créer une entreprise : La Société pour l'exploitation d'entreprises industrielles.
La Reichswehr la finance.
Chaque année, un tiers de son budget annuel, soit 120 millions de marks sera consacré au financement de cette société. (54)

Ainsi, on construira des avions Junkers à Fili et à Samara, des obus à Toula et à Slatoust, des gaz toxiques à Krasnogvardeisk, des sous-marins et même un cuirassé dans les chantiers navals de Leningrad.
Le nom de Junkers vient de son créateur Hugo Junkers (1859-1935).

La Reichswehr, forte de vingt mille hommes, choisis parmi les meilleurs combattants de la grande guerre, viennent s'entraîner en Russie.
Avant de partir pour la Russie, chacun de ces militaires sera congédié, rayé des rôles de l'armée allemande de façon fictive.
Dès leur retour, on les réintégrera tout bonnement. (54)

Selon l'Allemand Sébastien Haffner :

- «Même les plus grands génies de l'organisation militaires eussent été incapables de créer en six ans, de 1933 à 1939, l'armée aérienne la plus puissante, les divisions blindées les plus efficaces de l'époque.
Le miracle apparent de la remilitarisation allemande sous Hitler n'a été rendu possible que par le travail de base patient, assidu, opiniâtre, accompli pendant onze années en Russie. » (98)

Pierre Accoce et Pierre Quet nous précisent que :

-« Sans Lipezk, Hermann Goering n'aurait jamais pu rassembler tous les pilotes d'élite dont disposera la Luftwaffe, la transformant en arme redoutable...
Sans Kazan, les divisions blindées de Guderian, de Hoepner, de Hoth n'auraient jamais acquis le mordant qui les fera considérer comme le fer de lance de la Wehrmacht... » (54)

Erich Hoepner né le 14 septembre 1886 sera exécuté en 1944.

La Luftwaffe est le nom donné, depuis 1935, à l'armée de l'air allemande.

Hermann Goering ou Göring (1893-1946), fut membre du parti nazi dès 1922.
En 1933, il est nommé ministre de l'Air.
Choix logique de Hitler, car Goering fut pilote durant la première guerre mondiale.

Dans ses mémoires Grandeurs et misères d'une victoire, Georges Clemenceau (1841-1929) commenta ce traité :

-« L'Allemagne faisait remise aux Soviets de ses créances sur la Russie, sans en avoir demandé l'autorisation aux puissances à qui pourtant appartenait un privilège de premier rang sur tous ses biens.
Elle assurait à la Russie le régime de la nation la plus favorisée.
Elle mettait à son service les moyens industriels qu'elle refusait de faire servir au règlement plus rapide des réparations.
Bref, elle reprenait aux yeux du monde son indépendance. »

Dans son ouvrage HISTOIRE DE L'ARMEE ALLEMANDE, Jacques Benoist-Méchin (1901-1983) nous indique que la maison Fokker possède des usines à Moscou, Leningrad, Smolensk et Kiev. (187)
Jusqu'en 1929, la maison Fokker livra à l'armée soviétique 824 appareils de chasse et de bombardement.
La société Fokker fut créée en 1913 par Antony Fokker (1890-1939).

La maison Dornier, spécialisée dans les hydravions, possède une usine à Cronstadt. (187)
La maison Dornier a entièrement équipé la base maritime de la Baltique en lui fournissant 80 biplaces bimoteurs ultra-rapides armés de lance-torpilles, de lance-bombes, et de réservoirs à gaz. (187)
Cette firme allemande fut créée par Claudius Dornier (1884-1969).

En 1924, une usine située à Trost sur la Volga, dirigée par des ingénieurs appartenant à la firme Hugo Stolzenberg fabrique du phosgène qui est un gaz toxique. (187)

En décembre 1928, à la suite d'une visite faite à Berlin par le chimiste russe Tcherzeff, une mission de techniciens allemands composée de dix chimistes diplômés de la Badische-Anilin se rend à Moscou et organise les services de l'Union des Industries chimiques d'URSS. (187)

Grâce à l'Allemagne, l'industrie chimique russe atteint en 1930, 7% de la production européenne. (187)

C'est à la Russie que l'Allemagne a demandée de lui fournir un champ d'expérience pour ses explosifs et pour ses gaz. (187)

N'oublions pas que les Allemands et les Soviétiques collaborent à la création dans la mise en place d'un réseau aérien.
Junkers Luftverkher participe à la création de la société russo-allemande Deruluft (Deutsch-Russische Luftverkehrs) le 11 novembre 1921.
Le premier vol date du 1er mai 1922.
Le 30 juin 1923 est inauguré la liaison Konigsberg-moscou. (271)

Le réseau de l'aviation commerciale russe, insignifiant avant l'arrivée des Allemands, passe de 6000 kilomètres en 1925 à 29000 kilomètres en 1930. (187)

Pour comprendre Rapallo, il faut savoir que le général allemand Hans von Seeckt veut éliminer la Pologne pour récupérer le couloir de Dantzig, séparant l'Allemagne en deux.

Dantzig ou Danzig est le nom allemand de Gdansk.
Gdansk est un port hanséatique au XIVe siècle.
Sous protection polonaise à partir de 1454, elle fut réunie en 1793 à la Prusse, à laquelle elle revint en 1815, après avoir été cité libre de 1807 à 1814.
En 1919, elle fut érigée en ville libre, accrue d'un territoire, (couloir de Dantzig, qui reliait la Pologne à la mer), sous contrôle de la Société des Nations.
Hitler s'en empara le 1er septembre 1939, déclenchant ainsi la Seconde Guerre mondiale.
Libérée en 1945, elle fut incorporée à la Pologne.

Ce projet séduit également les Russes.
La Pologne est le frein à l'expansion de la révolution en Europe.

Dans son ouvrage L'affaire Toukhatchevski, Victor Alexandrov explique l'intérêt donné par Rapallo aux Soviétiques :

-« Le militarisme allemand une fois ressuscité devait se retourner contre le vainqueur de 14-18 et demander la révision des frontières de l'Est et de l'Ouest et obtenir la suppression du couloir de Dantzig.
Une nouvelle guerre impérialiste et mondiale, la deuxième guerre mondiale, devrait s'ensuivre, sans que la Russie soviétique y soit impliquée.
Ainsi le Reich militariste ressuscité aura servi de brise-glace en démantibulant l'armature du capitalisme mondial au grand avantage de la Russie soviétique restée neutre qui profiterait de la débâcle des puissances capitalistes. » (84)

Pour mieux comprendre tout les méandres de cette diplomatie, nous allons lire une lettre qu'envoya Gustav Stresemann (1878-1929), ministre des Affaires étrangères de novembre 1923 à sa mort, au Kronprinz (titre que portait, en Allemagne et en Autriche, l'héritier de la couronne impériale ou royale) Frédéric-Guillaume (1882-1951) le 7 septembre 1925 :

-« A mon avis, la politique étrangère de l'Allemagne a pour le prochain avenir trois grands buts...
La solution de la question rhénane...
La protection des 10 à 12 millions d'Allemands qui vivent maintenant sous le joug étranger...
La rectification de nos frontières orientales, reprise de Dantzig, du corridor polonais et modification du tracé de la frontière de Haute-Silésie.
A plus longue échéance, rattachement de l'Autriche à l'Allemagne...
Mais l'essentiel est le premier des points que j'énumérais tout à l'heure, la libération de notre sol, la disparition des troupes d'occupation ; il faut d'abord que nos étrangleurs lâchent prise ; c'est pourquoi la politique allemande devra pour commencer suivre la formule que Metternich (1773-1859), je croix, adoptait en Autriche après 1809 : finasser et se dérober aux grandes décisions.
Je demande à Votre Altesse Impériale la permission de ne pas en dire plus long dans cette lettre.
Je suis naturellement tenu à beaucoup de discrétion.
Si Votre Altesse Impériale veut me donner l'occasion de l'entretenir à loisir de ces questions, qui vont devenir urgentes, je me tiens volontiers à sa disposition. » (17)

Par la suite, le komprinz soutiendra les nazis.

Gustav Stresemann (1878 -1929) était le chef du parti populiste au Reichstag.
Il fut chancelier d'août à novembre 1923, puis ministre des Affaires étrangères de 1923 à 1929.

Il obtenu d'appréciables résultats:

- élaboration du plan Dawes en 1924,
- évacuation de la Ruhr en 1925
- évacuation de Cologne en 1926
- à la suite des accords de Locarno en 1925, admission de l'Allemagne à la S.D.N

Il signa le pacte Briand-Kellogg en 1928 et fit dresser le plan Young en 1929.
Il obtint le Prix Nobel de la paix 1926 avec Aristide Briand (1862-1932).

Isaac Deutscher (1907-1967) considère que :

-« Jusqu'à l'arrivée de Hitler au pouvoir, la diplomatie soviétique s'en tint étroitement à la politique de Rapallo.
L'URSS tirait tout le bénéfice qu'elle pouvait de son alliance avec l'Allemagne, aussi longtemps surtout que les autres puissances lui appliquèrent à divers degrés un boycottage commercial.
L'importation de produits allemands aida la Russie à se redresser durant les années 20.
Le bureau politique avait autorisé Trotski et Mikhaïl Toukhatchevski (1893-1937) à utiliser les talents militaires allemands, ceux des officiers et des techniciens sans emploi, pour l'entraînement de l'Armée rouge...
En échange, les Russes avaient permis à ces techniciens militaires allemands de continuer sur le sol russe les expériences qu'ils ne pouvaient faire en Allemagne en vertu du Traité de Versailles.
Malgré cela, les relations entre les deux pays n'avaient pas le caractère d'une alliance.
Leur but était de contrecarrer la prédominance de l'Entente et d'empêcher l'Allemagne de se coaliser avec l'Ouest contre la Russie.
Chaque fois que les puissances occidentales essayèrent d'alléger le fardeau des réparations qui pesait sur l'Allemagne, par exemple avec le plan Dawes, ou chaque fois qu'elles tentèrent un rapprochement avec l'Allemagne sur la base de Versailles, comme avec le Pacte de Locarno, les chefs soviétiques se demandèrent avec inquiétude si ces man½uvres ne cachaient pas une coalition antisoviétique et ils encouragèrent l'Allemagne à s'opposer à ses vainqueurs.
Mais ils n'avaient pas d'illusion dans la stabilité du système de Versailles.
Penser que l'Allemagne s'accommodera de cet état de chose, disait Staline, en commentant le Pacte de Locarno en 1925, c'est espérer un miracle...
Locarno qui sanctionne la perte par l'Allemagne de la Silésie et du corridor de Dantzig, la perte par l'Ukraine de la Galicie et de la Volhynie occidentale, la perte de Vilno par la Lituanie, partagera le sort du vieux traité franco-prussien, qui enleva à la France l'Alsace et la Lorraine...
Locarno est gros d'une nouvelle guerre européenne. » (13)

Le 16 décembre 1926, à la tribune du Reichstag, Philippe Scheidemann (1865-1939) dénonça le marchandage de Rapallo.

Ecoutons cet ancien chancelier:

-"Il n'est ni propre ni honnête de voir la Russie soviétique prêcher le désarmement mondial, tout en armant la Reichswehr.
Il faut mettre fin à ce scandale." (187)

Pour terminer sur Rapallo, je laisse la parole à Vladimir Potemkine, Commissaire adjoint aux Affaires étrangères :

- "Rapallo fit échouer la tentative alliée d'un front capitaliste uni."

Versailles, Locarno, le plan Dawes sont des événements indispensables à étudier pour essayer de comprendre l'arrivée des nazis au pouvoir.

4° 1925: LA CONFERENCE DE LOCARNO

Du 5 au 16 octobre 1925 se tient à Locarno, en Suisse, une conférence rassemblant des représentants de la France avec Aristide Briand (1862-1932), de l'Allemagne avec Gustav Stresemann (1878-1929), de la Belgique avec Emile Vandervelde (1866-1938), du Royaume-Uni avec Joseph Austen C. Chamberlain (1863-1937), de la Tchécoslovaquie et de la Pologne.
Le plus important des accords signés à Locarno, aboutit à la reconnaissance de l'inviolabilité des frontières franco-allemande et belgo-allemande.
Cet accord garantissait la démilitarisation de la Rhénanie, en application des articles 42 et 43 du traité de Versailles.
Cependant l'Allemagne ne reconnaissait pas ses frontières orientales avec la Pologne et la Tchécoslovaquie, ce qui ne manquait pas d'inquiéter ces dernières.
Aussi le jour même de la signature, la France conclut des traités d'alliance avec la Pologne et la Tchécoslovaquie.
Indéniablement, Staline ne s'est pas trompé, Locarno n'est qu'un leurre qui ne durera pas.

D'ailleurs, Staline a compris que la France, notamment, professe une politique utopique.
Le pacte Briand-Kellog en est une preuve.
Cet accord signé le 27 août 1928 sur l'initiative d'Aristide Briand, ministre français des Affaires étrangères et Frank Billings Kellog (1856-1937), ancien Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères de 1925 à 1929 sous le président Calvin Coolidge (1872-1933), prévoit la mise hors-la-loi de la guerre.
Cette politique utopiste permettra à Briand (avec Stresemann) en 1926 et Kellog en 1929 d'avoir le prix Nobel de la Paix.

Le Plan Dawes, vient du nom de son créateur, Charles Gates Dawes (1865-1951), vice-président des Etats-Unis sous Coolidge.
Il reçut avec Joseph Austen Chamberlain le prix Nobel de la paix en 1925.
Son plan, appliqué de 1924 à 1929, devait permettre à l'Allemagne de payer les réparations de guerre sans ruiner son économie.
A la suite du plan Dawes, il y eut le plan Young signé à Paris le 7 juin 1929.
Ce plan portait le nom d'un des membres de la commission qui le signa, le financier américain Owen D.Young (1874-1962).

Nous reparlerons dans un prochain chapitre de Chamberlain mais pas de Joseph, mais de son frère Arthur Neville (1869-1940) dont le rôle fut fondamental lors de la crise de Munich en 1938.

L'URSS interprète le plan Dawes comme une colonisation américaine.

5° RAPALLO : LA SUITE

Après Rapallo, les relations militaires entre les deux pays vont s'intensifier :

- En 1923, Toukhatchevski est à Berlin où il exerce la fonction d'agent de liaison du Commandement Suprême de l'Armée rouge auprès de la Reichswehr chargé de préparer les conventions militaires soviéto-allemandes. (84)

-Il devait retourner cinq fois en Allemagne : deux fois en qualité de membre de la Commission Militaire russo-allemande chargée de veiller à l'exécution des conventions entre l'Armée rouge et la Reichswehr ; une fois pour faire un stage auprès de la Reichswehr, ainsi que le prévoyaient les clauses mêmes de ces conventions ; et deux autres fois entre 1926 et 1932. (84)

Dans son ouvrage sur Alfred Helmut Naujocks (1911-1966), Günter Peis écrivit :

-« Le maréchal Mikhaïl Toukhatchevski était un soldat d'une grande rigueur de caractère, tel que le régime tsariste en avait formé.
Le Haut-Commandement allemand l'avait connu en 1926 en tant que signataire d'un remarquable traité de dupes russo-allemand.
Ce document avait permis aux Allemands de constituer une aviation en Russie en y envoyant des hommes comme instructeurs.
La Luftwaffe avait été déclarée illégale par la commission de contrôle alliée qui n'aurait jamais autorisé sa résurrection sur le sol allemand.
Ce fut ainsi que le maréchal rencontra de nombreux jeunes officiers qui, dix ans plus tard, devaient devenir les chefs de l'OKW.
Il se lia d'amitié avec eux.
L'admiration était mutuelle.
Les Russes respectaient les efforts déterminés que les Allemands déployaient pour réaffirmer leur présence, et les Allemands leur enviaient l'Armée rouge qui illustrait d'une façon impressionnante les traditions de puissance et de discipline qui avaient été à un moment donnée celles des Junkers. (118)

L'OKW (Oberkommando der Wehrmacht, en français Haut commandement des forces armées) était le commandement suprême des forces armées allemandes du IIIème Reich.

En 1925, les généraux Werner von Fritsche (1880-1939) et Kurt Freiheer von Hammerstein viennent à Moscou en visite officielle. (75)

Selon Walter Duranty, ancien correspondant du New York Times à Moscou :

-« Durant les dix années qui s'écoulèrent entre le Traité de Rapallo et l'ascension de Hitler, les relations entre les armées russes et allemandes avaient été étroites et amicales.
Vers la fin des années 20, on raconte que le chef de la Reichswehr, le général von Hammerstein, eut l'occasion de diriger les man½uvres de l'Armée rouge dans la région de Kiev. »

6° LA NAIVETE DES INTELLECTUELS

Walter Duranty est surtout connu pour ne pas avoir signalé à son journal, le New York time (quotidien fondé en 1851), le fait que la famine sévisse en URSS.

Duranty ne l'a mentionné que rarement et pour prétendre qu 'elle n'existait pas.

Ainsi il écrivait le 15 novembre 1931 :

-« Il n'y a pas de famine et il n'y en aura pas. » (206)

De nouveau le 31 mars 1933, il écrivit :

-« Les conditions étaient mauvaises en Ukraine, au nord du Caucase et sur la Volga inférieure.
Le reste du pays connaît un rationnement passager mais rien de pire.
Les conditions sont mauvaises, mais il n'y a pas de famine. »

En août 1933, il affirmait :

-« Toutes les informations publiées à ce jour sur la famine en Russie sont une exagération ou font partie d'une propagande malhonnête. » (206)

Pour ses articles, Duranty a reçu trois prix Pulitzer et un ordre de Lénine.
Il écrivit même en 1946 une Histoire de la Russie soviétique aux éditions Stock.
Il est mort en 1957.

Le journaliste Joseph Pulitzer (1847-1917) fonda, par testament, les prix Pulitzer, qui récompensent chaque année, depuis 1917, huit journalistes et cinq écrivains.
Les prix sont décernés par l'université Columbia à New-York.

Et pourtant, plus de quarante ans après la mort de Duranty mort, la polémique demeure.
Le congrès ukrainien des Etats-Unis, l'UCCA a envoyé en juin 2003 une lettre au conseil d'administration du prix Pulitzer.
L'UCCA réclame l'annulation du prix décerné à Duranty en 1932. (206)

La famine a fait, en 1932-33, six millions de victimes.

Il n'est d'ailleurs pas le seul à n'avoir rien vu, ni compris.

Sir John Maynard, expert britannique en Agriculture, se rendit en Ukraine sous l'égide de l'OGPU au plus fort de la famine qui, selon Robert Conquest, fit de cinq à six millions de morts.
De retour à Londres, Maynard affirma pourtant au monde entier que la famine n'existait pas ; des restrictions ici ou là, peut-être, mais pas de trace de disette générale. (50)

Georges Bernard Shaw (1856-1950) revint lui aussi d'un voyage organisé par l'OGPU en témoignant n'avoir constaté aucun symptôme de famine : les hôtels où il avait dîné ne manquaient de rien, disait-il. (50)

Dans un article dans L'HISTOIRE, Michel Winock écrivit que :

-« Déjà, en 1933, Edouard Herriot (1872-1957), cacique du parti radical et ministre des Affaires étrangères, avait fait un de ces voyages en URSS d'où l'on revenait enthousiaste grâce aux soins guides, au décor Potemkine, à la chaleur des banquets.
En visitant l'Ukraine peu de temps après la grande famine, Herriot n'avait rien vu que de la prospérité partout ! » (165)

Grigori Alexandrovitch Potemkine (1739-1791) eut, jusqu'à sa mort, une grande influence sur Catherine II (1729-1796), dont il fut l'amant de 1774 à 1776 et peut-être l'époux.
Il ½uvra en faveur de l'annexion du territoire de Crimée en 1783.
Il s'attacha à la mise en valeur de l'Ukraine, fonda Sébastopol et créa une flotte de guerre en mer Noire.
Potemkine lors d'un voyage officiel en 1787 dans la nouvelle Russie, (nom donné aux territoires pris aux Turcs), dissimula les masures derrière des décors de bois peints afin que Catherine ne vit pas la pauvreté de ses nouveaux territoires.

Les Soviétiques prirent l'habitude d'utiliser les mêmes méthodes de Potemkine pour dissimuler aux étrangers et même aux soviétiques la pauvreté des campagnes russes.
Cela permettait également aux soviétiques de donner une bonne opinion de l'URSS aux occidentaux, notamment sur le plan des conditions de vie des prisonniers.

Les exemples sont nombreux.

- Le Réalisateur Ivan Pyriev (1901-1968) tourna un film intitulé Les cosaques du Kouban.
Dans ce film on voit la vie d'un village où la nourriture ne manque pas puisque l'on assiste à un festin.
En réalité, il fallu expédier vers le lieu de tournage, sur réquisition et ordre du Kremlin, deux wagons de victuailles.
Comme les villageois n'avaient jamais vu autant de nourriture, ils ne cessaient d'en voler ce qui perturbait le tournage. (49)

- En 1944, Henry A.Wallace et le professeur Owen Lattimore visitèrent le camp Dalstroi à Magadane.
Pour éviter de leur faire voir la misère humaine de ce camp, le NKVD abattirent les miradors.
Les prisonniers furent transférés.
Des agents du NKVD prirent leurs places, le temps de la visite. (50)
Henry Wallace raconta son voyage en URSS dans son ouvrage Mission en Asie soviétique.

On peut ainsi lire dans son ouvrage :

« Dans les mines d'or de Kolima, les jeunes pionniers venus de Russie d'Europe en Extrême-Orient sont grands et costaux.
Ils m'ont demandé d'apporter au peuple des Etats-Unis un message de solidarité.
On peut donc dire que les Russes ont amené dans le nord de la Sibérie une vie urbaine comparable en gros à celle de nos Etats du nord-ouest et de l'Alaska.
Les hommes en survêtement de Kolima ont beaucoup plus de roubles à dépenser que les mineurs de l'ancienne Russie.
Le moral et le goût de la vie en Sibérie d'aujourd'hui sont sans aucune comparaison possible avec ceux du temps de l'exil. »

Wallace n'était pas n'importe qui.
Il fut vice-président des Etats-Unis entre 1940 et 1944.
Ensuite, il devint secrétaire au commerce. (150)
Mais Harry Truman le renvoi en 1946 car il le juge trop bienveillant à l'égard de la Russie. (150)
De plus Wallace avait, auprès du président d'abord, puis publiquement, critiqué la politique étrangère américaine, qu'il jugeait trop méfiante à l'égard des Russes. (150)
En 1948, Wallace se présenta aux élections présidentielles.
Il n'obtint que 2,4% des voix.

En 1990, René Etiemble (1909-2002) raconta dans son ouvrage Le meurtre du petit père aux Editions Arléa, son voyage en URSS en 1934.
Il raconta avoir été le dupe de Staline.
On l'invita à participer à un fastueux festin dans un kolkhoze d'Ukraine.
Ainsi il ne vit rien du crime de Staline qui avait fait mourir de faim des millions d'Ukrainiens.

-« Ainsi voyage-t-on en pays de tyrannie, sans rien voir, sans rien comprendre. » (215)

L'un des rares qui vit la vérité dans cet amas de mensonges fut Boris Souvarine.

Dans sa revue La critique sociale, il dresse, en janvier 1933, un impitoyable bilan de l'économie soviétique et de la collectivisation des terres :

-« Dans l'agriculture, la situation confine au désastre. » (165)

Vassili Grossman (1905- 15 septembre 1964) rendit dans son ouvrage Tout passe un hommage aux victimes de la collectivisation stalinienne :

-« Quand je pense maintenant à la dékoulakisation, je vois tout d'une autre façon, je ne suis plus envoûté et puis j'ai vu les hommes à l'½uvre.
Comment ai-je pu avoir ce c½ur de pierre ?
Comme ils ont souffert ces gens, comme on les a traités !
Mois je disais : ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des koulaks.
Et plus j'y pense, plus je me demande qui a inventé ce mot : les koulaks.
Pour les tuer, il fallait déclarer : les koulaks, ce ne sont pas des êtres humains.
C'est ce qu'ont dit Lénine et Staline : les koulaks, ce ne sont pas des êtres humains.
Mais ce n'est pas vrai, c'étaient des hommes, c'étaient des hommes !
Voilà ce que j'ai compris peu à peu.
Nous sommes tous des êtres humains. »

Durant la seconde guerre mondiale, Vassili Grossman devient correspondant de guerre.
A Stalingrad, il partagea, en première ligne, la vie des combattants.
Il décrira, en 1952, ses souvenirs dans son ouvrage Vie et destin.
Grossman déposa son roman à la revue Znamia.
Le rédacteur en chef de cette revue transmit le roman au KGB qui par la suite perquisitionna chez Grossman.
Le KGB fit saisir les exemplaires tapés à la machine, les brouillons et même les rubans et les carbones.
Une version du manuscrit, microfilmé par Andrei Sakharov (1921-1989), parviendra en occident et sera publiée en 1980.

Staline n'apprécia guère cet ouvrage.

Il est vrai qu'on peut le comprendre, rien qu'en lisant cet extrait :

-«L'homme, condamné à l'esclavage, est esclave par destin et non par nature.
L'aspiration de la nature humaine vers la liberté humaine est invincible, elle peut être écrasée, mais elle ne peut être anéantie.
L'homme ne renonce pas de son plein gré à la liberté.
Cette conclusion est la lumière de notre temps, la lumière de l'avenir. »

Un autre auteur comprit dès 1930, le système soviétique.
Il s'agit de Herbert George Wells (1866-1946).

Il affirma à Henri Barbusse (1873-30 août 1935) :

-« Votre dictature du prolétariat je ne l'aie vue nulle part.
Ce que j'ai vu, ce sont des Soviets man½uvrés par quelques membres du parti communiste, et qui n'avaient dans leur ensemble pas plus de conscience prolétarienne qu'un troupeau de montons.
Ce n'est pas parce que vous avez intitulé la foule prolétariat qu'elle cessera d'être une foule, c'est-à-dire une pauvre chose.
Les réponses des ouvriers que vous avez interrogés leur avaient été serinées comme des formules de catéchisme, et ils les répétaient sans les comprendre. »

Barbusse lui répondit ainsi :

-« Mettons qu'on ait préparé et seriné la masse soviétique sur mon passage, et que les ouvriers russes que j'ai rencontrés aient simplement eu l'air d'être sincères...
Si c'est un catéchisme, il est en tout cas infiniment noble et élevé.
Bon gré, mal gré, la conscience prolétarienne existe.
Et il y a au-dessus, ou plutôt au milieu, la conscience des chefs qui se font de leur milieu une idée très haute. »

Wells répliqua par ce simple mot :

-« Idéaliste. »

Ce dialogue entre Georges Wells et Henri Barbusse paru dans l'hebdomadaire Monde du 8 mars 1930.
Entre parenthèses, cette revue appartenait à Barbusse qui était stalinien !
Henri Barbusse obtint en 1916, le prix Goncourt avec Le Feu (Editions Flammarion).
Cet ouvrage dénonçait l'horreur de la guerre de 1914-1918.
Ses derniers ouvrages célèbrent la Russie soviétique.

Barbusse définit ainsi Staline :

-« Staline, pas plus que Lénine, ne sait jamais tromper. »

Wells eut l'occasion de rencontrer Lénine.
Il lui affirma que le communisme allait trop vite et détruisait avant de pouvoir construire.

Lénine donnait l'impression d'écouter les arguments de Wells, ce qui surpris ce dernier :

-« On m'avait affirmé que Lénine aimait à donner des leçons, mais il s'en est dispensé avec moi. »

Mais ce que ne savait pas Wells est la réaction de Lénine après son départ.

Il soupira en levant les bras au ciel :

-« Quel bourgeois !
Quel Philistin ! (Personne peu ouverte à la nouveauté, bornée) » (225)

En 1935, dans Les nouvelles nourritures terrestres, André Gide (1869-1951) chante avec un lyrisme païen la religion de l'homme nouveau venu de Moscou :

-« Table rase !
J'ai tout Balayé !
Je me dresse nu sur la table vierge, devant le ciel à repeupler ! »

Gide déclare que désormais :

-« Aucun argument de raison de pourra le retenir sur le chemin du communisme. » (168)

-« Vous avez brisé les chaînes d'un passé qui pèse encore sur nous lourdement.
Jeunes gens de l'URSS, merci pour cet immense espoir que vous permettez à nos c½urs et pour votre exemple admirable.
Désormais, c'est les regards tournés vers vous que nous marchons. » (229)

Trois ans auparavant, en 1932, Gide avait déclaré :

-« Et s'il fallait ma vie pour assurer le succès de l'URSS, je la donnerais aussitôt. »

Après son voyage de 1936 en URSS qu'il effectua avec Louis Guilloux (1899-1980), Jef Last (1898-1972), Eugène Dabit (1898-1936, auteur notamment de Hôtel du Nord en 1929), et Jacques Schiffrin ; Gide, sans renoncer à l'idéal communisme et tout en espérant que le nouveau régime sera capable de se ressaisir, exprima certaines déceptions et notamment son regret de voir réapparaître en Russie ces valeurs bourgeoises : mariage, famille, moralisme.

Il écrivit également dans son ouvrage Retour de l'URSS sorti en librairie le 13 novembre 1936 :

-« Et je doute qu'en aucun autre pays aujourd'hui, fût-ce dans l'Allemagne de Hitler, l'esprit soit moins libre, plus courbé, plus craintif, plus vassalisé. »

-« Le mensonge de l'URSS a dévoyé trop longtemps non seulement les naïfs mais parfois les meilleurs d'entre nous. » (229)

Cet ouvrage reçoit les éloges de Trotski et connaît en un an neuf tirages et se vend à 150 000 exemplaires. (195)

Les amis communistes de Gide notamment, Louis Aragon (1897-1982), Romain Rolland (1866-1944) et André Wurmser (1899-1984) lui reprochent de donner des armes aux adversaires de l'URSS. (195)

Quant à Louis Guilloux, son retour de prendre parti contre l'ouvrage de Gide lui vaut de perdre sa collaboration à CE SOIR, dirigé par Louis Aragon et Jean-Richard Bloch (1884-1947).
Ce journal disparu en 1953.

Lors du procès Kravchenko dont nous reparlerons dans un prochain chapitre de cet ouvrage, Wurmser, en entendant les témoins victimes des purges staliniennes avouer ignorer les raisons de leurs arrestations, n'hésita pas à se moquer d'eux :

-« Vous voulez nous faire croire qu'il s'agit d'un gouvernement de maniaque. »

En 1979, invité à l'émission de Bernard Pivot, Apostrophes, pour son ouvrage Fidèlement votre, soixante ans de vie politique et littéraire, Wurmser considérait que Staline n'a été qu'un regrettable accident de parcours.

Quelques mois plus tard, en juin 1937, Gide publie Retouches à mon Retour d'URSS, qui prend moins de précautions avec le stalinisme.

La réaction communiste sera violente.

Dès janvier 1937, Romain Rolland (1866-1944) dénonce dans un article publié dans la Pravda, l'attitude de Gide.

Pour cet écrivain qui fit un voyage en 1935 en URSS, il vit en Staline :

-« Non pas un chef de type charismatique mais une figure de la raison. » (16)

Gide sera traité par les communistes d'esthète décadent, d'agent de la gestapo et de méchant vieillard. (195)

Le 20 novembre 1947, Jean Kanapa (1921-1978) écrivit dans Les lettres françaises que Gide s'était détourné des bolcheviques car ceux-ci n'étaient pas homosexuels.

Pauvre Kanapa !
En décembre 1976, lors d'un débat télévisé suivant la projection du film L'Aveu, il expliqua que les dirigeants communistes français ignoraient tous des méthodes staliniennes jusqu'aux révélations faites par Khrouchtchev lors du XXème congrès. (247)

Après la mort de Gide en 1951, la formule préférée des staliniens était :

« Il n'est pas mort, il l'était déjà.»

On pourra même lire dans l'Humanité :

-« C'est un cadavre qui vient de mourir. »

Gide n'est pas le seul à être déçu par la Russie soviétique.

Ainsi Erik Satie (1866-1er juillet 1925) estimait que :

-« Ses camarades bolcheviks ne valent pas mieux que les bourgeois. »

Enfin, je laisserais la parole à Edouard Herriot, qui n'était probablement aussi naïf ou dupe que ne l'écrit Michel Winock car après son voyage en URSS, il affirma :

-« Il est vrai que là-bas la liberté de pensée n'existe que pour ceux qui pensent comme le gouvernement. »

7° HISTORIQUE DE 1926 A 1930

Le 24 avril 1926, de nouveau, un traité d'amitié et d'assistance mutuelle est signé entre l'URSS et l'Allemagne
Ce traité renouvelle ainsi le traité de Rapallo.
Ce traité stipulait notamment que l'Allemagne resterait neutre en cas d'agression contre l'Union soviétique.

La même année, c'est au tour des généraux soviétiques, Gheorghi Konstantinovitch Joukov (1896-1974), Ian Koniev (1897-1973) et Konstantine Rokossovski (1896-1968) de venir en visite officielle à Berlin.
Ils y rencontrent notamment l'attaché militaire soviétique à Berlin, Kork. (75)
Ce dernier fut exécuté en 1937 mais nous en reparlerons dans un prochain chapitre.

Gheorghi Konstantinovitch Joukov (1896 -1974) fut Chef d'état-major de l'armée Rouge en 1940.
Il sauva Moscou en 1941.
Il défendit Stalingrad en 1943
Joukov dirigea l'offensive soviétique sur le front de l'Ouest, qui se termina par la prise de Berlin.
Signataire de l'acte de capitulation de l'Allemagne, il commanda ensuite les troupes soviétiques d'occupation de l'ancien Reich.
Il fut Ministre de la Défense de 1955 à 1957, puis membre du præsidium du Comité central du P.C.U.
Il en fut brusquement écarté par Khrouchtchev en octobre 1957.

Ivan Stepanovitch Koniev (1897-1973) mena en 1944 l'offensive jusqu'à la Vistule.
Il perça le front allemand en1945, puis fit la jonction, sur l'Elbe, avec l'armée américaine
Il atteignit Berlin en avril 1945 et libéra Prague.
De 1956 à 1960, il commanda les forces du pacte de Varsovie.

Le Pacte Varsovie est un ensemble d'accords militaires signés à Varsovie le 14 mai 1955, liant l'U.R.S.S., l'Albanie (qui se retira en 1968 à la suite de l'intervention des forces du Pacte en Tchécoslovaquie), la Bulgarie, la Hongrie en 1956, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la R.D.A. (qui y adhéra de 1956 à 1990).
Ce pacte fut conçu en réplique à la formation de l'OTAN.
L'alliance a été dissoute en 1991.

Quant à Rokossovski, nous reparlerons de lui sur le chapitre concernant la bataille de Varsovie.

Toujours en 1926, Staline déclara à la femme de Lénine que si elle continuait d'appuyer l'opposition, le parti s'arrangerait pour trouver une autre veuve de Lénine. (57)

En 1927, Trotski est renvoyé du Politburo (Bureau politique du Comité central du parti communiste de l'URSS, créé en octobre 1917).

Le 10 janvier 1929, il est expulsé d'URSS.

En juillet 1933, Trotski s'installa en France, à Barbizon.
Durant cette période, Yves Allégret (1907-1987), qui après guerre deviendra un illustre réalisateur, classait le courrier de Trotski.

Bien évidemment, la réaction du parti communiste français (nommé jusqu'en 1943 ; Section française de l'internationale communiste) est violente.

Ainsi, l'Humanité affirmait :

-« De France, Trotski peut attaquer tous les partis communistes des pays environnants.
La France est un point stratégique.
Voilà pourquoi M.Trotsky est venu et pourquoi le gouvernement l'a accueilli. »

En 1935, Trotski est expulsé de France

En 1936, un des rares pays sinon le seul qui accepte de recevoir Trotski est le Mexique.
C'est là, on le sait qu'il sera assassiné le 20 août 1940.

Il est accueillit par Lázaro Cárdenas (1895-1970).
De tendance révolutionnaire, Cardenas fit carrière dans l'armée, puis entra au gouvernement entre 1931et 1934, comme ministre de l'intérieur et ministre de la guerre.
Ensuite il fut président de la république mexicaine de 1934 à 1940.
Il mena une politique de gauche comme on va le voir dans quelques instants et donna refuge comme on le sait à Trotski, mais aussi aux républicains espagnols exilés.
Je parlais de politique de gauche car, de 1934 à 1940, 16 millions d'hectares sont distribués à huit cent mille petits paysans.
Comme on s'en doute cette politique de distribution de terres fut beaucoup plus efficace que celle de collectivisation stalinienne des années 1930 en URSS !
Bien plus tard, en 1966, on le retrouva avec Isaac Deutscher, comme membre du tribunal Russel, tribunal symbolique, chargé de juger les crimes de guerre au Vietnam.
Pour en savoir plus sur ce tribunal, je vous conseille de lire Tribunal Russel Le jugement de Stockholm aux Editions Gallimard.

Staline ne se contentera pas de tuer Trotski, il s'occupera de toute sa famille.

Son fils Léon Sedov (1906-1938) est assassiné à Paris en 1938.
Sedov dirigeait à Paris Le bulletin de l'opposition russe.

Pour en savoir plus sur la mort de Léon Sédov, je laisse la parole à John Barron :

-« En février 1938, Sedov subit une opération de l'estomac dans une petite clinique parisienne dont le personnel était composé d'émigrés russes.
L'intervention avait réussit et le malade semblait se remettre rapidement.
Mais, la cinquième nuit après l'opération, on le trouva errant dans les couloirs, nu et en plein délire, portant d'importantes ecchymoses sur le ventre.
Il mourut trois jours plus tard.
Sans fournir aucune explication sur la nature des ecchymoses, une enquête attribua la mort à des complications post-opératoires.
Pourtant, dix-huit ans plus tard, Mark Zborowski, le meilleur ami de Sedov, avoua qu'il avait pour tâche, en tant qu'agent du NKVD, d'espionner le fils de Trotski.
C'est Zborowski qui avait amené Sedov à la clinique et lui avait rendu visite avant sa mort. » (50)

Trotski, en apprenant la mort de son fils, s'écria:

-« Il a été victime du NKVD. » (204)

Ecoutons également le témoignage de la femme de Trotski :

-« Notre fils était rentré sous le nom de Martin, ingénieur français, à la clinique tenue par un médecin russe émigré, le docteur Simkov.
On l'avait opéré sans complications, mais des détails bizarres se révélèrent : le malade avait pris des aliments où, sous aucun prétexte, il ne devait en prendre.
Négligence ?
Ou pire ?
Un médecin lui avait parlé en russe...
Il était donc identifié ?
Une infirmière, appartenant à l'émigration russe, fréquentait des milieux pro staliniens...
Le parquet ordonna une autopsie, mais nos amis n'en connurent pas les résultats.
Sous le Front populaire, noyauté par le parti communiste et attaché à l'alliance avec l'URSS, le gouvernement français craignait qu'un scandale n'aboutisse à mettre trop clairement en cause certains services secrets. » (204)

Pour terminer le dossier de Léon Sedov, nous laisserons la parole à l'assassin de Léon Trotski, un dénommé Jacques Mornard aussi connu sous les noms de Ramon Mercader et Franck Jacson :

-« Oui, Léon Sedov a été liquidé par la Guépéou. » (204)

Staline n'oublie personne.
Il n'oublie pas d'assassiner Rudolf Klement (1910-1938), un associé de Léon Sedov.
On retrouva son corps décapité dans la Seine le 16 juillet 1938.

Son autre fils Serge (1908-1938) est arrêté en 1936 et disparaît dans un camp.
Sa fille Zinaida se suicide le 5 janvier 1933, tandis que son mari, Platon Volkov est arrêté. (204)
Sa s½ur Olga est déportée.
Il est vrai que non seulement en plus d'être la s½ur de Trotski, elle avait également épousé un dénommé Kamenev.

Trotski fut assassiné le 20 août 1940.
Sur la fin du créateur de la 4ème International (qu'il créa en 1938), je vous conseille de voir le film de Joseph Losey (1909-1984) L'assassinat de Trotski, sorti en 1972, avec Richard Burton (1925-1984) dans le rôle de Trotski et Alain Delon dans le rôle de l'assassin de Trotski.

Ramon Mercader, l'assassin de Trotski passera vingt ans dans les prisons mexicaines.
Il meurt à Cuba en 1978.
Il est enterré à Moscou.

Trotski, mythe ou réalité ?
S'il avait vaincu Staline, le monde aurait-il changé ?
Des millions d'hommes et de femmes ne seraient peut-être pas mort dans des camps ?
Jamais personne ne pourra donner de réponses à ces questions.

Mais on peut trouver quelques pistes intéressantes.

Selon Jean Cathala, à la mort de Lénine, tous les ingrédients de la tyrannie moderne ont déjà pris racine en URSS : le culte du chef, un Parti majuscule, des assemblées élues et des syndicats obéissant à ce parti, une information entièrement dirigée, la censure sur les ouvrages de l'esprit, une police secrète, des camps de concentration.
Vainqueur de Staline, Trotski n'aurait pas échapper à la nécessité de faire comme Staline : devenir « dieu tutélaire » en même temps que « bête féroce » ; conclure des « traités avantageux » (avec Hitler, par exemple) ; sortir victorieux d'une « guerre heureuse » ; et fonder, toujours sur la base de traités, un glacis de protectorats à l'image de l'URSS.
Mort à l'apogée de sa puissance, il aurait été pleuré comme un « Père », puis vilipendé ou passé sous silence par des héritiers conscients de ne pouvoir faire aussi bien » (267)

Pour Cathala, Staline et Trotski sont l'avers et l'envers d'une même médaille.
Le destin l'a joué pile ou face.
La médaille est restée intacte. (267)

Sur un point Trotski avait raison :

-« Le bolchevisme porte en lui le germe de sa propre décomposition. »

En 1930, Sigmund Freud (1856-23 septembre 1939) publia un essais intitulé Malaise dans la civilisation :

-« Le progrès de la civilisation saura-t-il dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d'agression et d'autodestruction. »

Malheureusement non !

Toujours en 1930, Maksim Maksimovitch Litvinov (1876-1951) succéda à Tchitchérine comme commissaire du peuple aux Affaires étrangères.
En 1932, il participe à la conférence sur le désarmement à Genève.
Il obtient en 1933, la reconnaissance du régime soviétique par les Etats-Unis.
Ce ministre aura dans la suite de ce récit un rôle important.

CHAPITRE VI
L'ARRIVEE D'HITLER AU POUVOIR

1° STALINE-HITLER : LES POINTS COMMUNS

Hitler-Staline, ce duo infernal de l'histoire du XX ème siècle, responsable d'un des plus grands massacre jamais connu est admirablement décrit par Victor Serge, de son vrai nom Victor Lvovitch Kibaltchich (1890-1947), dans son ouvrage publié en 1939 S'il est minuit dans le siècle :

-« Il y a de singulières correspondances entre ces dictatures.
Staline a fait la puissance d'Hitler en éloignant les classes moyennes du communisme par le cauchemar de la collectivisation forcée, de la famine, de la terreur contre les techniciens.
Hitler, en faisant désespérer l'Europe du socialisme, ferait la puissance de Staline...
Ces fossoyeurs sont faits pour s'entendre.
Des frères ennemis.
L'un enterre en Allemagne une démocratie avortée, fille d'une révolution avortée ; l'autre enterre en Russie une révolution victorieuse, née d'un prolétariat trop faible et livrée à elle-même par le reste du monde ; tous les deux mènent ceux qu'ils servent, bourgeoisie en Allemagne, bureaucratie chez nous, au cataclysme... » (18)

L'ambassadeur de France à Moscou, Emile Naggiar, partageait le même point de vue que Victor Serge, sur les points communs entre la Russie stalinienne et l'Allemagne nazi :

-«Même idolâtrie de l'Etat représenté par un seul homme, même système de police et de propagande, même mépris de l'individu, même férocité, même secret. » (119)

Naggiar quitta son poste le 3 février 1940.

En 1951, Hannah Arendt (1906-1975), philosophe et sociologue américaine d'origine allemande, publia un ouvrage Les origines du totalitarisme.

Cet ouvrage installa le concept de totalitarisme.

Pour Hannah Arendt, le totalitarisme désigne le régime nazi et le régime stalinien.

Elle a été l'une des premières à établir une analogie entre régime nazi et régime stalinien en s'appuyant sur des caractères constitutifs communs (parti unique, terreur policière, camps de concentration).

Le totalitarisme implique les notions suivantes :

- L'imposition d'une idéologie millénariste
- La fusion entre la bureaucratie du parti et celle de l'Etat
- Le monopole des instruments de violence
- Le monopole des moyens de communication
- La planification centralisée de l'économie
- La désignation arbitraire d' « ennemis objectifs » voués à l'extermination.

Joseph Paul Goebbels (1897-1945) donnait un exemple de ce que devait faire le peuple dans un pays dirigé par les nazis :

-« Le peuple doit commencer à penser d'une manière uniforme, à réagir d'une manière uniforme, à se mettre à la disposition du gouvernement de tout c½ur. »

Staline ou ses sbires auraient pu écrire la même chose.

2° LA POLITIQUE DE STALINE ENVERS HITLER EN 1933

Isaac Deutscher va maintenant nous décrire la politique de Staline envers l'Allemagne lors de l'arrivé au pouvoir de Hitler :

« L'avènement du nazisme en Allemagne n'a pas décidé à Staline à changer immédiatement sa politique extérieure.
Il a voulu voir d'abord si le nouveau régime s'avérait stable et si Hitler allait continuer la politique de Rapallo de ses prédécesseurs ou si, au contraire, il allait, selon les idées exprimées dans Mein Kampf, poursuivre une politique d'hostilité implacable vis-à-vis des soviets.
Entre temps, Staline avait pris grand soin de ne se livrer à aucune provocation.
La passivité absolue avec laquelle le communisme allemand s'était laissé écraser par Hitler aurait dû permettre la continuation de relations amicales entre la Russie et l'Allemagne, car ce fait semblait contredire d'une façon particulièrement spectaculaire les théories courantes sur l'immixtion de la Russie dans les affaires allemandes.
L'Accord de Rapallo et le Pacte de neutralité et d'amitié de 1926 étaient encore valables et furent prolongés en 1931. (L'avenant de 1931 est signé à Moscou par Krestinski et l'ambassadeur allemand von Dirksen.)
Cette prolongation a été ratifiée en mai 1933, quelques mois après l'avènement de Hitler.
La suppression sanglante par Hitler de toute opposition intérieure et ses persécutions raciales ont affecté aussi peu les relations diplomatiques routinières entre Moscou et Berlin qu'elles touchèrent celles entre Paris et Londres d'une part, Berlin de l'autre.
Staline a certainement calculé que la force de la tradition de Bismarck, dans la diplomatie allemande, tradition qui voulait que le Reich évitât des conflits avec la Russie primerait sur toutes autres considérations.
Pendant la première année du règne de Hitler, Staline n'a prononcé aucune parole sur les événements allemands, bien que son silence ait complètement déconcerté les membres du Komintern. » (13)

Komintern est le nom donné par les communistes russes à la III ème international.
Il fut créé par Lénine au congrès de Moscou qui eu lieu du 2 au 6 mars 1919.

Pour Lénine, le Komintern est :

-«Le premier échelon de la victoire universelle du communisme. »

Le komintern réunit l'ensemble des partis communistes sous l'égide de Moscou.
Staline annonça la dissolution du Komintern le 28 mai 1943.

La logique de cette dissolution est simple.
Staline ne veut créer aucun incident inutile avec des états capitalistes devenus alliés du fait de l'attaque allemande de juin 1941.

Cet organisme fut remplacé en 1947 par le Kominform.
Kominform, contraction de deux mots russes désignait le bureau d'information des partis communistes du monde entier.
Il est dissous à son tour en 1956.

Le témoignage de E.Juris est fondamental pour comprendre la politique soviétique au moment de l'arrivé au pouvoir des nazis :

« Les communistes allemands ont espéré que l'URSS ferait quelque chose contre le régime nazi.
Mais ils n'ont rien fait d'autre que de renouveler le traité commercial de 1926.
Les Soviétiques ne voulaient pas de querelle avec l'Allemagne parce qu'ils avaient besoin de ses machines.
Quand j'étais en Russie, j'en ai vu des usines gigantesques équipées de machines allemandes.
Dans les gares de l'Oural, elles déboulaient les unes après les autres.
Des milliers de techniciens allemands, j'en connaissais, ont formé les paysans russes au travail en usine.
Quand les ouvriers connaissaient leur métier et qu'il fallait payer les techniciens allemands, on les accusait d'être des espions, on les expulsait, on les mettait dans des camps.
Parce que les Russes ne voulaient pas payer la note, combien d'ingénieurs et d'instructeurs allemands ont ainsi disparu. » (67)

Selon Walter Krivitsky et Erich Wollenberg (1892-1973, ex-chef de la section militaire du PC allemand), Staline avait laissé délibérément capituler les communistes allemands, afin de sauver la politique de Rapallo.

Pour Staline, l'ennemi n'est pas Hitler, mais les sociaux-démocrates.

Cette haine de la social-démocratie n'est pas nouvelle.

Dans son ouvrage Que Faire ? écrit en 1902, Lénine écrivait :

-« La liberté de critique est la liberté de l'opportunisme, c'est la liberté de transformer le parti en un parti démocratique réformiste, la liberté de faire pénétrer dans le socialisme les idées bourgeoises et les éléments bourgeois.
La fameuse liberté de critique signifie éclectisme et absence de principe. »

Que faire? est une brochure de Lénine écrite en mars 1902, à Stuttgart, montrant que seul un parti révolutionnaire clandestin, fortement centralisé, peut organiser la classe ouvrière et la mener à la victoire dans la Russie tsariste.

En apprenant en 1914 que les socialistes français et les sociaux-démocrates allemands avaient voté les crédits de guerre, Lénine s'écria :

-« C'est la fin de la II ème internationale, à partir de ce jour je ne me dénomme plus social-démocrate mais communiste. » (223)

Dans son ouvrage L'Etat et la Révolution, écrit en août et septembre 1917, Lénine considère que les sociaux-démocrates sont atteints de crétinisme parlementaire et qu'ils ont déformé la doctrine marxiste de l'Etat. (222)

Dans un texte de 1924, tiré de son livre Sotchinenya, Staline avait exprimé le fond de sa pensée :

-« Il n'est pas vrai que le fascisme soit seulement une organisation militante de la bourgeoisie...
Le fascisme est une organisation militante de la bourgeoisie qui a pour base le soutien effectif de la social-démocratie.
Objectivement, la social-démocratie est l'aile modérée du fascisme.
Il n'y a pas de raison de supposer que l'organisation militante de la bourgeoisie puisse remporter des succès décisifs...sans être effectivement soutenue par la social-démocratie.
Il n'y a pas plus de raison de penser que la social-démocratie puisse remporter des succès décisifs...sans être effectivement soutenue par cette organisation militante de la bourgeoisie.
Ces organisations ne se contredisent pas mais se complètent.
Elles ne sont pas aux antipodes, mais jumelles...
Le fascisme est le bloc politique informe de ces deux organisations fondamentales, un bloc qui a surgit dans la crise d'après guerre de l'impérialisme pour lutter contre la révolution prolétarienne. »

Au début des années 1930, le komintern, sur ordre de Staline, proclame la social-démocratie (qualifiée de social-fasciste) plus dangereuse que le fascisme. (174)

Lors du 17ème congrès du parti, en 1934, Staline proclame :

-« Bien sûr, le régime fasciste est loin de susciter notre enthousiasme.
Mais le fasciste en soi n'est pas en cause, ne serait-ce que parce que, en Italie par exemple, il n'a pas empêché l'URSS d'établir les meilleures relations avec ce pays. »

Zinoviev (1883-1936) n'hésitait pas à dire :

-« Je mets l'oreille par terre et j'entends la révolution approcher, mais je crains que la principale force contre-révolutionnaire ne soit la social-démocratie. » (16)

Hélène Carrère d'Encausse va maintenant nous décrire l'attitude de Staline face à la menace nazi :

-« Sourd aux appels des communistes allemands qui voient avec angoisse Hitler marcher vers le pouvoir, le komintern répète inlassablement que le grand ennemi c'est la social démocratie, que le danger est le New Deal de Roosevelt, ou le parti socialiste de Léon Blum (1872-1950).
La conséquence la plus tragique de cette obstination aveugle aux changements rapides de la politique européenne est, en 1933, l'arrivée de Hitler au pouvoir. » (79)

Le New Deal nouvelle donne est le nom donné aux mesures économiques et sociales prises par Franklin Delano Roosevelt (1882-12 avril 1945) à partir de 1933 pour lutter contre la crise économique aux Etats-Unis.

Et pourtant dès 1933, Staline sait qu'un jour la guerre aura lieu avec l'Allemagne.

Oui en 1933, il est interviewé par William Randolph Hearst (29 avril 1863- 14 avril 1951) :

- Hearst Comment pourrait se dérouler une guerre entre l'Allemagne et l'Union soviétique qui n'ont pas de frontière commune ?

- Staline On en trouve (209)

William Randolph Hearst (1863-1951) était un homme d'affaires américain, propriétaire d'une chaîne de quarante journaux et magazines.
Il fut l'un des créateurs de la presse à sensation à grand tirage.
Hearst est surtout connu pour avoir influencé Orson Welles (6 mai 1915- 10 octobre 1985) pour son premier et plus célèbre film Citizen kane, sorti le 1er mai 1941.
Hearst n'apprécia pas la plaisanterie, et fit tout pour faire interdire le film.
En 1999 est sorti un film de Benjamin Ross Citizen welles qui raconte cette lutte implacable entre Welles et Heart.

D'ailleurs sans cette guerre, comment exporter la révolution ?

3°LE VOYAGE EN ALLEMAGNE DE LEOPOLD TREPPER

Au début de l'été 1932, Léopold Trepper quitte la France pour l'URSS.

En route pour Moscou, il s'arrêta quelques jours à Berlin :

-« Les militants de gauche que je rencontrai dans la capitale allemande sous-estimaient le danger nazi.
Communistes et socialistes, raisonnant uniquement en termes électoraux et parlementaires, affirmaient que jamais le parti d'Hitler n'aurait jamais la majorité au Reichstag.
Lorsque j'objectais que les nazis risquaient de prendre le pouvoir par la force et qu'ils étaient beaucoup mieux préparés à cette éventualité que tous les partis ouvriers, mes interlocuteurs ne me suivaient pas.
Les S.A (Sturm Abteilung Section d'Assaut, formation paramilitaire créé en 1921 par Hitler), pourtant, martelaient avec de plus en plus d'insistance les pavés du bruit de leurs bottes.
Les batailles de rue étaient quotidiennes, les groupes de chocs hitlériens n'hésitaient pas à s'attaquer aux militants de gauche.
Pendant ce temps, le parti socialiste et le parti communiste, qui réunissaient à eux deux, plus de quatorze millions d'électeurs, refusaient de former un front unique.
L'arbre nazi, selon le mot célèbre de Thaelmann, secrétaire général du parti communiste allemand, ne devait pas cacher la forêt social-démocrate.
Six mois plus tard, l'arbre nazi étendait son ombre sur l'ensemble de l'Allemagne.
Il fallut attendre 1935 pour que l'Internationale communiste tirât, à son VII ème congrès, la leçon de cette terrible défaite et préconisât le front unique que, depuis un certain temps, militants socialistes et communistes avaient mis en pratique... derrière les barbelés des camps de concentration. » (16)

4° LES RELATIONS ENTRE LES SOCIALISTES ET COMMUNISTES FRANÇAIS

En France, dès 1928, des différents commencent à se faire jour au sein du parti à propos de la tactique classe contre classe qui condamne toute alliance avec les dirigeants de la social-démocratie. (73)
Pour les communistes, la SFIO est le plus ferme soutien du social-fascisme. (73)

Le parti communiste, fidèle aux directives de l'Internationale communiste, considère les socialistes de la SFIO comme des ennemis selon le mot de Maurice Thorez (1900-12 juillet 1964) en janvier 1934.
Thorez fut nommé secrétaire général du PCF, le 17 juillet 1930.

Lors des élections de 1928, les communistes firent perdrent une vingtaine de sièges de députés aux socialistes avec leur tactique de maintien au second tour. (169)
Le Bureau politique du PC décida que ses candidats seront maintenus au second tour contre les socialistes, sauf ceux qui se proclameraient expressément pour le bloc ouvrier et adopteraient un programme commun minimum.
Ce qui dans 99% des cas, rendait impossible toute alliance et faisait le jeu de la droite. (169)

Léon Blum réagit à la stratégie des communistes dans un article dans Le Populaire du 28 avril 1928 :

« A qui fera-t-on croire que les travailleurs communistes de France, s'ils avaient eu à décider eux-même, s'ils avaient été simplement consultés, se seraient prononcés pour le maintien général de leurs candidats au second tour ?
A qui fera-t-on croire que leur préférence à eux, leur volonté à eux, aurait été d'envoyer au Parlement une majorité de réaction ?
Le Bureau politique du parti communiste français l'a si bien compris qu'il a délégué un de ses membres auprès de Litvinov, commissaire du peuple.
Il a essayé d'obtenir une atténuation, des exceptions.

Litvinov à répondu :

- Ne discutez pas ; obéissez !

Les travailleurs français qui suivent le communisme sont astreints à cette discipline militaire.
La IIIème Internationale les déplace et les man½uvre comme des pions sur l'échiquier.
S'ils étaient man½uvrés a profit de la « Révolution mondiale » passe encore.
Mais Moscou ne croit plus à la Révolution mondiale.
Ce qui domine cette politique dans l'instant, c'est la lutte de la direction actuelle du parti communiste contre l'opposition trotskiste.
Trotski accuse Staline d'abandons...de déviations.
Il s'agit de lui prouver que des chefs actuels du communisme sont restés de purs révolutionnaires, et comme la preuve est difficile à administrer en Russie, ce sont les travailleurs français qui feront les frais de cette démonstration.
C'est pour cela qu'il faut en France une majorité de réaction, un gouvernement de réaction.
Avec cette majorité, avec ce gouvernement, les conflits ouvriers ont chance de se multiplier, de s'aviver.
La répression ne fera que s'étendre, et par une conséquence inévitable, elle développera la révolte populaire.
Le parti français fournira ainsi au communiste international la couleur révolutionnaire qui lui fait quelque peu défaut en Russie.
Tel est le rôle dont les travailleurs français sont chargés.
Que dans cette lutte, ils risquent de perdre une partie des avantages si laborieusement, si chèrement conquis, que le progrès de leurs organisations, que le mouvement de réforme vienne buter contre la réaction toute-puissante, peu importe.
De si mesquines considérations pèsent peu pour les grands chefs de la IIIème Internationale.
Eux n'ont rien à perdre. »

La violence verbale des communistes envers les socialistes atteint une proportion inimaginable.

En 1939, Maurice Thorez décrira ainsi Léon Blum dans Les cahiers du bolchevisme :

-« Reptile répugnant, chacal, laquais des banquiers de Londres, mouchard, belliciste enragé... »

Thorez écrivit également que :

-« Blum aux doigts longs et crochus, auxiliaire de la police, mouchard, qui a l'aversion de Millerand pour le socialisme, la cruauté de Pilsudski, la férocité de Mussolini, la haine de Trotski pour l'Union soviétique.

Thorez surnommait Blum :

- « Blum-la-guerre »

Quant à André Marty (1886-1956), il considérait Léon Blum comme le pape infaillible dans l'erreur.

Jean Lacouture considère que :

-« Pour les dirigeants de la IIIème Internationale, le bon social- démocrate est celui que l'on peut mépriser... » (169)

Le 29 juin 1935, Bertrand de Jouvenel rencontre Paul Vaillant-Couturier pour en savoir plus sur un éventuel Front populaire :

-Vaillant-Couturier . Vous ne supposez pas que nous avons du goût pour ce régime.
Nous faisons ce que fit Lénine lorsqu'il défendit Kerenski contre l'assaut des généraux. (28)

5° LA VISION DE JACQUES DORIOT (1898-1945)

Jacques Doriot (1898-1945) est partisan d'une alliance avec les socialistes, position bien évidemment inverse de la pensée officielle de Moscou.
Après les événements du 6 février 1934, Doriot participe aux manifestations anti-fascistes du 9 au 12 février 1934.

La journée du 6 février 1934 est la journée où les ligues de droite organisèrent une manifestation pour proteste, après l'affaire Stavisky (1886-1934), contre l'investiture du nouveau gouvernement Daladier et, en général, contre le parlementarisme.
La foule s'amassa place de la Concorde.
Les manifestants s'étant heurtés aux forces de police qui défendaient la Chambre des députés, une fusillade fit une vingtaine de morts et plus de 2000 blessés.
Le 7 février, le gouvernement Daladier démissionna.
La gauche organisa une contre-manifestation le 9 février.
Il y eut 8 morts.
Puis la gauche organisa une grève générale le 12 février 1934.
Ces actions préfiguraient le rapprochement entre partis de gauche et d'extrême gauche qui aboutit plus tard à la formation du Front populaire.

Toujours le 12 février, un comité unitaire de vigilance antifasciste est constitué à Saint-Denis, la ville dont Doriot est le maire.

La réaction du PC est violente.

Benoît Frachon (1893-1975) dénonça cette création :

-« Comme un crime contre la classe ouvrière, un crime contre le prolétariat révolutionnaire. » (73)

Benoît Frachon dirigea, avec Jacques Duclos, le parti communiste de 1939 à 1944.

De plus, crime le plus infâme pour Staline, Doriot reçoit le soutient des Trotskistes.

En 1934, le Parti se déchaîna contre Trotski qui venait de se réfugier en France et assura que ce traître s'était mis au service d'Hitler. (228)

De ce fait, le 27 juin 1934, Doriot est exclu du PC.

Par une ironie de l'histoire, l'excommunication intervient au moment où le parti communiste sur ordre du komintern, tend la main aux socialistes et aux radicaux et jette les bases du Front populaire.
L'homme constate avec amertume que «ce qui était en janvier crime et opportunisme est devenu en juin inévitable et révolutionnaire. » (19)

Deux ans plus tard, le 26 juin 1936, il va créer avec Marcel Marshall et Pierre Dutilleul (1901-1974), le PPF Parti Populaire Français.

6° LA VISION DE LEON TROTSKI (1879-1940)

Trotski avait une opinion diamétralement différente à Staline sur la question allemande.
Pour lui, la lutte contre le nazisme est prioritaire, quitte à s'allier avec les sociaux-démocrates.

Dans un texte de 1931, tiré de son livre Germany, the key of the International Situation, on peut voir précisément la différence de son point de vue sur la situation allemande :

-« C'est notre devoir de donner l'alarme : la direction du komintern conduit le prolétariat allemand à une terrible catastrophe, dont le point culminant sera la capitulation panique devant le fascisme.
La venue au pouvoir des nationaux-socialistes allemands signifierait avant tout l'extermination de la fleur du prolétariat allemand, la dislocation de ses organisations, la perte de confiance en soi et en l'avenir.
Si l'on considère l'acuité... bien plus grande des antagonismes sociaux en Allemagne, l'½uvre diabolique du fascisme italien semblera probablement une expérience pâle et presque humaine en comparaison de l'½uvre du national-socialisme allemand.
Ouvriers, communistes...
Si le fascisme devait arriver au pouvoir, il écraserait nos crânes et nos colonnes vertébrales comme un gigantesque tank.
Votre salut ne réside que dans une lutte sans merci.
Et seule, une unité combattante avec les ouvriers sociaux-démocrates peu mener à la victoire.
Dépêchez-vous, il vous reste très peu de temps. »

En 1938, Trotski écrivit que :

-"Le fascisme court de victoire en victoire et trouve son soutien ultime dans le stalinisme.
De terribles menaces militaires sont à la porte de l'Union soviétique, mais c'est le moment que choisit Staline pour miner l'armée rouge.
Le temps viendra où ce sera lui que l'histoire passera en jugement."

7° LES ELECTIONS PRESIDENTIELLES EN ALLEMAGNE

Lors des élections présidentielles allemandes du 13 mars et du 10 avril 1932, les socialistes ne présentent pas de candidats contre le maréchal Hindenburg (1847-2 août 1934) afin de permettre au maréchal d'avoir l'avance la plus importante possible face à Hitler.
Hindenburg était de président sortant depuis 1925.
Mais pour les communistes, les sociaux démocrates trahissent les travailleurs en soutenant Hindenburg.
Ils présentent donc leur candidat, Ernst Thaelmann (1886-1944) et le maintiennent au second tour.
Avec cette méthode, Hitler obtiendra 39% des voix au premier tour et 36, 8% des voix au second tour.
Hitler gagna deux millions de voix entre le premier et second tour.

Thaelmann, secrétaire général du parti communiste allemand fût arrêté en 1933, après l'incendie du Reichstag.
En 1943, il est transféré à Buchenwald où il fut exécuté le 18 août 1944.

Ce n'était pas la première ni la dernière fois que les communistes sur l'ordre de Moscou, n'hésitaient pas à faire le jeu des nazis.

Le dimanche 22 janvier 1933, huit jours avant la chute de Schleicher et l'avènement de Hitler, les nazis défilèrent devant la maison Liebknecht, siège du KPD (Kommunistische Partei Deutschlands), en sommes le PC allemand, créé le 29 décembre 1918.
Les communistes auraient pu réagir afin d'empêcher les nazis d'approcher du quartier de leur siège.
Mais un ordre de Moscou interdit au communistes allemands de réagir.
Une réaction aurait forcément amené une manifestation commune entre socialistes et communistes, mais un front populaire n'est pas à l'ordre du jour. (64)

Sur ce sujet, André Falk écrivit :

-« Ils payaient la folle politique du pire, imposée par le komintern, appliquée par le docile Thaelmann.
L'ennemi à abattre, au prix même d'une collusion tacite avec Hitler, c'était « le social-traître ». (64)

8° LE DEBUT DE LA FIN

Le général Kurt von Schleicher (1882-1934) fut le dernier chancelier d'Allemagne avant l'arrivé d'Hitler.
Il resta au pouvoir du 2 décembre 1932 au 30 janvier 1933, soit cinquante-sept jours.
Comme si Hitler avait voulu effacer toutes les traces de pouvoir ayant existé avant lui, le matin du 30 juin 1934, Schleicher et sa femme furent assassinés par les SS.

La S.S. (Schutz-Staffel, «échelon de protection") était une organisation de police militarisée du parti nazi puis de l'Allemagne nazie.
Elle est créée le 9 novembre 1925 par Hitler.
Elle fut dirigée de 1929 à 1945 par Himmler, qui à partir de 1934 dirigea aussi la Gestapo.
Il réorganisa celle-ci en 1936 et en 1938 les deux forces furent unies.
En 1940, 50000 S.S. formèrent la Waffen-S.S. (S.S. en armes), qui en 1945 regroupait plus de 800 000 hommes, allemands et non allemands, dont une partie avait été engagée de force; mais tous soutinrent que tel avait été leur cas.

Le 30 janvier 1933, le maréchal Hindenburg (1847-1934) nomme Hitler chancelier.

C'est la fin de la république de Weimar.
C'est la fin de la démocratie en Allemagne.
Et pour l'est de ce pays, la démocratie ne reviendra qu'en 1989.

Selon William L.Shirer (1904-1993) :

-« Aucune classe, aucun groupe, aucun parti d'Allemagne ne pourrait refuser sa part de responsabilité dans la chute de la République démocratique et l'avènement d'Adolf Hitler.
L'erreur majeure des Allemands opposés au nazisme, c'était leur incapacité à faire front contre lui.
Au sommet de leur popularité, en juillet 1932, les nationaux-socialistes n'avaient obtenu que 37% des voix.
Mais les 63% de la population allemande qui exprimaient leur opposition à Hitler étaient bien trop divisés et imprévoyants pour s'unir contre un danger commun dont ils auraient dû se douter qu'il les balayerait à moins qu'ils ne s'unissent, même provisoirement, pour l'éliminer.
Les communistes, à la demande de Moscou, consacraient toutes leurs forces à la tâche stupide de détruire d'abord les sociaux-démocrates, les syndicats socialistes et ce qui existait de force démocratique bourgeoise, selon la théorie infiniment précaire que, bien que cette méthode conduisît à un régime nazi, ce ne serait que provisoire et cela amènerait inévitablement l'effondrement du capitalisme, après quoi les communistes prendraient le pouvoir et instaureraient la dictature du prolétariat.
Le fascisme, dans la perspective marxiste-bolchevique, représentait le dernier stade d'un capitalisme agonisant ; après cela, le déluge communiste. » (14)

Carl Severing (1875-1952) un des leaders du S.P.D (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, parti social-démocrate allemand) écrivit :

-« La responsabilité était partagée entre les dilettantes du gouvernement et le fanatisme des extrémistes de droite et de gauche. » (128)

Thaelmann n'hésitait pas à affirmer :

-« Il faut discuter avec les fascistes pour les ramener sur nos positions.
Il faut s'incliner devant le nouveau rapport de force et laisser le fascisme s'user au pouvoir.
Tout acte de violence sera dénoncé par le parti communiste comme une provocation et ses auteurs seront mis au ban du prolétariat comme agents du fascisme.

Dans son ouvrage Le zéro et l'infini, Arthur Koestler (1905-1983) confirme la logique de Moscou :

-« Tu as mis obstacle à la distribution de notre matériel ; tu as supprimé la voix du Parti ; tu as distribué des brochures dont chaque mots étaient faux et malfaisant ; tu as écrit : Les restes du mouvement révolutionnaire doivent se rassembler et toutes les forces hostiles de la tyrannie doivent s'unir, nous devons mettre fin à nos vieilles luttes intestines et rejoindre la lutte commune.
C'est faux.
Le Parti ne doit pas se joindre aux Modérés.
Ce sont eux qui, à d'innombrables reprises, ont de bonne foi trahi le mouvement, et ils recommenceront à la prochaine fois, et à la suivante.
Transiger avec eux, c'est enterrer la révolution. » (155)

Koestler adhère au début des années 30.
Il travaillera comme journaliste en URSS et rompra avec le parti après son retour en France.

Nous allons maintenant voir disparaître en quelques semaines la démocratie en Allemagne.

Ainsi dès le 13 mars 1933, Konrad Adenauer (5 janvier 1876-19 avril 1967) est chassé par les nazis de son poste de maire de Cologne.

La même année, un jeune allemand nommé Herbert Ernst Karl Frahm émigre d'abord en Norvège puis en Suède.
Après guerre, on le connaîtra mieux sous le nom de Willy Brandt (18 décembre 1913 - 8 octobre 1992).

Le 23 mars 1933, Hitler se fait voter les pleins pouvoirs au Reichstag.

Le 7 avril 1933, les mariages entre juifs et aryens sont interdis.

Le 2 mai 1933, la SA occupa les sièges des syndicats et jeta les chefs syndicaux en prison.

Cela permis à Robert Ley (1890-1945) de faire un mot à propos des syndicalistes:

-« Ils sont bien, mais ils seront encore mieux en prison » (128)

Robert Ley se suicidera le 25 octobre 1945.

Le 22 juin 1933, le parti social démocrate, le SPD est dissout. (128)

Le 4 juillet 1933, le dernier parti existant avant l'arrivée au pourvoir d'Hitler disparaît.
Il s'agit du Centre catholique. (128)

Le 14 juillet 1933, une loi érigeait le N.S.D.A.P (National Sozialistische Deutsche Arbeiter Partei - Parti nazi), en parti unique du Reich : (128)

-« Le Parti National Socialiste des Travailleurs Allemands constitue le seul parti politique d'Allemagne.
Quiconque entreprend de maintenir la structure d'un autre parti politique ou de former un autre parti politique sera puni d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans de travaux forcés ou de six mois à trois ans de prison, si le crime n'est pas passible d'un châtiment plus grave aux termes d'autres règlements. » (14)

Le 14 octobre 1933, l'Allemagne se retire de la conférence du désarmement.

Le 19 octobre 1933, l'Allemagne quitte la SDN.

La Société des Nations était une organisation internationale créée en 1919 par le traité de Versailles à l'instigation de Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), président des États-Unis de 1912 à 1920.
Le siège de cette organisation était basé à Genève.
Son objectif était de garantir la paix et la sécurité internationales et de développer la coopération entre les nations dans tous les domaines.
La S.D.N. souffrit de la désunion des États, du départ d'un certain nombre d'entre eux et de l'absence d'une force de police internationale.
Elle ne survécut pas à la Seconde Guerre mondiale.
L'ONU la remplaça.

Un mois plus tard, le 24 novembre 1933, à l'instigation personnelle d'Hitler, une loi est votée concernant la prévention de la cruauté à l'égard des animaux.
Hitler fit aussi promulguer la loi du 3 juillet 1934, concernant la limitation du droit de chasse.
Enfin, la loi du 1er juillet 1935 concerne la protection générale de la nature. (240)

C'est bien la preuve, qu'il faut toujours se méfier des gens qui aiment trop les animaux !

CHAPITRE VII
CINQUIEME RENCONTRE : DETRUIRE L'ARMEE ROUGE

Pour Staline, en 1939, un rapprochement entre l'URSS et l'Allemagne est intéressant pour différentes raisons :

- Un gain de territoire avec la moitié de la Pologne, la Lituanie, l'Estonie et la Lettonie.
- La guerre s'éloigne vers l'ouest

Ce dernier point est le plus important, car à cause des purges, l'Armée Rouge est décapitée.

1° RADIO MOSCOU LE 11 JUIN 1937

Ce 11 juin 1937, les Soviétiques qui écoutent, du moins ceux qui ont les moyens d'avoir un poste de TSF, les informations de Radio Moscou, ne vont pas manquer d'être surpris par le message qui va passer, bien que les Soviétiques ne soient plus étonnés par grands choses en cette période de purges où de nombreuses personnes sont exécutées ou déportées sans aucuns motifs.

Mais cette fois ci, les Soviétiques apprennent que le héros de la guerre civile, le principal organisateur de l'Armée rouge est un espion à la solde de l'Allemagne et qu'il comptait renverser Staline.

Mais écoutons Radio-Moscou :

-« Ces détenus sont accusés d'infraction au devoir militaire, de trahison envers la parie de trahison envers les peuples de l'URSS, de trahison envers l'Armée rouge.
Les éléments recueillis au cours de l'instruction ont permis d'établir la participation des accusés, ainsi que de Gamarnik qui s'est suicidé récemment, à une entreprise contre l'Etat, avec les milieux militaires d'un des Etats étrangers qui mènent une politique inamicale envers l'URSS.
Se trouvant au service de l'espionnage militaire de cet Etat, les accusés remettaient systématiquement des renseignements sur l'état de l'Armée rouge et accomplissaient un travail de sabotage pour l'affaiblissement de la puissance militaire soviétique. »

2° LE MARECHAL MIKHAIL TOUKHATCHEVSKI (1893-1937)

La victime la plus connue de cette nouvelle purge est le maréchal Toukhatchevski.

Durant la première guerre mondiale, Toukhatchevski fut fait prisonnier, en février 1915, par les Allemands.

Enfermé à la casemate 8 du fort IX d'Ingolstadt, il eut l'occasion de côtoyer quelques as de l'aviation française comme le général de Goys De Mezyrac (1876-1967), Rolland Garros (1888-1918), le lieutenant Anselme Marchal et un certain Charles de Gaulle, fait prisonnier le 2 mars 1916 à Douaumont. (55)

Rolland Garros fut fait prisonnier le 19 avril 1915.
Son appareil, un Morane Saulnier type L fut récupéré par les Allemands qui le confièrent à Antony Fokker (1890-1939).
Ce dernier le copia et améliora le tir à travers l'hélice, invention de Garros, et réalisa son fokker Ei Eindecker. (271)

Quant à Marchal, il réussit pour l'époque un exploit :

- Dans la nuit du 20 au 21 juin 1916 avec son avion, un Nieuport XI (Du nom de son créateur Edouard Nieuport né en 1875. Décédé le 15 septembre 1911 lors de la présentation de son Nieuport IV G), il effectua un vol de 1410 km en 10H30.
Il partit de Nancy pour aller en Russie, à, Rovno.
Son objectif est de lancer sur Berlin 5000 tracts de propagande anti-kaiser.
Après avoir lâché une pluie de tracts, il continue son vol vers la russie.
Obligé pour des raisons techniques d'atterrir à Chelm, il est capturé par les troupes autrichiennes. (254)

Rolland Garros et Anselme Marchal parvinrent à s'enfuir le 14 février
1918.
Garros ne put profiter longtemps de sa liberté.
Il fut abattu le 5 octobre 1918 à Vouziers.

Quant à Toukhatchevski, il s'évada durant l'été 1917.
Cet homme n'est pas n'importe qui !

Par deux fois, le maréchal a sauvé les soviets.

La première fois, en septembre 1918, en battant les blancs et la légion
tchèque à Simbirsk.
Simbirsk qui s'est nommée Oulianovsk de 1924 à 1991 est une ville de
Russie, situé sur la Volga.
La deuxième fois en 1919-1920, en rejetant l'amiral Alexandre
Koltchak(1874-1920) en Sibérie.

La suite sera moins glorieuse.
En août 1920, lors de la guerre russo-polonaise, Toukhatchevski est
promu commandant du front sud-ouest.
A ce titre, il a autorité sur l'armée de Simion Boudienny (1883-1973),
chargée de protéger son flanc gauche pendant l'attaque du maréchal sur le front de Varsovie.
Au lieu de le soutenir, Boudienny sur ordre de son commissaire politique, un certain Staline, va se promener en Ukraine, ouvrant une brèche vers Lublin où les Polonais s'enfoncent le 15 août, contraignant les Russes à une retraite désastreuse.
Toukhatchevski commettra l'erreur de répéter, de crier que Staline est le responsable de cette défaite qui a enfermé le communisme en Russie et empêché sa propagation en Europe. (55)

Le traité de Riga de 1921 met fin à la guerre entre la Pologne et l'URSS.

Entre parenthèse, la Pologne est aidée par un jeune officier français qui connaît bien Toukhatchevski puisqu'ils ont vécu dans le même camp de prisonniers et qui deviendra vingt ans plus tard très célèbre, Charles de Gaulle.
Ce sont les retrouvailles du futur général en herbe et de Toukhatchevski.
Sauf que cette fois ils sont ennemis !
Entre parenthèse, la délégation française est sous les ordres du général Maxime Weygand (1867-1965).
Lui aussi, on en reparlera dans vingt ans.

L'armée polonaise est commandé par le général Józef Haller (1873- 1960).
Ce dernier fut ministre du gouvernement polonais de Londres durant la Seconde Guerre mondiale.
Après la victoire, Jozef Pilsudski (5 décembre 1867- 12 mai 1935) aurait bien voulu que de Gaulle reste en Pologne pour devenir professeur de la future Ecole de guerre polonaise.
Mais la France le réclame pour enseigner l'histoire militaire à Saint-Cyr. (30)

De 1924 à 1928, Toukhatchevski fut chef d'état-major général.

En 1931, il est nommé commissaire adjoint à la défense.

En janvier 1936, le maréchal Toukhatchevski représenta l'URSS à l'enterrement du roi Georges V (1865-1936).
Il fit un crochet à Paris pour une réunion qui n'était rien d'autre qu'une tentative d'alliance défensive russo-occidentale contre Hitler.

Cette réunion indique qu'en janvier 1936, Staline n'avait pas encore fait le choix de l'Allemagne, ni le choix d'éliminer Toukhatchevski. (55)

Au contraire, pour Walter Krivitsky, le sort de Toukhatchevski est décidé depuis janvier 1937.
Pour être précis, depuis le 24 janvier 1937, jour où pendant le procès Radek, ce dernier a prononcer de façon anodine le nom de notre maréchal soviétique.

Krivitsky va nous décrire sa réaction face à sa femme en ce jour du 24 janvier 1937:

-"Toukhatchevski est perdu.
Peut-tu croire une seconde que Radek aurait osé, de lui-même,
traîner le nom de Toukhatchevski devant le tribunal?
Non, c'est Vychinski qui a mis le nom de Toukhatchevski dans la bouche de Radek.
Et c'est Staline qui a poussé Vychinski."

Laissons maintenant Alain Decaux nous décrire cette visite à Londres et à Paris :

-« Le 19 janvier 1936, à Londres, quand Toukhatchevski a représenté Staline aux obsèques du roi Georges V (1865-1936, roi de Grande-Bretagne de 1910 à 1936), il a tenté de convaincre les chefs de l'état-major britannique qu'il fallait entreprendre une guerre préventive contre l'Allemagne hitlérienne.
Pour y parvenir, il a été jusqu'à révéler le chiffre des effectifs, le volume des armements de l'Armée rouge et même le plan offensif défini, à Moscou, par le Conseil supérieur de la guerre.
Abasourdis, les Britanniques ont refusé de l'entendre.
Le 9 février, repassant par Paris, Toukhatchevski rencontre le général Gamelin (1872-1958), chef d'état-major général de l'armée française.
Là encore, il échoue : la politique officielle de la France est la défensive.
Informé par les Britanniques des conversations que Toukhatchevski a eues à Londres, Gamelin doit se montrer circonspect.
Les Français ne veulent pas s'engager plus loin que leurs alliées d'outre-Manche.
Ils ne tireront pas les marrons du feu pour la Russie.
Toukhatchevski rentre en Russie profondément déçu.
Là, il commet une erreur capitale.
A la réunion suivante du Soviet suprême, il monte à la tribune et met en garde les dirigeants et les citoyens soviétiques contre le risque allemand.
Il cite Mein Kampf.
Il affirme que la guerre est devenue inévitable et que le plus sage serait de s'y préparer immédiatement.
Pour un Staline qui a donné à Molotov et à Litvinov l'ordre de ménager Hitler, il s'agit d'une véritable provocation. » (98)

Revenons à la rencontre entre Toukhatchevski et Gamelin :

- Gamelin La France ne se départira pas de son attitude défensive, aussi longtemps que l'Allemagne ne se livrera pas à une agression.

- Toukhatchevski Mais alors, il sera trop tard !

- Gamelin Une guerre préventive ne serait pas seulement contraire aux principes dont s'inspire la politique française, elle serait désapprouvée par la majorité de l'opinion. (238)

Toukhatchevski profitera de sa visite en France, pour définir sa vision de la politique française face à l'URSS :

-« Au fond, c'est une invincible méfiance politique qui détourne de nous les Français. » (55)

Les derniers mots de Toukhatchevski concerneront Staline :

-« Pourvu que Staline, qui redoute et admire Hitler depuis la nuit des longs couteaux, ne tire pas des réticences françaises, la conclusion qu'il ne lui reste plus qu'à s'entendre avec ce fou furieux. » (55)

Walter Krivitsky (1899-1941), ancien chef du service de renseignement soviétique aux Pays-Bas, dans son ouvrage I was Stalin's agent, publié à New-York en 1939, l'année de son passage à l'ouest, partage l'avis de Toukhatchevski.
Selon Krivitsky, dès 1934, la purge Rohm aurait fait comprendre à Staline que Hitler était un homme d'avenir. (191)

Ernst Röhm (1887-1934) est nommé en 1930 par Hitler chef d'état-major des Sections d'assaut (S.A.) nazies.
Cette police auxiliaire prit une ampleur telle que Goering et Himmler s'allièrent pour perdre Röhm qui, accusé de complot, fut une des premières victimes de la Nuit des longs couteaux, le 30 juin 1934.

Oui, Staline aurait songé à se servir du meurtre de Sergueiv Mironovitch Kirov (1886-1934), le 1er décembre 1934, pour éliminer son opposition comme l'a fait Hitler après l'incendie du Reichstag ou la nuit des longs couteaux.

Krivitsky a également écrit une série d'articles sur l'URSS, dont l'un prévoyant le pacte germano-soviétique.

Il témoigne notamment qu'en décembre 1936, son supérieur immédiat, Sloutsky, chef du département étranger, lui donna ordre de mettre en sommeil tous ses agents sur l'Allemagne. (191)
A la même date, il affirme également que Sloutsky l'a informé que Staline avait choisi Hitler comme allié. (191)
Tous ses camarades du NKVD le lui auraient confirmé pendant le séjour qu'il fit à Moscou en mars-avril 1937. (191)

Krivitsky sera assassiné le 10 février 1941 dans l'hôtel Bellevue de Washington.

Pierre Nord partage le point de vue du Krivitsky :

-« L'impitoyable massacre de Rohm et de ses SA par Hitler à fait comprendre dès 1934 à Staline que le Führer durera.
Staline l'admire et le craint.
Il hésite dès lors entre deux politiques :
Une grande alliance anti-nazie avec l'Occident ou un rapprochement avec Hitler.
Il mènera longtemps de front les deux, la première officiellement par les démarches publiques de son ministre des Affaires étrangères Litvinov, la seconde secrètement et par des biais, des touches, des tractations en coulisse pour un accord économique, etc.... (191)

En 1936, lors de la deuxième session du comité exécutif central de l'URSS, le maréchal Toukhatchevski alerte l'opinion publique, affirmant que l'Allemagne hitlérienne déclenchera la guerre et que celle-ci est imminente.
Il faut dont être prêt pour résister à une attaque par surprise de l'URSS. (83)

Dans son ouvrage Heydrich and the SS, Gerald Reitlinger nous donne le témoignage de Heydrich, chef de l'Office central du Reich (RSHA Reichssicherheitshauptamt) :

-« Si nous n'abattons pas Toukhatchevski, il serait capable, en persévérant dans ses agissements anti-allemands, de provoquer une guerre préventive contre le IIIème Reich avant que celui-ci n'aie terminé son réarmement. »

Le général Berzine confiera à Trepper que :

-« Toukhatchevski avait raison : la guerre est inévitable et elle sera portée sur notre territoire. » (16)

Pour provoquer la chute de Toukhatchevski, Staline va provoquer un vaste complot dont l'aide des Allemands sera indispensable pour une éventuelle réussite.

3° LE TEMOIGNAGE DE LEOPOLD TREPPER

De nouveau le témoignage de Léopold Trepper est indispensable pour comprendre la méthode d'élimination stalinienne :

-« Je voudrais également apporter mon témoignage sur l'élimination de Toukhatchevski et de ses camarades.
C'est le 11 juillet 1937 (Trepper se trompe sur la date d'un mois) que les journaux moscovites annoncèrent l'arrestation du maréchal Toukhatchevski et de sept généraux.
Les chefs de l'Armée Rouge, étaient accusés de préparer sciemment la défaite et de faire le lit du capitalisme en Union soviétique.
Le lendemain, le monde entier apprenait que Toukhatchevski et les généraux Iakir, Ouborévitch, Primakov, Eidemann (1885-1937), Feldmann, Kork et Putna avait été condamnés à mort et exécutés.
Un neuvième officier supérieur, le général Gamarnik, chef de la division politique de l'armée, s'était suicidé.
L'Armée Rouge était décapitée.
En réalité, un désaccord profond opposait depuis plusieurs années Toukhatchevski et son état-major à la direction du Parti.
A la théorie officielle de Staline qui affirmait qu'une nouvelle guerre, si elle avait lieu, épargnerait le territoire de l'Union soviétique, Toukhatchevski, qui surveillait avec inquiétude les préparatifs militaires du IIIème Reich, opposait que le conflit mondial était inévitable, qu'il fallait s'y préparer.
Lors d'une session du soviet suprême, en 1936, il avait dit sa conviction qu'il pourrait très bien se dérouler sur le sol de l'URSS.
L'histoire se chargera de prouver que Toukhatchevski eut tort d'avoir raison trop tôt.
A l'époque où il fut accusé, toutes les oppositions avaient été liquidées et Staline tenait le pays dans sa main de fer.
L'Armée Rouge était le dernier bastion à enlever, elle seule lui échappait.
Pour la direction stalinienne, liquider les cadres de l'armée s'imposait comme un objectif urgent.
Comme les dirigeants visés étaient de vieux bolcheviks et qu'une accusation de type trotskiste ou de zinoviéviste contre un Toukhatchevski eût vraiment manqué son effet, il fallait frapper très dur et très fort.
Staline usa de la complicité d'Hitler pour abattre l'armée du peuple russe.
1936 à Berlin, Heydrich, chef du renseignement, reçoit la visite d'un ancien officier de l'armée tsariste, le général Skobline.
Ce général sans armée se console de son inactivité en jouant les agents doubles sur une grande échelle : pendant de longues années il a travaillé pour le renseignement soviétique dans les milieux russes blancs tout en flirtant avec les services allemands.
La nouvelle qu'il apporte à Heydrich est de taille : il sait, de source très sûre, que le maréchal Toukhatchevski ourdit un soulèvement armé contre Staline.
Heydrich en réfère au haut état-major nazi qui s'interroge sur la conduite à suivre.
Il n'y a que deux solutions : soit laisser faire le chef de l'armée soviétique, soit prévenir Staline en lui donnant en prime les preuves de la collusion du maréchal avec la werhmacht.
C'est la deuxième solution qui est retenu.
Un dossier est préparé qui révèle, pièces tronquées à l'appui que Toukhatchevski prépare un coup de force en liaison avec les chefs militaires allemands.
La mise au point de ces documents révélateurs n'a pas duré trois jours.
Il n'est pas difficile de montrer que Toukhatchevski a eu des contacts avec l'état-major de la Wehrmacht puisque, avant l'arrivée des nazis aux pouvoirs, des rencontres régulières étaient organisées entre les deux armées, et que le gouvernement soviétique avait même installé des écoles militaires pour la formation des officiers allemands.
Les preuves étant rassemblées dans l'entourage d'Hitler, c'est un jeu d'espion de les faire parvenir aux dirigeants de l'URSS.
S'il faut en croire les mémoires de Schellenberg (The Labyrinth, en français, Le chef du contre espionnage parle, Julliard 1957), alors chef du contre-espionnage allemand, la maison où se trouvaient les documents fut incendiée et un agent tchèque, prévenu, aurait ramassé les papiers au milieu des cendres.
Selon une autre version, les Allemands auraient vendu les documents aux Russes par l'intermédiaire des Tchèques.
La diversité des versions ne change rien au fait que l'opération contre Toukhatchevski et ses collaborateurs a été menée à bien tant par Staline que par Hitler, dans le cadre des objectifs de chacun d'eux.
A la fin mai 1937, le dossier Toukhatchevski est en bonne place sur le bureau de Staline.
Le Géorgien moustachu a tout lieu d'être satisfait : les Allemands lui ont fourni, sur sa demande, le matériel nécessaire à l'élimination de l'homme qu'il a juré d'abattre.
En effet, Skobline n'avait pas rendu visite à Heydrich de sa propre initiative.
Staline et Hitler s'étaient partagé les tâches : le premier avait eu l'idée de la machination, l'exécution était l'½uvre de second.
Staline entendait bien briser la dernière force organisée qui s'opposait à sa politique, Hitler saisit une occasion inespérée de décapiter l'Armée Rouge.
Hitler avait acquis la conviction que la vague de répression secouerait l'Armée Rouge dans son ensemble, et qu'il faudrait plusieurs années pour reconstituer les cadres abattus.
Il aurait ainsi les mains libres à l'est, le temps de gagner la guerre à l'ouest.
Au mois d'août 1937, deux mois après l'élimination du maréchal Toukhatchevski, Staline organisa une conférence avec les dirigeants politiques de l'armée pour préparer l'épuration des ennemis du peuple dans les milieux militaires.
Ce fut le signal de la curée : rouge, l'armée le fut du sang de ses soldats, treize sur dix-neuf commandants de corps d'armée, cent-dix sur cent trente-cinq commandants de division et de brigade, la moitié des commandants de régiment, la plupart des commissaires politiques furent exécutés.
L'Armée Rouge, exsangue, était hors de combat pour des années.
Les Allemands exploitèrent à fond cette situation en chargeant leurs services de renseignement à faire parvenir à Paris et à Londres des informations alarmantes sur l'état de l'Armée Rouge après l'épuration.
Je ne suis pas loin de penser que les états-majors français et anglais ne montrèrent aucun empressement à sceller une alliance militaire avec l'Union soviétique parce que la faiblesse de l'Armée Rouge leur était évidente.
La voie était libre désormais pour la signature du pacte entre Staline et Hitler. » (16)

Décrivons ces officiers.

- Vitovt Putna (1893-1937) était attaché militaire à Londres.
- Kork était attaché militaire à l'ambassade soviétique à Berlin.
- Ouborévitch était commandant du district de Biélorussie.
- Primakov était l'adjoint au Commandant du district de Leningrad.
- Ian Garmanik (1894-1937) était le Directeur Politique de l'Armée.

4° LE GENERAL SKOBLINE

Le général Nicolai Vladimirovitch Skobline était l'adjoint du général Alexandre Pavlovitch Koutyepov, président de la R.O.V.S (Russki Obschtche-Voyenski Soyouz ou Union des services de l'Armée russe).

Cette organisation fut créée le 1er septembre 1923 par le général Piotr Wrangel (1878-1928).
Après la révolution de 1917, Wrangel se rallia à Anton Denikine (1872-1947).
Par la suite, il le remplaça à la tête de l'armée blanche d'Ukraine.

Cette organisation réalisa de nombreux attentats en URSS.

En mai-juin 1927, Koutyepov envoya à Moscou un groupe de combat formé de deux hommes et d'une femme : Voznessenski, Opperput et Marie Zakhartchenko-Schultz.
Le groupe parvint à déposer une bombe qui fut découverte et désamorcée.
En essayant de s'enfuir, ils périrent au cours d'une fusillade. (123)

Peu après, une bombe explosa à Moscou au cours d'une réunion du parti communiste.
Il n'y eut pas de survivant et les trois responsables de l'attentat, ex-officiers de l'Armée blanche, purent regagner la Finlande. (123)

La même année, le 6 juillet, un commando suicide parvint jusqu'à la salle du corps de garde de l'immeuble de la Loubianka et se fit sauter avec ses explosifs (123)
La preuve que Ben Laden n'a rien inventé.

Cette organisation n'était évidemment pas très bien estimée par le parti communiste français.

Ralph Schor précise que :

-« Contrairement aux socialistes qui acceptaient d'accueillir en France tous les proscrits, des plus réactionnaires aux plus révolutionnaires, à condition qu'aucun ne poursuivît d'activité militante, le parti communiste entendait réserver le bénéfice du droit d 'asile à ses amis politiques.
Ainsi il réclama souvent l'expulsion des russes blancs, présentés comme de dangereux suppôts de la réaction. » (228)

On ne s'étonne donc pas de lire l'article suivant dans l'Humanité du 1er août 1933 :

-« Chassez les Russes blancs du territoire français.
Sous le prétexte de droit d'asile s'organise en France le centre d'excitation antisoviétique et de préparation à l'intervention.
Dans le même moment où le gouvernement français est contraint par la suite du développement économique et militaire de l'URSS à signer avec les Soviets un pacte de non-agression dans le même moment où la presse aux ordres s'évertue à grimacer ses sourires commerciaux envers l'Union soviétique, l'impérialisme français organise en sous-main un centre antisoviétique. » (228)

Le dimanche 26 janvier 1930, Koutyepov fut enlevé à Paris par la Guépéou et on ne le revit jamais.

Le 15 février 1930 au cours d'une réunion communiste tenue à Paris, Cachin et Doriot affirmèrent que l'Affaire Koutiepof avait été montée de toutes pièces par les ennemis du peuple et que d'ailleurs tout le monde sait qu'il n'y avait pas d'agents du Guépéou en France. (248)

Le mercredi 22 septembre 1937, c'est au tour du général Evgheni Karlovitch Miller, président de la R.O.V.S d'être enlevé par le NKVD.

Mais, il eut la bonne idée de laisser dans son bureau cette note :

-« Aujourd'hui, à 12 h 30, j'ai rendez-vous avec le général Skobline, au coin de la rue Jasmin et de la rue Rafflet.
Il doit me conduire à un rendez-vous avec un officier allemand du nom de Stahmann, connu comme attaché militaire dans un pays balkanique, et un certain Werner qui est à l'ambassade d'Allemagne ici.
Tous deux parlent bien le russe.
Ce rendez-vous a été arrangé sur l'initiative de Skobline.
Peut-être est-ce un piège, c'est pourquoi, à toute éventualité, je laisse cette note. » (69)

Après cela, Skobline est bien évidemment grillé en France.

De retour en URSS, il sera, selon de nombreux auteurs, comme Goeffrey Bailey et Pierre Nord (1900-1985), exécuté dans les caves de la prison Loubianka à Moscou.

Roger Gheysens, dans son ouvrage Les espions donne son avis sur le destin de Skobline :

-« Quant au destin de Skobline, il demeure inconnu, mais l'on sait que les agents du NKVD qui échouaient dans leur mission étaient généralement voués à recevoir une balle dans la nuque... » (86)

Mais selon Alain Decaux, une fois démasqué, Skobline réussira à s'enfuir en Espagne où il a péri à Barcelone pendant la guerre civile, sous un bombardement aérien. (98)

Nous allons maintenant montrer la version du général allemand Hermann Behrens (1907-1946) sur la fin de Skobline :

-« Pendant l'occupation en France, nous arrêtâmes un certain Trétiakov, ancien ministre de l'amiral Koltchak, devenu informateur du réseau d'espionnage soviétique en France, la chapelle rouge.
Parmi les dépositions de ce Trétiakov, certaines concernaient Skobline.
Trétiakov racontait comment il avait hébergé Skobline dans son appartement de la rue du Colisée pendant quelques jours, après l'enlèvement de Miller, tandis que la police française le recherchait partout.
Un agent de liaison du N.K.V.D était venu ensuite chercher le général.
Il l'avait convaincu, apparemment, que la seule frontière qu'il eut des chances de passer était la frontière espagnole.
La guerre civile qui battait son plein, transformait cette frontière en véritable passoire.
Un peu plus tard, nos informateurs de Barcelone nous firent savoir qu'on avait vu Skobline dans cette ville.
Il devait partir pour l'URSS à bord d'un tableau soviétique, et nos agents supposèrent qu'il s'agissait du Kouban, réservé au passager de ce genre.
Toujours est-il qu'on ne l'a jamais revu après le départ du Kouban pour Odessa. » (84)

L'amiral Alexandre Vassilievitch Koltchak (1874- 1920) devint, en octobre 1918, à Omsk, le chef des forces contre-révolutionnaires, surtout composées de Tchèques, anciens prisonniers de guerre.
Son armée occupa la Sibérie, l'Oural et la région de la Volga.
Elle fut battue par les bolcheviks.
Arrêté par les bolcheviks, il fut fusillé.

Le général Behrens fut également le chef des SS en Serbie pendant l'occupation allemande.
Après la guerre, les alliés le livrèrent à la Yougoslavie où il fut jugé et pendu.

Victor Serge dans son livre L'affaire Toualev raconte l'histoire d'un certain Stern, embarqué de force sur le Kouban.
Cet homme fut empoisonné durant la traversée, sur ordre de Nicolai Ivanovitch Iéjov (1895-1939).
A Odessa son corps fut déposé à la morgue de l'hôpital du NKVD. (84)
Toujours sur ordre de Iéjov, des squelettes dûment préparés par la section scientifique des hôpitaux de la Sécurité d'Etat étaient mis à la disposition de l'enseignement supérieur. (84)
Il n'est donc pas impossible que le squelette de l'homme qui visait à la dictature militaire d'une Russie libérée par Hitler soit aujourd'hui le plus bel ornement d'un cabinet d'anatomie. (84)

Trétiakov fut arrêté à la suite de la perquisition des locaux de la R.O.V.S.
La gestapo découvrit que chaque pièce était reliée à une table d'écoute qui était installée dans le même immeuble dans l'appartement du fameux Trétiakov. (69)

Quant à sa femme, Nadejda Vassilievna Plévitskaia, elle est arrêtée par la police française.
Lors de son procès, du 5 au 9 décembre 1938, elle est condamnée à vingt ans de prison.

Comme souvent dans cet ouvrage, les dates peuvent varier selon les auteurs.
Je vais vous en montrer un nouvel exemple.

Selon Roger Gheysens, Geoffrey Bailey et Alain Decaux la femme de Skobline est décédée en prison en octobre 1944. (69) (86) (98)
Mais pour Victor Alexandrov, elle est décédée en 1940, en pleine bataille de France. (84)
L'édition 2000 du Quid donne raison à Alexandrov.

Cet exemple nous prouve de nouveau la difficulté de définir la notion de vérité.
Mais ce concept existe-t-il réellement ?

5° LES RAISONS DE CETTE PURGE

La collaboration de Skobline avec Moscou et Berlin prouve déjà une relation active entre l'axe Moscou et Berlin, une de plus.

Mais avec Staline, rien n'est jamais simple.
Il hait tous ceux qui lui résistent ou ceux qui connaissent ses nombreuses erreurs sur le plan politique ou militaire.

Staline détestait Toukhatchevski car ce dernier l'accusait, à juste titre, d'être le responsable de la défaite contre la Pologne en 1920, empêchant ainsi le développement de la révolution dans l'ensemble de l'Europe.
La même logique explique l'arrestation de Trepper en 1945, et la non intervention pour empêcher la pendaison de Sorge au Japon.
Oui, Sorge et Trepper étaient dangereux car ils savaient que Staline avaient négligé leurs dépêches l'informant de l'invasion prochaine de la Russie par l'Allemagne en juin 1941.

Alain Decaux va maintenant nous donner son avis sur la cause de cette nouvelle purge stalinienne:

-« Pourquoi Staline a-t-il voulu perdre Toukhatchevski ?
En 1937, l'ère des grands procès est commencée.
La terreur va frapper successivement la plupart des vieux compagnons qui avaient été à l'origine de la révolution d'Octobre.
Qu'il y ait d'autres fondateurs que lui, voilà une idée que Staline en est venu à ne plus supporter.
Mégalomane et sanguinaire, il se rapproche de ces anciens tsars satisfaits lorsqu'ils avaient éliminé successivement les membres et leur entourage.
Gardons-nous de négliger en l'occurrence la méfiance maladive de Staline contre tout ce qui pouvait ressembler à une atteinte à son propre pouvoir.
Pour renforcer la cohésion de l'armée soviétique, il a dû laisser les coudées franches aux chefs militaires.
Maintenant, le but est atteint : l'armée est devenue redoutable.
A ce point que certains de ses chefs se permettent de discuter les décisions de Staline.
Quand le dictateur a donné l'impulsion à la chasse aux sorcières qui aboutira aux procès de Moscou, tous les chefs militaires ne se sont pas montrés d'accord.
Une telle opposition a paru intolérable à Staline.
Y aurait-il eu malgré tout une conspiration militaire contre Staline ?
Tous les travaux effectués depuis démontrent le contraire.
Les réhabilitations effectuées en Union soviétique depuis la mort de Staline prouvent qu'il n'y a pas eu complot.
Les archives nazies ne contiennent aucun document confirmant l'existence de relations secrètes entre les chefs militaires soviétiques et les autorités allemandes.
Comment Iakir et Feldmann, juifs tous les deux, auraient-ils pu travailler pour l'Allemagne nazie ?
Peut-être est-ce une autre explication encore qu'il faudrait retenir.
En 1937, Staline commence à envisager la possibilité d'un rapprochement avec l'Allemagne qui aboutira au pacte germano- soviétique de 1939.
Or les chefs militaires russes y sont farouchement opposés.
Ils doivent donc disparaître. » (98)

Emmanuel d'Astier de la Vigerie (6 février 1900- 12 juin 1969) fondateur du mouvement de résistance Libération nous explique la politique Stalinienne par le fait qu' :

-« Il faut détruire tous ceux qui sont capables de prendre le pouvoir, d'interrompre l'½uvre.
Et c'est la tuerie elle-même qui donne corps aux vastes complots imaginaires que Staline fabrique dans sa tête.
La répression est d'une brutalité sans précédent » (127)

Staline n'a donc qu'un objectif : Eliminer toutes les formes d'oppositions pouvant exister.

Par exemple, Trepper écrivit dans ses mémoires que :

-« Dans l'armée, le général Iakir n'hésita pas à prendre la défense, en 1929, d'un groupe d'officiers innocents que le N.K.V.D avait arrêté. » (16)

Les Allemands sont heureux de cette collaboration avec les Soviétiques.

Heydrich va nous en donner la raison :

-« Si nous n'abattons pas Toukhatchevski, il serait capable, en persévérant dans ses agissements anti-allemands, de provoquer une guerre préventive contre le IIIème Reich avant que celui n'aie terminé son réarmement. »

Le 1er mai 1937, Toukhatchevski se tenait au côté de Staline au mausolée de Lénine et passait en revue la parade du 1er mai.
Onze jours plus tard, il était limogé.

6° LA FIN DE TOUKHATCHEVSKI ET DE SES AMIS

Le 12 juin 1937, on apprit l'exécution de Toukhatchevski et de ses amis.

Toukhatchevski fut blessé au cour de son arrestation et amené devant Staline sur une civière.
Après un long et violent échange de paroles avec Staline, le maréchal fut ramené en prison.

Son certificat de décès fut contresigné par les maréchaux Vorochilov (1881-1969), Boudienny, Yegorov et Blucher. (13)

Ce dernier, le maréchal Vassili Blucher (1889-1939) présida également le conseil de guerre qui condamna à mort Toukhatchevski.

En février 1939, le maréchal Blucher est fusillé.
Staline lui reprochait, notamment, son échec, en automne 1938, face aux Japonais, lors de la bataille du lac de Khassan, en Mongolie.
Malgré une supériorité aérienne écrasante (six cents appareils contre vingt seulement du côté japonais), le maréchal eut beaucoup de mal à repousser les Japonais et de ce fait, il subit des pertes importantes. (75)

Il n'est pas le seul juge ayant condamné Toukhatchevski à disparaître de façon tragique (peut-on disparaître autrement avec Staline) : selon Henry Shapiro, six des dix juges furent exécutés. (213)

Comme d'habitude les versions diffèrent selon les auteurs !
Selon Jean Martin-Chauffier (1922-1987), le tribunal était composé de neuf juges dont sept furent exécutés.

Parmi les juges exécutés, Martin-Chauffier cite :

- Le maréchal Blucher
- Le maréchal Alexandre Ilitch Iegorov (1883 mort en déportation, après 1940).
Il fut nommé Chef d'état-major général en 1931.
- Le général Alksnis
- Le général Belov
- Le général Dybenko
- Le général Kachirine
- Le général Goriatchev (238)

Un témoignage de Ilia Ehrenbourg (1891-1967) nous explique que Belov ne se faisait pas d'illusion sur son avenir :

« Je me souviens aussi d'une terrible journée chez Meyerhold...
Belov fit irruption.
Il était agité, et se mit à décrire le déroulement du procès de Toukhatchevski et des autres généraux.
Il était membre du jury militaire du Tribunal suprême.
Je me souviens d'une phrase : « Demain c'est moi qu'on fera asseoir à leur place. »

Le système stalinien est impitoyable, non seulement, il condamna à mort des innocents, mais en plus, il persécute la famille des condamnés.

Par exemple, le fils du général Iona Iakir (qui fut exécuté en même temps que Toukhatchevski), fut envoyé en prison alors qu'il n'avait qu'une quinzaine d'années.
Bien plus tard, il fonda avec Andréi Sakharov (1921-1989), le comité pour les Droits de l'Homme.
Il signa notamment une pétition avec le général Grigorenko contre le procès intenté aux participants de la manifestation du 25 août 1968 contre l'invasion de la Tchécoslovaquie dont l'un des manifestants était le petit fis de Litvinov.
Ce procès eut lieu du 9 au 11 octobre 1968.
La poétesse Natalia Gorbaneskaia a rédigé un compte rendu de la manifestation et du procès diffusé en Samizdat et publié en France sous le titre Midi Place Rouge aux Editions Robert Laffont.

Les Samizdat consistent en l'édition et la diffusion clandestine, en U.R.S.S. et ses satellites, de textes censurés.

A cause de son soutien aux dissidents, Iakir est de nouveau arrêté en juin 1972.
Le fils de Iakir était apprécié des journalistes étrangers car grâce à lui, ils avaient accès à des informations intéressantes et parvenaient à se procurer La chronique des événements.
Cette revue bimensuelle publiée à Moscou en anglais était l'organe clandestin du Mouvement soviétique des droits de l'homme.
Pour en savoir plus sur Piotr Yakir, on peut lire son ouvrage Une enfance Russe aux Editions Grasset.

Concernant Toukhatchevski, après son exécution, sa femme devint folle et sa fille se pendit.
Selon Victor Alexandrov, la femme de Toukhatchevski fut arrêtée le lendemain du procès.
Elle eut un accès de folie.
Le bruit couru à Moscou qu'elle s'était suicidée.
Mais toujours selon Alexandrov, après avoir été internée dans une maison d'aliénés, Tania Toukhatchevski fut déportée dans l'Oural.
Puis elle alla vivre dans une ville de Sibérie où elle se serait remariée avec un employé de l'usine dans laquelle elle travaillait. (84)

Le corps de Toukhatchevski repose dans la fosse commune des suppliciés, au camp de Khodynka. (84)
Après cette purge l'encadrement de l'Armée rouge est décapité.

Pour les lecteurs curieux qui veulent en savoir plus sur cette affaire, je conseille le livre de Gunter Peis :

- Naujocks l'homme qui déclencha la guerre aux Editions Arthaud.

7°LE BILAN DES PERTES

Voyons ensemble l'importance des pertes :

D'abord les chiffres donnés par Pierre Nord (1900-1985) :

- Trois maréchaux sur cinq
- Quatorze généraux d'Armée sur seize
- Onze commissaires politiques d'Armée sur onze.
- Huit amiraux sur huit
- Soixante généraux de corps d'armée sur soixante-sept
- Deux cent vingt et un généraux de brigade sur trois cent quatre- vingt-dix-sept
-Trente-cinq mille officiers subalternes. (55)

Ensuite les chiffres donnés par Historia magazine 2ème guerre mondiale n°24 :

- Trois maréchaux sur cinq
- Treize commandants d'armée sur quinze
- Cinquante-sept commandants de corps sur quatre vingt-cinq
- Cent dix commandants de divisions sur cent quatre vingt quinze
- Deux cent vingt commandants de brigade sur quatre cent six. (80)

Selon Zbigniev K. Brzezinski dans son ouvrage La purge permanente, l'épuration aurait affecté 30% du personnel de l'armée.

Les chiffres donnés par F. Beck et W.Godin dans leur ouvrage Russian Purge and Extraction of Confession sont plus pessimistes que ceux de Brzezinski, car selon ces deux auteurs, 60 à 70% des officiés furent arrêtés au cours de l'épuration.

On peut également donner les chiffres de Raymond Garthoff, tirés de son ouvrage Soviet Military Doctrine.
Selon cet auteur 90% des généraux et 80% des colonels furent éliminés.

Evidemment, il est impossible de citer tous les noms des officiers assassinés par Staline
On peut quand même citer le Général Nicolas Krylenko (1885-1938).
Il participa aux négociations de Brest-Litovsk et fut nommé par Staline commissaire du peuple à la justice.

Les chiffres que je vais maintenant vous donner varient selon les sources.

Mais sur une chose, tout le monde est d'accord :

- Les chiffres sont énormes, déments.

De 1928 à 1936, plus de quatre millions de Soviétiques mourront dans les camps et les prisons.
Un million seront exécuté par fusillade ou d'une balle dans la nuque. (96)

Du 1er janvier 1937 au 31 décembre 1938, trois millions de soviétiques mourront dans les camps et les prisons.
Deux millions seront exécutés. (96)

En dix ans, cela fait près de dix millions de morts.

Selon les chiffres donnés par l'Encyclopédie Hachette 2000, il y aurait au goulag :

- 500 000 détenus en 1934
- 2 millions de détenus en 1937
- 3 millions de détenus en 1939

Selon le Foreign Affairs Research Institute de Londres, le communisme aurait provoqué dans le monde près de 105 millions de victimes. (230)

Pour Alexandre Soljenitsyne, le chiffre serait de 110 millions de morts. (230)

D'autres chercheurs évaluent les pertes entre 135 et 140 millions de morts. (230)

Les chiffres que je donne sont évidemment à rendre avec des pincettes.
Mais ils ont le mérite de donner un ordre de grandeur du crime contre l'humanité provoqué par l'idéologie communiste sur notre planète au XXème siècle.

- En Russie, les pertes varient de 35 à 66 millions de morts
- En Allemagne 2,1 millions de morts
- En Pologne 270 000 morts
- En Yougoslavie 450 000 morts
- En Albanie 150 000 morts
- En Grèce 72 000 morts
- En Roumanie 150 000 morts
- En Hongrie 100 000 morts
- En Asie, les pertes varient entre 34 et 63,7 millions de morts
- A Cuba 33 000 morts
- En Angola 70 000 morts (230)

Enfin, un dernier exemple, sur les 1966 délégués du XVIIème congrès de 1934, 1108 seront exécutés au cours des années suivantes. (96)

Toutes ces innombrables victimes me font rappeler une phrase de Jules Guesde (1845-1922):

-« Comment ferons-nous pour construire la société nouvelle si, au jour de la victoire, vous avez pourri tous nos matériaux humains. »

En janvier 1950, dans Les Temps Modernes (revue politique, philosophique et littéraire créée par Sartre en 1945), Jean-Paul Sartre (1905-1980) et Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) estimaient que le nombre de détenus en URSS était entre dix et quinze millions.

Ils concluaient ainsi leur article :

-« Il n'y a pas de socialisme quand un citoyen sur vingt est au camp »

Dans Les lettres françaises du 19 janvier 1950, Pierre Daix interpella nos deux auteurs en les questionnant ainsi :

- « Sont-ils avec le peuple soviétique ou avec ses ennemis ? » (234)

En 1969, Anatoli Kouznetsov confirma cet état de fait :

-«Chacun sait que la police secrète a des millions de morts à son actif.
Mais si l'on veut le chiffre des victimes de la terreur et des traumatismes qu'elle inflige, alors il faut compter la population soviétique tout entière. »

A propos, Grigori Ievseievitch Apfelbaum dit Zinoviev (1883-1936) n'a t-il pas dit que :

-« Pour implanter le communisme en Russie, il faudra tuer dix millions d'hommes. »

-«Dès quelques cent millions d'hommes que compte la population de la Russie soviétique, il nous faut en gagner quatre-vingt-dix à notre cause.
Nous n'avons pas à parler avec les autres, nous devons les exterminer. » 17 septembre 1918

D'ailleurs, il n'est pas le seul à avoir cette vision d'une politique d'extermination de masse car pour Bertolt Bretch (1898-1956) :

-« Si le peuple pense mal, changeons le peuple. »

Léon Tolstoï (1828-1910) affirmait que :

-« Les hommes sont méfiants.
Ils ne croient pas volontiers à ce qu'on leur dit.
Et la vérité, même la plus évidente, ils ne l'acceptent que durcie par la souffrance et la mort. »

Le 7 novembre 1937, Staline affirma à Dimitrov (1882-1949) :

-« Nous anéantirons tous ces ennemis, même s'ils sont de vieux bolcheviks, nous anéantirons tous leurs parents, toutes leurs familles.
Nous anéantirons tous ceux qui, par leurs actions et pensées nous résistent. »

Staline affirmait également que :

-« La liquidation de 500 000 personnes relève de la statistique, alors qu'un individu tué dans un accident de voiture est une catastrophe nationale »

Pour conclure, il existe un proverbe de l'époque tsariste qui exprime parfaitement le vent de folie de cette époque :

-« La Russie est divisée en trois parties : ceux qui ont été en prison, ceux qui sont en prison et ceux qui attendent leur tour. »

Pourquoi tout ces massacres ?

Boris Pasternak (1890-1960) nous donne une explication :

-« Je pense que la collectivisation a été une faute, un échec.
On ne pouvait pas l'avouer.
Afin de masquer l'échec, il a fallu recourir à tous les moyens d'intimidation possibles pour ôter aux gens l'habitude de juger et de penser, pour les forcer à voir ce qui n'existait pas et à prouver le contraire de l'évidence.
De là la cruauté sans précédent de la terreur de Iejov. » (185)

Pasternak souffrit, lui aussi, sous staline.
Sa poésie fut interdite de publication.
Muselé, il se consacra à la traduction de l'½uvre de Shakespeare.

Iejov fut à la tête du NKVD du 18 mars 1937 jusqu'au 8 décembre 1938.

Comme son prédécesseur, Iagoda (1891-1938) et comme son successeur Beria (1899-1953), il fut fusillé.
Du moins probablement.

L'histoire de l'URSS est faite de légendes et de rumeurs où il est souvent difficile de distinguer le vrai du faux !
On raconte que Iejov fut déclaré fou et enfermé dans un asile près de Leningrad.
On dit qu'il serait mort, pendu à un arbre du parc de l'asile avec une pancarte portant ces mots : « Je suis une charogne. » (175)
C'est trop beau pour être vrai !

On peut également reprendre la distinction faite par Aristote (384-322 avant JC) entre roi et tyran :

-« Un roi peut compter sur ses amis, quant au tyran son signe distinctif est la méfiance.
Il se méfie même de ses partisans, car il sait que tout le monde espère voir bientôt sa chute et que ses partisans ont plus que tous les autres la possibilité de contribuer à la réalisation de ces espoirs. »

Cela pourrait expliquer toutes les purges staliniennes, l'élimination de toute concurrence éventuelle.
Mais alors pourquoi déporter les femmes et les enfants des opposants éventuels ?
Et pourquoi déporter et massacrer des populations entières ?

Dans ses mémoires, Ilya Ehrenbourg (1891-1967) écrivit :

-« Je savais qu'il faut apprendre à vivre en serrant les dents..
Apprendre une des sciences les plus difficiles : le silence.
Le nouveau mode de vie impliquait qu'on ne posât pas de questions, et qu'on ne répondît pas à celles des autres. »

-« Nous autres, écrivains soviétiques, si nous sommes encore vivants, c'est que nous sommes les plus grands acrobates du monde. » (217)

L'un des héros du roman d'Ernest Hemingway (1899-1961) Pour qui sonne le glas, (publié en 1940) le général Golz donnait la meilleure solution qui soit pour garder un espoir de survie :

-« Moi, je ne pense jamais à rien.
Pourquoi penserais-je ?
Je suis général soviétique.
Je ne pense jamais. .
N'essayer pas de me faire penser malgré moi. » (219)

Enfin, je laisserais la parole à Wladimir Fedorovski, auteur de l'ouvrage Le roman du Kremlin :

-« J'ai eu honte de mon pays pour la Pologne et Solidarité, j'ai eu honte des reculades de Gorbatchev, des pitreries d'Eltsine, mais l'histoire reconnaîtra leur mérite.
J'ai eu honte d'appartenir à un pays où plus de 25 millions de personnes ont été assassinées.
J'ai encore honte aujourd'hui quand je suis avec un dissident qui purgeait une peine inique pendant que moi, j'étais diplomate. (237)

8° PARLONS DES VICTIMES

C'est à cette époque que les plus proches des compagnons de Lénine sont éliminés.

On peut citer :

- Alexei Ivanovitch Rykov (1881-1938)

- Lev Borissovitch Rosenfeld Kamenev (1883-1936)
Kamenev forma avec Staline et Zinoviev contre Trotski (son beau-frère) la Troïka en 1924.
Puis il dirigea avec Zinoviev et Trotski l'Opposition unifiée en 1926, avant de faire son autocritique en 1928.
Impliqué dans un des procès de Moscou, il fut exécuté.
Il fut réhabilité en 1988.

- Nikolaï Ivanovitch Boukharine (1888-1938)
Boukharine était un économiste et homme politique soviétique.
Éminent théoricien marxiste, il écrivit notamment l'Économie de la période de transition en 1920.
D'abord porte-parole des communistes de gauche, il devint, à partir de 1924, le représentant de l'aile droite du parti bolchevique et s'allia, contre Trotski, à Staline.
Ce dernier l'élimina de la vie politique en 1929 puis le fit condamner à mort.
Il a été réhabilité en 1988.

- Grigori Ievseievitch Apfelbaum Zinoviev (1883-1936)
Zinoviev fut bolchevik dès 1903
Il joua un rôle important dans la révolution soviétique.
Il fut Président du Komintern de1919 à 1927, il forma une première troïka en 1924, contre Trotski, avec Kamenev et Staline, puis s'opposa à ce dernier en 1926 en s'alliant à Kamenev et à Trotski dans l'opposition unifiée.
Exclu du parti communiste en 1927, réintégré après qu'il eut fait son autocritique, Zinoviev fut condamné lors d'un des procès de Moscou et exécuté.
Il fut réhabilité en 1988.

- Vladimir Alexandrovitch Antonov-Oseenko (1884-1937 ou 1938)

Ce délire stalinien n'oublie aucune couche de la population.

Le scientifique Nikolai Ivanovitch Vavilov (1889-1943) est condamné à mort en août 1940 pour espionnage
En vérité son crime est de s'être opposé à Trofime Denisovitch Lyssenko (1898-20 novembre 1976), le scientifique favori de Staline.
Vavilov voit sa peine commuée en vingt ans de prison.
En 1943, il meurt au camp de Saratov. (199) (211)

On pourrait croire que ce genre de révisionnisme biologique ne serait qu'une simple folie stalinienne parmi tant d'autres.
Mais malheureusement ce n'est pas le cas.

Le 29 mai 1970, des médecins et des politiciens pénètrent dans l'appartement du généticien soviétique Jaurès Medvedev et le transportent de force à l'hôpital psychiatrique de Kalouga.
Les autorités soviétiques n'avaient guère apprécié son ouvrage Grandeur et Déclin de Lyssenko
Il est qualifié de personnalité psychopathologique avec tendances paranoïdes pour avoir récusé les théories de Lyssenko et rédigé un texte sur la coopération scientifique internationale.
Heureusement son frère jumeau Roy mobilisa ses amis écrivains et scientifique pour le libérer, et ce dernier retrouva la liberté au bout de dix-neuf jours.

Jaurès Medvedev raconta sa mésaventure dans son ouvrage Un cas de folie aux Editions Julliard.
Pour en savoir plus sur l'utilisation de psychiatrie comme mode de répression je conseil de lire le hors série N° 9 HISTORAMA Les psychiatres et la police soviétiques.

Bertrand Russel (1872-1970) dénonça l'utilisation de la psychiatrie comme mode de répression et invita les autorités de Moscou à mettre fin à des méthodes qui rappellent fâcheusement celles utilisées, dans un passé récent, dans l'Allemagne nazie.

Claude Roy (1915-1997) décrivit l'absurdité de cette politique :

-« Le biologiste auquel on veut imposer la notion que le blé socialiste dément les lois de la biologie qu'il vérifie tous les jours dans son laboratoire, a le choix entre avouer son erreur, finir au bagne s'il s'obstine en URSS, se retirer comme Jacques Monod (1910-1976) puis Marcel Prenant en France, ou devenir fou, et laisser les littérateurs exposer les principes de la biologique lyssenkienne d'Etat » (210)

En 1950, Marcel Prenant est exclu du comité central du PCF.

Louis Aragon (1897-1982) n'hésitait pas à saluer Lyssenko :

-« Les découvertes de Lyssenko en biologie démontrent la supériorité de la science prolétarienne. »

Lyssenko était un botaniste et généticien.
Il soutint que les caractères acquis sous l'action du milieu peuvent devenir héréditaires, théorie erronée défendue par les milieux officiels de l'URSS en opposition aux thèses de Johann Mendel (1822-1884) jugées bourgeoises.
Lyssenko considérait que le blé d'hiver mouillé et réfrigéré, pouvait être planté jusqu'au printemps et ainsi donner de bien meilleurs résultats que le blé de printemps.

Pour en savoir plus sur Lyssenko, je conseille la lecture de l'ouvrage de Denis Bulcan Lyssenko et le Lyssenkisme aux Editions PUF Que sais-je.

On peut également citer l'économiste Nicolas Kondratiev (1892-1938).
Il a fondé et dirigé de 1920 à 1928 l'institut de conjoncture de Moscou.
En 1925, il a publié un article sur les grands cycles de la conjoncture.
Sa théorie a été jugée fausse et réactionnaire par l'Encyclopédie soviétique.
De ce fait, Kondratiev fut arrêté et décéda dans un camp. (200)
Il aurait peut-être été fusillé.

Sergheï Alexandrovitch Essenine ou Iessenine (1895-1925) était un poète russe qui célébra la révolution Inonia en 1918, la paysannerie l'Accordéon en 1920, la bohème Confession d'un voyou en 1921.
Déprimé par la politique du parti communiste soviétique, il se suicida.

Malheureusement, il ne fut pas le seul.

En 1929, Wladimir Maiakovski (1894-1930) écrit une pièce de théâtre Les bains dénonçant la bureaucratie stalinienne.
L'année suivante, le 14 avril 1930, persécuté par les sbires de Staline, Maïakovski se suicide.

N'oublions pas les écrivains Isaac Babel (1894-1940) fusillé le 26 octobre 1940, Boris Pilniak (1894-1937) lui aussi exécuté, Ossip Emilievitch Mandelstam (1891-1938) mort au cours de son transfert dans un camp.

Isaac Babel avait un grand défaut son humour : chose très dangereuse avec Staline.

J'en donne un exemple avec une interview qu'il fit avec Boris Souvarine :

- Souvarine pensez-vous qu'il existe chez vous des ½uvres littéraires de valeur que les conditions politiques empêchent de paraître ?

- Babel Oui ! Au Guépéou

- Souvarine Comment cela ?

- Babel Quand on arrête un intellectuel et qu'on le met en cellule, on lui donne du papier et un crayon et on lui dit : Ecrivez !

- Souvarine Et vous ? Est-ce que vous écrivez pour des jours meilleurs ?

- Babel Certainement ! J'écris un livre sur les chevaux...

- Souvarine Sur des chevaux ?

- Babel Oui, puisqu'on ne peut écrire sur les hommes, j'écris sur les chevaux.... (216)

Oui Babel avait beaucoup trop d'humour, surtout en 1933, un an après la mort de la femme de Staline, il confia à des amis parisiens :

-« On cherche une maîtresse pour le secrétaire général » (49)

La prudence sous Staline était de base.
Il décidait ainsi ce que devaient écrire les écrivains.

Ilia Ehrenbourg (1891-1967) raconta qu'un jour Staline convoqua les écrivains soviétiques :

« Il n'y a que deux façons d'écrire.
Il faut écrire comme Shakespeare ou comme Tchekhov.
Moi, je ne suis pas écrivain, mais si j'étais écrivain, c'est comme Shakespeare que j'écrirais.
A vous, je vous donne le conseil d'écrire comme Tchekhov.
Vous pouvez disposer. » (217)

On peut également citer la poétesse Anna Akhmatova (1889-1966).
Son mari était l'auteur Nicolas Goumiliov (1886-1921).
Nikolaï Stepanovitch Goumiliov était un poète russe.
En réaction contre le symbolisme, il fonda un mouvement (l'acméisme) qui réclamait plus de clarté et d'harmonie.
Accusé de complot contre la révolution, il fut fusillé.
En 1946, Anna Akhmatova reçoit un blâme de l'Union des Ecrivains pour son absence de conscience politique
Comme dans la Russie stalinienne, il n'y a pas de petits bénéfices, leur fils fut déporté dans un camp de travaux forcés.

Le metteur en scène Vsevolod Emilievitch Meyerhold (1874-1940 ou 1942) disparaît dans un camp.

Andreï Andreïevitch Voznessenski, auteur en 1962 Quarante Digressions lyriques, en 1965 Maïakovski à Paris, écrivit un poème en hommage de Meyerhold :

- Où est ta tombe
- Ou peut-être n'est-ce qu'un tertre,
- Vsevolod Emilievitch Meyerhod ?
- Où planterons-nous ta stèle?
- Il n'y a pas de tombe...
- On ne peut te figer en statue
- Comme un bon élève docile
- Tu flamboies
- Depuis les piédestaux de la scène du monde,
- Vsevolod Emilievitch Meyerhold.

Pour finir, citons le fils de Maxime Gorki (1868-1936).
En 1933, Max Gorki fut empoisonné par Iagoda (1891-1938), le chef du NKVD car celui ci était amoureux de la femme du fils de Gorki.
Je ne sais pas si Iagoda arriva à ses fins avec la femme de Max, mais ce dernier fut vengé car Iagoda est fusillé le 15 mars 1938.

J'arrête cette énumération des victimes de Staline car elle est malheureusement trop longue.

9°LES CONSEQUENCES DE CES MASSACRES ?

La conséquence de cette purge sera terrible pour l'URSS, car comme le confirme dans ses mémoires, le général Gorbatov :

- « La disparition des cadres de l'Armée rouge sera la cause des premiers désastres de 1941 ».

Pourtant Staline avait une belle armée comme le confirme Jacques Benoist-méchin (1901-1983) :

-« En 1936, l'Armée rouge est devenue une des plus fortes armées du continent.
Elle est dotée d'un équipement très moderne et ses effectifs sont remarquablement aguerris. »

Il écrivit également que la volonté de Staline d'en finir avec Toukhatchevsky est l'indice d'une intention d'entente avec Hitler, que Staline craignant d'être lâché par la France et la Grande-Bretagne, voulut dès 1936 se servir d'Hitler pour briser l'Occident. (192) (193)

Le point de vue de Benoist-Méchin est intéressant car on peut difficilement le traiter de russophile car sous Vichy, de 1941 à 1942, il fut secrétaire d'Etat chargé des rapports franco-allemands, en 1942, Pétain l'envoi à Ankara comme ambassadeur.
En 1947, Benoist-Méchin est condamné à mort, mais le président de la république, Vincent Auriol (1884-1966) le gracie.
Il sera libéré en 1954.

Walter Schellenberg (1910- 1954) écrivit que le jour où Hitler a décidé de sacrifier Toukhatchevsky à Staline, il a choisi l'entente, fût-elle provisoire, avec l'URSS, et que tout le cours de la politique allemande est tracé jusqu'en 1941. (192)

A l'annonce de l'exécution de Toukhatchevsky, Hitler ne cacha pas sa joie :

-« Nous avons neutralisé la Russie pour au moins dix ans !
Dans dix ans, le monde entier sera entre nos mains et nous réglerons son compte à Staline et au bolchevisme.
Rira bien qui rira le dernier ! » (84)

En 1938, le général Beck, alors chef d'Etat-major général de la Wehrmacht, affirmait pouvoir :

-« négliger l'Armée rouge en tant que force armée, car les sanglantes répressions avaient ruiné ses forces morales et l'avaient transformée en machine inerte. » (238)

Kurt von Tippelkirch écrivit après guerre que :

-« Les Allemands estimaient qu'ils surpassaient de beaucoup les Russes par la qualité de leur commandement.
Les cadres d'élite russes avaient été victimes des grandes purges politiques de 1937. (238)

Dans la nuit du 24 au 25 février 1956, où Nikita Sergueiévitch Khrouchtchev (1894-1971), dans son fameux rapport secret, dévoila les crimes de Staline devant le 20ème Congrès du parti communiste soviétique, il déclara notamment :

-« L'anéantissement de nombreux chefs militaires et responsables politiques victimes, au cours des années 1937-1941, de la suspicion de Staline et condamnés sur la foi d'accusations calomnieuses, eut de très graves conséquences, surtout dans les débuts de la guerre.
Pendant ces années là, la répression visa certains secteurs des cadres de l'armée, frappant pratiquement depuis le niveau des chefs de compagnie et de bataillon jusqu'aux sphères militaires les plus élevés...
Beaucoup d'officiers supérieures périrent dans les camps et les prisons, et l'armée n'entendit plus parler d'eux... » (84)

Pour Pierre Nord (1900-1985) :

-« Il suffit de comparer les prouesses de l'Armée Rouge à partir de 1942, avec ses défaites des années précédentes, pour sauter à la conclusion de ce que nous avons raconté ici.
L'hémorragie cérébrale de l'Armée Rouge en 1937 est la cause principale de son piétinement devant une poussée de braves Finlandais, puis de son écrasement initial par la Wehrmacht en 1941.
Pour que la Russie survécût, il fallut l'habituel miracle du patriotisme de ce peuple quand il est envahit, le privilège géomilitaire de l'immensité et du climat, sans parler de l'alliance avec le pays le plus industrialisé du monde. » (55)

Pour Jan Krause :

-« En faisant tuer pendant les grandes purges de 1936-1939, dans une situation internationale de plus en plus tendue, 40 000 officiers, dont 39 maréchaux sur 41 et 714 généraux, Staline était-il inconscient, ou persuadé qu'il n'avait rien à craindre de Hitler, en tout cas pour de longues années?
Le Führer, lui, en tira argument pour convaincre, en 1940, ses généraux que l'Armée Rouge n'avait jamais été aussi faible et qu'on pouvait l'attaquer sans risque. » (174)

Tandis que pour Malcom Mackintosh :

-« On peut imaginer les conséquences de cette épuration à la veille de la guerre ; la méfiance, l'apathie, la fuite devant les responsabilités de cadres plus enclins à appliquer à la lettres des règlements périmés qu'à faire preuve d'originalité ou d'esprit d'initiative expliquent en grande partie les revers de la guerre russo-finlandaise. » (153)

Le 12 mai 1941, Hitler reçoit François Darlan (1881-1942) et lui affirme :

-« Quant à la Russie, on ne peut que la mépriser.
Depuis la réforme de l'armée, 30.000 officiers ont été exécuter, de sortes que l'armée russe manque de cadres : les officiers ne savent ni lire, ni écrire. » (176)

Quant au général Gamelin (1872-1958), celui-ci dira :

-« Comment voulez-vous que nous comptions sur une armée qui fusille ses chefs. » (169)

Hitler lui aussi désire se débarrasser de certains officiers insuffisamment imbibés de la religion national-socialiste.
Mais l'utilisation des méthodes staliniennes est impossible à utiliser en Allemagne.
Sans le soutien de l'armée, les dirigeants nazis ne pourront se maintenir, à la condition évidente d'obtenir des succès politiques, diplomatiques et militaires.
A partir du moment où l'Allemagne connaîtra de graves revers militaires, une partie de l'armée essaiera d'éliminer Hitler.
L'attentat du 20 juillet 1944 en est le symbole.

Hitler désire se débarrasser de deux hommes, le Feld-Maréchal Werner Von Blomberg (1878-1946) ministre de la guerre et le général Werner Von Fritsch (1880-1939), nommé commandant des forces terrestres en 1934.

Je laisse maintenant le soin à André François-Poncet les raisons pour lesquelles Hitler désire purger son armée :

- « Von Fritsch est le type de l'officier prussien ; il est monarchiste ; il n'a qu'une modeste estime du nazisme et de son Führer ; il est indocile et il se permet de vives critiques.
Hitler s'en débarrasse et, du même coup, expurge le haut commandement de ceux qui lui sont désignés comme hostiles au régime.
Au général von Fritsch, succède le général von Brauchitsch, jugé plus déférent et plus souple.
Quant à Blomberg, il n'aura pas de successeur.
Hitler institue, le 4 février 1938, un « commandement supérieur des forces armées », un « Oberkommando der Wehrmacht » (O.K.W), qui sera dirigé par un officier à sa dévotion, le général Keitel. » (65)

Pour éliminer ses deux hommes, les nazis utiliseront des affaires de m½urs.
Pour Blomberg, les nazis utiliseront le passé trouble de sa femme, tandis que pour Fritsch, les nazis l'accuseront d'être homosexuel.

Je vais maintenant vous raconter les fins tragiques de von Fritsch et de Blomberg.

Le 7 août 1939, von Fritsch écrivit :

-« Il n'y a pas de place pour moi dans l'Allemagne de Herr Hitler, ni en temps de paix, ni en temps de guerre.
J'accompagnerai mon régiment uniquement pour servir de cible, car je ne puis rester chez moi. » (14)

Il en fut ainsi qu'il l'avait dit : Le 11 août 1938 il avait été nommé comandant en chef de son ancien régiment, le 12 ème régiment d'artillerie, à titre purement honorifique.
Le 22 septembre 1939, il servit en effet de cible à un mitrailleur polonais devant Varsovie assiégée. (14)

Quand à Blomberg, il s'installa avec sa femme dans un village bavarois, à Wiessee.
A l'exemple d'un ex-roi d'Angleterre, son contemporain, il demeura jusqu'au bout fidèle à l'épouse qui avait provoqué sa chute.
Il mourut le 13 mars 1946, dans la prison de Nuremberg, où pitoyable et émacié, il attendait le moment de paraître devant ses juges. (14)


10° ENCORE UNE ELIMINATION COMMUNE

Léopold Trepper, lors de son arrestation par la gestapo, appris par ses geôliers, d'autres cas de collaborations entre la gestapo et le NKVD, notamment le cas de Ossip Piatnitski , né en 1882, arrêté le 7 juillet 1937 et finalement fusillé le 29 juillet 1938:

-« Piatnitski était un vieux bolchevik, proche collaborateur de Lénine.
Après la création du komintern, il devint l'un de ses
principaux dirigeant.
Grand organisateur, il avait été nommé chef de section des cadres.
Il sélectionnait, formait et envoyait les cadres du komintern dans tous les pays.
Un jour, au début de 1937, il fut arrêté et jugé comme espion allemand.
La vérité sur cette affaire, je ne la connus que bien plus tard lorsque, prisonnier de la gestapo, je fus, en 1942, interrogé par l'homme qui avait monté la provocation contre lui : tous les documents étaient des faux, fabriqués par le contre-espionnage allemand.
Pourquoi Piatnitski ?
Simplement parce que les Allemands savaient qu'à travers lui, c'était l'ensemble de la section des cadres du komintern qui serait liquidé. » (16)

CHAPITRE VIII
HITLER ET STALINE SE FONT DES CADEAUX

Quand Staline veut purger l'armée, le parti, il lui faut des preuves, enfin, bien évidemment des fausses preuves.
Qu'importe qu'elles viennent d'un ennemi sur le plan idéologique.
D'ailleurs, comme on le voit, malgré des oppositions radicales, ces deux dictatures n'hésitent pas à ce rendre des services mutuels.

1° L'INCENDIE DU REICHSTAG

Le Reichstag est la chambre législative, élue au suffrage universel.
Elle sera la chambre législative de la Confédération de l'Allemagne du Nord de 1867 à 1871, de l'Empire allemand de 1871 à 1918 et de la république de Weimar de 1919 à 1933.

Le palais où se réunissait ce Parlement, à Berlin, fut incendié le 27 février 1933 à l'instigation des nazis, qui accusèrent du forfait un militant communiste, Marinus Van der Lubbe (13 janvier 1909-1934).
Le 10 janvier 1934 Lubbe fut exécuté dans la prison de Leipzig.

Cette machination permit à Hitler d'éliminer les communistes lors du procès de Leipzig.
Le Reichstag fut maintenu sous le IIIe Reich, mais après interdiction de tous les partis, à l'exception du parti national-socialiste.
Mais nous allons étudier cette affaire de manière plus précise, notamment en parlant d'un des accusés, Dimitrov.

En 1933, le 27 février pour être précis, le Reichstag est en flamme.
En mars, Géorgi Dimitrov (1882-1949) est arrêté, accusé de l'incendie.
Et pourtant ce membre du Komintern sera acquitté et expulsé.
Pourtant l'attitude de Dimitrov lors de son procès n'était pourtant pas fait pour plaire aux nazis.
D'ailleurs cela en fera un héros pour tout les anti-nazi du monde.

Dimitrov, lors de son procès, se dresse sur son banc pour apostropher Hermann Goering (1893-1946) :

-« Monsieur le ministre voudrait-il expliquer à la cour comment il s'est servi du souterrain pour mettre le feu au reichstag ? »

Goering brandit le poing vers le Bulgare et hurle :

-« Taisez-vous, crapule rouge !
C'est vous qui deviez donner le signal du soulèvement armé, mais je vous ai devancé.
C'est grâce à moi seul que les bourgeois du monde entier peuvent dormir tranquilles.

J'ai dit à mes hommes, à tous les policier de Prusse :

- Ne ménagez pas la racaille !
Lorsque vous tirez, c'est moi qui arme votre revolver ! »

A un moment, le président du tribunal expulse Dimitrov.

Goering lui lance alors ces mots qui font penser qu'il ne croit pas à une possible condamnation de Dimitrov :

-« Sortez, voyou, sortez !
Je vous rattraperai quand vous serez sorti de prison, bandit que vous êtes ! » (64)

Connaissant la vision limitée de la démocratie qu'en avait les nazis, cet acquittement peut paraître étonnant, à moins qu'Hitler n'ait simplement voulu donner un signal d'apaisement aux soviétiques.

D'ailleurs André Falk est du même avis :

-« C'est que sa capture, qui fait jubiler Goering, laisse maussade diplomates et militaires.
Dimitrov comme un Munzenberg ou un Ulbricht (1893-1973), appartient aux internationaux du Komintern, donc à ses cadres d'élite, non au parti allemand que Moscou laisse décapiter sans broncher.
Or, malgré les diatribes de Hitler, la Wilhelmstrasse conserve encore des relations normales avec l'URSS, et la tradition russophile de Seeckt garde d'influents adeptes à l'état-major » (64)

La Wilhelmstrasse est une rue de Berlin où se trouvait le ministère des Affaires étrangères.

Selon Ruth Fisher et Krebs Valtin, des négociations secrètes furent menées à Copenhague entre Russes et Allemands pour obtenir l'acquittement de Dimitrov.
L'URSS aurait menacé d'user de représailles contre les Allemands de la Volga en cas de condamnation. (64)
Staline attendra 1941 et l'attaque allemande pour les déporter, mais nous en reparlerons dans un prochain chapitre.

Malheureusement pour Dimitrov, un drame familiale viendra ternir son succès face aux nazis.
La femme de Dimitrov, la poétesse Klara Ljuba se suicide en 1933 à Moscou en apprenant l'arrestation de son mari.

En effet, le cas de Dimitrov est une exception.

La nuit même de cet incendie, les nazis arrêtent 4000 communistes.

Hitler n'hésite pas à déclarer :

-« Personne ne nous interdira d'exterminer les communistes avec une main de fer.
Vous êtes témoins d'une grande époque de l'histoire allemande qui commence avec cet incendie. » (268)

Nous savons maintenant que ce sont les nazis qui ont incendiés le Reichstag.

Goering le révéla, en 1942, au Général Franz Halder (1894-1980) :

-« A un déjeuner pour l'anniversaire du Führer en 1942, la conversation vint à rouler sur le bâtiment du Reichstag et sur sa valeur artistique.

J'entendis de mes propres oreilles Goering interrompre la conversation en criant :

- Le seul qui connaisse vraiment le Reichstag, c'est moi, parce que j'y ai mis le feu !

Sur quoi, il se tapa violemment sur les cuisses. »

2° LE TEMOIGNAGE DU GENERAL BERZINE

Dès 1936, pour éviter tout incidents diplomatiques avec l'Allemagne, Staline ne veut plus envoyer d'agents en Allemagne.

Le général Berzine, responsable des services de renseignements de l'Armée rouge explique à Léopold Trepper que :

-« Nous sommes terriblement handicapés par la décision du parti qui nous interdit d'envoyer des agents en Allemagne. » (16)

Lors d'une autre conversation avec Trepper, en 1937, Berzine indique que :

-« Nous avons déjà en Allemagne un groupe de qualité exceptionnelle, mais nous serons très gênés par les instructions de la direction du parti qui, dans la crainte de provocations, est opposée à ce que nous nous développions sur le territoire du IIIème Reich. » (16)

Yan Karlovitch Berzine fut également directeur du GRU (Glavnoie Razviedivatelnoie Oupravlienie) ou directoire général du renseignement. (50)

Ce service fut créé au printemps de 1920 par Felix Edmoundovitch Dzerjinsky (1877- 1926) à la suite de la débâcle polonaise.
En avril de cette même année, l'armée polonaise envahissait l'Union soviétique et s'était enfoncée profondément en Ukraine avant d'être repoussée.
Trompé par des renseignements périmés et erronés, selon lesquels la population polonaise était mûre pour la révolution, Lénine ordonna à l'Armée rouge d'attaquer la Pologne à titre de représailles.
Mais loin de se révolter, les polonais résistèrent et écrasèrent les envahisseurs soviétiques. (50)

La différence entre le KGB (Komitet Gosudarstvennoi Bezopasnosti) et le GRU est simple.
Le KGB est une police secrète ayant essentiellement pour tâche de protéger le régime communiste contre une menace intérieure, contre des dissidents de toute sorte.
Le GRU est un service de renseignement militaire.
Il a pour objectif d'agir contre toute menace extérieure à l'URSS. (51)

Le général Berzine sera fusillé en décembre 1938.


3° LE TEMOIGNAGE DE BERTRAND DE JOUVENEL (1903-1987)

En 1935, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) se trouve à Moscou pour accompagner Pierre Laval (1883-1945), suite à la signature d'un traité entre l'URSS et la France.

Ecoutons donc son témoignage :

-« Un autre souvenir rapporté de Moscou est tellement bizarre que je ne le cite pas sans embarras.
Le fait est tout simple : je descendais l'escalier du grand hôtel où nous étions logés, un jeune homme que je croise s'arrête sur un palier et me salue.
C'est l'un des jeunes hitlériens que j'ai rencontrés à Berlin, en janvier 1934.
Je lui demande ce qu'il fait là, et il me dit qu'il est venu étudier les camps soviétiques. » (28)

4° LE TEMOIGNAGE DE E. JURIS

E.Juris, un allemand, ancien membre du komintern va nous raconter la duplicité entre la gestapo et le NKVD, bien avant le pacte d'août 1939 :

-« Dès décembre 1934, j'ai vu à Moscou des arrestations.
Elles ont surtout frappés la section allemande du komintern.
Les responsables accusés de faire parti de la bande à Zinoviev ou Trotski.
Et des chefs communistes Allemands, comme Walter Ulbricht (1893-1973) étaient d'accord avec ça.
Les soit-disant trotskistes étaient accusés d'être de la vermine fasciste.

Au juge, j'ai posé la question :

- Que voulez-vous de nous ?

Il m'a répondu :

- Quand un arbre a des pucerons, il faut l'abattre.
On ne peut chercher les pucerons l'un après l'autre.

Dès la fin 36 dans les cinémas de Moscou la propagande anti-nazi avait disparue des actualités.
On ne voyait plus rien de mal sur le reich.
On remarquait qu'on ne disait et n'écrivait plus de mal sur Hitler comme avant.
Les journaux anti-fascistes en langue allemande disparaissaient, comme celui du Komintern.

En décembre 1937, un gardien vient me voir en prison et me demande si j'ai une cravate.

Je lui dis :

- Je ne suis pas assez chic pour la maison.

Il m'a dit, on va prendre une photo de vous.
C'était bizarre car ils avaient déjà pris plein de photos de moi.
Pour la faire, ils m'ont emmené dans une autre prison.

Le juge me dit :

- Le prolétariat allemand vous réglera votre compte.

Oui, oui, moi, j'ai rigolé.
A la frontière, on m'a sorti du train et on m'a remis entre les mains de la gestapo.
La gestapo m'a montré un papier d'arrestation avec cette fameuse photo, avec cravate qu'on avait prise de moi à Moscou.
C'est bien une preuve de la collaboration entre la gestapo et le NKVD.
Donc en janvier 1938, j'ai été livré par les Russes à la gestapo, un an et demi avant le pacte Hitler-Staline. » (67)

La Gestapo, abréviation de Geheime Staatspolizei, police secrète d'État est la police politique du IIIe Reich.
Elle est créée en 1933, et réorganisée en 1936 par Heinrich Himmler (1900-1945) et Reinhard Heydrich (1904-1942).

Entre parenthèses, je confirme le témoignage de Juris concernant la disparition de la propagande anti-nazi dans les cinémas russes dès 1936.
Sur 171 films produits en URSS de 1936 à 1938, 6 seulement concernaient le fascisme.
En 1940, Staline s'opposera à la diffusion du film de Chaplin Le Dictateur.

Juris n'est pas le seul, en tant que communiste allemand, de passer d'une prison soviétique à une prison allemande.

Mes recherches m'ont permis de découvrir de nombreux autres cas.

5° LE CAS DE MAGARETE BUBER-NEUMANN (1901-1989)

Par exemple, Margarete Buber-Neumann (1901-1989) dont le mari, Heinz Neumann (1902-1937) était déjà au goulag où il mourut.
Selon d'autres sources, il fut fusillé .

Magarete Buber-Neumann racontera ce drame lors du Procès Kravchenko.

Victor Andreievitch Kravchenko est né en Ukraine en 1905.
Le 4 avril 1944, il passe à l'ouest.
Il prend alors le nom de Peter Martin par peur des représailles soviétiques.
En février 1946, il publie un livre intitulé : J'ai choisi la liberté .

Le 13 novembre 1947 Les lettres françaises publient un article diffamatoire contre Kravchenko intitulé : Comment fut fabriqué Kravchenko .
Selon l'auteur de cet article, un certain Sim Thomas, Kravchenko est un alcoolique invétéré, arrivant fréquemment soul à son bureau et un joueur bourré de dettes.

Le Soviétique décide alors de porter plainte contre les directeurs de cette publication, Claude Lecomte dit Morgan (1898-1980) et André Wurmser (1899-1980).
Sim Thomas serait un ancien membre des services secrets américains.
En vérité, il n'existait pas !
C'est André Ulmann qui écrivit cet article.

Morgan écrivit à propos de l'ouvrage de Kravchenko :

-« Si 10 millions de citoyens soviétiques gémissaient dans les camps et si, pour un oui ou un non chacun était exposé à se voir appréhendé par le NKVD, il régnerait en effet dans ce pays une atmosphère d'angoisse et de terreur.
Mais c'est un spectacle absolument contraire qu'il donne.
L'Union soviétique est ce pays où n'importe quel enfant devient ce qu'il est fait pour l'être. »

Morgan quitta le parti communiste en 1957.

En 1979, il écrit un livre intitulé Les don quichotte et les autres aux Editions Roblot.

Dans cet ouvrage, il justifie son comportement dans l'affaire Kravchenko par le fait qu'il ignorait la situation réelle de l'URSS :

-« Nous, les communistes, nous ne mettions pas en doute les affirmations des Soviétiques, ni celles de notre parti.
Mes déclarations, lors du procès Kravchenko, dans les Lettres Françaises, le prouvent.
Kravchenko était un membre de l'Ambassade soviétique aux Etats-Unis.
Il avait choisi la liberté et publié un ouvrage violemment antisoviétique.
André Ulmann m'apporta sur le personnage un article que je publiai sans signature.
Dans cet article Ulmann, sous le nom de Sim Thomas, accusait Kravchenko de mensonge et ajoutait qu'il était ivrogne.
André Wurmser écrivit lui aussi un articles dans Les Lettres.
C'est pourquoi nous fûmes tous les deux les accusés de ce procès.
Kravchenko cita un certain nombre de témoins, qui, tous, affirmèrent l'existence des camps de répression, où régnaient des conditions atroces.
Je ne le crus point.
Les uns étaient des koulaks, les autres des ennemis politiques.
Je déclarai que, si je pensais qu'ils disaient vrai, je ne serais pas communiste.
Pauvre couillon. » (227)

Le procès eut lieu du 24 janvier au 4 avril 1949.

Magarete Buber-Neumann, lors de ce procès, racontera comment arrêtée et condamnée à cinq ans de travaux forcés, elle fut livrée par Staline à Hitler, en janvier 1940, du camp soviétique de Karaganda (ville du Kazakhstan, sur la Noura) au camp de concentration allemand de Ravensbruck.

De 1939 à 1945, cent dix-sept mille femmes de vingt-trois nationalités ont été rassemblées dans le camp de concentration de Ravensbruck.
Sur cent dix-sept mille femmes, quatre vingt quatorze mille ne verront pas la libération de ce camp.
Soit près de 80% de mortes ! (242)

Elle fut gardée jusqu'à la Vistule par le NKVD, puis prise en charge par la SS sur le pont frontière.

L'intolérance des communistes était de mise partout même dans les camps.

Pour vous le prouver, je laisse la parole à Margarete Buber-Neumann:

-"Interrogée pendant des mois par la gestapo à Berlin, je m'étais finalement retrouvé dans un camp de concentration allemand.
Dès le troisième jour de mon arrivée à Ravensbrück, les détenues communistes me firent subir un interrogatoire.
Elles savaient que j'étais la campagne de Heinz Neumann et que je ne faisais pas mystère des expériences amères que nous avions faites en Union soviétique.
Après l'interrogatoire, elles me collèrent l'étiquette de traître, affirmant que je répandais des mensonges sur l'Union soviétique.
Les communistes exerçant une influence déterminante parmi les détenues de Ravensbrück, l'ostracisme dont elles me frappèrent eut l'effet escompté, les politiques en compagnie desquelles je me trouvais m'évitaient comme si j'étais porteuse de quelque maladie contagieuse." (274)

Le procès fut gagné par Kravchenko.
L'un de ses avocats fut Georges Izard (17 juin 1903- 20 septembre 1973).
Celui ci fut pendant la guerre, l'un des responsables d'un important mouvement de résistance, l'OCM (Organisation civile et militaire).
Pour les lecteurs curieux qui voudraient en savoir plus sur l'OCM, je leur conseille de lire l'ouvrage de Gilles Perrault La longue traque.

Simple coïncidence, à la mort de Georges Izard, le 20 septembre 1973, son successeur à l'Académie française fut l'historien Robert Aron (1898-1975), auteur souvent cité dans cet ouvrage.
Malheureusement, Robert Aron ne siégea jamais à l'Académie Française, car il est décédé avant d'avoir été reçu.

Le 26 février 1966, Kravchenko se suicide.
Du moins, selon la thèse officiel car pour Pierre de Villemarest, Viktor Kravchenko fut comme Krivitzky, victime d'un faux suicide. (110)

L'oraison funèbre des Izvestia fut impitoyable :

-« Sans patrie, l'homme est mort comme un renégat. » (88)

En 1937, la plupart des dirigeants du PC allemand présent à Moscou ont disparus par exemple Hermann Remmele (1886-1939) et Heinz Neumann, soit exécuté, soit emprisonné, à l'exception de Wilhelm Pieck (1876-1960) et Walter Ulbricht (1893-1973).

Neumann fut le représentant du PC allemand à Moscou en 1925.
Il fut également jusqu'en 1938, le rédacteur en chef du Die Rote Fahne.
Mais il commis l'erreur, à partir de 1932, de s'opposer à Staline.

610 communistes allemands furent internés dans les prisons de Moscou, parmi eux des juifs qui furent remis à la gestapo.

6° LE MASSACRE DES COMMUNISTES POLONAIS

Tout les partis communistes européens n'ont qu'une raison d'être : une courroie de transmission de l'URSS.
Ils doivent obéir aux ordres de Moscou.
Si il peut exister le moindre risque, non d'opposition, mais simplement d'hésitation face à la politique de Moscou, les partis frères doivent être épurés et parfois même dissous.

En 1938, le parti polonais fut officiellement dissous par l'International communiste sous le prétexte qu'il était un repaire favori du contre-espionnage des revanchard nationalistes.
Grossier subterfuge : Staline, qui préparait le rapprochement avec l'Allemagne nazie, savait pertinemment que les communistes de Pologne n'accepteraient jamais ce pacte contre nature, parce qu'il ne pouvait se réaliser qu'en étranglant leur pays.
Au même moment et dans les même conditions, furent dissous le parti ukrainien et le parti de Biélorussie de l'ouest. (16)

Pour éliminer les communistes Polonais, Staline se contente de les convoquer à Moscou.
Attendus par le NKVD, ils sont immédiatement éliminés.
Des dirigeants du PC polonais comme Adolf Varsky (1868-1937) ou Lenski sont assassinés.

En 1945, Staline reçoit une délégation de communistes polonais.

A un moment, il leur demande :

-« Avant-guerre, à la direction du parti polonais, il y avait une femme, Kostrzewa, très dévouée et très intelligente.
Qu'est-elle devenue ? »

Comme elle avait été exécuté en 1938, la délégation se demanda, si Staline ignorait vraiment les purges sur le PC polonais ou bien s'il avait un humour très particulier. (16)

Le parti communiste Polonais est composé de 5000 militants en 1922 et 4000 en 1937.
On le voit, l'influence du parti communiste est très faible dans la Pologne d'avant-guerre. (135)

Les raisons de la très faible influence communiste en Pologne sont liées au refus d'admettre la nouvelle nation polonaise.

Christian Jelen et Léopold Unger va nous décrire les relations entre communistes et Polonais après 1918 :

-« Depuis plus d'un millénaire, ils ont défendu leur droit à l'existence et, à partir du XVII ème siècle, leur désir d'indépendance a survécu aux invasions, démembrements et occupations de leurs puissants voisins.
Grâce, notamment, à de vieilles institutions comme l'église, la Diète et les universités, la conscience nationale a survécu et le patriotisme n'a jamais sombré.
De cette tradition, le PC n'a pas voulu ou n'a pas su tenir compte.
Dès sa création, en décembre 1918, le PC polonais oppose la révolution sociale à l'indépendance nationale.
Celle-ci, selon lui, ne pourra s'exercer pleinement qu'après la victoire du socialisme.
Alors qu'en 1918 le pays sort de cent cinquante ans de servitude, le Parti refuse de reconnaître la légitimité du nouvel Etat et de son chef, le maréchal Pilsudski (1867-1935).
Les bolcheviques exercent une grande influence sur la direction du PC grâce à des Polonais qui se trouvent dans l'entourage de Lénine : le plus fameux est Djerjinsky, le chef de la Tchéka, l'ancêtre du KGB.
Lors de la guerre soviéto-polonaise de 1920, le Parti ne trouve rien de mieux que d'appeler à la grève générale pour saboter l'effort de guerre, et cela en raison du dogme selon lequel il s'agit non pas d'une guerre entre deux nations, mais d'une agression contre la révolution socialiste.
Cette soumission à Moscou lui vaut une hostilité générale et durable.
La ligne du Parti reste immuable.
Lors de son congrès de 1932, il insiste sur le caractère artificiel de la nouvelle Pologne.
Son internationalisme ne le protège nullement contre la méfiance maladive de Staline.
En 1937, 30 des 37 membres de son comité central son exécutés en URSS.
Les autres ont survécu parce qu'ils croupissaient dans les prisons de Pologne.
En 1938, sous prétexte qu'il est infiltré par la police, Staline dissout le Parti.
Il n'est reconstitué qu'en 1941, après l'entrée des nazis en URSS.
Il prend le nom de Parti ouvrier polonais.
Moscou lui interdit de s'afficher communiste.
Selon Georges Dimitrov (1882-1949), le chef du Komintern, il ne mérite pas encore le droit d'utiliser ce terme et , surtout, celui-ci est contre-indiqué pour séduire les Polonais. » (135)

Dimitrov fut secrétaire général du komintern de 1935 à 1943.

Cette purge n'élime pas seulement les membres du PC polonais.
En 1936, 60 000 Polonais d'Ukraine sont déportés au Kazakhstan.

Cette purge du PC polonais continua après guerre.
En quarante ans d'exercice du pouvoir, le Parti a connu une sorte de décomposition lente qui a abouti, en 1981, à sa quasi-dissolution et à son remplacement par la police et l'armée.
La base, le parti des simples militants, n'existe pratiquement plus que dans les registres.
Par des épurations régulières, 500 000 militants ont été exclus entre 1959 et 1970 pour « apathie » : 82 % d'entre eux étaient des ouvriers et des paysans.
Le PC s'est en grande partie débarrassé de sa base ouvrière.
A la fin des années 60, environ 8000 intellectuels ont été chassés pour « révisionnisme » et « sionisme », et, cette fois, le Parti s'est vidé de sa matière grise. (135)

7° LE POUM (PARTI OUVRIER D'UNIFICATION MARXISTE)

Le POUM était un mouvement espagnol principalement composé en grande partie d'anarchistes et de socialistes.
Le POUM est le produit de la fusion, accompli en septembre 1935 de la Gauche communiste d'Andres Nin et du Bloc ouvrier et paysan de Joaquin Maurin qui entre parenthèse était le beau-frère de Souvarine, souvent cité dans cet ouvrage. (196)

Bien entendu, Staline n'approuve pas ce mouvement.
Et ce que n'approuve pas Staline doit être éliminé donc exterminé.

Dès décembre 1936, la presse soviétique préconise l'élimination du POUM.

Mais le 15 mai 1937, Largo Caballero, premier ministre espagnol refuse de dissoudre le POUM.

Qu'importe Togliatti donne l'ordre de remplacer Caballero par Juan Négrin (1887-1956) proche des soviétiques.

Le 18 mai 1937, Négrin devient Premier ministre.

Le 15 juin 1937, le POUM espagnol (Parti Ouvrier d'Unification Marxiste) est mis hors la loi.

Palmiro Togliatti (1893-1964) chef du parti communiste italien et Dolorès Ibarruri (1895-1989) plus connu sous le nom de la Pasionaria donnent l'ordre d'arrêter les dirigeants du POUM.

Ils sont notamment aidé par André Marty (1886-1956) qui exerçait durant la guerre d'Espagne le poste d'inspecteur des brigades internationales.
Marty était célèbre car il fut avec Charles Tillon, un des mutins de la mer noire.

Revenons rapidement sur cette histoire
En 1919, bien que la guerre soit terminée, bon nombre de marins ne sont toujours pas démobilisés et se trouvent de fait entraînés dans une opération de guerre dans la mer Noire contre les bolcheviks.

En avril 1919, les marins des navires France et du Protêt se mutinent .
Dans se dernier navire se trouvait l'officier mécanicien Marty.
En juin 1919, au large des côtes grecques, c'est au tour des marins du Guichen de se mutiner.
Dans ce navire on retrouve Charles Tillon.

En Espagne, Marty fit exécuter les trotskistes et les anarchistes.
Il hérita du nom de Boucher d'Albacete .

Ernst Hemingway dans son roman Pour qui sonne le glas, le site sous le nom de André Massart .

Je vais vous donner des extraits de la description de Marty par Hemingway :

-« - Il est fou, dit le garde

-Non.
C'est un personnage politique très important, dit Gomez.
Il est commissaire des Brigades Internationales.

-Tout de même, il est fou, dit le garde.

- Je l'avais toujours pris pour un grand personnage, dit Gomez
Pour une des gloires de la France.

-C'est peut-être bien une gloire, dit le caporal.
Mais il est archi-fou.
Il a la manie de faire fusiller les gens.

-Fusiller pour de bon ?

-Nous fournissons toujours le peloton d'exécution.
Les hommes des Brigades ne veulent pas exécuter les leurs.
Surtout les Français.
Pour éviter les difficultés, c'est toujours nous qui le faisons.
Nous fusillons les Français.
Nous avons fusillé des Belges.
Nous avons fusillé d'autres de diverses nationalités.
De tous les genres.
Toujours pour des choses politiques.
Il est fou. » (219)

Hemingway connaissait bien le sujet, car il fut correspondant de guerre en Espagne entre 1936 et 1938.
Auguste Lecoeur (1911-1992), envoyé en Espagne par Maurice Thorez, comme commissaire politique, n'hésita pas à se heurter à Marty.
Lecoeur était irrité par la violence et le manque de mesure de Marty. (256)

Les brigades internationales furent formées à l'automne 1936, pour éviter que les volontaires étrangers ne rejoignent les rangs du POUM.

Je laisse maintenant Dominique Desanti, (qui quitta PCF en 1956) donner une description de Marty :

-« De Marty, les militants d'avant guerre connaissaient les rages incontrôlées, les sautes d'humeur, les partis pris incompréhensibles, l'étroitesse d'esprit, mais aussi le profond et véritable attachement à la cause prolétarienne, libre de tout embourgeoisement, sinon de toute vanité. » (259)

Le 26 mai 1952, au secrétariat général du PCF, réunis chez Jacques Duclos, André Marty se voit brutalement accusé de dissimuler ses désaccords politiques.
Le parti lui reprochait notamment d'avoir tenté de minimiser le rôle de l'URSS au cours de la dernière guerre, de s'être livré ouvertement à une critique sévère du pacte germano-soviétique, enfin d'avoir préconisé la prise du pouvoir par le parti communiste à la libération. (253)

La Pravda du 10 décembre 1952 commenta ainsi l'exclusion de Marty :

-« Marty et Tillon avaient tendance à rabaisser le rôle de l'Union soviétique dans la libération de la France. »

Lecoeur est exclu du PCF en 1954.

Une véritable chasse à l'homme se déroulait dans Barcelone.
Quand un membre du P.O.U.M avait fui, c'est sa femme, considérée comme otage, qu'on jetait en prison.
Sur le front, la 29ème division, composée uniquement de membres du P.O.U.M ignorait tout des événements politiques de Barcelone.
Quand ils débarquaient, loqueteux, des trains, les permissionnaires étaient arrêtés.
Les blessés se voyaient arrachés de l'hôpital pour être conduits en prison. (124)

Le général José Rivira et Andres Nin (1892-1937) sont arrêtés et exécutés.
Andres Nin était ministre de la justice.
Il fut également le fondateur du POUM.
Nin fut arrêté et exécuté le 12 juin 1937.

Kurt landau (1903-1937) est lui aussi assassiné à Barcelone.

Georges Orvell, de son vrai nom Eric Blair (1903-1950) alors lieutenant à la 29ème division du s'enfuir pour ne pas être arrêté. (124)
Il relata son expérience dans son livre La Catalogne libre.
Il y décrit la façon dont les communistes répriment, arrêtent et exécutent les trotskistes du POUM.
Le comportement des communistes pendant la guerre d'Espagne fait douter Orwell de l'URSS.

Isaac Deutscher écrivit dans sa biographie de Staline qu' :

-« En Catalogne, le POUM, un parti semi-trotskyste, essaya de donner un contenu révolutionnaire à la lutte.
Staline commença la suppression de ces éléments hétérodoxes à sa gauche.
Il fit de leur élimination de l'administration républicaine une condition préalable à la vente de munitions soviétiques au gouvernement.
Il envoya en Espagne, en même temps que des instructeurs militaires des agents de sa police politique experts dans la chasse à l'hérésie et en épuration politique, qui établirent leur propre règne de terreur dans les rangs républicains.
Comme pour souligner le côté macabre, il chargea Vladimir Antonov-Ovséenko (1884-1937 ou 38) le héros de 1917, et un ancien trotskyste de l'épuration en Catalogne, forteresse des hérétiques, uniquement pour épurer Antonov-Ovéenko lui-même après son retour d'Espagne. » (13)

Antonov-Ovséenko élabora le plan tactique de l'insurrection d'octobre 1917.
Avant la révolution, il fut officier de l'armée impériale.
Révoqué et condamné à mort pour insubordination en 1905, il réussit à fuir à Vienne. (236)

Le 28 mars 1939, avec la conquête de Madrid et la victoire de Franco, la guerre civile s'achève.

6000 Espagnols, parmi lesquelles 2000 enfants, se réfugient à Moscou.

En 1948, seulement 1500 étaient encore en vie.

Staline se méfiait des communistes qui s'étaient battus en Espagne.
Ils avaient rencontrés trop de monde, vu trop de choses !
Ils faudra donc les exterminer !

Ainsi le 22 février 1951, Klement Gottwald (1896-1953) prononça un discours infamant envers les anciens d'Espagne :

-« Après la chute de l'Espagne républicaine, un grand nombre de volontaires des Brigades se sont retrouvés dans les camps en France.
Ils y vivaient dans de très mauvaises conditions et étaient l'objet de pressions et de chantage d'abord des services d'espionnage français, américains et plus tard d'allemands et d'autres encore.
Ces services d'espionnages ont ainsi réussi, en profitant du mauvais état physique et morale des volontaires, à enrôler nombre d'entre eux comme leurs agents.
Ceux qui étaient enrôlés par les Américains et les Français servaient directement les impérialistes occidentaux et ceux qui étaient enrôlés par la Gestapo allemande ont été, après la défaite de l'Allemande hitlérienne, transférés, comme tous les agents de la Gestapo, aux services d'espionnage américains. »

Pour finir, une petite anecdote.
Negrin qui fut ministre des finances de Caballero, sur la suggestion de Staline, fit transférer la réserve d'or de l'Espagne à Moscou.
Je serais curieux de savoir ce qu'est devenue cette réserve d'or !!


8° LE BOURREAU PALMIRO TOGLIATTI (1893-1964)

Palmiro Togliatti (1893 -1964) fut l'un des fondateurs du parti communiste italien en 1921, qu'il dirigea jusqu'à sa mort.
En 1926, il dut s'exiler, notamment en URSS , puis combattit en Espagne comme commissaire politique de 1937 à 1939.
Il rentra en Italie en 1944 et fut ministre en 1946-1947.
Dès 1956, il favorisa la déstalinisation et l'autonomie du parti communiste italien.

Togliatti est l'exemple même du stalinien pur et dur.
Nous venons de voir ses exploits en Espagne.
Il continua par la suite son travail d'élimination d'opposant à Moscou.

Par exemple, il laissa sans régir, le massacre de deux cent communistes italiens réfugiés à Moscou.
Un des rares survivants fut son propre beau-frère, Paolo Robotti arrêté en 1937.
Herman Schubert, un allemand réfugié à Moscou pour échapper à la répression nazie, fut arrêté et déporté par les soviétiques.
Pourquoi cette arrestation ?
Tout simplement car Togliatti l'accusa de trahison.

9° BELA KUN (1886-1937)

Le Hongrois Béla Kun (1886-1937) est également exécuté.

C'était pourtant le seul communiste qui réussi à provoquer une révolution en dehors de l'URSS.

Béla Kun était un journaliste et homme politique hongrois.
Fondateur du parti communiste hongrois, il fut le principal dirigeant de la république des Conseils qui s'établit pendant 133 jours (mars-août 1919) en Hongrie.

Ce succès éphémère fut le premier des Soviétiques dans la volonté de répandre la révolution en dehors de l'URSS.

Le second fut plus réussie, en 1924, avec la Mongolie extérieure, première démocratie populaire, bien avant l'expansion soviétique à la suite de la défaite allemande en 1945

Éliminé par une contre-révolution qui reçut l'appui de l'armée roumaine, il se réfugia en U.R.S.S., où il devint un des dirigeants du Komintern.
Il disparut lors des grandes purges staliniennes.

En 1919, Béla Kun renverse le comte Mihály Károlyi de Nagykároly (1875- 1955).
Le comte Mihály Károlyi de Nagykároly fut Chef du parti de l'Indépendance en 1913
Il fut président de la République de janvier à mars 1919
Renversé par Béla Kun, il s'exila.

Miklós Horthy de Nagybánya (1868 -1957) après avoir renversé Béla Kun, devint régent du royaume de Hongrie de 1920 à 1944.
Il se rapprocha de l'Italie fasciste puis de l'Allemagne hitlérienne, ce qui lui permit d'agrandir le territoire hongrois.
Conservateur et autoritaire, il n'approuvait cependant pas le régime nazi.

Quand à Mihály Károlyi de Nagykároly, adversaire de Horthy, il revint en Hongrie en 1945.
Ambassadeur à Paris de 1947 à 1949, il démissionna et finit sa vie en France.

Béla Kun sera réhabilité en 1958.

10° LE BUND

Le Bund était l'organisation politique des ouvriers juifs.
Ce mouvement fut fondé en 1897.
Il était indépendant des bolcheviks et des mencheviks.
Bien évidemment ce mouvement fut éliminé après la prise de pouvoir de Lénine.
Nombreux de ses leaders sont assassinés sur ordre de Staline comme Henry Herlich, Victor Alter, Lieber, Michel Isaacovitcht.

Staline, les élimine pour deux raisons : ce sont des opposants et surtout car ils sont juifs.

L'antisémitisme n'est d'ailleurs pas une nouveauté chez les communistes.
Karl Marx (1818-1883), le maître à penser de tous les dirigeants qu'a connu l'URSS, avait beau être petit-fils de rabbin, cela ne l'empêchait pas d'être antisémite.
Je ne préfère pas citer dans cet ouvrage d'extrait de texte antisémite de Karl Marx de peur de véroler l'ordinateur qui me sert pour écrire cet ouvrage.

Pourtant, le 24 août 1941, Staline avait créé le Comité antifasciste juif.
Son objectif était de mobilisé le judaïsme américain en faveur de l'entrée en guerre des Américains en Europe.
A sa tête, Staline place un acteur Salomon Mikhoels (1890-1948).

De plus, en 1947, l'URSS avait, avec 33 autres pays, votée à l'ONU en faveur de la résolution 181, permettant ainsi le partage de la Palestine, donc la création d'Israël.

Le 14 mai 1948, David Ben Gourion (1886-1973) proclame l'indépendance d'Israël.
David Ben Gourion fut Premier ministre de 1948 à 1953 et de 1955 à 1963.

Le 17 mai 1948, l'URSS reconnaît Israël.

Golda Meir (1898-1978) fut alors nommée ambassadeur d'Israël en URSS.

Golda Meir devint par la suite ministre du Travail et des Affaires sociales de 1949 à 1956, puis ministre des Affaires étrangères de 1956 à 1966, puis Premier ministre de 1969 à 1974.
Elle dut faire face à la guerre du Kippour en octobre 1973.
Elle accepta le principe de négociations à Genève.
Le mécontentement provoqué par sa politique servit les partis nationalistes et la conduisit à démissionner en avril 1974.

Cette relation idyllique entre Israël et Staline ne durera pas.
Un attentat à la légation soviétique de Tel-Aviv donnera l'occasion de rompre les liaisons diplomatiques avec Israël. (49)

Concernant l'antisémitisme de Staline, le témoignage de Marcel Ollivier est fondamentale :

-« Le tsarisme les avait parqués dans une sorte de ghetto, une zone située le long de la frontière occidentale, d'où ils ne pouvaient sortir sous peine d'arrestation.
Staline reprend cette politique, mais sous une forme nouvelle, en créant, à la frontière extrême-orientale, cette fois, dans une région désertique et glacée, un territoire autonome, le Birobidjan, où il pense reléguer toute la population juive de Russie.
Cette tentative ayant échoué, il soumet les juifs à toutes sortes de discriminations de caractère vexatoire.
Comme Hitler, il les oblige, même ceux d'entre eux qui se veulent et se sentent russes, à porter sur leur passeport, pièce dont tous les citoyens doivent être munis, à la rubrique nationalité, la mention : juif.
Contrairement à la Constitution qui reconnaît à chaque minorité le droit à l'autonomie culturelle, il supprime l'enseignement hébraïque, interdit de publier la Bible et autres ouvrages en hébreu, l'abattage rituel du bétail et la cuisson du pain azyme (pain sans levain) pour les fêtes de Pâques, ferme les écoles juives, ainsi que les synagogues, à part une ou deux qu'on garde ouvertes pour les montrer aux étrangers, envoie en déportations les écrivains et artistes juifs les plus connus, exclut les juifs de toutes les professions qui pourraient les mettre en contact avec l'étranger : diplomatie, journalisme, carrières militaires, etc. , leur impose, comme au temps des tsars, un numerus clausus pour l'entrée dans les écoles et les universités, puis, portant contre la population juive toute entière l'accusation de sionisme et de cosmopolitisme, il leur interdit, sous les peines les plus sévères, d'entretenir des rapports quelconques avec leurs coreligionnaires du dehors, pour, finalement, en mettant en scène avec Beria le complot des blouses blanches, préparer leur déportation en masse en Sibérie, mesure que seule la mort l'empêche de mettre à exécution. » (57)

Léopold Trepper affirme qu' :

-« A la Loubianka, une haute personnalité m'avait relaté qu'en 1945, Staline avait convoqué au Kremlin une réunion restreinte à laquelle participaient Beria (1899-1953), Malenkov (1902-1988), Cherbakov, commissaire politique suprême de l'armée, et quelques autres.
La question juive fut au c½ur des débats de cette conférence tenue rigoureusement secrète.
Staline, lui-même, posa le problème : comment, après la guerre, arriver à réduire progressivement la place des juifs dans les organismes d'Etat ?
Comment empêcher les milliers de juifs, qui se sont réfugiés en Sibérie pendant la guerre de revenir dans leurs régions d'Ukraine et de Biélorussie, où ils seraient mal accueillis par la population ?

Lorsque Cherbakov demande à Staline :

-Est-ce que ces mesures de limitation intéresseront aussi l'armée ?

Le dictateur répondit :

-Avant tout, l'armée.

En prison également j'avais appris qu'une circulaire strictement confidentielle avait été envoyée à tous les cadres du parti pour leur demander d'appliquer ces nouvelles directives. » (16)

Décrivons maintenant les participants de cette réunion de 1945 :

- Gheorghi Maximilianovitch Malenkov fut en 1932, secrétaire particulier de Staline .
Il lui succéda en 1953 comme secrétaire général du P.C.U.S. et président du Conseil.
Mais Khrouchtchev le remplaça rapidement à la tête du parti, et l'évinça du gouvernement en février 1955.
Il fut exclu du Comité central en 1957.

- Cherbakov fut durant la guerre président Du Comité de Défense de Moscou.
Il fut également à la tête des services de presse et de propagande.

- Le 8 décembre 1938, la Pravda annonce le remplacement de Iejov par Lavrenti Pavlovitch Beria (18991953) avec le titre de Commissaire du peuple à l'Intérieur.
En 1943, Beria est nommé maréchal.
Comme ses prédécesseurs, Beria eut une fin tragique.
Il est fusillé le 23 décembre 1953.
La veille de son exécution, Beria écrivit dans une déposition : Je savais que ce jour viendrait. (245)

En 1948, l'écrivain juif Isaac Pfeffer est arrêté avec tout les membres du comité juif antifasciste.
Pfeffer est fusillé le 12 août 1952. (16)

En même temps que Pfeffer, vingt-cinq écrivains et intellectuels juifs sont fusillés dont le poète Peretz Markish, Bergelsohn, Dobrouchine, Nousimov. (49) (16)

Esther Markish, du fait qu'elle est membre d'une famille d'un traître à la patrie, est déportée en Asie centrale avec ses deux fils.

Staline fait également assassiner en janvier 1948, l'acteur Salomon Mikhoels.
Et pourtant, Staline l'aimait bien car à plusieurs reprises, il l'avait convoqué pour lui faire dire, en privé du Shakespeare. (49)
Selon la fille de Staline, c'est lui même qui donna l'ordre par téléphone d'organiser cet assassinat !

En janvier 1953 donc peu de temps avant la mort de Staline (il meurt officiellement le 5 mars 1953) viendra le scandale des blouses blanches.
Des médecins juifs sont accusés d'avoir assassinés ou tentés d'assassiner des hauts dignitaires de l'URSS.

En France, Raymond Aron (1905-1983), en apprenant cette affaire, écrivit dans Le Figaro :

-« La pauvreté de l'invention, la répétition mécanique des thèmes trahissent une pensée qui se développe toute seule, sans contrôle rationnel, comme dans les rêves ou les délires mécaniques d'un dément. »

Ils seront tous réhabilité après la mort de Staline, mais certains n'ont pas survécu aux interrogatoires du NKVD.

Même dans sa vie privée, Staline ne supporte pas les juifs.
Quand sa fille Svetlana lui annonce qu'elle est amoureuse d'un juif, Alexis Kapler, et qu'elle a décidé de l'épouser, il la gifle violemment et répond qu'elle n'en fera rien car il s'y opposera.
Et le meilleur moyen de s'y opposer est d'arrêter son fiancé.

11° L'EPURATION DU PC YOUGOSLAVE, DU PC FINLANDAIS ET DU PC ALLEMAND

Le responsable du PC yougoslave Milan Gorkitch et sa femme sont fusillés en juillet 1937 à Moscou.
Tout le comité central est destitué à l'exception d'un membre : Yosip Broz, dit Walter, dit Tito (1892-1980), qui est chargé comme il l'écrira plus tard, de former une nouvelle direction du Parti dans le pays et d'effectuer une épuration intégrale dans le Parti. (23)

Arvo Tuominen, ancien chef du parti communiste Finlandais évalue le nombre de communistes finlandais massacrés en URSS à vingt mille. (57)

En 1937, la plupart des dirigeants du PC allemand présent à Moscou ont disparus par exemple Remmele (1886-1939) et Neumann, soit exécuté, soit emprisonné, à l'exception de Wilhelm Pieck (1876-1960) et Walter Ulbricht (1893- 1er août 1973).

Walter Ulbricht fut l'un des fondateurs du parti communiste allemand (le KPD) en 1918.
En RDA, il fut premier secrétaire du parti socialiste unifié de 1950 à 1971.
Il présida le Conseil d'État (collège remplaçant le président de la République) de la R.D.A. de 1960 à sa mort.

Wilhelm Pieck fut également l'un des fondateurs du parti communiste allemand en 1918.
Il fut président de la R.D.A de 1949 à sa mort.

12° UNE TENTATIVE D'EXPLICATION

Boris Souvarine explique les massacres de communistes auxquels se livra Staline, par le désir de se débarrasser, en vue de l'accord qu'il projetait de conclure avec Hitler, de tous ceux qu'il savait d'avance opposée à un tel accord, en premier lieu les compagnons de Lénine et tous les bolcheviks, encore nombreux à l'époque, qui mettaient leur idéal au-dessus de leurs intérêts. (57)

C'est également la thèse soutenue par Gustav Hilger, l'attaché commercial de l'ambassade de Moscou de 1918 à 1941, qui écrivit dans ses mémoires :

- « Seul un parti communiste débarrassé des Boukharine, des Krestinski, des Radek, pouvait tolérer le pacte signé par Molotov et Ribbentrop en août 1939.» (57)

Une autre explication concernant le massacre des membres de Komintern est donné par Branko Lazitch (1923-1998) :

-« Tous ces dirigeants étrangers réfugiés en URSS étaient passés par les prisons capitalistes : or, à partir de ce fait, il était facile de construire une dénonciation sur le passé prétendu suspect et les liens supposés de ces militants avec la police capitaliste.
Les policiers ne demandaient que cela : les dirigeants étrangers devenaient coupables, non seulement d'avoir été politiquement battus dans leur pays respectif, mais même d'être étrangers, catégorie devenue plus que louche dans la psychose collective de grande purge. » (57)

Notant que les membres du parti ayant adhéré avant la révolution d'Octobre ne représentaient plus en 1939, au dix-huitième congrès, que 5% des délégués et que, sur 139 membres ou suppléants du Comité central élus en 1934 seuls en subsistaient 24 en 1939, Michel Collinet conclut :

-« Il est donc clair que le parti communiste stalinien n'est pas physiquement le même que son prédécesseur léniniste.
C'est le parti des nouveaux maîtres qui ont poussé comme champignons sur la base corrompue des cooptations successives de l'appareil politique ; c'est le parti des délateurs pour qui parents et amis n'existent plus quand il faut faire sa cour à la caste suprême du NKVD. »

Pour finir, je laisse la parole à Staline.

Il révéla un jour à Félix Dzerjinski (1877-1926) et Léon Rosenfeld Kamenev (1883-1936), une de ses futures victimes :

-« Choisir la victime, préparer minutieusement le coup, assouvir une vengeance implacable et ensuite aller se coucher...
Il n'y a rien de plus doux au monde. »


CHAPITRE IX
SIXIEME RENCONTRE : LE PACTE RIBBENTROP-MOLOTOV

Hitler déclara à Bertrand de Jouvenel:

- "Pour réussir un renversement de l'opinion publique, il faut une préparation psychologique."

Staline aurait pu déclarer exactement la même chose.

Pour comprendre la logique du duo infernal Staline-Hitler, il suffit de reprendre un célèbre proverbe :

- La fin justifie les moyens

Indéniablement, Staline n'a aucun intérêt d'avoir un accord avec les Français et les Anglais, aussi bien pour des raisons politiques et militaires.

D'ailleurs dès 1936, le général français Schweisguth envoi un rapport à Edouard Daladier (1884-1970) et Léon Blum (1872-1950) dans lequel il affirme que :

-« La Russie cherche à rejeter vers l'ouest un orage qu'elle sent monter vers l'est.
Elle ne veut pas être mêlée au prochain conflit européen, dans lequel elle aspire à jouer, comme les Etats-Unis l'ont fait en 1918, le rôle d'arbitre dans une Europe qui sera épuisée par une guerre sans merci. » (13)

Dès 1936, Staline commence à avancer ses pions en Allemagne.

Le 14 décembre 1936, David Kandelaki, chef de la mission commerciale soviétique à Berlin, rencontre Goering.
Kandelaki est rappelé en 1937 à Moscou.
Au début tout va bien puisqu'il est nommé Commissaire du peuple au Commerce extérieur.
Mais peu de temps après, il est arrêté puis fusillé.

Staline dans son ouvrage Problèmes du Léninisme écrivit que :

-« Certains hommes politiques affirment que l'URSS s'oriente actuellement vers la France et la Pologne, qu'elle soutient actuellement le traité de Versailles qu'elle avait combattu et que ce changement doit être expliqué par l'établissement du régime fasciste en Allemagne.
Ce n'est pas vrai.
Bien sûr, nous sommes loin d'être enthousiasmés par l'établissement en Allemagne d'un tel régime.
Cet argument n'est cependant pas décisif, à preuve que le fascisme italien n'a pas empêché la Russie d'établir les meilleures relations avec ce pays.
Nous n'avons non plus changé d'opinion vis-à-vis du traité de Versailles.
Ce n'est pas nous, qui avons subi la honte du traité de Brest- Litovsk, qui chanteront les louanges du traité de Versailles.
Nous estimons simplement que le monde ne doit pas être jeté dans l'abîme d'une nouvelle guerre à cause de ce traité. » (13)

Tous les documents traités dans ce livre, nous indiquent que l'URSS pratiquait déjà une politique d'entente avec l'Allemagne avant la date fatidique du 23 août 1939.

L'hypothèse de ce livre est que Staline n'a jamais réellement voulu d'une alliance avec la Grande-Bretagne et la France.

Mais il faut aussi avouer que ni la France, ni la Grande-Bretagne, ni la Pologne n'ont pas fait beaucoup d'efforts pour s'allier avec la Russie.

Pour Georges-André Chevallaz :

-« La valse-hésitation des démocraties européennes, l'incertitude de leurs promesses, l'irrésolution de leur attitude face au IIIème Reich, l'insuffisante unité d'action entre la France et la Grande-Bretagne étaient propres à inspirer la plus grande défiance au gouvernement soviétique, peut-être même à justifier sa crainte d'une entente, au moins provisoire, entre Hitler et ses voisins de l'Ouest, invitant l'Allemagne à exercer plutôt vers l'Est sa force neuve et sa volonté conquérante vers les espaces vitaux de l'Ukraine, par exemple. » (150)

Mais revenons rapidement sur les évènements qui sont à l'origine de la seconde guerre.

1 °LES ORIGINES DE LA GUERRE

Le 25 juillet 1934, le chancelier autrichien Engelbert Dollfuss (1892-1934) est assassiné par les nazis.
Le tueur, Otto Planetta sera pendu.
Après l'Anschluss, il sera réhabilité.

Le samedi 16 mars 1935, l'Allemagne rétablit le service militaire.

En avril 1935, la conférence de Stresa en Italie, réunit la France, la Grande-Bretagne et l'Italie.
Ces trois pays affirment vouloir maintenir l'intégrité et l'indépendance de l'Autriche.
On connaît la suite.

Le 7 mars 1936, l'Allemagne occupe la Rhénanie.

Le traité de Versailles interdisait aux troupes du Reich l'accès des territoires de la rive gauche du Rhin.

- Article 42 : Il est interdit à l'Allemagne de maintenir ou de construire des fortifications, soit sur la rive gauche du Rhin, soit sur la rive droite, à l'ouest d'une ligne tracée à 50 kilomètres de ce fleuve.

- Article 43 : Sont également interdits, dans la zone définie à l'article 42, l'entretien ou le rassemblement de forces armées, soit à titre permanent, soit à titre temporaire, aussi bien que toutes les man½uvres militaires de quelque nature qu'elles soient et le maintien de toutes facilités matérielles de mobilisation.

- Article 44 : Au cas où l'Allemagne contreviendrait, de quelque manière que ce soit, aux dispositions des articles 42 et 43, elle serait considérée comme commettant un acte hostile vis-à-vis des Puissances signataires du présent Traité et comme cherchant à troubler la paix du monde.

N'oublions pas non plus, que le traité de Locarno avait, en outre, neutralisé cette zone.

- Article premier : Les Hautes Parties contractantes s'engagent à maintenir le statu quo territorial et l'inviolabilité des frontières entre la Belgique, l'Allemagne et la France, telles qu'elles ont été fixées par ou en exécution du traité de Versailles, le 28 juin 1919, ainsi que de l'observation des dispositions des articles 42 et 43 du dit Traité concernant la zone démilitarisée.

Pourtant la veille, Wilhelm Canaris (1er janvier 1887- 9 avril 1945) chef de l'Abwehr depuis le 1er janvier 1935, avait prévenu l'attaché militaire belge à Berlin que l'Allemagne allait envahir cette région.
Le Belge informa son collègue français.
Mais Paris hausse les épaules.

Pour Canaris, la situation est claire :

-« Décidément, les démocraties occidentales ne comprendront jamais rien.» (144)

L'Abwehr (en français « défense ») fut le service de renseignement de l'état-major allemand de 1925 à 1944.

Le prétexte trouvé par Hitler était l'accord franco-soviétique que la Chambre des députés avait voté neuf jours plus tôt, le 27 février, et que le Sénat ne devait ratifier à son tour que le 12 mars 1936. (148)

Le plus étonnant est à venir

Dès le 26 décembre 1935, le chef du 2ème Bureau avait averti le Gouvernement que l'occupation de la Rhénanie aurait lieu immédiatement après la ratification du traité franco-russe. (55)
En décembre 1935, Pierre Laval (1883-1945) était président du conseil.
Il est resté à ce poste du 6 juin 1935 au 22 janvier 1936.

Au moment de l'annexion, Albert Sarraut (1872-1962) était président du Conseil.
C'était en fait plutôt un gouvernement intérimaire qui allait à peine durer six mois, du 24 janvier au 30 mai 1936.
Son gouvernement se réunit après la prise de la Rhénanie par les nazis.

A la sortie du conseil, Georges Mandel (1885-1944), ministre des PTT commenta à ses collaborateurs les décisions prises :

-« Nous allons réagir, la discussion a été dure au Conseil.
Il a fallu lutter contre des militaires qui ne veulent pas se battre et se dérobent devant des responsabilités qu'ils ont eux-mêmes revendiquées âprement.
Ce soir, Sarraut va parler à la radio, il le fera en termes que nous avons arrêtés ensemble et après lesquels nous ne pourrons plus reculer. » (148)

Jeroboam Rothschild, dit Georges Mandel (1885-1944) fut chef du cabinet de Clemenceau.
Il fut plusieurs fois ministre, notamment de l'Intérieur pendant quelques jours en mai-juin 1940.
Interné par le gouvernement de Vichy au fort du Portalet, il remis aux Allemands en 1942.
Il fut livré par ces derniers à la Milice, qui l'assassina le 7 juillet 1944.
L'assassin était un dénommé Mansuy.

Le soir même, Sarraut prononce son discours :

-« Notre décision est bien prise ; nous ne permettrons pas que Strasbourg reste sous la menace des canons allemands. » (148)

Mais lors des conseils suivants, les généraux Maurin, ministre de la guerre et Gamelin affirment qu'ils sont incapables de mobiliser cinq ou six corps d'armée pour rejeter sur la rive gauche du Rhin les quelques unités allemandes qui avaient franchi le fleuve. (148)
Finalement, à part quelques belles paroles, la France renonça à agir.

Ce ne fut pas malheureusement pas la dernière démission politique du gouvernement français.

Une des de la faillite de la politique française est peut être liée à l'instabilité politique française.
Sous la IIIème République, du 19 février 1871 au 12 juillet 1940, c'est -à-dire du ministère Armand Dufaure (1798-1881) au ministère Pétain, 111 gouvernements se succèdent, soit une durée de vie moyenne inférieure à huit mois pour chacun d'eux. (212)

Le Rhin, frontière entre la France et l'Allemagne, n'était pas un sujet nouveau en 1936.

Dans une note du 28 novembre 1918, envoyée à Georges Clemenceau (1841-1929), Ferdinand Foch (1851-1929) précisait :

-« Aujourd'hui il s'agit d'établir le régime définitif des pays rhénans le la rive gauche.
Or la Russie a un destin incertain et l'occident ne peut plus compter que sur lui-même.
Face à 64 millions d'Allemands, il n'existe qu'une seule frontière le Rhin.
Dorénavant le Rhin sera la frontière occidentale des peuples allemands.
C'est une précaution fondamentale sinon une invasion reste aussi facile que par le passé.
Car face aux 64 millions d'Allemands, la Belgique, le Luxembourg, les pays rhénans de la rive gauche et la France ne représentent que 55 millions d'hommes au maximum...
Il importe de grouper toutes les populations de la rive gauche du Rhin dans une même organisation militaire capable de défendre la ligne de Rhin. » (149)

1936 : l'Allemagne nazie, comme on le sait organise les jeux olympiques.
Mais ce qui est moins connu est le fait que Jesse Owens (1914-1980) n'aurait pas du participer au relais quatre fois cent mètres.
Sa participation est liée au retrait, sur décision du Comité Olympique américain, de deux relayeurs titulaires, Marty Glickman et Sam Stoller.
Ces deux athlètes avaient le tort d'être juif. (159)

Déjà, on voyait poindre le syndrome de Munich.

Le 4 février 1938, Joaquin von Ribbentrop succède au baron von Neurath (1873-1956) à la tête du ministère des Affaires étrangères.

Le 12 mars 1938, l'Allemagne envahit l'Autriche, événement que l'on connaît mieux sous le nom d'Anschluss, en français rattachement.

Faisons un petit retour en arrière pour me comprendre l'intérêt de cet événement.

Le 10 septembre 1919, le traité de paix entre les alliés et l'Autriche est signé à Saint-Germain.

L'Article 88 du traité de Saint-Germain précisait :

-« L'indépendance de l'Autriche est inaliénable, si ce n'est avec le consentement du Conseil de la Société des Nations. »

Le ministre des Affaires étrangères français de 1917 à 1920, Stephen Pichon (1857-1933) déclara à la tribune du Palais-Bourbon :

-« La France ne tolérera jamais que l'Autriche fasse parti de l'Allemagne, fût-ce sous la forme déguisée d'une union douanière. »

Dès 1928, dans une lettre à Lucien Nachin (1885-1952), Charles de Gaulle avait prévu cet événement :

-« L'Anschluss est proche, puis la reprise par l'Allemagne, de force ou de gré, de ce qui lui fut arraché au profit de la Pologne.
Après quoi on nous réclamera l'Alsace.
Cela me paraît écrit dans le ciel. »

Comme d'habitude la France et la Grande Bretagne ne réagissent pas à l'annexion de l'Autriche.
Pour les Soviétique cette absence de réaction n'est pas sérieuse sur le plan politique.

Dans les Izvestia du 18 mars 1938, Litvinov écrivit :

-« Demain, il sera peut-être trop tard, mais aujourd'hui, il est encore temps pour que tous les Etats, en particulier les grandes puissances, prennent une position non équivoque en ce qui concerne le problème de la sauvegarde collective de la paix. » (80)

Walter Gorlitz et Herbert A.Quint confirment le point de vue soviétique sur la politique d'abandon de l'occident.

Ils considérèrent que concernant l'attitude occidentale :

-« Hitler ne rencontra pourtant de leur part aucune résistance sérieuse.
La principale préoccupation du Premier ministre Neville Chamberlain et du ministre des Affaires étrangères étaient d'établir des rapports acceptables avec les deux Etats totalitaires : l'Allemagne et l'Italie. » (81)

Heydecker et Leeb abondent également dans ce point de vue :

-« Les grandes démocraties ont assisté, passives, à l'étranglement de l'Autriche.
Bientôt, elles passeront de l'indifférence à la complicité active. »

Dans son ouvrage Le monde d'hier. Souvenirs d'un Européen, Stefan Zweig (1881-1942) écrivit :

-« Personne au gouvernement ne comprenait que l'Autriche était la clef de voûte de l'édifice et que si on la fait sauter, l'Europe allait s'écrouler. » (139)

Cette annexion fera dire à Benoist-Méchin (1901-1983) :

-« Laisser l'Allemagne s'incorporer l'Autriche aboutirait à ce résultat paradoxal : elle sortirait vaincue de la guerre plus grande qu'elle n'y était entrée. »

Selon Ivan Voronov, historien russe qui travaillait dans les années 60 au Bureau soviétique d'Information de Paris, affirme que :

-« La conquête de l'Autriche ne provoqua pas de débats orageux au sein des gouvernements occidentaux.
Le seul qui prit résolument de la défense de l'Autriche fut l'Union soviétique. » (80)

Mais l'un des événements marquant de l'avant-guerre, qui aura évidemment un effet totalement négatif, sur la possibilité d'un accord entre la France et l'URSS, se produisit quelque mois après l'abandon de l'Autriche :

- La capitulation de Munich.

2° L'ABANDON DE LA TCHECOSLOVAQUIE

Revenons sur cet événement.

Le dimanche 18 septembre 1938, Edouard Daladier (1884-1970) président du conseil depuis mars 1938 et qui le restera jusqu'en mars 1940 et Georges Bonnet (1889-1972) ministre des Affaires étrangères d'avril 1938 à septembre 1939, vont à Londres rencontrer le Premier ministre britannique Neville Chamberlain (1869-1940).

La discussion entre ce dernier et le président du conseil français est assez édifiante :

-Daladier. A mon avis, la paix pourrait être sauvée si la Grande-Bretagne et la France déclaraient qu'elles n'admettront jamais l'anéantissement de la Tchécoslovaquie.

-Chamberlain. Lorsque je vous écoute, monsieur le Président, je pense comme vous.
Mon sang bout littéralement quand je vois l'Allemagne commettre impunément un méfait après l'autre afin d'étendre sa domination en Europe.
Malheureusement, ces considérations d'ordre sentimental sont dangereuses.
N'oublions pas que nous risquons de déchaîner des forces redoutables.
Dans cette partie que nous sommes contraints de jouer, il ne s'agit pas d'argent, mais d'êtres vivants.
Il m'est impossible de m'engager à la légère dans un conflit aux conséquences peut-être effroyable pour des millions d'hommes, de femmes, d'enfants.
C'est pourquoi nous devons d'abord nous demander si nous sommes assez forts pour être certain de la victoire.
En toute franchise...
Je ne le pense pas. (15)

Le lendemain, de retour à Paris, ils sont chargés de faire accepter à Prague la remise à l'Allemagne des districts habités principalement par les Allemands Sudètes.

Voici un large extrait de ce texte :

-« Les représentants des gouvernements français et britannique se sont réunis aujourd'hui en consultation sur la situation générale et ont examiné le rapport du Premier ministre de Grande-Bretagne sur sa conversation avec M.Hitler.
Les ministres britanniques ont également présenté à leurs collègues français les conclusions tirées du compte rendu qui leur a été fourni, de l'½uvre accomplie pendant sa mission par lord Runciman.
Nous sommes convaincus de part et d'autre qu'après les événements récents, le point se trouve maintenant atteint où le maintien ultérieur dans le cadre des frontières de l'Etat tchécoslovaque des districts habités principalement par les Allemands des Sudètes ne peut plus, en fait, se prolonger désormais, sans mettre en péril les intérêts de la Tchécoslovaquie elle-même, et ceux de la paix européenne.
A la lumière de ces considérations, les deux gouvernements se sont trouvés contraints de conclure que le maintien de la paix, et la sauvegarde des intérêts vitaux de la Tchécoslovaquie ne peuvent être effectivement assurés que si ces districts sont maintenant transférés au Reich. » (28)

Le 25 septembre 1938, de nouveau Daladier rencontre Chamberlain :

-Daladier. A mon avis, il faudrait tenter de lancer une offensive terrestre contre l'Allemagne.
Quant à la guerre aérienne, on devrait pouvoir bombarder certains grands centres militaires et industriels.

-Chamberlain. Quelle attitude allons-nous adopter si, d'ici deux ou trois jours, l'Allemagne envahit la Tchécoslovaquie.
Je ne vous cacherai pas que nous avons reçu des informations alarmantes sur l'état de l'aviation française.
Imaginons que nous déclarions la guerre, et que, dans les vingt-quatre heures, une pluie de bombes s'abatte sur Paris, vos usines, vos bases militaires, vos aérodromes.
La France serait-elle alors en mesure de se défendre, et, surtout, de riposter efficacement ?

-Daladier. En posant cette question, voulez-vous dire que nous devons rester inactifs ? (15)

Au lendemain de Munich, le 30 septembre 1938, Vladimir Potemkine, Commissaire adjoint aux Affaires étrangères déclare à l'ambassadeur de France :

-« Qu'avez vous fait, mon pauvre ami ?
Pour nous, je ne vois plus d'autre voie qu'un quatrième partage de la Pologne. » (17)

Le samedi 10 février 1945, lors de la conférence de Yalta, Staline affirmera à Roosevelt et Churchill que :

-« Je n'aurais jamais signé avec les Allemands le traité de 1939 s'il n'y avait pas eu Munich et le Traité germano-polonais de 1934.» (51)

Si ces deux responsables sont aussi amères, la raison en fut la capitulation de Munich.
L'URSS était prête à intervenir, au secours de la Tchécoslovaquie. (17)

Ecoutons le point de vu exprimé par Litvinov le 21 septembre 1938 :

-« Nous sommes décidés à remplir nos engagements d'après le pacte et à prêter assistance à la Tchécoslovaquie en même temps que la France, par les moyens dont nous disposons.
Nos autorités militaires sont prêtes à participer immédiatement à une conférence avec les représentants militaires de la France et de la Tchécoslovaquie pour envisager les mesures qu'exige la situation. » (17)

En effet par le traité du 16 mai 1935, l'URSS s'est engagée à garantir la souveraineté de la Tchécoslovaquie.

Mais un problème se pose :

- l'Union soviétique ne peut intervenir uniquement que si elle a l'autorisation de la Pologne pour pouvoir traverser son territoire.

Mais les Soviétiques étaient-ils aussi sincère dans leur volonté de défendre la Tchécoslovaquie.

Le témoignage de Georges Bonnet (1889-1972), ministre des Affaires étrangères d'avril 1938 à septembre 1939, peut nous faire douter de la sincérité soviétique :

-« Etant convaincu que la France ne pourrait pas défendre la Tchécoslovaquie si elle n'y était pas aidée par l'URSS, je profitais de la présence à Genève de Litvinov pour lui faire part des inquiétudes qu'inspirait au gouvernement français l'éventualité d'un conflit entre la Prague et Berlin.
En pareil cas, la France prêterait son assistance à la Tchécoslovaquie.
Mais il nous était impossible de savoir ce que ferait l'URSS.
Litvinov me répondit aussitôt que si la France remplissait les obligations de son pacte d'assistance envers la Tchécoslovaquie, l'URSS s'acquitterait également des obligations de son propre pacte.
J'insistai alors pour savoir comment l'URSS pourrait pratiquement porter secours à la Tchécoslovaquie, avec qui elle n'avait aucune frontière commune : elle serait évidemment obligée de faire passer ses avions par le territoire polonais ou par le territoire roumain.
Comment procèderait-elle ?
Est-elle prête à forcer le consentement de ces deux pays ?
Litvinov me répondit que le gouvernement soviétique se refusait à faire franchir ses troupes les frontières polonaises ou roumaines et faire survoler par ses avions les territoires polonais, tant qu'il n'aurait pas le consentement de la Roumanie ou de la Pologne.
Mais la France avait un pacte d'amitié avec l'une et un traité d'alliance avec l'autre.
Le gouvernement français était donc particulièrement qualifié pour obtenir ce droit de passage des armées ou l'aviation russe.
Telle fut la réponse sans équivoque que me donna Litvinov le 12 mai à Genève. » (107)

Après sa conversation avec Litvinov, Bonnet rencontra le ministre des Affaires étrangères roumain, Comnène et lui demanda son point de vue sur la situation, notamment sur le passage des troupes soviétiques sur son territoire ou bien le survol aérien.

La réponse de Comnène fut ferme :

-« Aucun gouvernement roumain ne pourra le tolérer.
L'entrée des Russes provoquerait immédiatement l'entrée des Allemands, et mon pays deviendrait aussitôt un vaste champ de bataille. » (103)

Jan Masaryk (1886-1948) ministre tchèque, fils du fondateur de la Tchécoslovaquie, Thomas Masaryk (1850-1937), était à l'époque ambassadeur de la Tchécoslovaquie à Londres.
Il rencontra peu de temps avant Munich, Chamberlain et Halifax à Downing Street.
L'ambassadeur leur demanda si son pays serait invité à Munich.
Les deux hommes politiques anglais répondirent que non, car Hitler ne le tolérerait pas.

A ce moment, Masaryk eut cette parole prophétique :

- « Si vous avez sacrifié mon pays pour sauver la paix du monde, je serai le premier à vous approuver.
Sinon, Messieurs, Dieu ait pitié de vos âmes ! » (14)

Masaryk devint après guerre Ministre des Affaires étrangères.
Mais après le coup d'état communiste de février 1948, Masaryk trouva une fin tragique.
Le 9 mars 1948, il tomba du quatrième étage de l'hôpital, à Tiflis, où il se trouvait en traitement.

On ne sut jamais s'il s'était suicidé ou bien si on l'avait un peu aidé à mourir.

Roger Gheysens écrivit dans son ouvrage Les espions :

-« Par ailleurs, de sérieuses présomptions pèsent sur la police secrète soviétique pour ce qui regarde le suicide de Jan Masaryk. » (86)

Selon Pierre de Villemarest, en 1949, l'attaché militaire américain à Prague, Joseph A.Michaels fut assassiné par les Soviétiques car il s'intéressait un peu trop à la mystérieuse disparition de Jan Masaryk. (110)

Son successeur au ministère des Affaires étrangères Wladimir Clementis (20 septembre 1902-1952) finira également tragiquement.
Il sera jugé et exécuté, le 3 décembre 1952, lors d'un procès dont Staline était le spécialiste.

La Pologne, sur les instances de son ministre des Affaires étrangères, Josef Beck, s'appropria 1700 kilomètres carrés de territoire autour de Teschen avec une population de 228 000 habitants. (14)

Avant la première guerre mondiale, cette région appartenait à l'Allemagne.
Après le plébiscite de Haute-Silésie, cette région fut divisée entre l'Allemagne et la Pologne.
Les Polonais reprochaient aux Tchèques d'avoir occupé cette région à la faveur du conflit russo-polonais.

Quant à la Hongrie, elle obtint 19 500 kilomètres carrés avec une population composée de 500 000 Magyars et de 272 000 Slovaques. (14)

A la même époque, Litvinov confire à son journal ces notes amères :

-« Les Polonais ont, eux aussi, enterré la Tchécoslovaquie.
C'est un rare exemple de stupidité politique. » (15)

Selon Jacques de Launay, l'authenticité du journal de Litvinov est parfois discutée.
La présente citation correspond cependant à l'état d'esprit du ministre à cette époque, tel qu'il l'exprima devant de nombreux témoins. (17)
Quant à Thierry Wolton, il considère que les mémoires de Litvinov Notes for a journal est un faux servant une vision historique proche des besoins idéologiques des responsables de l'URSS. (45)
Ce livre sortit en 1955.

Le 30 septembre 1938, au lendemain de l'accord de Munich, Chamberlain va prouver de nouveau, soit une profonde naïveté soit un profond réalisme, en rencontrant une nouvelle fois Hitler.

Le Premier ministre anglais propose à Hitler de rédiger une déclaration commune qui montrerait leur désir d'améliorer les relations anglo-allemandes et d'aboutir à une plus grande stabilité européenne.

Chamberlain sort alors de sa poche un projet de déclaration :

-« Nous voyons dans l'accord signé hier soir, ainsi que dans l'accord naval anglo-allemand, des symboles du désir de nos deux peuples de ne plus jamais se faire la guerre.
Nous sommes résolus à traiter également par la méthode de la consultation les autres questions intéressant nos deux pays et à continuer de nous efforcer d'écarter les causes éventuelles de divergences de vues pour contribuer ainsi à assurer la paix européenne. » (17)

Hitler devant Ribbentrop et Otto Abetz (1903-1958) donnera son opinion sur ses interlocuteurs :

-« C'est terrible.
Je n'ai eu devant moi que des zéros. » (103)

En novembre 1937, Hitler affirma :

-« La question est de déterminer où les plus grandes conquêtes pourront être réalisées aux moindres frais. »

Hitler appliqua cette politique avec succès, du moins jusqu'en 1939 !

Chamberlain, qui meurt le 9 novembre 1940, ne connaîtra jamais les témoignages des généraux allemands sur la crise de 1938, lors du procès de Nuremberg.

Commençons par le témoignage de Wilhelm Keitel (1882-1946) :

-« Nous étions extrêmement heureux qu'on n'en soit pas venu à une solution militaire, car nous avions toujours estimé que nos moyens d'attaque contre les fortifications de la frontière tchèque étaient insuffisants.
D'un point de vue purement militaire, nous ne possédions pas les moyens nécessaires pour lancer une attaque qui nous eût permis de percer les défenses. » (14) (103)

Ensuite, examinons le témoignage de Fritz Erich von Manstein (1887-1973) :

-« Si la guerre avait éclaté, notre frontière de l'ouest pas plus que notre frontière avec la Pologne n'auraient pu être efficacement défendues et il est hors de doute que si la Tchécoslovaquie avait résisté, nous aurions été arrêtés par ses fortifications, car nous n'avions pas les moyens de percer. » (14) (103)

Le Maréchal Erich von Lewinski, dit Erich von Manstein (1887-1973) fut l'auteur auteur du plan de campagne contre la France en 1940.
Il prit la Crimée en 1942, mais ne put dégager Stalingrad
Il fut relevé de ses fonctions en 1944.

Maintenant le témoignage de Alfred Jodl (1890-1946) :

-«Avec cinq divisions d'active et sept divisions de réserve dans les fortifications de l'ouest, il n'était pas question de tenir contre cent divisions françaises.
Du point de vue militaire, c'était impossible. » (14)

Le colonel Oster affirma que :

-« Si, grâce à une action ferme de l'étranger, Hitler peut-être contraint au dernier moment de renoncer à ses intentions actuelles, il sera incapable de survivre à un tel échec.
De même si l'on en venait à la guerre, une intervention immédiate de la France et de l'Angleterre provoquerait la chute du régime » (14)

Hitler donnera également son avis au docteur Carl Jacob Burckard (1891-1974) de nationalité suisse, haut commissaire de la SDN à Dantzig :

-« Après Munich, ce que nous avons pu voir de la puissance militaire tchécoslovaque nous troubla à la pensée du péril encouru.
Les plans des généraux tchécoslovaques étaient redoutables, bien que travaux d'écoliers appliqués.
J'ai compris alors pourquoi mes propres généraux m'avaient retenu. » (14)

Chamberlain, dans sa volonté de négocier avec Hitler, porte la lourde responsabilité devant l'histoire du maintien au pouvoir de ce dictateur responsable de la seconde guerre mondiale et de l'assassinat de six millions de juifs, car sans Munich, c'était la guerre, à un moment où l'Allemagne n'était pas en position de force sur le plan militaire.

Pour conclure sur Munich, nous pouvons affirmer que pour Staline, le pacte du 23 août 1939 rejetant Hitler vers l'ouest en lui lâchant la Pologne était le parallèle du pacte de Munich rejetant Hitler vers l'est en lui abandonnant la Tchécoslovaquie.

Mais n'oublions pas que dans cette pathétique affaire, il y eut une autre victime :

-Les Allemands des Sudètes

En 1945, la Tchécoslovaquie reprit la région et expulsa vers l'Allemagne la presque totalité des Allemands des Sudètes.
2 170 000 Allemands seront expulsés.

Ce n'est pas le seul cas de déplacement de population allemande après la seconde guerre mondiale.

Après l'occupation allemande (1939-1945), la fixation de la frontière Oder-Neisse engloba la Silésie dans le territoire de la Pologne.
La population allemande fut expulsée.


3°LES RISQUES DE COUP D'ETAT

Hitler était également menacé par un risque de coup d'état militaire.

En 1938, le général Franz Halder (1884-1972), chef d'état -major, son prédécesseur, le général Ludwig Beck (1880-1944), sa démission date du 18 août 1938, ainsi que le Feld-Maréchal Erwin von Witzbelen préparèrent un putsch contre Hitler, mais le succès de ce dernier à Munich réduit à néant ce projet.

Le 20 juillet 1944, après l'échec de l'attentat contre Hitler au quartier général à Wolfschnze( la Tannière du loup), le général Beck se suicide.

Le maréchal von Witzbelen sera exécuté en août 1944.

Quant à Hadler, il démissionne de son poste de chef d'état-major le 24 septembre 1942.
Il est remplacé par Kurt Zeitzler (1895-1963).
Ce dernier sera démis de ses fonctions après le putsch du 20 juillet 1944.

Vers la fin de la guerre, les nazis arrêtèrent Halder.
Il fut gardé comme otage dans l'Alpenfestung, le fameux réduit alpin destiné dans l'esprit de Hitler, a être le bastion ultime du nazisme. (59)

Mais il ne fut pas la seule personnalité prise en otage.

Avec lui, on trouve :

- Léon Blum (1872-1950)

- Vassili Kakorine, neveu de Molotov

- Kalay, ancien président du conseil hongrois

- Monseigneur Piquet, évêque de Clermont-Ferrand

- L'industriel Fritz Thyssen

- Hjalmar Schacht (1877-1970), ancien président de la Reichsbank. il sera un des rares accusés avec Frantz von Papen (1879-1969) et Hantz Fritzsche (mort en 1953) à être acquitté à Nuremberg

- Van Dick, ancien ministre hollandais des Affaires étrangères

- Le général Falkenhausen

- Le général Georg Thomas, chef du bureau chargé de l'armement et des questions économiques de l'OKW. (59)

Pour en revenir à la défaite de Munich, Hans Bernd Gisevius affirmera lors du procès de Nuremberg :

-«Chamberlain a sauvé Hitler.»

Gisevius écrivit ses souvenirs dans son ouvrage paru en 1948 aux éditions Calmann-Levy : Jusqu'à la lie...

4° LES REACTIONS FACE A LA DEFAITE DE MUNICH

Le gouvernement anglais ne croyait pas ou plutôt ne voulait pas la guerre avec l'Allemagne.

Pour Chamberlain, les accord de Munich signifiaient la paix pour notre époque.

Le témoignage de Siegmung Warburg (1902-1982) va nous confirmer l'illusion anglaise.

Après la conférence de Munich, le banquier allemand en exil en Grande-Bretagne rencontre Lord Halifax (1881-1959):

- « Alors, monsieur Warburg, que puis-je pour vous ?

- Monsieur le Ministre, je voudrais vous parler de la Tchécoslovaquie.
La seule garantie qui lui reste est la bonne volonté de Hitler et celle-ci ne durera pas plus de deux mois, sauf si la Grande-Bretagne intervient militairement dès maintenant pour l'empêcher d'aller au-delà des Sudètes.
Vous ne pouvez faire confiance à cet homme, il trahira l'accord qu'il a signé avec vous comme il a trahit les Allemands eux-mêmes.
Une guerre immédiate eût été préférable a cette reculade, qui lui laisse le temps de mieux se préparer à l'agression.

-Monsieur Warburg, je ne peux pas vous suivre.
Certes, votre expérience de réfugié allemand est tragique ; mais elle réduit votre objectivité.
Monsieur Hitler s'est comporté jusqu'ici avec nous comme un homme du monde ; aussi longtemps qu'il agira ainsi, nous n'aurons rien à lui reprocher et nous lui ferons confiance.
Au revoir, monsieur Warburg. » (42)

L'économiste John Maynard Keynes (1883-1946) considéra qu'à cause de Munich :

-« L'honneur de notre politique étrangère a subi une terrible défaite.»

Winston Churchill prononça ces paroles mémorables :

-« Nous avons essuyé une défaite totale et absolue. » (14)

Il rajoutera également :

-« Nous sommes dans une catastrophe de premier ordre...
Si nous voulons voir la décadence de la politique extérieure anglaise et française nous n'avons plus, aujourd'hui qu'à regarder les faits. » (103)

Bien ses paroles les plus connues sont :

-« A Munich, nous avions le choix entre la guerre et le déshonneur.
Nous avons choisi le déshonneur et nous avons eu la guerre. »

Pour Clement Attlee (1883-1967), qui deviendra Premier ministre de l945 à 1951 :

-« La France et la Grande-Bretagne ont essuyé la plus grande défaite diplomatique de leur histoire. » (103)

Pour Antony Eden (1897-1977) :

-« Il ne peut pas y avoir parmi nous beaucoup de gens qui, si grand que soit leur soulagement, n'éprouvent pas une certaine humiliation, s'ils connaissaient vraiment les décisions de Munich. » (103)

L'ambassadeur de France au Vatican, François Charles-Roux fut reçu par le pape Pie XI (1857-1939).

Ce dernier lui donna son opinion sur les accords de Munich :

-« Elle est belle la paix replâtrée aux dépend d'un faible, même pas consulté !
C'est une paix injustice que celle à la négociation de laquelle toutes les parties n'ont pas été convoquées.
Vous pouvez le dire de ma part au chef du gouvernement italien. » (103)

François Charles-Roux, ambassadeur au Saint-siège de 1932 à 1940, sera rappelé à Paris le 20 mai 1940, pour remplacer le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Alexis Léger (1887-1975), plus connu sous le nom de Saint-John Perse qui obtiendra le prix Nobel de Littérature en 1960.
Léger quittera la France pour les Etats-Unis en 1941.
Vichy n'hésitera pas à le destituer de sa nationalité.
Charles-Roux sera remplacé au Vatican par Wladimir d'Ormesson (1888-1973).
Le 3 octobre 1940, le Gouvernement de Vichy mit fin à la mission de d'Ormesson.
Ce dernier redeviendra ambassadeur au Vatican après guerre de septembre 1948 à octobre 1956. (105)
Il remplaçait Jacques Maritain (1882-1973), nommé par le général de Gaulle en 1944.

Au lendemain de Munich, les ambassadeurs français et anglais à Berlin exprimèrent nettement leur mécontentement concernant la politique de leurs pays respectifs face à l'Allemagne.

André François-Poncet, ambassadeur de France en Allemagne de 1931 à 1938, exprima ainsi son indignation :

-« Voilà comment nous traitons les seuls alliés qui nous aient gardé une fidélité totale ! » (15)

Neville Henderson (1882-1942), ambassadeur britannique à Berlin, écrivit son point de vu à Lord Edward Halifax, chef du Foreign office :

-« Pour moi, cette affaire est infiniment pénible, je dirai même qu'elle m'éc½ure.
J'en garde une véritable nausée dont je voudrais bien me débarrasser.
Je vous serais extrêmement obligé si vous pouviez m'envoyer ailleurs.
J'aimerais ne plus jamais avoir affaire aux Allemands. » (15)

Henderson publia ses souvenirs en 1940 : Deux ans avec Hitler.

Pour Léon Blum (1872-1950) :

« La Grande Bretagne et la France ont imposé à la Tchécoslovaquie l'abandon du territoire sudète au profit du Reich.
Depuis huit jours, la victoire de Hitler sur la Tchécoslovaquie et les démocraties occidentales est chose acquise.
La question est de savoir si, à la victoire, il veut encore ajouter la guerre. » (169)

Stefan Zweig (1881-1942) analysa remarquablement cette nouvelle défaite des démocraties :

-« Commencèrent à filtrer les détails les plus fâcheux : on apprenait combien la capitulation avait été sans réserve, combien honteusement on avait sacrifié la Tchécoslovaquie, à laquelle on avait solennellement promis aide et protection, et, dès la semaine suivante, il était manifeste que même cette capitulation n'avait suffi à Hitler, qu'avant même que l'encre de sa signature eût séché au bas de la Convention, il en avait déjà violé toutes les dispositions particulières.
Sans se gêner, Goebbels le criait publiquement sur tous les toits, qu'à Munich on avait acculé l'Angleterre. » (139)

-« Sans trêve, on vous leurrait de promesse, on assurait que Hitler ne songeait qu'à tirer à lui les Allemands des territoires voisins, qu'il serait alors satisfait, et qu'en témoignage de reconnaissance, il extirperait le bolchevisme ; cet appât produisait admirablement son effet.
Hitler n'avait qu'à prononcer le mot paix dans un de ses discours pour que les journaux applaudissent avec chaleur, oubliant tout le passé et ne se demandant pas pourquoi l'Allemagne s'armait si furieusement.
A part un nombre infime d'Anglais, nous, les émigrés, étions alors les seuls en Angleterre à ne pas nous faire d'illusions sur toute la gravité du danger.
A cela près qu'en ma qualité d'étranger, d'hôte toléré, je ne pouvais pas avertir. » (139)

En 1934, Stefan Zweig, devant la menace croissante des nazis en Allemagne, choisit de quitter l'Autriche pour s'installer à Londres.
Stefan Zweig avait vu un an auparavant, le 10 mai 1933, les nazis brûler ses livres.

Les nazis en profitèrent également pour brûler les livres de Thomas Mann (1875-1955) de son frère Heinrich Mann (1871-1950), de Jakob Wassermann (1873-1934), de Arnold Zweig (1887-1968), de Erich Maria Remarque(1898-1970) et de bien d'autres comme Proust ou Zola.

Profondément affecté par la ruine de son idéal pacifique et l'ascension du fascisme, Zweig se donne la mort, avec sa femme le 22 février 1942.

5° LA POLITIQUE ISOLATIONNISTE DES ETATS-UNIS

Les Anglais et les Français ne sont pas les seuls à ne vouloir la guerre, c'est aussi le cas les Etats-Unis.
L'Amérique sent qu'un nouveau conflit se prépare à l'horizon européen.
Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) ne veut surtout pas participer à une guerre en Europe, d'ailleurs c'est là une des raisons expliquant sa réélection à la Maison Blanche.
Oui, car une des nombreuses promesses de Roosevelt est la neutralité des USA en cas d'un éventuel conflit en Europe.

Roosevelt déclarait notamment :

-« Nous ne sommes isolationnisme que dans la mesure où nous cherchons à nous isoler complètement de la guerre. »

-« Nous pouvons nous tenir à l'écart de la guerre, si les hommes chargés du gouvernement ont une intelligence assez précise des affaires internationales pour veiller à ce que les petites décisions quotidiennes secondaires en apparence, ne conduisent pas le pays vers la guerre ; et si, en même temps, ils ont le courage de dire non à ceux qui, par égoïsme ou par sottise, voudraient nous y entraîner. » (90)

Aux Etats-Unis, la loi Johnson de 1934 interdit tout nouveau prêt, pour l'avenir, aux gouvernements qui n'auraient pas rembourser leurs dettes.
En 1935, une loi de neutralité est votée, interdisant la vente d'armes, de munitions et d'engins de guerre à d'éventuels belligérants.
Evidemment, les retentissantes affirmations de neutralité des Etats-Unis dans un éventuel conflit ne pouvait qu'encourager le nazisme qui préparait sa grande offensive contre les démocraties.

D'ailleurs, Roosevelt l'admettra plus tard :

-« Notre embargo a fait le jeu des agresseurs. »

Samuel Eliot Morison, dans son ouvrage History of the American People, observa que :

-« Les lois américaines sur la neutralité ont donné aux forces de l'axe la certitude que, lorsqu'elles seraient prêtes à frapper, leurs victimes ne pourraient obtenir de l'Amérique les nécessaires moyens de guerre. »

6° LA DEMISSION DE DUFF COOPER

Seul le premier Lord de l'Amirauté, ancien secrétaire d'Etat à la guerre, Alfred Duff Cooper donna sa démission du cabinet Chamberlain, le 1er octobre 1938. (14)

Pendant la guerre, de 1940 à 1941, il occupera le poste de ministre de l'Information.
Il sera remplacé à ce poste, de 1941 à 1944, par Brendan Bracken.

En décembre 1943, Duff Cooper remplace Harold Macmillan (1894-1986) comme ambassadeur de Grande-Bretagne à Alger.
Quant à Macmillan, il deviendra Premier ministre de 1957 à 1963.

Le 13 septembre 1944, Duff Coopper sera nommé ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris.

Le général de Gaulle écrivit à son propos que :

-« Duff Cooper était un homme supérieur.
Beaucoup de dons lui étaient impartis.
Qu'il s'agit de la politique, d'histoire, de lettres, d'art, de science, il n'était rien qu'il ne comprît et qui ne l'intéressât.
Mais il apportait à tout une sorte de modération, peut-être de modestie, qui, en lui conférant leur charme, le détournaient de s'imposer.
Ses convictions, pourtant, étaient fortes ; ses principes, inébranlables ; toute sa carrière en avait témoigné.
Dans son pays et à une époque où les événements exigeaient que l'on prît les meilleurs, il eût pu être le Premier.
On peut penser qu'il en fut empêché par un trait de sa nature : le scrupule, et par un circonstance : la présence de Winston Churchill.
Mais, s'il n'était Premier Ministre à Londres, il devait être ambassadeur à Paris.
Humain, il aimait la France ; politique, il traitait les affaires avec une noble sérénité ; Britannique, il servait son roi sans détour.
Placé entre Churchill et moi, il prit à tâche d'amortir les chocs.
Il y réussit quelques fois.
S'il avait été possible qu'un homme y parvînt toujours, Duff Cooper eût été celui-là » (68)

Avant lui, le 20 février 1938, Sir Robert Anthony Eden (1897-1977) avait démissionné de son poste de ministre des Affaires étrangères du fait de la politique d'abandon de Chamberlain.
Il fut nommé à ce poste en 1935 par Sir Stanley Baldwin (1867-1947), Premier ministre de 1935 à 1937.
Il redeviendra ministre des Affaires étrangères de 1940 à 1945 et de 1951 à 1955.
Enfin de 1955 à 1957, Anthony Eden sera Premier ministre.
L'échec politique de l'intervention franco-britannique à Suez contraignit Eden à démissionner de son poste de Premier ministre en 1957.

Antony Eden écrivit ses souvenirs dans son ouvrage L'épreuve de force (Février 1938-Août 1945) aux éditions Plon.

7°L'AMBASSADEUR ANDRE FRANCOIS-PONCET (1887-1978)

Après la crise de Munich, André François-Poncet (1887-1978), alors ambassadeur de France à Berlin, demande à être envoyer à Rome.

Il nous en explique les raisons :

-«On s'est étonné, souvent, que j'aie quitté Berlin à cette époque, c'est-à-dire en un temps où j'avais acquis une certaine autorité dans la capitale du Reich, et même une certaine influence sur la personne d'Adolf Hitler.
Cette mutation de Berlin à Rome ne m'a pas été imposée.
Je l'ai souhaitée, je l'ai recherchée moi-même.
J'étais las, en effet, et comme saturé, du Troisième Reich, de l'atmosphère hallucinante qui m'entourait, de l'anxiété qui s'en dégageait.
Mais, surtout, dès le lendemain de l'accord de Munich, j'avais appris d'une source absolument sûre qu'Adolf Hitler, loin de se féliciter du succès qu'il venait d'obtenir, et qui lui livrait le pays des Sudètes, s'estimait victime de la ruse de ses partenaires, leur reprochait de l'avoir empêché de se saisir de la totalité de l'Etat tchécoslovaque et d'entrer à Prague.
J'avais cru remarquer, d'autre part, en observant le manège des deux hommes pendant que siégeait la conférence de Munich, que Mussolini exerçait sur son comparse un puissant ascendant.
Bien que l'un fût assis et l'autre debout, le Duce semblait dominer de haut le Führer, qui ne le quittait pas des yeux et qui ne parlait qu'après avoir recueilli, sur le visage mobile de son allié, les signes d'un assentiment préalable.
J'en avais conclu que Mussolini était, décidément, le seul homme capable, comme il venait d'en donner la preuve, de retenir Hitler sur la pente de la guerre, et la clef de la paix n'était plus à Berlin, mais à Rome. » (70)

Ce raisonnement de voir en Mussolini, un frein à la volonté d'expansion du troisième Reich est partagé par Matthieu Delaygue:

-"L'alliance entre les démocraties et Mussolini contre le nazisme était donc fort possibles avant le conflit de 1939.
Ce sont les erreurs de politiciens français qui poussèrent Mussolini à se rapprocher de Hitler." (276)

Il sera remplacé à Berlin par Robert Coulondre (1885- 6 mars 1959).
Ce dernier prend possession de ses fonctions le 24 novembre 1938.
Auparavant, il était depuis l'été 1936, ambassadeur à Moscou.

Il prononcera à Moscou une phrase prophétique:

-"Il ne faut pas se demander dans quelle mesure l'URSS sera avec nous, mais avec qui elle sera."

En 1940, il deviendra ambassadeur à Berne.
Coulondre écrira, en 1950, ses mémoires sous le titre De Staline à Hitler.

Hitler regretta le départ de François-Poncet de son ambassade de Berlin.

Ses propos recueillis par Martin Bormann (1900-1945) sont assez édifiants :

-« François-Poncet n'a pas voulu la guerre.
Les rapports qui datent de la fin de sa mission à Berlin sont à mes yeux sans valeur.
Les petites saletés qu'il a répandues sur mon compte n'ont eu d'autre but que de prouver à ses compatriotes qu'il n'était pas contaminé par nous.
S'il avait dit dans ses rapports ce qu'il pensait réellement, on l'eût aussitôt rappelé.
Dans tous ses rapports, il insistait sur la nécessité de suivre avec attention l'évolution de la situation en Allemagne.
Poncet est le plus spirituel des diplomates que j'ai connus _ y compris les Allemands bien entendus.
Je ne me serais pas risqué de parler littérature allemande avec lui, car je me fusse déconsidéré.
Lorsqu'il prit congé de moi au Gralsburg, il était très ému.
Il me dit qu'il avait fait tous ce qui était humainement possible ; mais à Paris on le considérait comme acquis à notre cause.
Les Français sont un peuple très intelligent, a-il ajouté.
Il n'est pas un Français qui ne croie à ma place, il ferait mieux que moi. » (72)

Martin Bormann fut chef de la chancellerie du Reich en 1941 et l'exécuteur testamentaire de Hitler.

William Shirer écrivit que :

-« François-Poncet continua à être en bien meilleurs termes avec Hitler que n'importe quel représentant d'un Etat démocratique. » (14)

Malgré toute la sympathie qu'Hitler avait pour François-Poncet, ce dernier fut arrêté dans la nuit du 10 au juin 1943 et transféré en Allemagne début septembre 1943. (257)
Il est vrai qu'Hitler n'avait probablement pas apprécié le fait que François-Poncet voit en lui un extraordinaire sujet d'études psychologiques et psychiatriques. (181)
Après la défaite de 1940, François-Poncet avait fait le choix judicieux de démissionner de ses fonctions.
En 1949, François-Poncet deviendra Haut-commissaire en Allemagne.
Le 22 janvier 1953, Il devient membre de l'Académie française.
Il est élu au fauteuil de Pétain dont le fauteuil était resté vacant de sa condamnation en 1945 à sa mort le 23 juillet 1951. (208)
De 1953 à 1955, Il retrouvera son ambassade, mais non bien sur à Berlin, mais à Bonn.
En 1946, il écrivit ses Souvenirs d'une ambassade à Berlin.

8° RENCONTRE DU 6 DECEMBRE 1938

Le 6 décembre 1938, Joachin von Ribbentrop (1883-1946), ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne depuis le 4 février 1938, rencontre Bonnet à Paris.

Après avoir fait un tour d'horizon de la situation politique, les deux ministres signent la déclaration suivante :

-1° Le Gouvernement français et le Gouvernement allemand partagent la conviction que les relations pacifiques et de bon voisinage entre la France et l'Allemagne constituent l'un des éléments essentiels de la consolidation de la situation en Europe et du maintien de la paix générale.
Les deux gouvernements s'emploieront en conséquence de toutes leurs forces à assurer, dans ce sens, le développement des relations entre leurs pays.

-2° Les deux gouvernements constatent qu'aucune question d'ordre territorial ne reste en suspens entre leurs pays et ils reconnaissent solennellement comme définitive la frontière telle qu'elle est actuellement tracée.

-3° Les deux gouvernements sont résolus, sous réserve de leurs relations particulières avec des puissances tierces, à demeurer en contact pour toutes les questions intéressant leurs deux pays et à se consulter mutuellement, au cas où l'évolution ultérieure de ces questions risquerait de conduire à des difficultés internationales.

Le même jour, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) rencontre Pierre Laval (1883-1945).

Ce dernier lui décrit sa vision des relations franco-allemandes :

-« Je vois bien que l'Allemagne travaille d'arrache pied à se doter d'une aviation écrasante, d'une armée immense.
Je constate que toute son économie est tendue vers cette tâche, que le chancelier Hitler a précisé dans un de ses discours à Nuremberg : rendre le pays invulnérable au blocus.
C'est la conduite d'une nation qui se prépare pour une épreuve de force, pour un conflit européen.
Refuser de voir cela, ce serait se duper et duper son pays.
Echangeons des toasts, c'est fort bien.
Mais ne nous fions pas trop à un second Locarno, venant de ceux mêmes qui ont déchiré le premier Locarno. » (28)

Au lieu de calmer les esprits, l'accord de Paris ne fait qu'accentuer la crise.

Il suffit d'écouter Ribbentrop pour le comprendre :

-« En décembre 1938, je signai avec Bonnet le pacte franco-allemand de non-agression qui impliquait le désintéressement français à l'égard de son système d'alliances orientales. »

Le 1er juillet 1939, Bonnet reçoit l'ambassadeur d'Allemagne Welczeck et lui signale que :

-« La déclaration franco-allemande ne peut être considérée comme de nature à affecter les relations particulières de la France avec les pays de l'est européen. »

Le 13 juillet 1939, Ribbentrop répond :

-« C'est inexact.
J'ai fait remarquer expressément que l'Europe orientale constituait une sphère d'intérêts allemands. »

Le 21 juillet 1939, Bonnet écrit à Ribbentrop :

-« A aucun moment, ni avant, ni après la déclaration du 6 décembre, il n'a été possible pour le Gouvernement allemand de penser que la France avait décidé de se désintéresser de l'est de l'Europe. »

Mais l'URSS interpréta l'accord Ribbentrop-Bonnet de la même manière que les nazis.
Les Soviétiques pensaient que cet accord laissait à Hitler les mains-libres à l'est.

Début 1939, lors d'un banquet à Moscou, donné en l'honneur de Joukov, qui venait de battre les Japonais lors de la bataille de Khaltine-Gôl, Staline révéla à Joukov que :

-« Nous ne permettrons pas que l'URSS soit entraînée dans un conflit par des bellicistes qui ont l'habitude de se servir des autres pour tirer les marrons du feu. » (75)

9°JOACHIN VON RIBBENTROP (1893-1946)

Ribbentrop est l'un des principaux héros de notre histoire.
Pour mieux le connaître, nous allons voir les témoignages des principaux acteurs de cette époque mouvementée.

Avant d'avoir succédé au poste de ministre des Affaires étrangères au Baron Konstantin von Neurath, Ribbentrop fut à partir d'août 1936, ambassadeur à Londres.

Neurath est né en 1873.
Il resta au poste de ministre des Affaires étrangères de 1932 à 1938.
Le 15 mars 1939, l'Allemagne fit de la Slovaquie un état indépendant sous la tutelle allemande et de la Bohême-Moravie un protectorat.
Le 16 mars 1939, Neurath est nommé Protecteur de la Bohême-Moravie.
Condamné lors du procès de Nuremberg à quinze ans de prison, il fut gracié en 1954 et mourut en 1956.

Hermann Goering (1893-1946) dira à propos de Ribbentrop :

-« Quand j'ai allégué que Ribbentrop ne possédait pas les aptitudes nécessaires pour traiter les problèmes britanniques, le Führer me fit observer que Ribbentrop connaissait Lord ceci et cela ou tel ministre.
A quoi je répondis : « Oui, mais l'ennui c'est qu'eux aussi connaissent Ribbentrop ! » (14)

Le 29 juin 2002, le quotidien britannique The Guardian (fondé en 1821) publia des extraits de rapports du FBI, établissant que Wallis Simpson, la duchesse de Windsor (1896-1986) aurait été la maîtresse de Ribbentrop.

Selon Jean-François Deniau :

-« Ce n'est parce que Mrs Simpson est divorcée que l'archevêque de Cantorbéry et Lord Salisbury provoquent l'abdication d'Edouard VIII, c'est parce que Mrs Simpson est un agent allemand. » (269)

Présenté au roi Georges VI (1995-1952), Ribbentrop commis sa plus belle gaffe, en faisant retentir un :

- « Heil Hitler.» (15)

La description de Ramon Serrano Sunner, beau-frère de Franco (il a épousé la s½ur de la femme de Franco) et ministre des Affaires étrangères du 16 octobre 1940 au 3 septembre 1942, est aussi assez négative :

-« Il m'apparut comme assez peu sympathique, et je crois bien que c'est l'effet qu'il fit sur tous les hommes politiques qui eurent à traiter avec lui.
Quoiqu'il eût bonne figure, il n'était ni élégant ni distingué, et cela, à mon avis, pour la même raison qui empêchait qu'on le trouvât intelligent ou humain, à savoir qu'il était gonflé d'affectation.
Il y avait dans sa personne je ne sais quoi de gauche qui pouvait ressembler à la raideur, au flegme ou à l'hermétisme d'un diplomate qui se serait délibérément composé ce visage.
Il était difficile de rencontrer chez lui le joint par lequel eût pu s'établir un jeu de relations sincères.
Pour ma part, en tout cas, et malgré sa constante courtoisie envers moi, je ne réussis point à le découvrir.
Il montrait une espèce de vanité engoncée à laquelle on se heurtait immanquablement.
A la différence de la raideur prussienne, qui n'est peut-être pas agréable, mais qui est une manière d'être spontanée, la sienne semblait recherchée et voulu.
Jamais je n'ai pu m'expliquer la fortune politique de cet homme. » (17)

Sunner était un phénomène.
Après la victoire de son beau-frère, Franco, il fut à la fois ministre de l'intérieur, de la presse et de la propagande, puis comme on vient de le voir, ministre des affaires étrangères.
Avec lui, la ligne belliciste triompha : pathologiquement francophobe, ultra-germanophile, il incarna la politique favorable à l'intervention aux côtés de l'axe.
Lorsque l'Espagne eut choisit le camp des alliés, Sunner perdit ses ministères.

Quant à celle de André François-Poncet, elle ne manque pas de piquant :

-« Hitler le considère comme un homme très remarquable.
En réalité, c'est surtout un courtisan qui flatte son maître et a pris pour règle de toujours abonder dans son sens, plein de vanité, d'arrogance et de sottise ; mais de lui non plus, aucune incartade, aucune opposition n'est à redouter ; il est jeune, il a de l'audace, il ira de l'avant, là où Hitler veut aller, et il saura nettoyer, lui aussi, les services de la Wilhemstrasse (rue de Berlin où se trouvait le ministère des Affaires étrangères) des éléments dont le zèle est douteux. » (65)

Ribbentrop était tout sauf un diplomate, les exemples le démontrant sont nombreux.

Pour William Shirer, Ribbentrop était vaniteux, totalement dépourvu de tact, frivole et trop complaisant. (14)

Le 30 août 1939, l'ambassadeur Neville Henderson rencontre Ribbentrop :

-« Je déclarai à von Ribbentrop que le gouvernement de Sa majesté désirait une négociation sincère et loyale.
En guise de réponse, Ribbentrop produisit un document assez long, rédigé en allemand qu'il me lut à toute vitesse.
Je ne pus comprendre qu'une petite partie.
Comme je lui demandais une copie du texte afin de le transmettre à Londres, il refusa.
Je fus stupéfait : les usages diplomatiques et la courtoisie la plus élémentaire exigeraient la communication écrite de toute proposition nouvelle.
Mais Ribbentrop n'était décidément ni diplomate, ni courtois. » (15)

Le 29 mars et le 5 avril 1941, Yosuki Matsuoka, ministre japonais des Affaires étrangères, rencontre Ribbentrop.

Ce dernier fera preuve d'une indiscrétion inconcevable pour un diplomate puisqu'il dévoila au ministre japonais l'opération Barbarossa :

-« La plus grande partie de l'armée allemande se trouvait échelonnée sur la frontière est du Reich, prête à déclencher l'attaque quel moment...
La situation est telle qu'il fallait considérer l'éventualité d'un conflit comme possible, sinon probable. »

L'opération Barbarossa (Barberousse en français) est le nom de code que Hitler, par allusion aux conquêtes de l'empereur germanique Frédéric Ier (1122-1190), donna à l'invasion de l'U.R.S.S. le 22 juin 1941.

Tandis que Frédéric Ier s'est noyé en Cilicie durant la 3ème croisade, Hitler s'est noyé dans les immenses plaines de russie.

La première chose que va faire Matsuoka après ces révélations est d'aller à Moscou pour signer le pacte nippo-soviétique de non-agression. (17)
Ce pacte sera respecté jusqu'au 8 août 1945, jour où l'URSS déclara la guerre au Japon.

Le gendre de Mussolini, Galeazzo Ciano, comte de Cortellazo (1903-1944), ministre des Affaires étrangères du 9 juin 1936 au 5 février 1943, le décrit dans son journal comme vaniteux, frivole et bavard.

Il ajoute ensuite :

-« Le duce dit qu'il suffit de regarder sa tête pour voir qu'il a peu de cervelle. » (14)

Ciano, comme son beau-père Mussolini (il a épousé sa fille Edda, 1910-1995), finira mal.
Il fut fusillé le 11 janvier 1944.
Son Journal politique 1939-1943 paru en 1948 aux Editions de la Bacconière.

Dans ses mémoires, Albert Speer (1905-1981) raconte que pour le cinquantième anniversaire de Ribbentrop en 1943, plusieurs de ses proches collaborateurs lui offrirent un magnifique coffret orné de pierres précieuses, qu'ils voulurent remplir des photocopies de tous les traités et accords conclu par le ministre des Affaires étrangères. (186)

-« Lorsque nous avons voulu remplir le coffret, déclara au dîner l'ambassadeur Walter Hewel (1904-1945), l'homme de liaison de Ribbentrop auprès de Hitler, nous avons été embarrassés.
Il subsistait peu de traités que nous n'ayons pas violés entre-temps » (186)

Albert Speer était inscrit au parti nazi dès 1931.
Il devint ministre de l'Armement en 1942
Il fut condamné à vingt ans de prison par le tribunal de Nuremberg.

Jacques Doriot, de son exil allemand qui sera très court, puisqu'il meurt mystérieusement le 22 février 1945, jugea avec hargne Ribbentrop :

-« Le Talleyrand du Nazisme, en ce sens qu'il le trahit, mais au contraire de Talleyrand, trahit naturellement par sottise. » (52)

Après le suicide de Hitler, le 30 avril 1945, Karl Doenitz (1891-1980) prend sa succession.

Karl Dönitz fut nommé en 1935 commandant des forces sous-marines, et en 1943 commandant suprême de la flotte.

Selon Heydecker et Leeb, Ribbentrop se rend auprès de Donitz et lui offre son aide :

- Comme je connais fort bien toutes les personnalités qualifiées pour ce poste, je suis bien placé pour vous trouver cet oiseau rare.
Demain matin, je vous soumettrai mes suggestions.

Le lendemain, il déclare :

-Après avoir mûrement réfléchi, je suis arrivé à la conclusion que le meilleur ministre des Affaires étrangères, ce serait moi-même.

L'Amiral Donitz, dans ses mémoires Dix ans et vingt jours, publié en 1959, raconte la même histoire, mais d'une façon plus nuancée :

-« Il me parut particulièrement urgent, en vue de mes prochaines tâches politiques, de m procurer un conseiller n'ayant pas participé à la politique extérieure des dernières années.
Je désirais prendre comme ministre des Affaires étrangères et premier ministre, le baron von Neurath que je connaissais personnellement depuis 1915.
En conséquence, je chargeai mon aide de camp, Ludde-Neurath, à cet effet, téléphona à M.von Ribbentrop qui séjournait au voisinage de Plon.
Il en résultat que celui-ci vint me trouver en vue de m'exposer qu'il était le plus qualifié pour occuper ces fonctions, que les anglais accepteraient volontiers de négocier avec lui.
Je déclinai cette suggestion. » (117)

Donitz n'arrivant pas à entrer en contact avec von Neurath, il choisit de nommer comme ministre des Affaires étrangères, le comte Johan Ludwig Graf Schwerin von Krosigk (1887-1977).
Celui-ci était déjà ministre des Finances.
Ce gouvernement resta en fonction jusqu'au 22 mai 1945.

Donitz fut arrêté puis ensuite condamné à Nuremberg en 1946.
Il fut libéré en 1956.

Lors du procès de Nuremberg, le procureur anglais, Sir Maxvell-Fyle demande à Ribbentrop s'il existe d'autre pression sur un pays qu'une menace militaire.

Ribbentrop répond à l'étonnement général :

-« La guerre par exemple. » (232)

10°L'INVASION DU RESTANT DE LA TCHECOSLOVAQUIE

Le 15 mars 1939, l'Allemagne envahit de ce qui restait de la Tchécoslovaquie.

Le lendemain, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) se rend à Prague.

Il y rencontra des officiers dont les témoignages indiquent les faiblesses militaires de l'armée allemande :

- « Ah, monsieur, quel miracle de notre Hitler de nous avoir donné tout cela en vingt-quatre heures !
Des tanks superbes, meilleurs que les nôtres, et tellement nombreux.
Nous avons gagné l'équivalent d'une année de travail de nos usines.
Oui, sans avoir à combattre, heureusement !

Ils racontèrent ensuite la marche de l'invasion :

-Nos camions n'étaient point bâchés, et nous prenions la tempête sur nos épaules.
Nos capotes, d'une étoffe mélangée de laine synthétique, n'arrêtaient ni le froid ni l'humidité.
Nous suffoquions littéralement de froid.
Combien de fois je me suis dit : s'il y avait dans ce petit bois une seule compagnie ennemi, nous serions perdu !
Mais heureusement , les troupes étaient cantonnées dans leurs casernes.
Pensez donc, ils avaient les montagnes, les fortifications, les armements, l'alliance français, et puis voici que nous avons tout pour rien...
Après cela, la Pologne, ce ne sera rien.
Pas de montagnes, pas de fortifications, un pays ouvert.
Et puis moins armé. » (28)

Le même jour à Prague, Karl Edrich Muller, un des administrateurs de la Reichsbank pénètre dans la Banque nationale de Tchécoslovaquie et ordonne au directeur général de la banque, Joseph Malik, de lui remettre son stock d'or, correspondant à la somme de six millions des livres..
Mais Malik ne peut lui remettre cet or car celui ci se trouve dans les chambres fortes de la Banque d'Angleterre depuis novembre 1938.
Montagu Norman, président de la Banque d'Angleterre, et Sir Otto Niemeyer préfèrent, avant de donner l'or aux Allemands, consulter le chancelier de l'Echiquier, Sir John Simon.
Ce dernier respectant la politique anglaise de non-provocation envers Hitler, laisse effectuer la transaction. (125)

Churchill commentera ce nouveau faux pas de la diplomatie anglaise d'une façon particulièrement mordante :

-« Voici que nous poussons nos compatriotes à s'engager, à se soumettre à de nouvelles formes de sujétion militaire ; voici que nous acceptons de payer des impôts sur une échelle gigantesque afin d'assurer notre protection.
Mais si, au même moment, le mécanisme de notre gouvernement se révèle faussé au point de laisser transférer six millions de livres sterling d'or au gouvernement de l'Allemagne nazie, qui n'a d'autre désir, qui n'a d'autre but que s'en servir, comme, d'ailleurs de la totalité de ses devises étrangères, pour accroître ses armements...
C'est la négation absolue des efforts prodigués dans toutes les classes, dans toutes les cellules de la population pour assurer la défense de la nation et le ralliement des forces vives du pays. » (125)

Le 16 mars 1939, Robert Coulondre dans une lettre adressée de Berlin à Georges Bonnet écrivait :

-« Les accords de Munich n'ont donc été qu'un moyen de désarmer la Tchécoslovaquie avant de l'annexer. » (92)

D'avril en août 1939, se déroulent des négociations entre la Grande-Bretagne, la France et l'URSS.
Pour limiter l'expansion allemande, Arthur Neville Chamberlain (1869-1940) prend le 29 mars 1939 l'engagement de défendre la Pologne, plus précisément de la soutenir contre toute action qui menacerait l'indépendance polonaise et contre laquelle le gouvernement polonais considérerait comme vital de résister. (22)

Mais sans alliance avec l'Union soviétique, cet engagement risque de rester des v½ux pieux.
L'URSS se méfie des Anglais et des Français à cause de Munich.

Dans leur ouvrage Adolf Hitler, Gorlitz et Quint indiquent que :

-« Depuis la conférence de Munich, Staline n'attendaient plus rien des puissances occidentales qui ne pouvaient plus lui apporter d'assistance au cas d'une éventuelle agression allemande. » (181)

Quand aux Anglais, Chamberlain avait une profonde prévention à l'égard de la Russie soviétique et Halifax ne l'aimait pas non plus, pour des raisons religieuses. (22)

Quant aux Polonais, ils ne veulent surtout pas d'alliance avec la Russie.

Dans une lettre en date du 26 mars 1939, Chamberlain écrivit :

-« Je dois avouer que j'éprouve une méfiance très profonde à l'égard de la Russie.
Je ne crois absolument pas qu'elle soit capable, le voudrait-elle de soutenir une véritable offensive.
Et je me méfie de ses mobiles...
De plus, elle attire à la fois la haine et les soupçons d'un grand nombre de petites puissances, notamment de la Pologne, de la Roumanie et de la Finlande. » (14)

Le 31 mars 1939, Chamberlain déclarait à la chambre :

-« Dans le cadre d'une action quelconque, mettant nettement en danger l'indépendance polonaise et à laquelle le gouvernement polonais estimerait de son intérêt vital de résister avec ses forces nationales, le gouvernement de sa Majesté se considérait comme tenu de soutenir immédiatement, par tous les moyens, le gouvernement polonais. » (92)

Le colonel Jozef Beck (1894-1944), ministres des affaires étrangères de la Pologne, mettra en garde un haut fonctionnaire de Foreign Office, William Strang, contre le manque de sincérité de la Russie soviétique.
Beck était sceptique quand à la possibilité, dans ces pourparlers, d'aboutir à un résultat positif quelconque et il refusa d'y participer. (17)

Ce même Beck demandera, en 1937, à Yvon Delbos (1885-1956), ministre des affaires étrangères, son accord pour faire déporter tous les juifs polonais à Madagascar.

Les négociations sont uniquement possibles à deux conditions :

- Aborder les thèmes des pays Baltes et de la Bessarabie
- Accepter l'entrée des troupes soviétique pour défendre la Pologne.

Churchill lancera des appels pressants aux négociateurs :

-« La pire folie, que nous ne devons commettre à aucun prix, consisterait à avoir peur et à refuser toute collaboration naturelle que la Russie soviétique, dans son propre intérêt, juge nécessaire de nous offrir. » (17)

Le 10 mars 1939, Staline prononça un discours lors de la première session du dix-huitième congrès du parti à Moscou où il constatait que la faiblesse des puissances démocratiques se traduisait par le fait qu'elles abandonnaient le principe de la sécurité collective pour se tourner vers une politique de non-intervention et de neutralité.
Staline accusa les occidentaux de repousser les Allemands vers l'est en leur faisant miroiter une proie facile. (14)

Joseph E.Davies, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Moscou, et à l'époque en poste à Bruxelles, écrivit dans son journal en date du 11 mars, à propos du discours de Staline :

-« C'est une déclaration très significative.
Elle porte la marque d'un net avertissement aux gouvernements français et britannique que les soviets commencent à se lasser de l'opposition non réaliste aux pays agresseurs.
Cela est vraiment de très mauvais augure pour les négociations entre le Foreign office et l'Union soviétique. » (14)

Le 11 mars, ce diplomate américain écrivit au sénateur Key Pitmann sa vision de l'avenir diplomatique des alliés face à l'URSS :

-« Hitler fait un effort désespéré pour séparer Staline de la France et de la Grande-Bretagne.
A moins d'un réveil des anglais et des Français, je crains fort qu'il réussisse. » (14)

Le 1er avril 1939, le général Franz Halder déclara à l'Amiral Wilhem Canaris que :

-« La conclusion d'un pacte anglo-Russe est maintenant le seul moyen de stopper Hitler.
C'est l'opinion de Keitel et de Brauchitsch.
Ils croient que Hitler peut aller de l'avant aussi longtemps que les Russes et les Anglais ne seront pas alliés.
Il renoncera à bouger si les Russes se tournent contre nous. » (92)

Le 3 avril 1939, quatre jours après l'annonce de la garantie unilatérale accordée à la Pologne, David Lloyd Georges (1863-1946), qui fut Premier ministre de 1916 à 1922, prononça une attaque violente contre Chamberlain, insistant sur le fait que, tout comme en 1914, les puissances occidentales ne pouvaient combattre l'Allemagne sans l'appui de la Russie :

-« Si nous nous engageons sans le soutien de la Russie, nous nous dirigeons droit vers un piège.
C'est le seul pays dont les armées puissent parvenir en Pologne...
Je ne comprends pas pourquoi, avant de nous engager dans une aussi formidable entreprise, nous ne nous sommes pas assuré au préalable l'adhésion de la Russie...
Si la Russie a été maintenue à l'écart parce que les Polonais ont le sentiment qu'ils ne veulent pas des Russes chez eux, c'est à nous de poser nos conditions, et à moins que les Polonais n'acceptent les seules conditions qui nous permettrons de leur apporter une aide efficace, c'est sur eux que retombera la responsabilité. » (14)

Chamberlain chercha à réfuter l'analogie :

-« A ce moment-là, la Russie et l'Allemagne avaient une frontière commune et la Pologne n'existait pas.
Il est satisfaisant de croire que, si une guerre éclatait, il existe une grande nation virile aux frontières allemandes qui, en vertu d'un accord, nous donnera toute aide et assistance en son pouvoir.
La participation directe de l'Union soviétique n'est pas désirée par les pays au bénéfice ou à la demande desquels ces arrangements ont été conclus. »

Au cours de la même discussion, Churchill demanda que le gouvernement conclût un pacte avec la Russie « dans la forme large et simple proposée par le gouvernement soviétique.
Si vous êtes prêts, continua Churchill, à être l'allié de la Russie en temps de guerre, pourquoi reculer à devenir son allié dès maintenant, si ce simple fait peut empêcher la guerre d'éclater.
Je ne puis comprendre tous ces raffinements et détours diplomatique. » (13)

Pour le ministre des affaires étrangères britannique, Edward Frederick Lindleywood, comte de Halifax (1881-1959) :

-« Le gouvernement ne partageait pas, à l'égard de l'Union soviétique, l'optimisme de M.Churchill, ni les illusions de l'opposition labouriste (parti travailliste ou Labour Party, parti fondé en 1893).
Il croyait avoir remarqué que la Russie était réticente, qu'elle poursuivait ses propres voies, et qu'elle ne témoignait d'aucune hâte pour accepter les formules d'assistance qu'on lui proposait.
Le gouvernement britannique était en outre obligé de tenir compte des objections que faisaient la Pologne et, à un degré moindre, la Roumanie.
Il comprenait que ces deux pays limitrophes voulaient se tenir à l'écart d'une politique qui les exposait à un danger par trop certain.
Mais il était décidé à vaincre toutes les difficultés, car l'appui de la Russie était indispensable afin de tenir en échec les ambitions effrénées de l'Allemagne. » (17)

Halifax fut vice-roi des Indes de 1925 à 1931 puis ministre des Affaires étrangères de la Grande Bretagne de 1938 à 1940.
Ensuite, il fut, de 1941 à 1946, ambassadeur de Grande-Bretagne aux Etats-Unis.

Mais la Pologne ne veut pas en cas d'attaque allemande que les Russes puissent pénétrer sur leur territoire.

Le chef de l'armée polonaise, le maréchal Edward Rydz-Smigly (1886-1944) fit une remarque, toute symbolique, indiquant que de choisir entre les Russes ou l'Allemagne, c'est choisir entre la peste et le choléra :

-« Avec les Allemands, nous risquons de perdre notre liberté, avec les Russes nous perdrions notre âme. » (17)

Début 1939, Hitler commence à vouloir renouer des liens avec les Soviétiques.

Walter Gorlitz et Herbert Quint nous précise qu' :

-«Un observateur attentif aurait pu remarquer que Hitler ne parlait plus jamais de l'Union soviétique dans ses discours, alors qu'il n'avait cessé, de 1936 à 1939, de la signaler comme la perturbatrice de la paix.
En recevant le corps diplomatique, le 1er janvier 1939, il avait entouré d'attentions inhabituelles l'ambassadeur soviétique Merekalov. » (181)

Le 7 avril 1939, Peter Kleist reçoit un coup de téléphone de Ribbentrop :

- « Connaissez-vous personnellement les diplomates de l'ambassade soviétique à Berlin ?

- Non, répond Kleist, d'autant surpris que son chef lui avait prescrit jusque-là d'éviter tout contact avec eux.

- Veuillez améliorer vos relations avec ses messieurs. » (76)

Peu de temps après, Kleist rencontre le chargé d'affaires soviétique Astakhov.
Astakhov expose alors avec une clarté qui ne laisse rien à désirer, qu'il est stupide de la part d'Allemagne et de l'Union soviétique de se combattre pour des coupages de cheveux en quatre sur des questions idéologiques au lieu de faire ensemble de la grande politique. (76)

-Astakhov Un homme d'Etat doit savoir faire abstraction de tout, même de son ombre.
Décidons-nous donc à mener une politique commune, au lieu de nous heurter mutuellement de front, pour le profit de troisièmes larrons.

- Kleist Mais ce que vous appelez le coupage de cheveux en quatre correspond à des réalités.
Celles-ci constituent un obstacle sérieux à tout rapprochement...

- Astakhov Jamais de la vie.
Staline et Hitler créent eux mêmes ces réalités.
Ils ne se laissent pas dominer par elle. (76)

Le 16 avril 1939, Goering rencontre à Rome, Mussolini.
La discussion tourne notamment à propos des relations entre les puissances de l'Axe et de l'URSS.

Mussolini était plutôt favorable à un rapprochement avec l'Union soviétique :

-« Ce qu'il faudrait, ce serait persuader la Russie de réagir défavorablement et sans empressement aucun aux effort britanniques d'encerclement, dans l'esprit du discours de Staline.
De plus, dans leur lutte idéologique contre la ploutocratie et le capitalisme, les puissances de l'Axe ont, dans une certaine mesure, les mêmes objectifs que le régime russe. »

Ce même jour, Litvinov reçut l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Moscou pour lui proposer un triple pacte d'assistance mutuelle entre la Grande-Bretagne, la France, et l'Union soviétique.
Une fois de plus, c'est un échec pour Litvinov.

Dès le lendemain, les Soviétiques tirent les conséquences de cet événement.

En effet, le 17 avril 1939, Alexei Merekalov rencontre le baron Ernst von Weizsaecker, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères.

Merekalov désire en savoir plus sur le sort qui serait réservé par l'Allemagne aux commandes de matériels de guerre de guerre passées par son gouvernement aux usines Skoda de Pilsen (Plzen en allemand Pilsen est une ville de la République Tchèque).
Mais bien sur, il en profita pour mettre sur le tapis la question des relations germano-soviétiques.

Weizsaecker va nous commenter cette visite:

-« L'ambassadeur s'exprima à peu près en ces termes :
La politique russe a toujours suivi une ligne droite.
Les divergences idéologiques ont eu très peu de répercussions néfastes sur les relations avec la Russie et l'Italie et il ne faut pas non plus qu'elles troublent les relations avec l'Allemagne.
La Russie n'a pas exploité contre nous la friction qui règne actuellement entre l'Allemagne et les démocraties occidentales, et elle n'en a aucun désir.
La Russie, quant à elle, ne voit aucune raison de ne pas observer une attitude normale vis-à-vis de nous, et des relations normales sont susceptibles de se transformer en liens toujours plus étroits.
C'est sur cette remarque, vers laquelle il avait constamment orienté l'entretien, que M. Merekalov mit un terme à ses propos.
Il a l'intention de se rendre à Moscou d'ici un jour ou deux. »

11°LE LIMOGEAGE DE LITVINOV

Le 3 mai 1939, Litvinov est remplacé par Molotov (1890-1986).

Tout les hommes politiques de l'époque ou les historiens sont d'accord pour admettre que le renvoi de Litvinov implique que Staline désire faire un signal fort, un appel à Hitler.

Ce changement était pour Staline indispensable, car Litvinov étant juif, né dans le ghetto de Bialystok en Pologne et de plus marié avec une anglaise, la fille de l'historien Sidney Low, une négociation avec l'Allemagne nazie aurait été impossible du fait de la politique antisémite allemande et du fait que Ribbentrop détestait les Anglais après son échec en tant qu'ambassadeur à Londres.

Peu de temps avant sa révocation, l'ambassadeur d'Italie à Berlin, Attolico rencontra Goering.
La conversation concerna notamment une entente soviéto-allemande.

Goering lui donna alors son point de vue :

-« Je ne dis pas non.
Mais je ne vois vraiment pas comment le Führer pourrait recevoir au Berghof le juif Litvinov. » (76)

Dès le 4 mai 1939, le chargé d'affaire allemand à Moscou envoie sont rapport à Berlin :

-« Ce changement brusque a causé ici la plus grande surprise, car Litvinov était au c½ur des négociations avec la délégation britannique et se trouvait tout à côté de Staline à la revue du 1er mai.
Puisque, le 2 mai encore, Litvinov recevait l'ambassadeur de Grande-Bretagne et qu'il a même été cité hier dans la presse comme l'hôte d'honneur de Staline à la revue, il semble que son renvoi soit dû à une décision spontanée de Staline.
Au dernier congrès du parti, Staline recommanda la prudence, de peur que l'Union Soviétique ne soit entraînée dans un conflit.
Molotov, qui n'est pas juif, a la réputation d'être l'amie le plus intime et le plus proche collaborateur de Staline.
Sa nomination tend manifestement à fournir l'assurance que la politique étrangère de se conformera étroitement aux principes posés par Staline. »

Dans son ouvrage La deuxième guerre mondiale, Winston Churchill (1874-1965) analyse toute l'importance de ce changement :

-« Litvinov, ce juif éminent, en butte à l'animosité des Allemands, fut rejeté comme un outil hors d'usage et, sans qu'on lui permît un mot d'explication.
Molotov, peu connu en dehors de la Russie devint commissaire du peuple aux Affaires étrangères, en liaison étroite avec Staline.
En fait, il avait toujours été favorable à un accord avec Hitler.
Le renvoi de Litvinov marqua la fin d'une époque.
Il indiquait que le Kremlin cessait d'avoir confiance dans un pacte de sécurité avec les puissances occidentales.
Litvinov parti, c'était là une concession majeure faite aux prétentions de Hitler.
Le 19 août 1939, Staline annonça au Politburo son intention de signer un pacte avec l'Allemagne.
Nous possédons aujourd'hui les détails de cette transaction qu'il ne faudra jamais oublier..
Seul un régime de despotisme totalitaire, comme celui qui existait dans chacun des deux pays, était capable de supporter la réprobation qu'inspirait un acte aussi anormal.
On se demande qui, de Hitler ou de Staline, avait le plus d'horreur pour le traité qui venait d'être conclu.
Tous deux n'ignoraient pas qu'il ne s'agissait en l'occurrence que d'un expédient temporaire...
La sinistre nouvelle éclata dans le monde comme une bombe.
Vingt deux mois seulement allait s'écouler avant que Staline et les millions d'êtres qui composent la nation russe paient ce pacte d'un prix terrible.
Quand un gouvernement est dépourvu de toute scrupule, il semble obtenir par là de grands avantages et une grande liberté d'action. » (26)

William Shirer va maintenant nous expliquer la logique stalinienne de ce renvoi :

-« La signification du brusque renvoi de Litvinov était claire pour tous.
Elle traduisait un changement brutal et violent de la politique étrangère soviétique.
Litvinov avait été le grand apôtre de la sécurité collective, du renforcement des pouvoirs de la Société des Nations et il avait cherché la sécurité russe en face de l'Allemagne nazie dans une alliance militaire avec la Grande-Bretagne et la France.
Les hésitations de Chamberlain à l'égard de cette alliance furent fatales au commissaire aux Affaires étrangères russe.
Selon Staline (et son jugement était le seul qui comptât à Moscou) les méthodes de Litvinov avaient échoué.
Bien plus, elles menaçaient de fourvoyer l'Union soviétique dans une guerre contre l'Allemagne, alors que la Grande-Bretagne pourrait bien parvenir à se maintenir hors du conflit. » (14)

Pour Isaac Deutscher :

-« Vers la fin d'avril, Staline devient optimiste quant à ses chances d'entente avec l'Allemagne, sans oser cependant encore procéder à une rupture avec la France et la Grande-Bretagne.
Le 3 mai, il renvoya Litvinov, en tant que juif et représentant de l'orientation occidentale, pour le remplacer aux Affaires étrangères par Molotov, bolchevique autochtone, qui, comme aryen, était plus apte à poursuivre d'éventuelles négociations avec les nazis.
Il convient d'ajouter qu'il lui faisait également plus confiance qu'à Litvinov.» (13)

Pour Sir Basil H.Liddel Hart (1895-1970) :

-« Le 3 mai, l'annonce que Litvinov, le commissaire soviétique aux Affaires étrangères, avaient été libéré de ses fonctions, constitua un avertissement que seuls les aveugles pouvaient ignorer.
Litvinov était depuis longtemps le principal avocat de la coopération avec les puissances occidentales dans la lutte contre l'Allemagne nazie.
Il fut remplacé par Molotov, dont on disait qu'il préférait avoir affaire avec les dictateurs plutôt qu'avec des démocraties libérales.» (22)

Selon Pierre Comert qui fut le chef du service de presse des Affaires étrangères, sous Georges Bonnet :

-« Litvinov était pour la coopération avec la France et l'Angleterre.
Il jouait sur cette politique toute sa carrière, sa vie peut-être même.
Après Munich, Litvinov disparut, et ce fut, à Moscou, la fin de la politique d'entente entre la France et la Russie. » (103)

Selon Georges-André Chevallaz :

-« Le limogeage de Litvinov, le 3 mai, ne facilite-t-il pas les négociations avec l'Allemagne ?
Litvinov, israélite, n'a-t-il pas été l'homme de la Société des Nations, de la sécurité collective, du rapprochement avec les démocraties d'Occident ? » (111)

-« Sans doute les représentants diplomatiques de l'URSS annoncèrent-ils que cette mutation n'entraînait aucune modification dans la politique étrangère du gouvernement soviétique ; la radio moscovite confirma la continuation de la politique de sécurité collectif.
Pourtant, diverses rumeurs en provenance de Russie eussent dû inviter les démocraties occidentales à des décisions rapides.
Soit à Varsovie, soit dans la presse allemande, on assure que la démission de Litvinov est en rapport direct avec l'évolution des négociations tripartites. » (111)

Pour Gorlitz et Quint :

-«Au début de mai, Staline remplaça son commissaire aux Affaires étrangères, le juif Litvinov-Finkelstein, partisan d'une collaboration avec l'Occident par un Russe de race slave, Molotov. » (181)

Du 6 novembre 1941 jusqu'en 1943, Litvinov occupe le poste d'Ambassadeur aux Etats-Unis.
Il obtiendra de ce pays un important appui financier et militaire.
Rentré en URSS, Litvinov est nommé vice-ministre des Affaires étrangères et occupe ce poste jusqu'à sa mort.

Le petit-fils de Litvinov, Pavel Litvinov participa le 25 août 1968 à la manifestation de la place Rouge contre l'invasion de la Tchécoslovaquie.
Il fut alors relégué dans un village de Sibérie, aux confins de la Mandchourie.
L'URSS désirant se débarrasser de cet opposant, Pavel obtint par la suite l'autorisation d'émigrer aux Etats-Unis. (48)


12° LE NOUVEAU MINISTRE : MOLOTOV (1890-1986)

Viatcheslav Michailovitch Skriabine dit Molotov (1890-1986) fut commissaire du peuple aux Affaires étrangères de 1939 à 1949 et de 1953 à 1956.
Il était membre du parti bolchevique depuis 1906.
En 1912, il fonde avec Staline, la Pravda.

Son cousin était le compositeur et pianiste Aleksandre Nikolaievitch Scriabine ou Skriabine (1872-1915).

La femme de Molotov, Polina Semenovna Zemtchoujina fut arrêtée et détenue dans un camp du Kazakhstan du Nord, car juive, elle était accusée de participer à des complots sionistes.
Le comité central s'est réuni pour déchoir Pauline de toutes ses fonctions dans le parti.
Selon Georges Bortoli, Molotov, lors de cette réunion du comité central, contrairement aux usages, le vote ne fut pas unanime : dans un grand élan de courage, Molotov s'est abstenu. (49)

La grande mode de Staline, après guerre, était d'arrêter les femmes des principaux dignitaires du régime.
Par exemple, Staline avait également arrêté la femme de Mikhail Ivanovitch Kalinine (1875-1946) qui fut président du présidium du conseil suprême de l'URSS de 1937 à sa mort. (49)

Autre exemple, Herta Elina Kuusinen (1904-1974), la femme d'Otto Kuusinen (1881-1964), communiste finlandais, membre du politburo soviétique, fut condamnée à une peine de huit ans de camp de travail dans l'Arctique.

Mais peut-être le plus grand tort de la femme de Molotov est d'avoir été une un meilleure amie de Nadejda sergeievna Allilouieva (1901-1932), la femme de Staline qui s'est suicidé le 9 novembre 1932.
Pauline fut la dernière à parler avec Nadejda pour essayer de lui remonter le moral après une ultime violente dispute avec son mari. (71)

Alexandre Orlov (1895-1973) va maintenant nous parler de la femme de Staline :

-« Nadejda Allilouieva était heureuse d'échapper à la lourde atmosphère du Kremlin, de rencontrer des gens.
Elle apprit ainsi des choses qui la choquèrent profondément, découvrit par exemple, qu'on avait réduit les rations alimentaires des femmes et des enfants des travailleurs.
Des milliers de jeunes filles, lui dit-on, se trouvaient contraintes de se livrer à la prostitution pour empêcher leur parents de mourir de faim.
Des étudiants envoyés dans les districts pour aider à réaliser le programme de collectivisations des terres, lui révélèrent l'horrible vérité des exécutions et des déportations en masse des paysans que son mari, Staline avait baptisé Koulaks, l'existence de l'effroyable famine en Ukraine et l'existence de bandes de jeunes orphelins qui erraient sur les routes en mendiant ou se transformaient en bandits de grands chemins.
Nadejda fut particulièrement frappée quand deux étudiants revenus d'Ukraine lui dirent qu'on avait constaté des cas de cannibalisme dans les régions les plus touchées par la famine, et qu'ils avaient eux-mêmes participé à l'arrestation de deux frères en train de dépecer un corps humain.
Nadejda Allilouieva répéta ces propos à Staline, devant K.V Pauker.
Staline répondit à Nadejda par une bordée d'injures grossières, la prévint qu'il ne la laisserait plus retourner à l'Académie industrielle et ordonna à Pauker de faire arrêter les deux étudiants. » (71)

K.V Pauker était un des gardes du corps de Staline.
Deviner comment il a fini ?
Bien évidemment avec une balle dans la nuque dans une cave du NKVD en mars 1938.
Même méthode que la mafia, les témoins ne doivent pas parler !

Alexandre Orlov était un membre du NKVD qui dirigeait les opérations soviétiques pendant la guerre d'Espagne.
Il se réfugia aux Etats-Unis en 1938.
Le général Orlov écrivit un ouvrage Hanbook of Intelligence and Guerilla Warfare qui explique l'art de l'espionnage.

Devant une sous commission sénatoriale aux Etats-Unis, il décrivit l'incertitude dans laquelle vivent les agents soviétiques :

-« Lorsqu'ils commencent à travailler, ils servent honnêtement leur patrie, ils sont de bons patriotes.
Mais après des décennies d'assassinats d'innocents, de liquidations par Staline de tout agent du MVD qui connaissait ses secrets criminels, il s'est créé une telle atmosphère que tout agent secret, à un moment ou à un autre et surtout dans les périodes de purges politiques, rêve de tout quitter et de recommencer une nouvelle vie.
On dit que la moyenne de vie des aviateurs est très courte ; mais la vie des agents du MVD est la plus courte de toutes. » (126)

Orlov rappela qu'il avait tourné casaque quand il avait vu ses chefs exécutés, lors de purges.
Il avait un passé d'espion remarquable : commandement de détachements de guérilleros, chef du contre-espionnage de l'Armée Rouge, chef de département du NKVD et éminence grise des républicains espagnols en 1936, mais malgré tout cela, il ne se sentait pas à l'abri d'une purge . (126)

- « J'ai reçu un ordre, une fois, d'envoyer mon assistant en Russie, un homme qui avait été personnellement décoré par Staline, et qui avait accompli de grands exploits.
Il fut invité à se rendre en Russie pour faire un rapport sur les événements d'Espagne.
Un mois passa, sans que nous ayons de nouvelles de lui.

Mes autres adjoints se réunissaient et murmuraient :

- Il a du lui arriver quelques chose.
- C'était un type honnête.

Ils étaient tous sombres et inquiets. » (126)

Le tour d'Orlov vint ensuite :

- « J'ai reçu un télégramme m'ordonnant de me rendre en Belgique et d'y prendre le bateau, pour aller en principe assister à une conférence secrète avec un membre influent du parti.
Deux de mes assistants me prirent à part.

L'un deux me dit :

- Je n'aime pas ce télégramme.

Je lui demandais :

- Qu'est ce que vous en pensez ; de quelle conférence peut-il s'agir ?

Il ne me répondit pas, et se détourna.
Il avait peur de parler mais en même temps il voulait me le faire comprendre.

Il dit enfin :

- Pourquoi ne vient-il pas en Espagne pour vous voir ? » (126)

Orlov, dont la mère était restée en Russie, écrivit alors à Staline que si jamais il arrivait quelque chose à sa mère ou à lui- même, il publierait ses mémoires :

- « Pour bien montrer à Staline que je ne plaisantais pas, je joignis, malgré les protestations de ma femme, la liste complète des crimes de Staline, avec certaines expressions employées par Staline en personne lors de conférences secrète, quand il fabriquait des preuves contre les dirigeants de la révolution pendant les procès de Moscou. » (126)

Orlov expédia sa lettre et s'enfuit avec sa femme, en juillet 1938, d'Espagne au Canada et de là aux Etats-Unis.
Il resta quinze ans dans la clandestinité. (126)

-« En 1953, j'ai jugé que nos mères ne devaient plus être en vie, car bien des années s'étaient écoulées, et j'ai décidé de prendre le risque de publier mon manuscrit alors que Staline était encore vivant. » (126)

Pour en revenir au couple Molotov, le mari est quant à lui soupçonné par Staline d'être un espion anglais.
Sans la mort de Staline, le 5 mars 1953, Molotov aurait probablement été victime d'une nouvelle purge, une de plus! (49)

Pour Hitler :

-« Molotov n'est pas un homme d'envergure, c'est tout au plus un bon employé de chancellerie. » (172)

13° LE TEMOIGNAGE DE LEOPOLD TREPPER

De nouveau, le témoignage de Léopold Trepper est indispensable pour la compréhension de cet événement :

-«Le pacte ne fut pas vraiment une surprise.
Après les purges, après la liquidation des meilleurs cadres du parti et de l'armée, le compromis recherché par Staline depuis des années était inévitable.
Tout au plus un observateur attentif aurait-il remarqué une accélération du processus dans les derniers mois.
Le 16 avril 1939, Maxime Litvinov, ministre des Affaires étrangères de l'Union Soviétique, propose à l'ambassadeur britannique un pacte d'assistance mutuelle franco-anglo-soviétique.
Deux semaines plus tard, Litvinov est remplacé par Molotov.
Le 5 mai, deux jours après le limogeage de Litvinov, le chargé d'affaires soviétique à Berlin, Georgi Astakhov, rencontre le diplomate allemand Julius Schnurre.
Asthakov explique clairement à son interlocuteur nazi que la démission de Litvinov, provoquée par sa politique d'alliance avec la France et l'Angleterre, peut créer une situation nouvelle entre l'Allemagne et l'Union Soviétique.

Et Astakhov d'ajouter :

- Désormais, vous n'aurez plus affaire à Litvinov-Finckelstein.

Pour faire plaisir à Hitler, Staline veillait à la pureté de la race dans les relations diplomatiques !
Les irréductibles, qui nourrissaient encore l'illusion que la signature du traité était l'aboutissement d'une man½uvre du génial camarade Staline, durent déchanter.

Le 30 octobre 1939, devant le soviet suprême de l'URSS, Molotov prononça un discours qui balayait les derniers doutes :

-Ces derniers mois, des notions telles que celle d'agression et d'agresseur ont reçu un contenu nouveau.
L'Allemagne se trouve dans la situation d'un Etat qui aspire à la paix, tandis que l'Angleterre et la France sont pour la continuation de la guerre.
Les rôles changent comme vous voyez...

On voyait, en effet, on avait beau se frotter les yeux, on voyait et on entendait :

-L'idéologie de l'hitlérisme, comme tout autre système idéologique, peut être reconnue ou rejetée, c'est une question d'opinions politiques.
Mais n'importe qui comprendra qu'on ne saurait détruire une idéologie par la force.
C'est pourquoi il est insensé, voir criminel, de mener une semblable guerre pour l'anéantissement de l'hitlérisme en la couvrant du faux drapeau de la démocratie.

Enfin, pour ceux qui n'avaient par encore compris, Molotov ajoutait :

-Nous avons toujours été de cette opinion qu'une Allemagne forte est une condition nécessaire de la paix solide en Europe.
Pendant des années, la direction de l'Internationale avait expliqué que la lutte démocratique contre la barbarie.
Du fait du pacte, la guerre devenait impérialiste.
Les communistes devaient mener une grande campagne contre la guerre et dénoncer les buts impérialistes de l'Angleterre.

-Il faut démolir la légende du prétendu caractère de guerre antifasciste juste, écrivait pour sa part Dimitrov » (16)

Début mai 1939, les Russes reçurent un émissaire de Hitler, le général tchèque Jan Syrovy (1888-1957).
Ce dernier, Premier ministre de la Tchécoslovaquie depuis le 21 septembre 1938, était porteur de propositions de rapprochement politiques entre les deux états. (44)

Laissons la parole au principal témoin de cette réunion, Staline.

Il s'adressait à ses principaux chefs militaires lors d'une réunion du Conseil Supérieur de la guerre en mai 1939 :

-« Nous venons de recevoir la visite d'un émissaire de Hitler.
Il s'agit du général tchèque Syrovy, qui s'est rallié au national-socialisme quelques semaines après l'occupation de Prague par les troupes allemandes.
Il est porteur de propositions singulièrement alléchantes : si nous acceptions de modifier certains principes de notre politique étrangère, Hitler serait prêt à entamer des pourparlers secrets dont les résultats pourraient être extrêmement profitables, pour lui comme pour nous.
A en croire Syrovy, l'Allemagne, anxieuse de s'assurer notre amitié ou du moins notre neutralité bienveillante, serait disposée à faire des concessions exceptionnelles.
Notamment le retour à l'Union Soviétique des Etats baltes, anciennes provinces russes, et le partage de la Pologne.
Bien entendu, nous avons réservé notre réponse.
A mon sens, cette offre est trop généreuse pour être sincère.
Hitler, nous le savons, est un homme sans foi ni loi, fort capable de nous tendre un piège.
Peut-être cherche-t-il simplement à nous compromettre vis-à-vis de la France et de l'Angleterre, à nous présenter aux yeux du monde comme une nation rapace, un ramassis de bandits qu'il faut exterminer.
Ayant ainsi obtenu d'avoir les mains libres à l'est, il marcherait contre nous, avec la Pologne.
C'est en envisageant cette éventualité que je vais vous poser une question précise : dans le cas d'une attaque allemande soutenue par la Pologne, et étant donné l'isolement actuel de l'Union Soviétique, serons-nous en mesure de rejeter l'agresseur. » (75)

Le maréchal Joukov répondit alors à Staline :

-« La réponse est non, camarade secrétaire général » (75)

Le général Jan Syrovy (1888-1957) devint Premier ministre de la Tchécoslovaquie le 21 septembre 1938.
Arrêté par les Russes en 1945, il mourra en prison.

14° LES NOMBREUSES RENCONTRES ASTAKHOV - SCHNURRE

Le 5 mai 1939, Astakhov rencontre Schnurre et lui pose une question fondamentale :

-«Est-ce que le départ de Litvinov va modifier l'attitude de votre pays envers l'Union soviétique ? » (37)

Dans son rapport concernant cet entretien, Schnurre nota :

-« Astakhov fit allusion au renvoi de Litvinov et essaya de savoir si cet événement était susceptible de modifier notre attitude envers l'Union soviétique.
Il insista sur la forte personnalité de Molotov, qui n'avait rien d'un spécialiste de la politique étrangère mais qui n'en n'aurait qu'une plus grande importance pour la future politique soviétique. » (14)

Le 6 mai 1939, le général Karl Heinrich Bodenschatz, directeur du cabinet du maréchal Goring (1893-1946) et qui fut également l'officier de liaison de Goring auprès de Hitler, déclara au général Paul Stehlin, attaché de l'Air adjoint auprès de l'ambassade de France à Berlin :

-« Pensez-vous donc qu'Hitler engagera la partie sans avoir tous les atouts en main ?
Ce serait contraire à sa manière qui lui à valu tous ses succès précédents acquis sans coup férir.
N'avez-vous pas été frappé dans son dernier discours (28 avril 1939) par le fait qu'il n'a fait aucune allusion à la Russie ?
N'avez-vous pas remarqué la façon compréhensive dont la presse de ce matin, qui a d'ailleurs reçu des instructions précises à cet égard, parlé de Molotov et de la Russie.
Vous avez bien eu vent de certaines tractations en cours et de la convocation de l'ambassadeur et de l'attaché militaire de l'URSS à Moscou : ceux-ci avaient été reçus la veille de leur départ, le premier par von Ribbentrop, le second à l'Oberkommando de la Wehrmacht et avaient été mis parfaitement au courant du point de vue du Reich.
Je ne puis vraiment pas en dire davantage, mais vous apprendrez un jour qu'il y a quelque chose en train à l'Est. » (189)

Karl Bodenschatz conclut la conversation avec cette phrase :

-« Il y a eu déjà trois partages de la Pologne ; eh bien !
Croyez-moi, vous en verrez encore un quatrième. » (189)

Le 7 mai 1939, dans un article du Figaro, Souvarine prophétise la signature du pacte Ribbentrop-Molotov.

Le 17 mai 1939, de nouveau, Astakhov et Schnurre se rencontrent.

Julius Schnurre nota de cette rencontre que :

-« Astakhov déclara qu'il n'y avait aucun conflit de politique étrangère entre l'Allemagne et l'Union soviétique et qu'il n'existait par conséquent aucun motif d'hostilité entre les deux pays.
A dire vrai, l'Union soviétique avait l'impression très nette d'être menacée par l'Allemagne.
Mais il serait sûrement possible de dissiper l'inquiétude et la méfiance qui régnaient à Moscou.
En réponse à la question que je posai à ce propos, il aborda le sujet des négociations anglo-soviétiques et conclut qu'au stade où elles en étaient présentement le résultat désiré par la Grande-Bretagne ne semblait pas près de se matérialiser. » (14)

Dans l'après-midi du 20 mai 1939, l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, le comte von der Schulenburg rencontra Molotov.
L'entretien aurait dû se borner en principe aux obstacles que rencontrait la conclusion d'un nouvel accord économique germano-soviétique. (190)

C'était, assurait l'ambassadeur, le résultat de certaines difficultés que la Wilhelmstrasse se proposait d'aplanir par l'intermédiaire du conseiller de légation Schnurre, son spécialiste pour les questions à débattre avec l'est de l'Europe.
Il débarquerait sous peu à Moscou, mais M. Mikoyan était-il prêt à le recevoir ? (190)

Anastase Mikoyan (1895-1978) était en 1939, commissaire du peuple au commerce.
Il exerçait cette fonction depuis 1926.
Il entra au Comité central du P.C.U.S. dès 1923.
Il fut également président du præsidium du Soviet suprême entre 1964 et 1965.
Il perdit ses pouvoirs en même temps que Khrouchtchev.

A cette argumentation Molotov rétorquait qu'à Moscou on avait eu l'impression que Berlin n'attachait aucun prix au succès de ces négociations et cherchait seulement à en tirer un avantage politique.

Puis sans s'arrêter aux objections de son interlocuteur, il lui déclara :

-« Le Gouvernement des Soviets ne pourra accepter la reprise des négociations que quand auront été établies les bases politiques nécessaires à cet effets .» (190)

Von der Schulenburg saisit la balle et demanda à Molotov ce qu'il entendait par bases politiques.
Mais celui-ci se contenta de lui dire que c'était là un sujet digne de réflexion pour les deux gouvernements.

En vain, le diplomate allemand revint à la charge :

-« Tous mes efforts pour amener M.Molotov à définir et à concrétiser davantage ses v½ux demeurèrent sans effet.
Car il avait apparemment décidé de s'en tenir là et de ne pas ajouter un mot de plus.
Il est connu pour son caractère quelque peu obstiné. » (190)

Schulenburg n'en notait pas moins que le commissaire du peuple au Affaires étrangères d'URSS avait pris congé de lui de manière particulièrement amicale et les propos qu'il lui avait tenus lui parurent suffisamment importants, pour qu'il fît l'objet d'un télégramme à Berlin.
Comme réponse, Von Weizsaecker lui ordonna de se tenir sur la plus grande réserve et d'attendre pour voir si les Russes s'ouvriraient davantage. (190)

Lors de la réunion du 23 mai 1939, Hitler confie aux militaires présents qu' :

-« Il n'est pas exclu que la Russie puisse se désintéresser de la destruction de la Pologne. »

Le 27 mai 1939, l'ambassadeur de Grande-Bretagne et le chargé d'affaires à Moscou soumirent à Molotov le projet anglo-français du futur pacte.
A la grande surprise des émissaires occidentaux, Molotov considéra ce projet avec beaucoup de froideur. (14)

Le 30 mai 1939, Weizsacker rencontre Georgi Astakhov.

Weizsacker exprima son intérêt envers la normalisation des relations entre la Russie Soviétique et l'Allemagne, tandis qu'Astakhov affirmait que Molotov n'avait aucune intention de fermer la porte à de nouvelles discussions germano-russes.(14)

Pendant les mois de juin et juillet 1939, Laurence Steinhardt, ambassadeur des Etats-Unis à Moscou, prodigua, concernant l'imminence d'un marché soviéto-nazi, des avertissements que le président Roosevelt communiqua aux ambassades Grande-Bretagne, de France et de Pologne. (14)

Le 1er juin 1939, Robert Coulondre, ambassadeur de France à Berlin avait prévenu le ministre des Affaires étrangères français, Georges Bonnet, que la Russie prenait une importance grandissante dans les préoccupations de Hitler :

-« Hitler se risquera à faire la guerre, s'il n'a pas à se battre contre elle, il fera marche arrière plutôt que d'exposer à la ruine, son pays, son parti et lui-même. » (14)

Toujours début juin 1939, Molotov invite Halifax à Moscou pour négocier les possibilités d'un accord entre l'URSS et le Royaume-Uni.
Mais le ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne refuse cette invitation et préfère envoyer William Strang.
Ce dernier travaillait au Foreign Office comme spécialiste des questions relatives à l'Europe orientale.

Pour William Shirer :

-« La nomination d'un fonctionnaire aussi peu en vue à la tête d'une mission importante et chargée de négocier directement avec Molotov et Staline fut pour les Russes le signe que Chamberlain continuait de ne pas prendre très au sérieux la préparation d'une alliance destinée à arrêter Hitler. » (14)

Cette méfiance de l'URSS est confirmée par un article de Andrei Aleksandrovitch Djanov (1896-1948) dans la Pravda du 29 juin 1939 intitulé Les gouvernements britanniques et française ne veulent pas d'un traité accordant l'égalité des droits à l'Union soviétique :

-« Il me semble que les gouvernements français et britanniques ne visent pas à conclure un accord acceptable par l'URSS, mais seulement à avoir des conversations à ce sujet, afin de démontrer à l'opinion publique de leurs pays la soit-disant intransigeance de l'URSS et de faciliter ainsi la conclusion d'un accord avec les agresseurs.
Les prochains jours montreront si je me trompe ou pas. » (14)

-« Si Paris et Londres ne veulent pas comprendre, nous nous retournerons de l'autre côté. » (92)

15° LES OPPOSANTS D'HITLER

Le 15 juin 1939, Erich Kordt, chef du secrétariat de Ribbentrop prit l'avion pour Londres où il retrouva son frère Théodor Kordt, conseiller et chargé d'affaires à l'ambassade d'Allemagne de Londres.
Il rencontra ensuite au domicile du docteur Philip Conwell-Evans, Sir Robert Vansitard, principal conseiller du ministre des Affaires étrangères.
Erich Kordt précisa qu'il parlait au nom de la résistance allemande et qu'il était mandaté par le général Ludwig Beck (1880-1944), le général Frantz Halder (1884-1972), le baron von Weizacker, le comte Wolf Heinrich Helldorf, le docteur Hjalmar Horace Greely Schacht (1877-1970) et Arthur Nebe (1894-1945).

Décrivons maintenant les membres de cette opposition à Hitler.

Schacht est durant les premières années de l'arrivée au pouvoir des nazis, ministre de l'économie et président de la Reichbank.
Il démissionne de son poste de ministre le 27 novembre 1937.
Cependant, il restera président de la Reichbank jusqu'au 20 janvier 1939.
L'ambassadeur André François-Poncet affirma qu'à un certain moment Schacht avait espéré succéder à Hindenburg comme président et même à Hitler si les choses tournaient mal pour le Führer.

Le général Ludwig Beck fut chef d'état-major général de l'armée jusqu'au 18 août 1938, date de sa démission.

Le SS-Oberfuhrer, Arthur Nebe (1894-1945) était le chef de la Kripo (Kriminalpolizei), ou R.K.P.A qu'on peut traduire en français comme la police criminelle du Reich.
Cet individu fut à l'origine des chambres à gaz.
Il recourut pour la première fois à cette méthode pour liquider les malades d'un hôpital psychiatrique qui venait d'être détruit par les combats. (92)
Ses collègues nazis le pendront le 2 mars 1945.

Le comte Wolf Heinrich Helldorf était le préfet de police de Berlin.

Comme autres membres de l'opposition allemande, on peut citer le général Hans Oster (1888-1945), Hans Bernd Gisevius, Carl Goerdeler (1884-1945) , Hans von Dohmanyi (1902-1945), Groscurth.
Ce dernier disparu à Stalingrad.

Carl Goerdeler (1884-1945), fut maire de Leipzig et contrôleur des prix jusqu'en 1936, date de sa rupture avec les nazis.
Il avait été nommé au poste de contrôleur des prix par Heinrich Bruning (1885-1970) chancelier de 1930 à 1932.
Goedeler sera pendu le 2 février 1945.

Hans von Dohnanyi fut pendu le 8 avril 1945.

Erich Kordt voulait obtenir de l'Angleterre une démarche auprès de Hitler afin de lui signifier que toute nouvelle agression de sa part provoquerait une réaction de force.

Enfin, il révéla que Hitler allait d'un moment à l'autre entamer des négociations avec Moscou afin d'éviter un encerclement de l'Allemagne :


-« Nous aurons la guerre en Europe, dès que Hitler sera assuré de conclure un accord économique et militaire avec l'Union soviétique. »

Cachant mal son scepticisme, Vansittart se contenta de répondre :

-« Je peux vous assurer que nous sommes nous-mêmes à la veille de conclure un accord, avec l'URSS. »

A ce moment, Sir Vansittard mentait.
Il savait fort bien que les négociations de Londres avec Moscou étaient dans l'impasse. (92)

16° L'ETE DE TOUS LES COMPROMIS

Toujours ce 15 juin 1939, l'ambassadeur de Bulgarie à Berlin, Draganov rapporte à Ribbentrop une conversation qu'il eut avec Astakhov peu de temps auparavant :

-« L'Union soviétique hésite devant l'actuelle situation mondiale.
Trois possibilités s'ouvrent devant elle :

- conclure un pacte avec l'Angleterre et la France ;
- poursuivre de façon dilatoire les négociations au sujet de ce pacte,
- ou bien opérer un rapprochement avec l'Allemagne.

C'est vers cette dernière solution qu 'elle incline en faisant abstraction de toute idéologie.
Il y a aussi quelques autres points qui la préoccupent, par exemple le fait qu'elle n'a pas reconnu la prise de possession de la Bessarabie par la Roumanie.
Mais elle est surtout retenue par la crainte d'une agression allemande à travers les Pays Baltes.
Si l'Allemagne donnait l'assurance qu'elle n'a aucune intention d'attaquer l'Union soviétique, ou si elle acceptait de conclure avec elle un pacte de non-agression, Moscou renoncerait volontiers de signer un accord avec l'Angleterre. » (76)

Pour Isaac Deutscher :

-« Au début de l'été 1939, Staline n'avait très probablement pas encore fait son choix.
Son ancienne idée, qu'il valut mieux pour la Russie rester en dehors de la guerre, gardait certainement encore toute séduction devant son esprit.
Il ne pouvait rêver rien de préférable que d'être d'abord spectateur, puis arbitre dans la lutte à venir.
Cette ambition ne pouvait être satisfaite que grâce à un arrangement avec Hitler, car une alliance avec l'occident aurait obligé la Russie à combattre dès le premier jour de guerre.
Cette considération disposa Staline à chercher un accord avec son principal ennemi.
Mais Hitler, lui, allait-il être d'accord pour saisir cette occasion. » (13)

En juillet 1939, Canaris reçoivent un message confidentiel de l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, Schulenburg.
Celui-ci lui signale qu'au mois d'avril, deux émissaires officieux, l'Allemand Schnurre et le Russe Astakhov, se sont rencontrés dans un restaurant de Berlin, le von Evest.
Selon le diplomate, ce déjeuner a eu des suites extrêmement importantes puisque, depuis lors, un contact permanent a été établi entre les ministères allemand et soviétique des Affaires étrangères. (144)

Le chef de l'Abwehr trouve ainsi la confirmation de rumeurs qui courent depuis quelques temps : Hitler et Staline cherchent à signer un pacte, sinon d'entente, du moins de non-agression.

Pour Canaris, ce pacte aurait un sens très précis :

- Etant assuré de la bienveillance de l'URSS, le Führer pourra attaquer la Pologne en toute tranquillité, et même si la France et la Grande-Bretagne interviennent, Hitler sera débarrassé de la hantise qui était la sienne, et qui était aussi celle du Grand Etat Major : avoir à se battre sur deux fronts. (144)

Le 5 juillet 1939, lorsque l'ambassadeur d'URSS à Washington, parti en congé dans son pays, il emportait un message où Roosevelt déclarait à Staline que :

- « Si son gouvernement s'alliait à Hitler, aussi sûr que la mort succède au jour, dès que Hitler aurait conquis la France, il se jetterait sur la Russie. » (14)

Le 18 juillet 1939, l'attaché commercial soviétique à Berlin, E.Babarine rencontre Julius Schnurre pour l'avertir que la Russie aurait plaisir à développer et à intensifier les relations économiques germano-soviétiques.

Le 20 juillet 1939, William Strang, indique dans un courrier envoyé au Foreign Office que:

-« C'est vraiment extraordinaire qu'on nous demande de discuter de secrets militaires avec les Russes alors que nous sommes pas encore sûrs de les avoir pour alliés. »

Le 21 juillet 1939, Canaris convoque l'un de ses plus fidèles agents, Max Bleich.

Celui-ci a, pendant de longues années, parcourus le monde en qualité d'attaché culturel.
Il a fait des conférences aux Etats-Unis, en Italie, en France où Paris et Lyon l'ont accueilli.
Partout, il a noué des relations précieuses dans les domaines germanophiles. (144)

Que demande Canaris à Bleich ?

De se rendre d'urgence à Londres et d'y expliquer qu'une alliance entre Staline et
Hitler est sur le point de se nouer, et que cette entente sera le prélude à une guerre contre la Pologne.
Que les Anglais préviennent les Polonais de ce qui les attend ; qu'ils préviennent aussi les Français. (144)

Bleich accomplit sa mission, mais ne rencontre que scepticisme.

Il faudra que l'accord Moscou-Berlin éclate comme un coup de tonnerre pour que les puissances alliées se rendent à la réalité. (144)

Le 22 juillet 1939, la presse de Moscou annonçait que les négociations
commerciales germano-soviétiques avaient repris à Moscou.

Le même jour, Weizsacker télégraphia à von der Schulenburg :

-« Nous sommes disposés à agir très promptement, puisque, pour des raisons d'ordre général, on désire ici aboutir à une conclusion et ce, le plus tôt possible. »

Le 24 juillet 1939, l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Moscou, Sir Williams Seeds donne son point de vue sur la situation :

-« Je ne suis pas optimiste quant au succès de ces conversations, et je ne les suppose pas, en tout cas, susceptibles d'une conclusion rapide, mais le seul fait de les entreprendre maintenant risque de donner un choc salutaire aux puissances de l'axe et un coup de fouet à nos amis, tandis qu'en les prolongeant suffisamment l'on pourrait peut-être surmonter les quelques mois dangereux qui s'annoncent. »

Le 26 juillet 1939, à Berlin, Julius Schnurre reçoit Babarine et Georgi Astakhov.

Ce dernier déclare qu' :

-« Un rapprochement soviéto-allemand correspondait aux intérêts vitaux des deux pays.
On n'avait jamais très bien compris à Moscou pourquoi l'Allemagne nazie témoignait d'une telle hostilité à l'égard de l'Union soviétique. »

Schnurre lui répondit que :

-« De notre côté, il ne pouvait être question de menacer l'Union soviétique.
Nos objectifs étaient tournées dans une direction toute différente.
La politique allemande était dirigée contre la Grande-Bretagne.
Je pouvais imaginer un arrangement à longue portée de nos intérêts communs qui tiendrait dûment compte des intérêts vitaux de la Russie.
Cette possibilité toutefois se trouverait barrée dès l'instant où l'Union soviétique prendrait position contre l'Allemagne au côté de la Grande-Bretagne.
Le temps d'une entente entre l'Allemagne et l'Union soviétique était désormais venu, mais il ne le serait plus après la conclusion d'un pacte avec Londres.
Que pouvait offrir la Grande-Bretagne à la Russie ?
Aux mieux, la participation à une guerre européenne et l'hostilité de l'Allemagne.
Qu'avions-nous à offrir en contrepartie ?
La neutralité et le maintien en dehors d'un conflit européen éventuel et, si Moscou le souhaitait, une entente germano-russe sur des intérêts communs qui, comme à d'autres époques, se montrerait à l'avantage des deux pays.
En outre, toutes divergentes philosophiques mises à part, les idéologies respectives de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Union soviétique possédaient un point commun : leur opposition aux démocraties capitalistes occidentales.»

Le 27 juillet 1939, Molotov montre son agacement envers les négociateurs anglo-français :

-« L'essentiel est de savoir combien de divisions chacune des parties apportera à la cause commune et où elles seront stationnées. »

Le 29 juillet 1939 Weizsacker envoya par courrier une dépêche à Schulenburg :

-« Il serait important pour nous de savoir si les propos tenus à Astakhov et Babarine ont trouvé un écho à Moscou.
Si vous voyez la possibilité d'obtenir une nouvelle audience de Molotov, sondez-le, je vous prie, dans le même sens.
Au cas où vous arriveriez à faire sortir Molotov de la réserve où il s'est cantonné jusqu'ici, vous pouvez faire un pas de plus.
Ceci s'applique en particulier au problème polonais.
Nous sommes prêts, quelle que soit la manière dont peuvent encore tourner les choses à sauvegarder tous les intérêts soviétiques et à conclure une entente avec le gouvernement de Moscou.
Pour ce qui est de la question balte, également, si les entretiens prenaient un cours positif, l'on pourrait suggérer l'idée d'une modification de notre attitude à l'égard des Etats baltes dans le sens du respect des intérêts vitaux soviétiques dans cette zone. »

Le 30 juillet 1939, Ernst von Weizsacker écrit dans son journal que :

-« Notre camp voudrait prendre au cours de cet été la décision quant à la paix ou à la guerre, décision qui dépendra de l'entrée ou non de la Russie dans le cercle des puissances occidentales, à la suite des négociations fluctuantes à Moscou.»

Le 31 juillet 1939, Weizsacker adresse à Schulenburg un télégramme:

-« Concernant notre dépêche du 29 juillet arrivant aujourd'hui par courrier à Moscou :
Vous êtes prié d'indiquer télégraphiquement la date et l'heure de votre prochaine entrevue avec Molotov dès que celle-ci sera fixée.
Nous désirons qu'elle ait lieu dans un bref délai. »

Le 2 août 1939, Ribbentrop rencontre Astakhov et lui déclare que :

-« L'Allemagne est prête à effectuer un renversement de ses rapports avec l'URSS, mais à deux conditions :

1° L'Allemagne et l'Union soviétique s'abstiendront désormais de toutes ingérences dans leurs affaires intérieures ;

2° L'Union soviétique abandonnera toute politique dirigée contre les intérêts vitaux du Reich.

Si Moscou refuse, nous saurons à quoi nous en tenir et nous agirons en conséquence ; si Moscou accepte, il n'y a, de la Baltique à la mer Noire, aucun problème qui ne puisse être résolu entre nous.
Sur la Baltique, je l'affirme, il y a assez de place pour nous deux et les intérêts russes n'y entreront nulle part en compétition avec les nôtres.
En ce qui concerne la Pologne, nous attendons les événements avec impassibilité.
Si elle nous provoque, nous lui réglerons son compte en quelques semaines.
En prévision de cette éventualité, je suggère que nous nous entendions dès à présent sur le sort qu'il convient de réserver à ce pays. » (76)

Début août 1939, les gouvernements de la Grande-Bretagne et de la France, décident enfin de réagir.
Une mission est envoyée à Moscou.
Elle est dirigée pour la France par le général Doumenc et pour la Grande-Bretagne par l'amiral Sir Reginald Plunkett - Drax (ancien commandant de la base de Plymouth de 1935 à 1938).
La mission anglaise était également composé du Maréchal de l'air Sir Charles Burnett et le général de brigade Heywood.
Elle part le 5 août en Russie par la voir maritime.
De ce fait, elle arrive à Moscou que le 11 août.
Par avion, une journée aurait suffit.

L'ambassadeur allemand à Londres, Herbert von Dirksen (1882-1955), dans un rapport à Berlin, commente cette tentative de négociation de façon peu amène :

-« Ici, on se montre septique quant à la poursuite des négociations sur un pacte avec la Russie, malgré l'envoi d'une mission militaire ou, plus exactement, grâce à cela.
La composition de la mission militaire anglaise en témoigne : un amiral qui, jusqu'à présent, commandait la place de Portsmouth, pratiquement à la retraite et qui n'a jamais fait partie de l'Amirauté ; un général, qui est aussi un simple officier de troupe ; un général d'aviation, éminent aviateur et professeur de l'art du pilotage, mais pas un stratège..
Cela montre que la mission militaire a plutôt pour tâche d'établir la capacité de combat de l'armée soviétique que de conclure des accords opérationnels.
Les attachés de la Wehrmacht sont unanimes à constater le scepticisme surprenant que manifestent les milieux militaires britanniques à l'égard des futurs entretiens avec les armées soviétiques. »

Dirksen, avant d'arriver à Londres, fut ambassadeur de 1933 à 1938, à Tokyo.
Il fut remplacé par Eugen Ott dont l'un de ses meilleurs amis était un certain Richard Sorge.
Dirksen fut également ambassadeur à Moscou de 1928 à 1933.

Le 5 août 1939 Le journal se doute qu'un éventuel accord entre Allemands et soviétiques peut se produire:

-"La pire des éventualités:
Celle d'une collusion germano-soviétique dont la Pologne ferait les frais et qui provoquerait l'écroulement de toute la digue orientale.
Hypothèse invraisemblable dira-t-on, étant donné les rapport entre le reich et l'URSS.
Mais l'histoire ne nous montre-t-elle pas des renversements d'alliances surprenants?"

Le 8 août 1939, Hitler reçoit le ministre des Affaires étrangères hongroises.

Hitler lui affirme :

-« Le gouvernement soviétique ne prendra pas les armes contre nous.
Les Soviets ne répéteront pas l'erreur du Tzar et ne verseront pas leur sang pour l'Angleterre.
Peut-être tenteront-ils cependant de s'enrichir aux dépens des Etats baltes et de la Pologne sans s'engager dans une action militaire. »

Le 11 août 1939, Hitler reçoit Carl Jacob Burckhardt.
Lors de cet entretien, Hitler justifia son option en faveur d'un accord avec l'URSS.
L'Allemagne s'allierait avec l'URSS parce que les occidentaux sont aveugles et bêtes, mais après leur écrasement, elle se retournerait contre l'URSS.

Habilement, Burckhardt voulu en faisant une pirouette savoir dans combien de temps la guerre allait éclater :

- Burckhardt. Je voudrais vous poser une question précise, Monsieur le chancelier, à votre avis dois-je laisser mes enfants à Dantzig ?

-Hitler. A Dantzig, il peut y avoir des troubles du jour au lendemain.
Je crois, Monsieur le professeur, que vous feriez bien d'envoyer vos enfants en Suisse.

Le 14 août 1939, l'échec des missions militaires anglaises et françaises est déjà consommé.

La preuve en est donnée par une déclaration de la mission militaire soviétique :

-« 1. La Mission soviétique n'oublie pas que la Pologne et la Roumanie sont des Etats indépendants.
C'est bien pourquoi elle a demandé aux Missions anglaise et française si les troupes soviétiques pourraient traverser leur territoire.

2. La mission soviétique convient qu'il s'agit là d'une question politique mais, encore plus, militaire.

3. Cette question ne peut être posée directement par l'Union soviétique à la Pologne et à la Roumanie car elle n'a pas d'accord militaire avec elles.
En outre ce sont ces pays ainsi que la France et l'Angleterre qui sont menacés par une agression.

4 .La Mission soviétique regrette de n'avoir pas obtenu une réponse précise.
Faute de celle-ci les pourparlers sont par avance condamnés à l'échec.» (182)

Le 15 août 1939, Coulondre et Henderson rencontrent le baron von Weizsacker, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères allemand.
Henderson informa Londres que le secrétaire d'état était persuadé que l'Union soviétique finirait par participer au partage des dépouilles de la Pologne. (14)

Coulondre après son entretien avec Weizsacker, télégraphiait à Paris :

-« Il est nécessaire d'en arriver à tout prix, et le plus tôt possible, à une solution des conversations avec les Russes. » (14)

Le 15 août 1939 à 20 heures, l'ambassadeur allemand à Moscou, le comte Von der Schulenburg rencontre Molotov et lui lu un télégramme de Ribbentrop :

-« La crise suscitée par la politique anglaise dans les relations polono-allemandes et les tentatives d'alliance qui sont liées à cette politique exigent une prompte clarification des relations germano-russes.
Si non, les événements peuvent prendre un tour qui retirerait aux deux gouvernements toute possibilité de restaurer l'amitié germano-russe et d'élucider en leur temps les questions territoriales qui se posent en Europe orientale.
En conséquence, les dirigeants des deux pays ne devraient pas laisser aller les choses, mais agir en temps utile.
Il serait désastreux que, par ignorance mutuelle de leurs vues et intentions, les deux peuples en arrivent à suivre des voies divergentes.
Comme nous en avions été informés, le gouvernement soviétique éprouve lui aussi, le désir de clarifier les relations germano-russes.
Puisque, toutefois, notre expérience antérieure nous a appris qu'une telle mise au point ne peut s'effectuer que lentement par la voie diplomatique habituelle, je suis prêt à effectuer ne courte visite à Moscou, afin d'exposer le point de vue du Führer à M.Staline.
Je suis d'avis que seule une discussion directe peut apporter un tel changement et il ne devrait pas être impossible de jeter ainsi les bases d'un règlement définitif des relations germano-russes. »

L'ambassadeur décrivit ainsi sa rencontre avec Molotov :

-« M.Molotov fut exceptionnellement accommodant et sincère...
La modération surprenante des exigences de M.Molotov semble également digne d'être notée.
Il n'a pas prononcé une seule fois les mots pacte anti-komintern.
Plus important est le désir très nettement exprimé par lui de conclure avec nous un pacte de non-agression. » (6)

Hitler et Ribbentrop bondissent à cette suggestion.
Il ne s'est pas écoulé six heures après l'envoi de cette indication, que, à nouveau en pleine nuit, Schulenburg reçoit l'instruction de faire une nouvelle visite à Molotov. (6)

Le lendemain, de nouveau Schulenburg rencontre Molotov et lui lu un autre télégramme de Ribbentrop :

-«L'Allemagne est prête à conclure un pacte de non-agression avec l'Union soviétique, pacte qui serait, si l'Union soviétique le désire, valable pendant un délai de vingt-cinq ans.
De plus, l'Allemagne était disposée à garantir les Etats baltes conjointement avec l'Union soviétique.
Enfin l'Allemagne est prête à user de son influence dans le sens d'une amélioration et d'une consolidation des relations russo-japonaises.
Le Führer est d'avis qu'en raison de la situation et du fait que des événements graves peuvent surgir d'un jour à l'autre ( prière d'expliquer à ce moment à M.Molotov que l'Allemagne est résolue à ne pas tolérer indéfiniment les provocations polonaises), une clarification fondamentale et rapide des relations germano-soviétique et de l'attitude de chacune des deux puissances vis-à-vis des problèmes de l'heure est désirable.
Pour tous ces motifs, je suis prêt à me rendre par avion à Moscou à n'importe quelle date à partir du vendredi 18 août, nanti des pleins pouvoirs du Führer, afin de régler l'ensemble des relations germano-russes, et, le cas échéant, de signer les traités appropriés.»

Ce même jour, le 16 août 1939, le maréchal de l'Air, Sir Charles Burnett envoie à Londres le message suivant :

-« Je vois que la politique du gouvernement est de faire traîner les négociations si nous ne pouvons faire accepter un traité. »

De nouveau, le 18 août, Ribbentrop envoie un télégramme à Schulenburg :

-« Je vous prie de dire à M.Molotov ce qui suit :
Dans des circonstances normales, nous inclinerions également à procéder au rajustement des relations germano-russes par voie diplomatique et à utiliser les méthodes habituelles.
Mais le caractère exceptionnel de la situation actuelle impose, aux yeux du Führer, le recours à des méthodes différentes permettant d'obtenir des résultats rapides.
Les relations germano-polonaises deviennent chaque jour plus tendues.
Nous devons envisager que des incidents peuvent survenir d'un jour à l'autre, rendant l'ouverture des hostilités inévitables.
Le Führer juge indispensable que la nouvelle du déclenchement du conflit germano-polonais ne vienne pas nous surprendre pendant que nous nous efforcerions de définir les relations germano-russes.
Il juge donc qu'une clarification préalable est nécessaire, ne serait-ce que pour nous permettre de tenir compte des intérêts russes dans l'éventualité d'un tel conflit, ce, qui, sans cette mise au point, ne laisserait pas d'offrir des difficultés.
Je serai également à même de signer un protocole spécial réglant les intérêts des deux parties touchant certaines questions de politique étrangère : par exemple, la répartition des sphères d'influence dans la zone de la Baltique.
Répartition qui ne sera toutefois possible qu'au cours d'une discussion orale.
Soulignez bien, je vous prie, que la politique étrangère allemande est parvenue à un tournant historique.
Insistez, s'il vous plaît, en faveur de la réalisation rapide de mon voyage et réfutez de la manière appropriée toute nouvelle objection présentée par les Russes.
A ce propos, vous ne devrez jamais perdre de vue le fait que le déclenchement prématuré d'hostilités ouvertes entre l'Allemagne et la Pologne est toujours possible et que nous avons un intérêt pressent à ce que mon voyage à Moscou prenne place immédiatement. »

Schulenburg (1875-1944) fut l'aide de camp du maréchal Hindenburg.
Il fut arrêté après l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler à Rastenburg.
Selon Ronald Seth, Schulenburg fut exécuté le 10 novembre 1944.

Gerhard Boldt, ancien officier d'ordonnance du général Guderian, va nous décrire la pensée d'Hitler concernant la diplomatie et les diplomates :

-« Hitler ne reçoit jamais ses diplomates de carrières, il les considère comme des chiffes molles et des défaitistes qui ne voient que par les yeux des étrangers.
Il ne tient aucun compte des avertissements qu'ils lui envoient, si tant même qu'il daigne les lire.
La façon dont il récompensa les services du comte von der Schulenburg, son ambassadeur à Moscou, est caractéristique.
Schulenburg n'avait cessé de signaler les très graves périls que comporterait une guerre avec l'Union soviétique, et le 25 avril 1941, il avait encore fait une démarche personnelle auprès de Hitler pour essayer de le faire renoncer à ses projets.
Il fut condamné après le 20 juillet 1944, quoique sa participation n'eût aucunement été prouvée » (142)

Le monde diplomatique allemand appréciait peu Hitler.
Le baron von Stohrer, ambassadeur d'Allemagne à Madrid, fut lui aussi compromis dans l'attentat contre Hitler.

Ce même jour, le 18 août 1939, les Soviétiques et les Allemands signent à Berlin, un accord de coopération économique.

17° 19 AOUT 1939 : STALINE PARLE

Lors d'une réunion secrète du politburo du 19 août 1939, Staline révèle ses intentions:

-« Nous sommes absolument convaincus qu'en signant une alliance avec la France et la Grande-Bretagne, nous forcerions l'Allemagne à abandonner ses projets d'agression contre la Pologne.
Nous pourrions donc empêcher la guerre.
Cependant, dans cette hypothèse, l'évolution politique ira, sans doute, dans un sens dangereux pour nous.
D'un autre côté, si nous acceptons l'offre allemande d'un pacte de non-agression, le Reich en profitera sûrement pour se jeter sur la Pologne, et cette attaque déclenchera automatiquement l'intervention des occidentaux.
Dans une telle conjoncture, nous aurons de fortes chances de rester en dehors du conflit, et de pouvoir déterminer, à notre guise, le moment le plus propice pour intervenir à notre tour.
C'est donc cette ligne de conduite que nous devons adopter.
En sommes, notre voie est toute tracée : nous devons accepter l'offre anglaise, et renvoyer la mission franco-britannique, en lui exprimant bien entendu nos sincères regrets.
Je ne saurais trop insister sur ce point : une guerre entre le Reich et les puissances de l'entente ne pourra que servir nos intérêts.
Il est essentiel pour nous que la guerre se prolonge le plus longtemps possible, de manière à épuiser les deux adversaires.
Pendant ce temps, nous intensifierons le travail politique dans les pays belligérants, afin de passer à l'action dès la fin des hostilités. » (15)

Toujours devant le politburo, Staline considère que :

-« La question de la paix et de la guerre a atteint un stade critique.
Si nous signons un accord d'assistance mutuelle avec la France et l'Angleterre, l'Allemagne renoncera à la Pologne et commencera à chercher un « modus vivendi » avec les puissances occidentales.
La guerre aura été écartée, mais la suite des événements peut devenir dangereuse pour l'URSS.
Si nous acceptons la proposition de l'Allemagne de signer un pacte de non-agression, elle attaquera la Pologne et l'entrée en guerre de la France et l'Angleterre sera inévitable.
De sérieuses tensions et des désordres se développeront en Europe occidentale.
En ces circonstances, nous aurons de nombreuses possibilités d'éviter d'être entraînés dans un conflit direct et nous pouvons espérer choisir une entrée en guerre profitable.
L'expérience de ces vingt dernières années nous montre qu'en période de paix, le mouvement communiste ne peut pas se développer au point que le parti bolchevique puisse prendre le pouvoir.
La dictature du parti ne peut être établie que dans un contexte de grande guerre.
Nous devons choisir.
Nous devons accepter la proposition allemande et renvoyer poliment la mission franco-anglaise.
Le premier avantage que nous recueillerons sera l'annihilation de la Pologne jusqu'aux abords de Varsovie avec la Galicie ukrainienne.
L'Allemagne nous donne une liberté totale dans les Etats baltes et ne s'oppose pas à la réincorporation de la Bessarabie dans l'URSS.
L'Allemagne est prête à reconnaître l'inclusion dans notre zone d'influence de la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie.
Reste ouvert la question de la Yougoslavie...
En même temps, il nous faut prévoir quelles seront les conséquences d'une défaite ou d'une victoire de l'Allemagne.
En cas de défaite, l'Allemagne sera immanquablement soviétisée et recevra un gouvernement communiste.
Nous ne devons pas oublier qu'une Allemagne soviétisée peut être sérieusement menacée si la soviétisation a lieu après une défaite rapide.
L'Angleterre et la France seront suffisamment fortes pour occuper Berlin et mettre fin à l'Allemagne soviétique.
Nos ne serons pas en mesure de venir en aide à nos camarades bolcheviques allemands.
Notre but est le suivant : l'Allemagne doit combattre le plus longtemps possible pour qu'elles soient épuisées au point de ne plus pouvoir annihiler l'Allemagne soviétique.
En adoptant une position neutre et en attendant son heure, l'URSS aidera l'Allemagne actuelle, l'approvisionnant en matières premières et en denrées.
Il est clair que notre aide ne doit pas dépasser un certain seuil pour ne pas déstabiliser notre économie ou porter préjudice à la puissance de notre armée.
En parallèle nous devons mener une propagande communiste active dans le bloc anglo-française.
Nous devons être prêts à ce qu'en temps de guerre le parti devra renoncer aux actions légales et entrer en clandestinité.
Nous savons que ce travail demandera beaucoup de sacrifices, mais nos camarades français ne douteront pas.
En premier, leur mission sera la démoralisation et la désorganisation de la police et de l'armée.
Si ce travail de sape est efficace, la sécurité de l'Allemagne soviétique sera garantie tout en créant des conditions favorables à une prise de pouvoir communiste en France.
Pour réaliser ces plans, il est indispensable que la guerre se prolonge aussi longtemps que possible en mettant en oeuvre toutes nos forces disponibles en Europe occidentale et dans les Balkans.
Considérons maintenant la seconde hypothèse, la victoire allemande.
Certains considèrent que cette hypothèse présente pour nous de sérieux dangers.
Il y a une part de vérité dans cette affirmation, mais ce serait une erreur de croire que ce danger serait aussi proche et aussi grand que certains le craignent.
Si l'Allemagne gagne la guerre, elle en sortira trop affaiblie pour pouvoir commencer un conflit armé avec l'URSS pendant au moins dix ans.
Le soucis principale de l'Allemagne sera de ne pas laisser récupérer la France et l'Angleterre vaincues.
Après sa victoire, elle se consacrera pendant plusieurs décennies à l'exploitation des immenses territoires occupés, à y introduire l'ordre allemand.
Il est clair que l'Allemagne sera trop occupée pour se retourner contre nous.
Il y a encore un facteur qui renforce notre sécurité.
Dans une France vaincue, le partie communiste sera toujours très fort.
La révolution communiste aura immanquablement lieu et nous pourrons dans ces circonstances venir en aide à la France et en faire notre allié.
Tous les Etats sous le protectorat de l'Allemagne deviendront nos alliés.
Nous aurons alors un large espace pour y construire la révolution mondiale.
Camarades !
Le déclenchement de la guerre entre le Reich et le bloc capitaliste anglo-français est dans l'intérêt de l'URSS-patrie des travailleurs.
Il faut tout faire pour que la guerre dure le plus longtemps possible et affaiblisse au maximum les deux cotés.
Pour cette raison, il nous faut accepter de signer le pacte proposé par l'Allemagne et agir d façon à ce que la guerre dure le plus longtemps possible.
Il faudra activer la propagande dans les Etats belligérants et être prêts lorsque la guerre finira. » (27)

Heydecker et Leeb analyse ainsi ce discours :

-«Un plan diabolique, mais tellement supérieur aux spéculations laborieuses qui s'échafaudent à Londres, Paris, Berlin.
En sommes, Staline veut que Hitler ait sa guerre.
Et il agira en conséquence. » (111)

Quelques mois plus tard, le 30 novembre 1939, l'agence Havas révéla l'existence de ce discours, évidemment la Pravda démentit cette information :

-« Le rédacteur de la Pravda a posé au camarade Staline la question suivante : quelle est la réaction du camarade Staline à la dépêche de l'agence Havas concernant un discours de Staline prétendument prononcé au Politburo le 19 août et où il aurait exprimé l'idée que la guerre devrait se poursuivre aussi longtemps que possible, pour épuiser les parties belligérantes ?

Le camarade Staline a fait parvenir la réponse suivante :

- Cette dépêche de Havas, comme bien d'autres, est un mensonge.
Bien sûr, j'ignore dans quel café-concert il a pu être fabriqué.

Mais ces messieurs de l'agence Havas auront beau mentir, ils ne peuvent nier que :

a. ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué la France et l'Angleterre, mais la France et l'Angleterre qui ont attaqué l'Allemagne, prenant la responsabilité du déclenchement de la guerre actuelle ;

b. après l'ouverture des hostilités, l'Allemagne a fait des propositions de paix à la France et à l'Angleterre, tandis que l'Union soviétique a clairement soutenu ces propositions, car elle était persuadée et demeure persuadée qu'un arrêt immédiat de la guerre soulagerait radicalement le sort de tous les pays et de tous les peuples ;

c. les milieux dirigeant anglais et français ont brutalement écarté les propositions de paix allemandes comme les tentatives soviétiques de mettre fin rapidement à la guerre.

Tels sont les faits.
Que peuvent y opposer les politiciens de café-concert de l'agence Havas ? »

L'Agence Havas fut fondée en 1835 par Charles-Louis Havas (1785-1858).
En novembre 1940, la branche information de Havas est cédée à l'Etat français pour 25 millions de francs.
Elle devient l'Office français d'information et disparaît en 1944.

18° LES DERNIERS EFFORTS

Le dimanche 20 août 1939, Hitler directement un télégramme à Staline :

-« M.Staline, Moscou
J'apprends avec un plaisir sincère la conclusion du nouvel accord commercial germano-soviétique, dans lequel je vois le premier pas vers une amélioration des relations entre nos deux pays.
La conclusion d'un pacte de non-agression avec l'Union soviétique représente pour moi l'instauration d'une politique à long terme.
L'Allemagne reprend ainsi une orientation qui fut bénéfique à nos deux pays au cours des siècles passés.
J'accepte le projet de pacte de non-agression proposé par votre ministre des Affaires étrangères M.Molotov, mais je considère qu'il est urgent de clarifier le plus tôt possible les questions qui s'y rapportent.
La mise au point du protocole additionnel réclamé par l'Union soviétique peut, j'en suis convaincu, s'effectuer dans le plus bref délai possible, à condition qu'un homme d'Etat allemand responsable puisse se rendre personnellement à Moscou pour négocier.
Si non, le gouvernement du Reich ne voit pas comment le protocole additionnel pourrait être mis au point et fixé dans un court délai.
La tension entre l'Allemagne et la Pologne est devenue intolérable.
Une crise peut se produire à tout moment.
L'Allemagne est résolue désormais à protéger les intérêts du Reich avec tous les moyens dont elle dispose.
Je suis d'avis qu'en raison des intentions exprimées par nos deux pays d'établir entre eux une nouvelle forme de relation, il n'y a pas de temps à perdre.
Je propose donc à nouveau que vous receviez mon ministre des Affaires étrangères le mardi 22 août ou, au plus tard, le mercredi 23 août.
Le ministre des Affaires étrangères du Reich aura tout pouvoir de dresser et de signer un pacte de non-agression, ainsi que son protocole.
Son séjour ne pourra excéder un ou deux jours en raison de la situation internationale.
Je serais heureux de recevoir de vous une prompte réponse
ADOLF HILER »

Le 21 août, à 21h35, la réponse de Staline parvint par télégramme à Berlin :

-« Au Chancelier du Reich Allemand,
A.Hitler :
Je vous remercie de votre lettre.
J'espère que le pacte de non-agression germano-soviétique provoquera un tournant décisif pour le plus grand avantage des relations politiques entre nos deux pays.
Nos deux peuples ont besoin d'entretenir des relations pacifiques.
Le consentement du gouvernement allemand à la conclusion d'un pacte de non-agression fournit la base nécessaire à l'élimination de la tension politique et à l'instauration de la paix et de la collaboration entre nos deux peuples.
Le gouvernement soviétique m'a chargé de vous exprimer qu'il consent à ce que Herr von Ribbentrop arrive à Moscou le 23 août.
J.Staline. »

Le télégramme de Staline touche Hitler à Berchtesgaden vers 22h50.

Berchtesgaden est une ville d'Allemagne située en Bavière, dans les Alpes bavaroises.
Sur un des sommets entourant la ville, Hitler fit édifier sa résidence favorite Nid d'aigle, prise par la division Leclerc en 1945.

Ce télégramme lui est remis au début du dîner qu'il prend avec Goering et quelques intimes.

Hitler se leva, brandit la dépêche au-dessus de sa tête et cria :

-« Ce que j'ai là en main, c'est la victoire. » (6)

Hitler aurait également dit :

-« Nous avons gagné !
Désormais, j'ai le monde en poche !
Nous pouvons nous permettre de cracher à la figure de n'importe qui ! » (92)

Pourtant en 1925 dans Mein Kampf , Hitler avait écrit :

-« Le fait même de conclure une alliance avec la Russie laisserait prévoir ce que serait la prochaine guerre : il signifierait la fin de l'Allemagne. »

Le 20 septembre 1937, Hitler affirma au Docteur Carl Jacob Burckhardt (1891-1974), Haut Commissaire de la SDN à Dantzig :

-« Je hais le bolchevisme !
Je hais les Russes !
Tant que je serais là, on ne parlera pas à ces gens là ! »

Le 22 août 1939, le maréchal Kliment Iefremovitch Vorochilov (1881-1969) commissaire du peuple pour la défense de 1925 à 1940, explique au général Doumenc l'échec des négociations :

-« La question de la collaboration militaire avec la France est déjà soulevée depuis plusieurs années, mais n'a jamais reçu de solution.
L'année dernière, quand la Tchécoslovaquie périssait, nous attendions un signal de la France, nos troupes étaient prêtes, mais ce signal n'a pas été donné.
Le gouvernement et tout le pays, tout le peuple, voulaient porter secours à la Tchécoslovaquie, remplir les obligations découlant des traités.
Les gouvernements français et anglais ont trop longtemps fait traîner les pourparlers politiques et militaires. » (17)

Comme l'a si bien dit Litvinov en mars 1938 à l'ambassadeur des Etats-Unis à Moscou Joseph Davies :

-« La France n'a pas confiance dans l'Union soviétique et l'Union soviétique n'a pas confiance dans la France. » (13)

En 1942, lors d'une conversation avec Churchill, Staline lui commenta sa vision de la situation politique en 1939 :

-« Nous avions l'impression, que les gouvernements français et britannique n'étaient pas décidés à combattre pour la Pologne si celle-ci était attaquée, mais qu'ils espéraient qu'un front uni entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie ferait reculer Hitler.
Nous étions sûrs qu'il ne reculerait pas. » (26)

Finalement, quel serait l'intérêt de Staline de signer avec la France et la Grande-Bretagne ?
Il devra entrer en guerre contre l'Allemagne avec une armée dont il n'y a plus de cadres.

En signant avec l'Allemagne, il récupère une partie de la Pologne, les Etats Baltes et en plus, il gagne la chose la plus importante pour lui :

- du temps pour se préparer à l'inévitable: une guerre avec l'Allemagne.

La seule question qui se pose est de savoir à quel moment Staline a choisi l'Allemagne ?

Une chose est sûre, Ribbentrop dénoncera avec justesse la politique machiavélique de Staline lors de son procès de Nuremberg :

-«Comme on sait, la partie orientale de la Pologne fut occupée par les forces soviétiques, la partie occidentale par la Wehrmacht.
Il est hors de doute qu'en ce qui concerne la Pologne, Staline est mal placé pour reprocher à l'Allemagne d'avoir mené une guerre d'agression : s'il y a eu agression, elle est imputable aux deux côtés. » (15)

D'ailleurs une autre question se pose, la guerre était-elle possible sans l'accord Ribbentrop-Molotov ?

John Toland dans son ouvrage Adolf Hitler nous explique la vision d'Hitler à la veille de l'accord avec l'URSS :

-« Le parti sera aussi ébahi que le reste du monde.
Mais les membres du parti me connaissent et me font confiance.
Ils savent que je m'écarterai jamais de mes principes de base, que mettre fin au danger de l'Est. »

Le 22 août 1939, Hitler déclara :

-«L'ennemi avait un autre espoir : que la Russie soit contre nous après la conquête de la Pologne.
L'ennemi ne tenait pas compte de ma grande capacité de décision.
Nos ennemis sont de misérables vers de terre.
Je les ai vus à Munich.
J'étais convaincu que jamais Staline n'accepterait la proposition anglaise.
Seul un optimiste aveugle aurait pu se figurer que Staline serait assez fou pour ne pas percer à jour les intentions de l'Angleterre.
La Russie n'a aucun intérêt au maintien de la Pologne.
Le renvoi de Litvinov a été décisif.
Il m'apparut, avec la soudaineté d'un coup de canon, comme le signe du changement d'attitude de Moscou à l'égard des puissances occidentales.
C'est graduellement que j'ai provoqué le changement de politique vis-à-vis de la Russie.
A propos du traité commercial, des pourparlers politiques ont été engagés.
Finalement, les Russes ont présenté une proposition de pacte de non-agression.
Il y a quatre jours, j'ai pris une certaine initiative qui a abouti à ce que la Russie a annoncé hier qu'elle est prête à signer.
Le contact personnel avec Staline est établi.
Après-demain, Ribbentrop conclura le traité.
La Pologne est maintenant dans la situation que j'ai voulue...
Les premier pas vers la destruction de l'hégémonie britannique sont accomplis...
La voie est ouverte aux militaires, maintenant que j'ai procédé aux préparatifs politiques »

Toujours ce même jour, Hitler déclara également :

-« Nous n'avons rien à perdre, nous ne pouvons que gagner.
Notre situation économique est, en raison de nos restrictions, telle que nous ne pouvons tenir que quelques années...
Il ne nous reste d'autres choix que l'action.
Nos adversaires courent de gros risques pour de modestes gains.
Leurs chefs sont en dessous de la moyenne.
Aucune personnalité, aucun seigneur, aucun homme d'action. »

-« Le vainqueur ne se voit pas demander plus tard s'il a dit la vérité ou non.
Dans le déclenchement et dans la conduite de la guerre, ce qui compte ce n'est pas tant le droit que la victoire. »

-« Une intervention de la France et de l'Angleterre est possible, mais ces pays n'ont aucun moyen pratique de secourir la Pologne.» (92)

Hitler s'isola ensuite avec Himmler auquel il déclara :

-« La Pologne sera rayée de la carte des nations.
Sur les arrières de la Wehrmacht, la SS éliminera les cadres polonais et les juifs. » (92)

Toujours ce 22 août 1939, Ciano écrit dans son journal :

-« Le coup de théâtre s'est produit hier soir vers 10h30, Ribbentrop a téléphoné qu'il préférait me rencontrer à Innsbruck plutôt qu'à la frontière, car il devait partir ensuite pour Moscou afin d'y signer un accord politique avec les Soviets. »

William Shirer affirme que :

-« Mussolini en fut surpris tout autant que Ciano.
Les deux hommes arrivèrent à la conclusion qu'une rencontre des ministres des Affaires Etrangères n'était plus opportune.
Une fois de plus, l'allié allemand leur avait prouvé son mépris en les laissant dans l'ignorance de ses tractations avec Moscou.» (14)

19° LA RENCONTRE RIBBENTROP-MOLOTOV

Dans la soirée du 22 août 1939, deux avions Condor FW-200 décollent de Berlin.

Le Focke-wulf FW-200 Condor était un quadrimoteur de transport civil.
Doté d'une vitesse maximun de 325 km/h et d'une autonomie de 4300 kilomètres, il était l'avion de prestige de l'Allemagne national-socialiste.

L'un est piloté par le pilote de Hitler, le général Hans Baur, l'autre est conduit par Liehr. (172)
Baur fut arrêté par les Russes en 1945 et ne sera libéré que dix ans plus tard.

Ribbentrop est notamment accompagné de son garde du corps Willy Berg, de Peter Kleist.
Berg deviendra l'adjoint de Karl Giering, chef du Sonderkommando chargé de la lutte contre l'Orchestre Rouge.

Les deux avions se posent un peu avant minuit à Konigsberg, en Prusse Orientale.
Aujourd'hui cette ville appartient à la Russie et s'appelle Kaliningrad.

Dans cette ville se trouvait Bertrand de Jouvenel (1903-1987).
Evidemment, il interrogea la délégation allemande.

-« Ils furent surpris de me voir, mais aussi ravis, parce que joyeux « d'une bonne farce » qu'ils faisaient à la France.
Ha ! Ha ! Ha !
Mes interlocuteurs riaient à la pensée que les fanfares de l'armée russes allaient jouer la marche du Horst Wessel Lied, et que l'aéroport serait pavoisé de croix gammées.
Et, leur demandant s'ils ne se sentiraient pas gênés d'aller fraterniser avec ceux qu'ils avaient si longtemps dit être « le diable » :
Bah, répondirent-ils, Varsovie vaut bien une Internationale » (28)

Les deux Condors repartent le 23 août 1939 à 7 heures du matin et arrivent à Moscou vers midi.

Quelques minutes auparavant, les Russes avaient installé au mat-pavillon de l'aérodrome un drapeau à croix gammée à soie toute neuve évidemment fabriqué pour la circonstance car la roue de la Svastika tournait à l'envers.

La svastika ou swastika est un mot sanskrit signifiant «de bon augure»).
Dans certaines religions antiques, elle est symbole de paix et de bonheur.
Elle consiste en une croix aux bras égaux coudés en leur moitié dans le même sens, généralement sur la droite.
Le svastika s'est répandu en Europe, aux Amériques, en Extrême-Orient et notamment en Inde, où il garde toujours son sens bénéfique.
Comme on le sait, Hitler en fit l'insigne officiel du IIIe Reich.

Ribbentrop est reçu par Vladimir Potemkine, vice-commissaire aux Affaires étrangères, Alexandrov, chef de la division d'Occident au commissariat des Affaires étrangères, Stepanov, commissaire adjoint au commerce extérieur, Merkoulov, vice-commissaire à l'Intérieur, Barkov, chef du protocole, Korolev, vice-président du Soviet de Moscou et le commandant de la place de Moscou.

Bien évidemment, pour recevoir Ribbentrop, l'ambassadeur allemand von Schulenbourg est présent, ainsi que tout le personnel de l'ambassade.

Sur l'aéroport, pour accueillir Ribbentrop, il y a aussi l'ambassadeur d'Italie, Rosso et le colonel Valfre di Bonzo, l'attaché militaire italien.

Le pacte anti-komintern est décidément oublié!
Le premier pacte anti-komintern fut signé entre l'Allemagne et le Japon le 25 janvier 1936.
L'Italie les rejoindra le 6 janvier 1937.

La musique joua les hymnes nationaux.
Puis Ribbentrop passa devant les soldats soviétiques les bras tendus.

Ribbentrop s'est d'abord rendu à la légation d'Autriche annexé par l'ambassade d'Allemagne au moment de l'Anschluss.
C'était la seule maison dont l'Allemagne était propriétaire à Moscou car elle appartenait à l'Autriche.
Autrement les autres maisons dont disposait l'ambassade d'Allemagne étaient en location.

Le premier entretien entre Molotov et Ribbentrop, en présence de Staline eut lieu dans l'après-midi de 15 h 30 à 18 h 20.

De retour à la légation d'Autriche, Ribbentrop déclare à ses collaborateurs :

-« Les négociations sont en bonne voie.
Je ne me suis encore jamais trouvé devant un partenaire tel que Staline, qui ouvre son grand livre et expose sa position de façon claire et nette.
Nous nous sommes mis rapidement d'accord sur le cas de la Pologne.
Plus difficile est la délimitation de la frontière du côté des Etats baltes, que l'Angleterre et la France n'ont cessé de vendre au Soviétique.
Staline veut non seulement s'étendre au-delà de la Duna, mais voir englober les ports courlandais de la Lettonie dans sa zone d'influence.
Cela dépasse le cadre qui m'a été assigné par le Führer.
C'est à lui de décider s'il veut faire cette concession. » (76)

Ribbentrop envoie donc un télégramme à Hitler :

-« Veuillez rendre compte immédiatement au Führer qu'une première conversation de trois heures avec Staline et Molotov vient de se terminer.
Elle s'est déroulée d'une façon tout à fait positive pour nous, mais le point décisif pour aboutir au résultat final est une demande des Russes pour que nous reconnaissions comme inclus dans leur zone d'influence les ports de Libau et de Windau.
Je serais heureux de savoir, avant 20 heures, heure allemande, si le Führer est d'accord.
On a prévu la signature d'un protocole secret sur la délimitation des deux zones d'influence dans toutes les régions orientales et j'y ai donné mon plein assentiment.
Ribbentrop. » (76)

Moins d'une demi-heure plus tard, la réponse du Führer arrive.

Elle tient en cinq mots :

-« La réponse est oui, d'accord. » (76)

Entre Staline et Ribbentrop, l'entretien sera cordial et amical.

Nous allons en présenter quelques extraits :

- Ribbentrop. Les Anglais avaient dépensé cinq millions de livres pour acheter des diplomates turcs.

- Staline. Oh ! Je puis vous assurer qu'ils ont dépensé beaucoup plus.

- Ribbentrop. Vous savez, à Berlin on dit que vous adhérez aussi au pacte anti-komintern. (13)

Le 24 novembre 1942, Léopold Trepper est arrêté par les Allemands au cabinet du docteur Maleplate.

Dans sa cellule, il rencontrera Willy Berg (l'adjoint de Karl Giering, chef du Sonderkommando), qui lui donnera des informations sur ce qui s'est passé à Moscou :

-« Aux premières heures du 24 août 1939, le pacte de non-agression entre l'Allemagne hitlérienne et l'Union soviétique est signé au Kremlin.
Mon futur ange gardien, le guestapiste Berg, alors garde du corps de Ribbentrop, me raconta plus tard dans quelle atmosphère d'allégresse se déroula la cérémonie.

Pour fêter cet événement, on sabla le champagne et Staline levant son verre, porta un toast inoubliable :

- Je sais combien la nation allemande aime son Führer, c'est pourquoi j'ai le plaisir de boire à sa santé. » (16)

Karl Giering est mort d'un cancer de l'estomac avant la fin de la guerre.

En reconduisant Ribbentrop à sa voiture, Staline lui dit :

-« Le gouvernement soviétique prend le nouveau pacte très au sérieux.
Il peut garantir, sur son honneur, que l'Union soviétique ne trahira pas son partenaire. » (76)

Il est alors 4 heures du matin.

D'après les mémoires de Khrouchtchev, après le départ de Molotov, Staline se serait écrié :

-« Je l'ai trompé !
J'ai trompé Hitler ! »

Staline-Hitler, le duo maléfique du XXème siècle.

Une anecdote pour terminer ce chapitre, un colonel soviétique raconta à Hans Baur que toute la nourriture ayant servi à nourrir la délégation allemande venait de l'étranger : la viande et la farine venaient de Pologne.


20° COMPRENDRE LA LOGIQUE DE STALINE

Tzveran Todorov va nous donner une explication concernant la politique diplomatique de Staline :

-« Les décisions de Staline sont prises en fonction, non des principes idéologiques, mais des objectifs à atteindre.
L'improvisation, l'adaptation aux circonstances doivent l'emporter sur toute conformité au dogme.
La signature du pacte germano-soviétique, en août 1939, n'obéit pas à une autre logique.
Staline ne se demande à aucun moment si cette alliance est conforme au dogme communiste ; il lui importe de savoir si elle lui est utile et il croit que oui. » (197)

-Staline. Nous pouvons man½uvrer, soutenant un pays contre un autre, pour qu'il s'entredéchirent.

-« Le défaut qu'il observe chez Hitler n'est pas que celui-ci est raciste, mais qu'il obéit à son idéologie au lieu de ne s'occuper que de son intérêt ; comparé à Hitler, Staline est un pur pragmatique. (197)

En 1975, Hedrick Smith dans son ouvrage Les Russes décrivait la propagande soviétique pour réécrire l'histoire :

-« Pour les Russes d'ailleurs, la guerre ne symbolise pas automatiquement la collaboration avec les Alliés ; encore aujourd'hui ils gardent rancune à l'Ouest pour la façon dont la guerre a été conduite.
Pour des raisons de solidarité idéologiques, au cours de leurs commémorations, ils évoquent souvent le combat modeste mené par les Polonais, les Roumains et les Hongrois contre les Nazis, mais ils font rarement cas de ce qu'ont fait les Britanniques, les Français ou les Américains.
Mais, en dehors de cette ligne officielle de solidarité communiste, personnellement, je me trouvais assailli par l'argument suivant : c'était volontairement que l'Ouest avait retardé le débarquement en Normandie pour permettre aux Nazis de concentrer leurs efforts contre les Russes.
Ceci est considéré par les Soviétiques comme une trahison intentionnelle.
A ce sujet, beaucoup citent Staline, en ignorant complètement que le propre pacte de Staline avec Hitler a permis aux Allemands, de 1939 à 1941, de concentrer leurs forces sur les Britanniques pendant les premières années de la guerre, sans être distraits par un second front à l'Est. » (48)

Hedrick Smith fut nommé en 1971 chef du bureau du New York Times à Moscou.
Il obtint, en 1974, le prix Pulitzer pour ses reportages en provenance de Moscou.

21° DESCRIPTION DE HITLER PAR STALINE

Voyons la description par Staline de Hitler :

-« C'est sans aucun doute un homme génial, mais il a un défaut capital : il ne s'est pas s'arrêter à temps. »

-« Pauvre homme qui ne s'en tirera pas. »

22° DESCRIPTION DE STALINE PAR HITLER

Maintenant, voyons la description par Hitler de Staline :

-« Je n'ai aucune animosité personnelle contre Staline.
C'est une bête dangereuse, mais un type courageux. »

Nous allons maintenant laisser la parole au pilote de Hitler, Hans Baur :

-« Au cours des jours suivants j'entendis souvent parler, pendant les repas, de ces négociations de Moscou, surtout quand nous avions des invités étrangers au groupe.
Hitler exprima à maintes reprises sa satisfaction des résultats obtenus.
Certains convives s'étonnèrent de ce revirement, aussi déclara-t-il que la carrière de Staline ressemblait à la sienne.
Lui aussi était sorti des couches inférieures du peuple, et il pouvait en parler en connaissance de cause, c'était un exploit extraordinaire pour un inconnu que de s'élever au premier rang de l'Etat !

-Mais, mon Führer, objecta quelqu'un, vous ne pouvez tout de même pas vous comparer à Staline !
Staline a été un dépouilleur de banques !

-Si Staline a pu dépouiller quelque banque, riposta Hitler, en balayant la remarque d'un geste, ce n'était pas pour lui personnellement mais pour son parti, pour sauver son mouvement.
On ne peut y voir un crime de droit commun ! » (172)

23° LES CONSEQUENCES DU PACTE

Pour Jacques Chastenet (1893-1978) :

-« Ce pacte rend la guerre inévitable.
Accessoirement il détermine un extrême désarroi chez les communistes français jusque là véhéments antimunichois. » (151)

Indéniablement les diplomaties françaises et anglaises se sont totalement effondrées.

Les causes de cet effondrement sont liées à plusieurs causes :

- D'abord, pour une bonne partie des dirigeants politiques et de l'opinion publique, l'ennemi numéro un est l'URSS car le bolchevisme fait peur à la classe possédante.

- Et puis, n'oublions pas qu'un effondrement du régime soviétique amènerait une renégociation des emprunts russes.

On comprend facilement que le grand espoir des puissances occidentales est de voir l'Allemagne envahir l'URSS.
C'est l'une des raisons ayant empêcher les Français de contre le militarisme allemand.

Ce point de vue est confirmé par l'historien anglais, John Wheeler-Bennet :

-« Ce désir de voir Hitler dominer l'Europe centrale et orientale n'était pas, cependant, un sous-produit de la ligne générale de la diplomatie anglaise.
Il avait une portée infiniment plus grande et constituait l'un des traits fondamentaux de tout l'ensemble de la situation politique.
En ces jours, derrière le désir de paix et d'apaisement à l'égard de Hitler se cachait, sinon dans les pensées de Chamberlain lui-même, tout au moins dans celles de quelques-uns de ses conseillers, l'espoir secret que si l'on parvenait à diriger l'expansion allemande vers l'est, celle-ci, avec le temps se heurterait à la Russie soviétique.
Dans le conflit qui s'ensuivrait, le national-socialisme et le communisme s'épuiseraient mutuellement...
Ceux qui partageaient ce point de vue estimaient que la Russie bolchevique présentait un plus grand danger pour l'Angleterre que l'Allemagne nazie. »

Donnons maintenant le point de vue du général de Gaulle :

-« Il faut dire que certains milieux voulaient voir l'ennemi bien plutôt dans Staline que dans Hitler.
Ils se souciaient des moyens de frapper la Russie, soit en aidant la Finlande, soit en bombardant Bakou, soit en débarquant à Stamboul, beaucoup plus que de la façon de venir à bout du Reich. » (60)

24° LA PRESSE AU LENDEMAIN DU PACTE

En achetant son journal, le jeudi 24 août 1939, le lecteur du Petit Journal apprenait que le coureur automobile anglais Cobb a battu le record du monde de vitesse en automobile en parcourant un mille à 593.479 km/h.
Cela se passait à Bonneville aux Etats-Unis.
Si notre lecteur achète également Le Matin, il apprendra que le précédent record appartenait à un dénommé Eyston à la vitesse de 575. 570 km/h.
Si notre lecteur préfère Le Figaro, cette fois-ci, le record de Cobb passe à 593.041 km/h.
Le seul petit problème est que ces trois journaux se trompaient.
John Cobb battit le record du monde avec sa voiture Napier-railton à la vitesse de 595.041 km/h et que le précédent record de Eyston en 1938 avec son véhicule Thunderbolt était de 575.217 km/h. (275)
Pour la petite histoire, en 1947, John Cobb battit son propre record avec Railton Mobile à 634.352 km/h. (275)

Louis Brun, directeur de la maison d'éditions Grasset est abattu à coups de revolver par sa femme.

Le président de la république de Bolivie s'est suicidé d'un coup de pistolet à la tempe.

En lisant le NEW-YORK HERALD TRIBUNE, on apprend que Rudolf Valentino (1895-1926) est mort, il y a tout juste treize ans. (4)

Le BREMEN quitte Southampton à destination de New York.

A cette nouvelle, la plupart des valeurs du Stock-Exchange ont regagné des points car dans les milieux de la City, on s'est aussitôt souvenu qu'en septembre dernier, tous les navires allemands se trouvant en haute mer avaient été rappelés.
Le fait que le paquebot géant allemand ait reçu la permission de prendre le large a causé la meilleure impression sur les spéculateurs.

Le Bremen est sorti des chantiers navals de Hambourg en 1929 en même temps que l'EUROPA.
Ce navire eu le privilège, dès sa première sortie de gagner le ruban bleu, en 4 jours 17 heures et 42 secondes,
L'EUROPA pris sa revanche l'année suivante, en 4 jours 17 heures et six secondes.
Ces deux paquebots appartenaient à la Hamburg Amerika Linie.

L'EUROPA finira sa vie comme tant d'autres chez un ferrailleur.
Il fut démolit à La Spezia en 1962.
Quand au Bremen, comme le Normandie, il finira victime d'un incendie le 16 mars 1941.

Quelques jours plus tard, en septembre 1939, le BREMEM, après s'être abrité dans le port soviétique de Mourmansk, put rejoindre l'Allemagne.

Churchill, précise dans ses mémoires, que le paquebot allemand fut épargné par le sous-marin britannique SALMON, qui observa ponctuellement les règlements internationaux. (89)
Churchill précise également que le SALMON était commandé par le lieutenant-commander Bickford qui disparut peu de temps après, avec son bâtiment. (89)

La première journée du championnat de France professionnel 1ère et 2ème division devait avoir lieu dimanche prochain 27 août.
Mais devant la situation internationale actuelle, les clubs étant privés d'un
certain nombre de leurs joueurs, la fédération a décidé que tous les matchs prévus pour la journée de dimanche seront remis à une date ultérieure.

Les basketteurs français deviennent champions du monde aux jeux universitaires de Mexico.

La publicité est bien évidemment présente.

Dans Le Petit Journal, on peut ainsi lire la publicité suivante :

LE TRANSPORT CHER, C'EST LA VIE CHERE !
Quand l'Etat augmente le tabac, vous pouvez dire : ça m'est égal, je ne fume pas !
Mais, quand l'Etat met une nouvelle taxe sur les transports, cela ne peut pas vous être égal, car lorsque vous irez chez le boucher, chez le laitier, chez le fruitier, vous paierez plus cher.
Le transport cher, c'est la vie chère !
S.E.P.D.A - 20 Avenue de Wagram, Paris VIII ème
Société d'Etudes Pour Le Développement de l'Automobile.

Autre publicité dans Le Matin :

-« Allez à Vichy en septembre.
Venez à Vichy en septembre.
Vous bénéficierez de soins plus attentifs, de prix plus modérés, d'un repos plus complet, tout en profitant des charmes et des divertissements de la pleine saison : théâtres - concerts - excursions - sports etc.. » (2)

Parfois la publicité est en avance sur l'histoire.

Le Petit Journal dirigé par le colonel François de La Rocque (1885-1945), était l'organe officiel du parti Social Français.
La Rocque avait fondé ce parti le 10 juillet 1936, après les décrets du 18 juin 1936
dissolvant les ligues dont évidemment les croix de feu, une association d'anciens combattants fondée en 1927 par notre colonel.

Dans un article de ce journal, nous apprenons qu ' :

-« Un quinzième enfant vient de naître au foyer de notre ami Leclercq, délégué du PSF en Bretagne.
Nos lecteurs ont gardé le souvenir de l'abominable attentat dont, il y a deux ans, furent victimes les militant PSF de Bretagne, réunis à Landernau, pour fêter le baptême du quatorzième enfant de notre camarade Leclercq.
L'immeuble où avait lieu le repas fut entouré par des équipes de moscoutaires et mis véritablement en état de siège.
Toutes les vitres furent brisées.
Plusieurs convives furent blessés.
La raison de cette émeute était la présence au baptême de La Rocque, qui avait accepté d'être le parrain.
Le Petit Journal, interprète de la grande famille PSF offre au président régional breton et à Madame Leclercq ses félicitations et forme des v½ux de bonheurs pour le petit Michel. »

Mais pour mieux connaître le colonel François de La Rocque (1885-1946), laissons la parole à Gilles Perrault :

-« La Rocque !
Les historiens n'ont pas fini de discuter sur ce nain politique hissé un instant sur le socle formidable que lui faisaient deux millions d'adhérents, le parti le plus nombreux qu'ait jamais compté la France.
Il est vrai qu'il s'agissait du parti des mécontents.
L'homme était brave à tous les sens du terme.
Poulain de Lyautey au Maroc, officier prestigieux de la première guerre, il prend la tête de l'association des Croix de Feu, où se retrouvent les seuls anciens combattants décorés au feu.
C'est alors le temps des ligues d'extrême droit, dont beaucoup virent au fascisme.
La Rocque ne saurait être fasciste puisqu'il est intensément chrétien et plus ou moins républicain, mais il incarne l'antisémitisme modéré, l'antiparlementarisme virulent et l'anticommunisme viscéral de la petite bourgeoisie française roulée sans rien y comprendre des sommets de 1918 jusque dans les affres de la crise économique de 1930.
Les scandales financiers gonflent les effectifs Croix de Feu, qui s'adjoignent les Fils Croix de Feu, puis les volontaires nationaux, trop jeunes pour avoir combattu, le plus prestigieux sera Jean Mermoz (1901-1936).
Au soir du 6 février 1934, dans l'émeute soulevée par l'affaire Stavisky, leurs colonnes disciplinées prennent à revers la chambre des députés que la masse des manifestants attaque par la Concorde.
Ils bousculent les barrages et ont la chambre à portée de main quand un ordre de la Rocque les détourne et les envoie déambuler, inoffensifs, du côté des Invalides tandis que les salves de la garde mobile continuent de coucher sur le pavé de la Concorde des centaines de manifestants.
La Rocque pensait à juste titre que la prise d'un édifice public ne s'identifiait pas à la prise du pouvoir, mais il a réussit la performance, chez lui coutumière, de s'attirer la haine de l'extrême droite pour n'en avoir pas fait assez, et celle de l'extrême gauche pour être allé malgré tout un peu loin.
Cette conjonction apaisante lui vaut dix milles adhésions par jour.
Les Croix de feu dissoutes avec les autres ligues, il crée le Parti Social Français.
La doctrine est floue ; le programme, indécis.
Une devise promise à un bel avenir : Travail, Famille, Patrie.
L'égalité des âmes pour en finir avec la lutte des classes, étant entendu que cette égalité n'empêche pas l'inégalité des conditions.
Des formules qui plaisent à force d'être creuses : ni blanc, ni rouge, mais bleu blanc rouge.
La haine de la franc-maçonnerie et des phrases bien senties sur la purulence juive, étant admis qu'il y a de bons juifs qui ont fait leur devoir au front et qu'on pourra garder sans inconvénient.
Un épouvantail commode : le bolcheviste, le moscoutaire, l'homme au couteau entre les dents.
A coup de manchettes hystériques, la presse de La Rocque annonce chaque matin que le Grand Soir est pour demain.
Alors, on man½uvre.
Le brave colonel est à son affaire.
Rassemblements géants, défilés martiaux, meetings impromptus.
Il s'agit d'intimider les rouges.
Le chef d'½uvre de ce kriegspel ingénu se situe au printemps de 1935.
Les militants convoqués aux portes de Paris y trouvent des centaines de voitures et de cars, dont chaque conducteur, à l'heure dite, ouvre une enveloppe contenant ses instructions et son itinéraire.
Par des chemins différents, sans embouteillage, guidées par des agents de liaison aux carrefours, les colonnes s'égrènent vers l'Ouest.
Peu avant la tombée de la nuit apparaît la flèche de Chartres.
C'est presque la route de Péguy.
On l'aurait parié.
N'empêche que vingt-cinq mille hommes ont été transportés à cent kilomètres.
Le colonel va les haranguer dans une prairie, juché sur une charrette de foin éclairée par des projecteurs.
Il leur annoncera une fois de plus que l'heure H du grand coup de balai ne va pas tarder à sonner et qu'ils doivent se tenir prêts.
Une fois de plus, ses militants les plus ardents se retireront avec le sentiment d'avoir été mené au bord du Rubicon pour y pêcher à la ligne.
C'est l'époque où un chansonnier parisien s'écriait chaque soir l'immobilisme est en marche et, désormais, rien ne l'arrêtera.
Les fascistes français, qui n'ont pas oublié le demi-tour gauche des Croix de Feu, le 6 février, ne les appellent plus que les Froides queues.
Le colonel de la Rocque devient Ronronnel de la coque.
Après sa mort, ses fidèles hasarderont qu'il était peut-être un peu de Gaulle et que son P.S.F préfigurait le R.P.F.
Même si la clientèle était identique, les patrons ne se comparent point.
La Rocque était plutôt un Boulanger mâtiné de Poujade.
Il ne savait pas ce qu'il voulait, mai il l'a dit avec sonorité.
Ses phrases creuses se sont envolées au vent de l'histoire.
Qui se souvient aujourd'hui du colonel François de la Rocque ? » (24)

Après l'armistice, La Rocque se montra en parti favorable à la révolution nationale, mais son patriotisme le détourna de toute collaboration.
Entré dans la résistance, il fut arrêté puis déporté par les Allemands.
Il mourut à son retour de captivité en 1946.

Mais la principale nouvelle de ce jeudi 24 août 1939, nous provient d'une dépêche de l'agence Havas :

-« Berlin 24 août
M Von Ribbentrop avait eu, mercredi après-midi, un entretien de trois heures avec MM.Molotov et Staline en présence du comte de Schulenburg.
Le ministre des affaires étrangères du Reich s'est rendu, mercredi à 22 heures, au kremlin pour poursuivre les conversations.
Les négociations se sont terminées par un accord entre l'Allemagne et l'URSS, qui a été signé par M.Von Ribbentrop et M.Molotov en présence de M.Staline et de l'ambassadeur d'Allemagne. »

Léon Boussard dans Le Petit Journal considère que :

-« L'accord de non-agression soviéto-nazi est un acte de banditisme et de trahison.
Mais nous étions prévenus.
Il y avait eu Brest-Litovsk.
Il y avait eu Rapallo (14 avril 1922).
Il y avait eu le traité de Berlin du 22 avril 1927, renouvelé par Hitler lui-même, en mai 1933.
L'article 2 de ce traité de Berlin prévoyait que l'une des deux parties resterait neutre si l'autre était attaquée.
L'article 3 de ce traité de Berlin prévoyait qu'aucune des deux parties n'entrerait dans une coalition économique.
A quand donc la trahison proprement dite remonte-t-elle ?
Très certainement, c'est au cours de son dernier voyage en Russie soviétique, au printemps dernier, que M.Von Papen (1879-1969), grand spécialiste de ce genre d'exploits, prépara la chose.
L'accord était certainement déjà fait lorsque Staline décida de limoger Litvinov, pour le remplacer par le camarade Molotov, un peu plus sûr.
Oui, il faut bien comprendre qu'on ne joue pas aux échecs avec son c½ur.
Oui, il faut bien comprendre qu'on ne fait pas de diplomatie avec son c½ur.
Nous a-t-on assez bernés avec toutes ces querelles d'idéologie !
Le pacte anti-komintern n'était qu'une blague.
Qu'il y ait toujours eu des contacts entre les nazis, les bolcheviks et les fascistes, voilà ce que nous avons, à maintes et maintes reprises, répété et prouvé avec des textes.
La presse italienne, aujourd'hui, nous rappelle que, depuis longtemps déjà, c'est dans les chantiers Spezia que sont construits la plupart des navires de guerre de l'URSS.
Je me souviens encore d'avoir entendu M.Von Ribbentrop, lorsque,véhément, violent, il défendait la remilitarisation de la zone rhénane, déclarer que si le Führer avait pris cette décision, c'était parce que la France favorisait l'idéologie et les desseins des bolcheviks !

Diverses hypothèses doivent être maintenant envisagées :

1. Ou bien, il s'agit d'un chantage de la Russie qui veut contraindre la France et l'Angleterre de satisfaire toute ses demandes les plus impérieuses, en jouant sur les deux tableaux ;

2. Ou bien, l'URSS affirme avoir pris depuis longtemps sa décision qu'elle entend se retirer du jeu de l'Europe occidentale, soit pour mieux régler ses difficultés intérieures, soit pour concentrer tous ses efforts vers l'extrême orient où elle se trouve en butte aux plans des dirigeants de Tokyo.
Donnant, donnant.
Lorsqu'un accord est signé, aucune des parties n'accorde tout à l'autre sans contre-partie.
La Russie aurait-elle obtenue du Reich que celui-ci laisse tomber le Japon ?

3. Ou bien, il s'agirait d'un nouveau projet de partage de la Pologne, analogue à ceux de 1772, de 1793 et de 1795.
Les partages de la Pologne ont toujours été faits à la suite d'une initiative de la Prusse, grâce à la complicité payée de la Russie.
MM. Von Papen et Von Ribbentrop ne feraient que revenir à la politique de Catherine et à la politique de Bismarck.
Et Voici que certains journalistes anglais, fort bien renseignés, parlent d'un ultimatum allemand à la suite duquel le Reich tenterait d'obtenir que la Pologne lui cède tous les territoires situés en deçà des frontières allemandes de 1914.

4.Ou bien, et ceci nous semble être l'hypothèse la plus vraisemblable, les soviets attendent l'heure du chambardement général en Europe pour laisser venir et intervenir au moment précis où ils auront quelques chances de bolchéviser l'Europe.
Les Allemands donc, déclarent qu'ils pourraient atteindre facilement, en quatre jours, leurs frontières de 1914 en Europe centrale !
Voire !

La Pologne est forte.
Elle est prête.
Elle a des alliés.
Elle a fait savoir que, dans le cas même où elle ne serait pas soutenue, elle se battrait jusqu'au dernier homme.
La force militaire Polonaise n'est point une force négligeable.
Les classes creuses qui donnent chez nous que 250 000 hommes, en donnent 300 000 en Pologne.
La Pologne possède la meilleure cavalerie du monde (quatre millions de chevaux peuvent être réquisitionnés).
La Pologne est un pays de plaines, qui peut offrir une très grande résistance.
Les Polonais, qui savent depuis longtemps que la Haute-Silésie est très menacée et très convoitée, ont transporté leurs centres industriels importants dans des zones de précaution bien choisies.
Où en est-on ?
Que l'Allemagne est bien jouée son coup, nul n'en peut douter.
Mais l'aide de la Russie n'était considérée, par les gens sérieux, que comme fort problématique.
Le front de paix ne se trouve donc pas entamé, contrairement à ce que croient les Allemands eux-mêmes.
Ce qui aggrave la situation très certainement, c'est que la menace d'agression allemande en Europe centrale s'est accrue.
L'essentiel pour nous, c'est que, en ce moment où le chancelier Hitler doit se demander si c'est Bismarck qu'il veut imiter, ou Guillaume II, nous soyons, Anglais, Français, Polonais, Roumains, Turcs et Grecs, forts, décidés et prêts à prouver que notre décision est prise, et bien prise, de résister à la force par la force.
Il est peut-être bien significatif qu'au moment où les préparatifs allemands s'accentuent, l'Italie, en apparence tout au moins, semble fort peu agitée par les concentrations ou les mouvements de foules ». (3)

Pour compléter l'article de Léon Boussard, je vais faire rapidement un rappel des trois partages de la Pologne.

La Pologne subit un premier partage en 1772 entre la Russie, la Prusse et l'Autriche sous Stanislas II Poniatowski (1732-1798).
Ce fut le dernier roi de Pologne.
Il régna de 1764 à 1795.
Ce premier partage eut lieu après l'insurrection des patriotes : La Confédération de Bar.
La Confédération de Bar est une union formée en 1768 par les patriotes polonais qui luttèrent en vain contre la Russie.

Un deuxième partage eu lieu en 1793.

Puis un troisième en 1795, après l'insurrection de Tadeusz Kosciuszko (1746- 1817).
Volontaire lors de la guerre d'Indépendance américaine (1775-1783), Kosciuszko rentra en 1794 en Pologne, où il prit la direction militaire de l'insurrection contre la Russie et la Prusse.
Il remporta quelques victoires, notamment à Varsovie contre les Prussiens en 1794.
Battu à Maciejowice, prisonnier des Russes de 1794 à 1796, il se réfugia en France à sa libération.

En 1795, la Pologne est rayée de la carte des Etats d'Europe .
Elle ne retrouvera son indépendance qu'en 1918.

Le quatrième ne va pas tarder.

Bien évidemment, Léon Boussard surestime la puissance militaire polonaise.

Selon Sir Basil Liddel Hart (1895-1970) :

-« Dans le cas des Polonais, leurs principes militaires étaient archaïques, de même, dans une large mesure, que le modèle de leurs forces.
Ils n'avaient pas de divisions blindées ou motorisées et leurs formations manquaient d'armement antichar et antiaérien.
De plus, les dirigeants polonais plaçaient encore leur confiance dans la valeur d'une grande masse de cavalerie montée et ils entretenaient une croyance pathétique en la possibilité d'exécuter des charges de cavalerie.
Il est tristement ironique de rappeler ici que lorsque dans mon livre, The Defence of Britain, publié peu avant la guerre, j'avais exprimé des craintes quant à la façon dont les chefs militaires polonais continuaient de croire à la vertu des charges de cavalerie en face des armes modernes, le ministère des Affaires Etrangères avait reçu l'ordre de déposer une protestation officielle contre une telle opinion au sujet du jugement de ses militaires.
A cet égard, on pouvait sans risque affirmer que leurs idées avaient plus de quatre-vingt ans de retard, car la futilité des charges de cavalerie avait été démontrée au cour de la guerre de sécession américaine.
Le maintien de grandes quantités de cavalerie dans toutes les armées au cours de la première guerre mondiale, dans l'espoir de l'ouverture du front qui ne se produisit jamais, avait représenté la farce suprême dans cette guerre statique. (22)

Churchill précisa à propos de la Pologne que :

-« Du point de vue du nombre et du matériel, l'armée polonaise était hors d'état de se mesurer avec l'envahisseur.
Les troupes avaient été disposées en dépit du bon sens tout le long des frontières ; à l'intérieur du pays, il n'y avait pas de réserves.
Les Polonais, tout en adoptant une attitude fière et même un peu hautaine devant les exigences allemandes, avaient craint de faire figure de provocateurs, et n'avaient pas procédé à temps à la mobilisation, que justifiaient pourtant les concentrations de troupes allemandes tout autour de leur territoire.
Trente divisions, représentant seulement les deux tiers de leur armée active, reçurent le premier choc.
La vitesse à laquelle évoluèrent les événements, jointe à l'intervention foudroyante de l'aviation allemande, empêcha le reste des troupes de monter en ligne avant que le front eût cédé.
Ces hommes ne purent qu'être entraînés dans le désastre final.
Ainsi les 30 divisions polonaises réparties sur un long périmètre et sans rien derrière elles, avaient à lutter contre des forces presque deux fois supérieures en nombre.
Les Polonais n'étaient pas seulement inférieurs numériquement ; leur artillerie était nettement surclassée par l'artillerie par l'artillerie ennemie ; ils n'avaient qu'une simple brigade blindée à opposer aux 9 divisions blindées allemandes, aux Panzers, comme on les appelait déjà.
Leur cavalerie, 12 brigades, chargea vaillamment contre les chars et les autos blindées, mais sans pouvoir leur faire grand mal : les cavaliers n'avaient que des épées et des lances.
Leurs 900 avions de première ligne, dont seulement la moitié peut- être étaient de type moderne, furent surpris et beaucoup furent détruits aux sol. » (89)

Mais sur un point Boussard a raison : l'Italie n'est pas prête à entrer en guerre.

Dans leur ouvrage Le procès de Nuremberg, Joe Heydecker et Johannes Leeb expliquent l'attitude de l'Italie :

-« A Rome, cependant, on fait preuve de bien plus de lucidité.
Son excellence Bernardo Attolico, ambassadeur d'Italie à Berlin, connaît à fond la situation intérieure de l'Allemagne et les problèmes du régime national-socialiste.
Les protestations pacifiques de Hitler ?
Il n'en croit pas un mot.
Mieux encore, il est persuadé que le Führer cherche à induire le Duce en erreur.
Conception rigoureusement juste.
Hitler, décidé depuis longtemps de passer à l'attaque, n'en fait pas moins de croire à son cher ami Mussolini qu'il se tiendra tranquille pendant, au minimum, les trois années à venir.

Attolico, lui, bombarde son gouvernent de mise en garde, à telle enseigne que le comte Ciano, ministre des affaires étrangères d'Italie, note finalement dans son journal :

- L'obstination d'Attolico commence à m'impressionner.
Deux choses l'une : ou bien, il a complètement perdu la tête, ou bien, étant sur place, il observe et devine des faits que nous ignorons ici.

Le 6 août 1939, les soupçons de Ciano s'affirment brusquement : à présent, il redoute que Hitler ne s'emploie à berner son allié italien.

A l'issue de son entretien, il note :

-Nous sommes d'accord sur la nécessité d'agir.
L'action allemande mène droit à la guerre.
Nous y engagerions dans les conditions les plus défavorables, nos préparatifs étant loin d'être terminés.
Je propose au Duce une nouvelle entrevue Ribbentrop-Ciano.
Il m'approuve entièrement.

Ciano va donc rencontrer Ribbentrop afin d'essayer de sauver la paix ou, du moins, de connaître les véritables intentions des allemands.
L'entretien aura lieu le 11 août 1939, au château de Fuschl, près de Salzbourg, l'une des résidences de Ribbentrop :

- Nous nous promenions sur la terrasse, en attendant de passer la table, quand Ribbentrop m'informa, d'un ton nonchalant, que Berlin allait incessamment mettre le feu aux poudres.
Je venais de lui demander ce que Hitler allait exiger des Polonais : Danzig ou le fameux couloir.
Il me répondit alors que tout cela était dépassé : à présent, l'Allemagne voulait la guerre.
Littéralement assommé, je lui exposais que, dans la situation actuelle, l'intervention armée de la France et de la Grande-Bretagne était certaine.
J'aurais aussi bien pu m'adresser à un mur.
Hitler et lui-même étaient de toute évidence convaincus que la France et l'Angleterre assisteraient en témoins passifs à l'assassinat de la Pologne.

Ribbentrop me proposa même un pari :

- Si les puissances occidentales restaient neutres, j'aurais perdu, et je lui donnerais une toile de maître italien ; si elles tenaient leurs engagements envers Varsovie, il m'enverrait une collection d'armes historiques. » (15)

Bernardo Attolico (1890-1942) sera remplacé à Berlin en 1940 par Dino Alfieri (1886-1966), ancien ministre italien de la Propagande. (109)

Après guerre, Alfieri écrira ses mémoires sous le titre : Deux dictateurs face à face : Hitler et Mussollini.

Dans l'ouvrage de William L.SHIRER (1904-1993) LE III ème REICH nous retrouvons de nombreuses notes du journal de CIANO.

Le 6 août 1939, Galeazzo Ciano (1903-1944) note :

-« Il est indispensable de trouver une issue.
Car, à suivre l'Allemagne, on va droit à la guerre, et nous y allons dans les conditions les plus défavorables pour l'Axe, et tout spécialement pour l'Italie.
Nous sommes au bout de nos réserves d'or, au bout de nos stocks de métaux...
Nous devons éviter la guerre.
Je suggère au Duce l'idée d'une entrevue avec Ribbentrop au cour de laquelle j'essayerais de reprendre le projet mussolinien d'une conférence internationale. »

Le 9 août 1939 :

-« Ribbentrop a approuvé l'idée d'une rencontre.
Je décide de partir demain soir pour Salzbourg.
Le Duce tient beaucoup à ce que je démontre aux Allemands, avec documents à l'appui, que la guerre serait une folie pour le moment."

Le 10 août 1939 :

-« Le Duce est plus que jamais convaincu de la nécessité de retarder le conflit.
Il a rédigé de sa main un projet de communiqué sur l'entrevue de Salzbourg qui, dans sa conclusion, fait allusion à des pourparlers internationaux pour résoudre les questions qui mettent en péril l'existence de l'Europe.
Avant de me quitter, le Duce me recommande encore de bien insister auprès des Allemands pour qu'ils évitent un conflit avec la Pologne, car il serait désormais impossible à localiser, et une guerre générale serait désastreuse pour le monde entier. » (14)

Dans un article de Pierre et Renée Gosset paru dans le magazine HISTORIA d'octobre 1959, on peut lire la transcription d'un dialogue très intéressant entre Hitler et Ciano :

-« Si un conflit est inévitable, l'Italie, bien entendu, se rangera aux cotés de l'Allemagne ; mais elle souhaiterait profondément que ce conflit soit post-posé.

Ciano énumère toutes les faiblesses qui rendent son pays vulnérable, mais, impitoyablement, Hitler revient à la charge :

- Il n'y a plus une minute à perdre dans la solution du problème polonais.

- Mais quand, dans votre esprit, interroge Ciano, ce problème doit-il avoir reçu sa solution ?

-Avant la fin d'août.
Après, il sera trop tard pour penser à une campagne d'automne.
A la première provocation polonaise, nous attaquerons dans les 48 heures.

-Mais quand cette éventualité peut-elle se produire ?

- A n'importe quel moment, dès cet instant. » (6)

Le 13 août 1939, Ciano note dans son journal :

-« Je rentre à Rome, dégoûté de l'Allemagne, de ses chefs, de leurs façons d'agir.
Ils nous ont trompés et nous ont menti.
Et maintenant, ils sont sur le point de nous entraîner dans une aventure que nous n'avons pas voulue et qui peut compromettre le régime et le pays. » (14)

Le 25 août 1939, l'ambassadeur d'Italie demande à être reçu d'urgence.
Il vient communiquer au Führer une note de deux pages, celle que Ciano a réussit à arracher à Mussolini.

Hitler blêmit en lisant les premiers mots :

- Führer, ceci est bien l'acte le plus douloureux de ma vie....

Mussolini déclare que l'Italie n'est pas prête à faire la guerre.
L'armée et l'aviation ont du carburant pour moins de trois semaines, l'industrie italienne n'a pas de matières premières.
Il faudrait que le Reich les lui fournisse pour que l'armée italienne puisse faire acte de belligérance.
La nouvelle bouleverse littéralement Hitler.
Le lâchage de Mussolini l'atteint moralement plus que n'importe quelle autre nouvelle.
Pendant toute sa vie politique, il considéra le Duce comme son seul allié fidèle.
Sa première réaction est d'éclater de rage.
Attolico raconte que l'écume lui vint littéralement aux lèvres tandis qu'il traitait Mussolini de misérable Romain hypocrite.
On imagine aisément la scène.
Attolico lui-même est le diplomate italien traditionnel, pétri de finesse et de courtoisie, qui méprise profondément les Allemands et déteste non moins sincèrement son maître Mussolini.
Toute son ambassade à Berlin aura été tendue vers un but, brouiller les relations italo-allemandes.
Toute son activité des dernières semaines, il l'a consacrée à empêcher que l'Italie soit mêlée au conflit.
C'est un homme dont la tempérance de caractère n'est pas la vertu dominante.
Mais il n'a aucune peine à garder son calme en la circonstance.
Plein d'une énorme jubilation intérieure, il contemple Hitler de ses yeux plissés de myope, sans dire un mot, tout en balançant machinalement au bout de son cordonnet noir un monocle qu'il a sorti de la poche de ce gilet jaune pâle, toujours couvert de taches, qui fait la joie du Berlin diplomatique.
Hitler le jette à la porte.
L'Italie s'écarte avec effroi de la guerre.
A la suite se l'entrevue orageuse avec Attolico, Hitler a fait demander à Rome ce qu'il faudrait comme livraisons à l'Italie pour pallier ses déficiences et lui permettre d'entrer dans la guerre.
L'ambassadeur d'Allemagne, von Mackensen, apporte la dépêche à Ciano.
Ils se rendent ensemble au Palazzo Venezia, chez Mussolini.

Pendant le trajet, von Mackensen dit à Ciano d'une voix angoissée :

- Faites une liste complète, n'est-ce pas ?
Très complète.

Lui aussi croit au frein italien.
Lorsque Ciano envoie la liste à son ambassadeur Attolico, elle a de quoi tuer un taureau (écrit-il dans son journal) : 7 millions de tonnes de charbon, 2 millions de tonnes d'acier, etc..
Attolico, au reçu de la dépêche et après une conversation téléphonique avec Ciano, porte en jubilant la liste à von Ribbentrop.

Le ministre allemand, choqué par l'énormité des demandes du partenaire du Pacte d'Acier (Pacte d'assistance militaire conclu à Berlin, le 22 mai 1939 entre l'Allemagne et l'Italie), lève son visage impassible et demande à Attolico :

- Mais...dans quel délai tout cela doit-il être livré ?

- Immédiatement, fait Attolico qui le regarde en face.
Avant le début des hostilités

Ribbentrop prend un crayon, fait un calcul rapide

- Savez-vous que même si nous disposions de tout ce que vous réclamez de nous, il faudrait 7000 wagons pour en effectuer le transport ?
Au moment où nous sommes en pleine concentration de troupes.
C'est une manière pure et simple d'empêcher l'alliance italo- allemande de jouer.

- Ce sont les instructions de mon gouvernement, rétorque avec raideur Attolico, qui bluffe désespérément.
Car jamais l'exigence de la livraison immédiate n'a été formulée par Rome.

Il l'a inventée de toutes pièces.

- Etes-vous certain que vous parlez au nom du Duce ? insiste von Ribbentrop.

Comment Attolico saurait-il que toutes ses conversations téléphoniques avec Rome sont interceptées et sténographiées et que le ministre allemand sait qu'il outrepasse ses instructions ?
Le bluff de Attolico joue pourtant.
Le Führer télégraphie à Mussolini : devant l'impossibilité de lui fournir ce qui lui est nécessaire avant le début des hostilités, il est en effet opportun que l'Italie s'abstienne, pour l'instant, d'entrer dans le conflit.
Sur l'heure, Mussolini envoie à Hitler un message d'une monumentale hypocrisie.
Puisque c'est le désir du Führer il s'abstiendra d'entrer en guerre pour le moment. (6)

Léon Boussard a également raison lorsqu'il présume que le pacte Ribbentrop-Molotov peut être un nouveau projet de partage de la Pologne.

A l'occasion de la signature du pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS, il fut aussi signé un protocole annexe au pacte initial :

-Au cas où des changements territoriaux se produiraient dans les régions appartenant aux pays baltes, la frontière septentrionale de la Lituanie constituerait la ligne de partage entre les sphères d'influences des puissances signataires.
Au cas d'un changement territorial dans les régions faisant actuellement partie de la Pologne, les sphères d'influences respectives seraient délimitées par une ligne suivant grosso modo le cours du Narew, de la Vistule et de la San.

-L'accord signé par Molotov et Ribbentrop se termine par cette phrase : les deux parties s'engagent à tenir la présente convention rigoureusement secrète.

Continuons de lire la presse du jeudi 24 août 1939.

Le Matin donne :

-« Un coup de chapeau au socialiste DAILY HERALD (fondé en 1911 il devient en 1964 le SUN), de Londres, qu'on fera difficilement passer pour un organe hitlérien : il est celui qui a le mieux stigmatisé la duplicité du procédé soviétique dans le pacte que Moscou va conclure.

-Pendant tout le temps que le gouvernement de l'URSS négociait ouvertement avec les puissances occidentales, il négociait secrètement avec l'Allemagne.
Les premières démarches ont lieu en juin, au moment même où le gouvernement des soviets insistait pour qu'un accord avec la Grande-Bretagne et la France prit la forme d'une alliance.

C'est bien là, en effet, que gît la félonie russe.
Si les hommes de Moscou jugeaient que les deux négociations étaient compatibles avec les règles de l'honneur et de la loyauté, pourquoi en ont-ils caché une ?
Pourquoi n'ont-ils pas honnêtement prévenu les négociateurs anglo-français qu'ils étaient en pourparlers ?
En fait, pendant qu'ils faisaient traîner une négociation, ils activaient l'autre ; pendant qu'ils excitaient les démocraties à l'intransigeance, ils passaient un contrat avec les dictatures qu'ils dénonçaient ; pendant qu'ils faisaient de la surenchère, ils organisaient la trahison.
Dans le domaine de la fourberie, il est difficile de mieux opérer. »
Reste à savoir comme dit LE TEMPS (Quotidien fondé en 1861. Il disparaît en 1942), si ceux qui, en France, ont collaboré à cette longue imposture, ceux qui ont sommé Paris et Londres de jouer à tout pris la carte russe, n'auront pas de comptes à rendre.
Le pays est en droit de leur en demander. » (2)

Toujours dans Le Matin, on peut lire :

-« La première impression de stupeur passée, on a cherché aujourd'hui à Londres à attacher au nouveau coup diplomatique germano- russe l'importance exacte qu'il doit avoir.
Dans les cercles officiels, on ne cache pas qu'avant de connaître les termes exacts du pacte, pareille entreprise est quasi impossible.
Les milieux diplomatiques et politiques londoniens, de leur côté, critiquent sans réserve, aujourd'hui, le manque de bonne foi de l'URSS dans les négociations qu'elle poursuit depuis plus de trois mois avec la France et l'Angleterre.
Selon certains renseignements de bonne source, il apparaît établi que le Kremlin, dès le mois de février, avait approché Berlin en vue de la conclusion éventuelle d'un pacte.
Or à aucun moment, depuis que les négociations tripartites furent engagées, Moscou n'a soufflé mot à Paris ou à Londres de pareil projet.
Il est fort probable que Londres ne l'oubliera pas dans ses contacts futurs avec l'URSS. » (2)

Dans le Figaro, un ex-membre du parti communiste Boris Souvarine (1894-1984), exclu du PC en 1924, commente ainsi le pacte :

-« L'accord Hitler -Staline en perspective dissipe une illusion et laisse bien des incertitudes.
Cependant, il confirme une fois de plus ce qu'on ne doit jamais perdre de vue quand il s'agit de l'URSS, à savoir que Staline est toujours prêt à signer n'importe quoi avec n'importe qui, pourvu que son pouvoir en recueille un avantage quelconque, permanent ou temporaire.
En certains cas, il peut sembler avantageux à Staline de négocier pour ne pas signer, comme de signer pour renier sa signature, mais c'est toujours dans l'idée que chaque pas ou démarche implique au moins un petit profit qui contribue au succès d'une tactique d'ensemble, laquelle consiste à gagner du temps jusqu'à la prochaine guerre impérialiste.
Staline sait mieux que quiconque la fragilité de son régime, stabilisé en apparence seulement par la terreur.
Un tel régime ne dure qu'en raison du monopole des armes attribué à son parti dans un pays entièrement désarmé.
La mobilisation serait la disparition de ce monopole et par conséquent le début d'un règlement de comptes.
Le régime économique de l'URSS n'est pas plus stable que le régime politique par des moyens naturels.
Il n'est maintenu que grâce à une coercition administrative implacable et des violences policières renouvelées sans cesse.
Dans l'industrie, comme dans l'agriculture, il traverse crise sur crise qui exigent toujours des remaniements de personnel et des répressions supplémentaires.
La mobilisation désorganiserait tout et précipiterait le système dans sa crise finale.
Staline veut donc à tout prix échapper à l'épreuve d'une guerre.
Il ne demande pas mieux que d'alimenter la guerre chez les autres, comme il l'a fait en Espagne, comme il continue de le faire en Chine.
Il ne voit aucun inconvénient, au contraire, à ravitailler en cas de guerre, à la fois la Pologne et l'Allemagne, comme il a ravitaillé l'Italie pendant la guerre d'Ethiopie, comme il ravitaille le Japon en guerre contre la Chine, quitte à changer de tactique selon les opportunités de l'heure.
Il ne verrait que des avantages à une guerre européenne ou mondiale qui laisserait l'URSS en dehors, à supposer l'éventualité possible.
Mais il entend bien ne pas se mêler, par une participation directe, aux conflits qui exigeraient de l'URSS un effort économique et militaire tant soit peu sensible.
Il y va de son pouvoir, donc de sa tête.
Homme prudent par excellence, il n'ignore point les dangers à esquiver, les risques à ne pas courir.
Et en pareille matière, ce ne sont jamais les considérations idéologiques, pour ne pas parler de scrupules, qui le troublent ou l'embarrassent.
Il a entretenu d'excellent rapport avec Mustapha Kemal (1881-1938), qui pendait les communistes turcs ou les faisait jeter dans le Bosphore.
Il a été dans les meilleurs termes avec Mussolini, qui traite moins durement les communistes italiens mais cependant ne les ménage guère.
Il a eu, il a encore d'excellentes relations avec Tchang Kai Chek (1887-1975) qui ne s'est pas gêné pour exterminer le premier parti communiste de Chine.
Il a comblé de prévenances le maréchal Pilsudski qui menait la vie dure aux communistes de Pologne.
Et depuis la victoire du national-socialisme en Allemagne, il a travaillé patiemment à réaliser une entente avec Hitler.
Le voici à la veille d'aboutir selon toute apparence.
Mais cela ne l'empêche pas de juger cet accord parfaitement compatible avec un futur pacte franco-anglais soviétique.
Car, ne l'oublions pas, Staline est toujours prêt à signer n'importe quoi avec n'importe qui, pourvu que son pouvoir en recueille un avantage quelconque... » (1)

En effet, une fois de plus, Souvarine analyse remarquablement la politique stalinienne.

Oui, un des nombreux crimes de Staline est d'avoir soutenu Tchang Kaï-chek et surtout de l'avoir laissé massacré les communistes chinois.

Chang Kai-chek (18871975) après avoir reçu une formation militaire au Japon, il prit le parti de Sun Yat-sen (1866-1925) en 1913.
A la mort de celui-ci en 1925, dont il épousa la belle-s½ur, il devint le chef de la fraction modérée du Guomindang, prit la tête de l'armée et réprima durement le soulèvement communiste de Canton en 1927.

Staline, qui a négligé les avis de Trotski, laisse écraser le soulèvement communiste de Shanghai et échouer la commune de Canton. (250)
Pour en savoir plus sur le soulèvement de 1927, je vous conseille évidemment l'ouvrage d'André Malraux La condition humaine aux Editions Gallimard, prix Goncourt 1933.

Le Guomindang ou Kouo-min-tang (Parti national du peuple) est un parti nationaliste chinois fondé par Sun Zhongshan (Sun Yat-sen) en 1900.
Sun Zhongshan le rénova en 1923 sur le modèle du parti communiste soviétique.
Après la mort de son fondateur en 1925, Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek) regroupa l'aile modérée anticommuniste en 1927.
Néanmoins, toujours sur ordre de Staline, le parti communiste soutint son action de 1937 à 1946.
Depuis la défaite de Jiang Jieshi et la création de la république populaire de Chine en 1949, l'action du Guomindang se limite à Taiwan.

Je laisse maintenant la parole à Isaac Deutscher :

-« La révolution chinoise à ses débuts avait été influencée par la révolution russe.
Sun Yat-Sen, fondateur du Kuomintang, incita ses partisans à conserver l'amitié qui unissait les deux révolutions.

Après la mort de Sun Yat-sen, Staline envoi le message suivant au Kuomintang :

-Le Comité Central du Parti communiste russe est convaincu que le Kuomintang portera bien haut l'étendard de Sun Yat-Sen, dans la grande lutte de libération contre l'impérialisme, que le Kuomintang portera avec honneur cet étendard jusqu'à la victoire complète sur l'impérialisme et ses agents en Chine. »

Établissant un gouvernement nationaliste à Nankin, Tchang Kai Chek reconstitua l'unité de la Chine en reconquérant le Nord.
Elu président de la République en 1928, il s'attaqua aux communistes, installés dans le Sud, et les contraignit à se replier vers le Shanxi .
Ce repli est plus connu sous le nom de Longue Marche, en 1934 et 1935.

Le Kremlin n'aidera à aucun moment les troupes de Mao fuyant devant les armées de Tchang. (250)

Lorsque le 12 décembre 1936, les troupes de Mao (1893-9 septembre 1976) s'emparèrent de Tchang Kai Chek, Staline en personne exigea et obtint sa libération, car il le considérait comme le seul chef capable de résister aux Japonais. (250)

Mais, en 1937, Tchang dut accepter le concours de Mao Zedong pour lutter contre le Japon.
L'alliance fut rompue après la victoire en1945; affaibli par la corruption de son entourage, battu à plusieurs reprises par les communistes, Tchang Kaï-chek dut se replier en 1949 à Taiwan (Formose), d'où il présida la république de Chine
(nationaliste), reconnue par la majorité des gouvernements occidentaux jusque dans les années 70.
Il refusa toujours d'admettre la légalité de la république populaire de Chine.

Lors de la défaite française en 1940, Souvarine quitte la France pour les Etats-unis et ne reviendra qu'en 1947.

Ce même jour, où l'on apprend ce pacte contre-nature entre Hitler et Staline, Léon Blum (1872-1950) écrivit :

-« L'étonnement redouble quand on se souvient que l'horreur et la haine du communisme sont les sentiments par lesquels Hitler a prétendu justifier toutes ses entreprises récentes, y compris la destruction de la République espagnole et de la République tchécoslovaque ; que l'idéologie anticommuniste est à la base du nazisme, que l'instrument diplomatique qui a permis à l'Allemagne et à l'Italie de rassembler leurs alliés autour d'elles est un pacte anti-Komintern.
De son côté, la Russie soviétique n'a cessé d'exciter partout la propagande antifasciste.
Le communisme n'a cessé de dénoncer Hitler comme l'ennemi public de toute justice, de toute liberté, de toute civilisation.
Et c'est du côté de Hitler que la Russie soviétique semble pencher !
On ne saurait guère pousser plus loin l'audace, le mépris foncier de l'opinion, le défi à la moralité publique...
L'annonce du pacte germano-soviétique a marqué le commencement vrai de l'état d'alarme universelle.
Cela montre assurément que nous avions eu raison d'insister, comme nous l'avons fait depuis des mois et je puis même dire depuis des années, pour l'incorporation de la Russie soviétique dans un front défensif de la paix, car on sent aujourd'hui, par le vide que creuse son absence, que sa présence avait une valeur véritable. » (169)

Ce même jour, en Indochine, Phan Dinh Khai (1911-1990), plus connu sous le nom du Duc Tho est arrêté, puis transféré au pénitencier de Son-La, au bord de la rivière noire. (170)
Le Duc Tho était membre de la direction du parti communiste vietnamien dont il démissionna en décembre 1986.
Il signa les accords de Paris en 1973, conduisant au retrait de l'armée américaine du Viêt-nam.
Il refusa en 1973 le prix Nobel de la paix qui lui fut décerné en commun avec Henry Alfred Kissinger.

René Belin (1898-1977), directeur de l'hebdomadaire Syndicat (qu'il a fondé en octobre 1938), organe regroupant les tendances syndicales non communiste considère qu' :

-« On ne passera pas sous silence l'invraisemblable duplicité qui a dominé ces événements.
Car il est aveuglant que les soviets ont mené deux négociations de front, l'une avec les démocraties, l'autre avec la dictature hitlérienne, cette dernière étant tenue rigoureusement secrète.
Mais observons que, dans le temps où se poursuivaient ces machiavéliques combinaisons, les Soviétiques, par l'intermédiaire de leurs représentants, en France et ailleurs, invitaient les démocraties à l'intransigeance, à la plus stricte fermeté.
Ils dénonçaient comme criminelle pour la paix toute tentative de négociations.
Et eux-mêmes négociaient.
Ils incitaient les classes ouvrières de France et d'ailleurs à agir contre leurs gouvernements, coupables de n'être pas assez fermes, de ne pas cadenasser avec brutalité la porte aux arrangements.
Ils nous invitaient à brûler nos vaisseaux pour que nous ne puissions faire machine arrière et ils préparaient, à leur usage une sortie de secours.
Cette attitude de trahison est à juger sur deux plans : le plan national et le plan ouvrier.
Pour ce qui est du plan national, le pays parlera.
Mais nous, travailleurs, nous aurons un compte particulier à régler, car jamais abus de confiance aussi éhonté n'aura été commis contre nous. »

En septembre 1933, René Belin, secrétaire du Syndicat national des PTT, est appelé par le comité de la CGT, a siéger au bureau confédéral.
Il devint secrétaire général de la CGT, en sommes, le second de Léon Jouhaux (1879-1954).
Féru d'indépendance syndicale, condamnant la politisation des organisations ouvrières, il s'élève contre l'entrée des communistes à la CGT. (147)

Le 18 septembre 1939, le bureau confédéral de la CGT déclara :

-« Il n'y a plus de collaboration possible avec ceux qui n'ont pas voulu ou pas pu condamner une telle attitude, brimant les principes de solidarité humaine qui sont l'honneur de notre mouvement ouvrier. »

Le 25 septembre 1939, Benoît Frachon (1892-1975) propose une motion adressant un salut à l'initiative soviétique pour avoir signé le pacte.

Ce même jour, les communistes sont exclus de la CGT.

René Belin deviendra sous Vichy, le 14 juillet 1940, ministre de la production industrielle et du travail.
Belin démissionne en avril 1942 lors du retour de Laval comme chef du gouvernement.
Il bénéficiera le 27 janvier 1949 d'un arrêt de non-lieu.

Peu de temps avant sa mort, René Belin écrivit ses mémoires Du secrétariat de la CGT au gouvernement de Vichy aux Editions Albatros.

Le Matin du jeudi 24 août 1939 se pose la question de savoir si Les députés communistes sont-ils toujours pressés de se représenter devant leurs électeurs.

On n'aura jamais de réponse à cette question car le 26 septembre 1939, le parti communiste est dissous.

25° L'ATTITUDE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS

Edouard Daladier (1884-1970), dans une note, précisa la raison de cette suppression :

-« L'objet essentiel de cette mesure est d'empêcher l'ingérence inadmissible dans la vie nationale française d'un organisme étranger disposant sur un parti français d'une autorité suffisante pour contraindre ce parti, comme les derniers événements l'ont montré, à renverser du jour au lendemain sa position en politique extérieure. » (119)

Déjà dès le 26 août 1939, l'Humanité est interdit.

La veille, L'Humanité s'était réjoui du pacte :

-« Le succès que l'Union soviétique vient de remporter, nous le saluons avec joie car il sert la cause de la paix »

Le 26 août 1939, la publication Stato Operaio, éditée à Paris par le parti communiste italien est interdit.

Le 1er septembre 1939, Palmiro Togliatti (1893-1964) est arrêté à Paris.
Il s 'échappe l'année suivante et trouve refuge en URSS.

Dès la nouvelle du pacte, sur les 72 députés élus en 1936, 21 démissionnent.

Les écrivains Paul Nizan (1905-1940) et Julien Gracq renvoient leurs cartes pour marquer leur désaccord avec le pacte de non-agression.

Par la suite, les communistes traiteront Paul Nizan de traître et de flic.

Quant à Louis Aragon, il n'hésite pas à saluer l'accord germano-soviétique du 23 août comme un des plus grands actes de paix de tous les temps. (119)

35 des 72 députés du groupe communiste d'origine fonderont après la dissolution du PCF, le Groupe ouvrier et paysan dont le leader était Arthur Ramette (1897-1988).
Les membres de ce groupe seront déférés, pour reconstitution de ligue
dissoute devant la justice militaire.

Mais un mois avant la suppression du PCF, le 2 septembre 1939, Daladier proposa le vote d'un crédit exceptionnel de 69 milliards.
L'ensemble des parlementaires votèrent pour Daladier.

La raison pour laquelle les communistes votèrent les crédits de guerre est simple :

- Staline ne prévint les communistes français seulement le 27 septembre, par l'intermédiaire de Raymond Guyot, que le pacte de non-agression était une alliance militaire avec le Reich.

Les directives données par staline à Guyot sont claires :

-"La lutte anti-hitlérienne est abandonnée au profit de la lutte contre la guerre impérialiste et pour la paix." (272)

Raymond Guyot , était en 1939, en poste à Moscou, en tant que secrétaire général des jeunesses de l'International.
Raymond Guyot était également le beau-frère de Lise London, la femme de Artur London, l'auteur de l'Aveu.
Dans sa prison, où il restera du 28 janvier 1951 au 20 juillet 1955, le référent de London voulu l'obliger à avouer que Raymond Guyot était un agent de l'Intelligence Service.

Son référent lui déclara également :

-« Attendez qu'il y ait un changement de régime en France, vous verrez ce qu'on en fera de votre beau-frère et de ses pareils. » (58)

Il faut préciser qu'à partir de 1950, pour les affaires à caractères politiques, les juges d'instructions ont été remplacés par les hommes de la sécurités, les référents, qui conduisent les interrogatoires des détenus depuis son arrestation jusqu'à son jugement. (78)

Raymond Guyot deviendra, après-guerre, député et membre du comité central du PCF.

Le 1er octobre 1939, le groupe ouvrier et paysan demande à Edouard Herriot (1872-1957), président de la Chambre des Députés, l'examen d'une proposition de paix.

Le 2 octobre 1939, Maurice Thorez (1900-1964), mobilisé depuis le 3 septembre 1939 comme sapeur du 3ème génie à Chauny dans l'Aisne quitte son régiment.
Sa compagne Jeannette Vermeersch (1910-2001) et une militante Marinette Dutilleul viennent le chercher en voiture et l e 3 octobre, mêlé aux frontaliers, Thorez passe à pied en Belgique.

Le 28 novembre 1939, Thorez est condamné par contumace à six ans de prison pour désertion à l'intérieur en temps de guerre.
Le tribunal n'a pas retenu le passage en Belgique qui aurait entraîné la peine de mort.

Cette désertion n'est guère surprenant, Thorez n'a t-il pas dit :

-« Bien que Français, j'aie l'âme d'un citoyen soviétique. »

Dans ses Mémoires de guerre, Charles de Gaulle écrira :

-« Les communistes, qui s'étaient bruyamment ralliés à la cause nationale tant que Berlin s'opposait à Moscou, maudissaient la guerre capitaliste dès l'instant où s'étaient accordés Molotov et Ribbentrop. » (60)

Pierre Daix va nous expliquer le rôle de Thorez à cette époque troublée :

-« Thorez était en Union soviétique, c'est là l'élément essentiel.
Après s'être fait sermonner par Moscou pour avoir déclaré que le pacte germano-soviétique n'empêchait en rien de lutter contre l'offensive nazie, il s'aligna et dénonça ceux qui avaient refusé le pacte germano-soviétique, comme Paul Nizan.
Inutile de dire qu'après l'agression d'Hitler contre l'URSS, toute cette période a été jetée aux oubliettes.
Pas pour moi !
Parce que le hasard a voulu que je me retrouve emprisonné à Clairvaux avec un militant très important, secrétaire du groupe parlementaire après 1936 Auguste Havez.
Lui qui avait dirigé toute la ligne politique de résistance au nazisme en Bretagne, après la mise hors la loi du parti, en 1939, me confia qu'en mai 1940, juste avant que l'avance de la Wehrmacht ne coupe les communications avec Bruxelles il avait reçu des papillons pour diffuser les slogans « A bas la guerre impérialiste ! les Soviets partout ! Thorez au pouvoir ! »
Il ne pouvait y avoir le moindre doute sur leur origine.
Il refusa de les faire diffuser, expliquant en haut lieu : « Que Thorez me pardonne. S'il doit prendre le pouvoir en ces conditions, ce ne pourrait être que comme Gauleiter ! » (246)

Comme par hasard, Havez sera exclu après guerre, du comité central !

Je précise pour une meilleure compréhension de l'intervention de Pierre Daix qu 'en septembre 1939, le parti communiste français était divisé en deux :

-Une direction restait en France avec Benoît Frachon.
-Une antenne dirigée par Jacques Duclos à Bruxelles, chargée d'établir le lien avec Moscou.

Pierre Daix précise que :

-« C'est la direction de Bruxelles qui a diffusé en 1940 l'interprétation stalinienne du pacte germano-soviétique selon laquelle il fallait mettre un terme à la guerre contre Hitler, taxée de «guerre impérialiste ». (246)

-« C'est en 1979, grâce aux Mémoires de Charles Tillon, dont j'ai été un collaborateur direct, que j'ai appris que la coopération du parti communiste français avec les nazis en 1940 n'avait pas été le fait de quelques militants troublés par la défaite, mais une politique voulue et conduite par la direction du parti.
Principalement par Jacques Duclos, qui est d'ailleurs rentré le lendemain de la chute de Paris dans une auto diplomatique soviétique...
Le dessin de Duclos était de servir Staline, qui avait conçu le pacte germano- soviétique pour déclencher une guerre dont la Russie se tiendrait écartée, en sachant parfaitement que par là, il aidait Hitler...
En d'autres termes, la direction du parti, sur ordre de Moscou, voulait assurer aux Allemands une paix sociale en France. » (246)

En décembre 1944, le général de Gaulle rencontre Staline à Moscou.

Ce dernier se retourne vers son interprète et lui dit :

-« Demande-lui quand il va le faire fusiller »

Staline parlait de Thorez. (25)

Dans ses Mémoires de guerre, le général décrit cet incident d'une façon plus diplomatique :

- Il (Staline) prononça le nom de Thorez, à qui le gouvernement avait permis de regagner Paris.

Devant mon silence mécontent :

-«Ne vous fâchez pas de mon indiscrétion ! déclara le maréchal.
Je me permets seulement de vous dire que je connais Thorez et qu'à mon avis, il est un bon Français.
Si j'étais à votre place, je ne le mettrais pas en prison. »

Il ajouta avec un sourire :

- « Du moins, pas tout de suite ! »

- « Le gouvernement français, répondis-je, traite les Français d'après les services qu'il attend d'eux. » (61)

Récemment, l'Amiral Philipe De Gaulle, en collaboration avec Michel Tauriac, vient de sortir deux ouvrages concernant son père : De Gaulle mon père tome I et II aux Editions Plon.
Le même éditeur que papa !

L'Amiral nous décrit sa version de cette scène entre le général et Staline :

- Staline. Pourquoi vous ne reprenez pas Thorez avec vous ?
Il peut vous servir.
Après vous le faites fusiller !

Le général écrira également :

-« Dans la composition de l'Assemblée consultative, j'ai attribué aux communistes une représentation correspondant à leur importance.
Et voici, qu'en novembre 1944, j'approuve la proposition du garde des Sceaux tendant à accorder à M.Maurice Thorez, condamné pour désertion cinq ans plus tôt, le bénéfice de la grâce amnistiante.
Celle-ci est prononcée par le Conseil des ministres.
Le secrétaire général du parti peut, dès lors, quitter Moscou et rentrer dans sa patrie.
Il y a beau temps, d'ailleurs, qu'à son sujet et des côtés les plus divers on invoque mon indulgence.
L'intéressé lui-même m'a adressé maintes requêtes.
Compte tenu des circonstances d'antan, des événements survenus depuis, des nécessités d'aujourd'hui, je considère que le retour de Maurice Thorez à la tête du Parti communiste peut comporter, actuellement, plus d'avantages que d'inconvénients. » (61)

Par la suite, Thorez deviendra ministre d'Etat chargé de la Réforme administrative de novembre 1945 à janvier 1946, puis vice-président du conseil de janvier 1946 à avril 1947.
Le 4 mai 1947, le président du conseil, Paul Ramadier (1888-1961) décide de renvoyer les ministres communistes.
On ne les reverra dans un gouvernement que trente quatre ans après, en 1981, avec la victoire de François Mitterrand (1916-1996).

Le général n'apprécia bien évidemment assez peu cet accord germano-soviétique.

Quelques années plus tard, en 1943, lors d'une rencontre entre Vychinski et le général de Gaulle, ce dernier lui donna son point de vue sur les événements du mois d'août 1939 :

-« Ce fut, pour nous, une faute de n'avoir pas pratiqué avec vous, avant 1939, une franche alliance contre Hitler.
Mais quel tort avez-vous eu vous-mêmes de vous entendre avec lui et de nous laisser écraser ! » (68)

Pour Roy Medvedev :

-« Les antifascistes du monde entier furent consternés à la conclusion du Pacte Ribbentrop-Molotov, six mois après l'affrontement URSS-Allemagne dans la guerre civile d'Espagne.
Staline interdit la propagande antifasciste en URSS et donna des instructions à tous les partis communistes pour arrêter le combat contre les nazis et de reporter toute l'énergie contre l'impérialisme franco-anglais et les efforts d'armement.
L'invasion de la France amena le retournement du PC français, mais qui ne fut total qu'après l'attaque nazie contre l'URSS. » (47)

L'historien Roy Medvedev et son frère jumeau Jaurès qui est biologiste avait treize ans en 1938 lorsqu'ils avaient vu leur père, ancien commissaire politique auprès de l'Armée Rouge durant la guerre civile puis instructeur du parti à l'Académie militaire et politique Tolmatchev de Leningrad, emmené en pleine nuit par la police secrète de Staline.
Ils ne devaient jamais le revoir. (48)

Louis Gronowski, qui plus tard pendant l'occupation, fut l'un des dirigeants de la MOI (main d'½uvre immigrée) en tant que responsable politique, écrivit :

-« Ce pacte me répugnait.
C'était l'écroulement de tout le raisonnement forgé au cours de longues années...
Mais j'étais un cadre communiste responsable et mon devoir était de surmonter mon dégoût, mes répugnances, de vaincre mes hésitations » (158)

MOI, acronyme pour l'amicale Main-d'½uvre ouvrière immigrée (nommée couramment groupe Manouchian - Missak Manouchian 1910 -1944) proche du Parti communiste français, qui accomplit des actes héroïques contre l'occupant allemand de 1942 à 1944.
Dix de ces terroristes, dont les noms à consonance étrangère apparurent sur une affiche rouge restée célèbre, furent arrêtés en février 1944 et fusillés.

Pour en savoir plus sur la MOI, je conseille aux lecteurs de regarder le film de Mosco Boucault Des terroristes à la retraite.

Ce film fit beaucoup de bruit lors de sa diffusion à la télévision le 2 juillet 1985 dans l'émission Les dossiers de l'écran, notamment à cause du témoignage de Philippe Ganier-Raymond.
Il accusait le parti communiste d'avoir abandonner Manouchian et les siens aux Allemands.
Philippe Ganier-Raymond est également connu pour avoir retrouvé et interviewé Louis Darquier de Pellepoix (1897-1980), responsable du Commissariat général aux questions juives.
Cet organisme est créé par Vichy le 29 mars 1941 avec comme objectif d'éliminer les juifs de la vie civile, politique, économique, culturelle, ainsi que bien évidemment de les dépouiller de leurs biens.

Cette interview publiée dans l'Express du 28 octobre 1978 fit beaucoup de bruit en mettant en cause notamment un dénommé René Bousquet.

Donnons maintenant le point de vue de Jacques Vergès, l'avocat des causes perdus et souvent répugnantes :

-« Pour moi, c'est Staline qui mène la révolution mondiale.
Je le considère comme un guide à ce moment-là.
J'ai d'ailleurs un réflexe (que certains vont réprouver aujourd'hui) quand survient le pacte germano-soviétique.
Staline est alors couvert d'injures par la presse de droite, qui préfère de loin Hitler, et par la presse de gauche, qui parle de trahison.
Moi, en regardant cette photo de Staline souriant, serrant la main de Ribbentrop dans ce concert de protestations, j'ai de l'admiration pour lui.
Je me dis : voilà un homme qui sait être seul, à contre-courant.
Il a un but.
Il va l'imposer.
Ce n'est pas un suiviste.
C'est un chef. » (160)

Le 4 avril 1940 s'ouvre le procès des 44.
Trente-cinq députés et neuf sénateurs du Groupe ouvrier et paysan sont
condamnés à des peines allant de deux à cinq ans de prisons.
Neuf des quarante-quatre seront condamnés par con
ces : Maurice Thorez (dont la peine s'ajoute aux six ans de prisons du 28 novembre 1939), Jacques Duclos (1896-1975), Gabriel Péri (1902-1941), Arhur Ramette (1897-1988), Charles Tillon (1897-1993), Gaston Monmousseau (1883-1960), Jean-Joseph Catelas, Rigal, Dutilleul.
Les trente-cinq autres furent transférés dans le sud-algérien.

Monmousseau et Péri avait déjà connu les foudres de la justice.
En 1923, ils furent arrêtés pour leur opposition à l'occupation de la Ruhr. (268)

Gabriel Péri sera fusillé le 15 décembre 1941. (268)
Catelas sera arrêté le 16 mai 1941 par les autorités de Vichy.
Il est guillotiné le 24 septembre 1941.

Le travail de propagande du parti communiste pour d'expliquer ce pacte contre-nature se fait même à l'intérieur de l'armée française.
Auguste Lecoeur (1911-1992), mobilisé au 139 ème régiment d'infanterie, se livra à une intense propagande en faveur du pacte germano-soviétique, se qui lui vaudra d'être arrêté par les autorités militaires.

Auguste Lecoeur va maintenant nous expliquer la logique d'un militant moyen du parti :

-"Rien n'était plus naturel pour un militant communiste comme moi de défendre la politique de l'Union soviétique.
Voilà un aspect psychologique de ce comportement qui demande à être expliqué...
Mon attachement au Parti résultait avant tout de mon enthousiasme pour la révolution russe et de ma confiance dans l'Union soviétique et le parti bolchevique...
Aussi aberrant que cela puisse paraître, sur un stade, j'étais rempli d'aise qu'un Soviétique l'emportât sur un Américain, un Anglais ou même un français.
En 1939, pour un communiste, les choses étaient toutes simples.
Les pays capitalistes avaient voulu entraîner l'URSS dans un guet-apens, et l'URSS, à temps, avait retourné contre eux leurs propres armes.
Si l'intérêt supérieur de l'Union soviétique exigeait qu'elle traite avec l'Allemagne fasciste, en quoi cela pouvait-il me gêner?..

A la libération, Lecoeur deviendra Secrétaire d'état à la Production industrielle. (256)

Un mois plus tard, à partir du 10 mai 1940, la drôle de guerre s'achève, la vraie commence.
Elle sera courte mais douloureuse.
100 000 morts en un mois, c'est plus que la moyenne de la Première guerre mondiale.

1 700 000 morts pour 51 mois de guerre, soit 34 000 morts par mois.

Le 22 juin 1940, l'armistice est signée.

Le 18 juin 1940, trois militantes communistes Denise Ginolin, Schrott et l'adjoint de Jacques Duclos, Maurice Tréand (également membre du comité central du PCF et responsable de la section de la section des cadres de 1936 à 1939) rencontrent le lieutenant Weber pour obtenir l'autorisation de faire reparaître l'Humanité.

Cette démarche peut se révéler efficace car en Belgique, l'organe du PC La voix du peuple avait reparu aussitôt l'invasion. (44)

Ayant obtenu le feu vert à la conférence quotidienne de la Kommandantur, le lieutenant Weber informa ses visiteurs que l'Humanité pouvait reparaître et même le plus tôt possible. (44)

Mais la police française n'avait pas mis sa montre à l'heure allemande, et les décrets d'août et septembre1939, pris après la signature du pacte germano-soviétique, suspendant l'Humanité et interdisant la parti communiste, restaient en vigueur. (44)

En conséquence, les policiers opérants une rafle aux alentours du métro Saint-Martin, où les deux femmes doivent retrouver Tréand, les trois militants sont écroué le soir même, le 22 juin 1940, mais libérés trois jours plus tard sur ordre du docteur Fitz, conseiller supérieur du Militarbefehls en France. (44)

Denise Ginollin fut déportée en 1943.
A la libération, elle sera élue député.

Pour en savoir plus, le témoignage de Robert Aron (1898-1975) nous est indispensable :

-« A l'époque, le parti communiste ne milite pas encore contre l'occupant.
Au moment de l'entrée des troupes allemandes à Paris, une émission de la radio soviétique donne aux militants parisiens le mot d'ordre suivant : ne pas quitter Paris, quoi qu'il arrive.
Faire reparaître légalement l'Humanité, aussitôt l'entrée des troupes allemandes, qui se seraient trouvées ainsi devant le fait accompli.
En vertu de ces instructions, Maurice Tréand, membre du Comité Central du parti et responsable de la formation des cadres, rentre à Paris, venant de Lille, où il a appris que le quotidien communiste la Voix du Peuple paraît à Bruxelles avec l'autorisation des occupants.
Pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'Humanité à Paris ?
Il charge deux militants du parti, Mme Ginollin et Mme Schrodt, d'entrer en rapport avec la Kommandantur.
Le 18 juin, ces deux émissaires ont une entrevue avec le lieutenant Weber, chargé du service de presse, qui se déclare d'accord et demande même que l'Humanité paraisse le plus tôt possible.
Immédiatement la rédaction s'affaire : Mme Ginollin alerte l'imprimeur de l'Humanité avant la guerre, M Dangon, lui verse un acompte de 50 000 francs.
Le 20 au soir, Mme Ginollin, accompagnée de Mme Schrodt, rencontre, près du métro Saint-Martin, Tréand qui lui remet la copie pour le premier numéro.
Mais à ce moment, 20h30, une rafle de la police française arrête les trois militants.
On trouve sur eux des preuves indiscutables de l'action menée pour la publication de l'Humanité : en vertu des décrets d'août et septembre 1939, qui suspendaient l'Humanité et interdisaient le parti communiste, les autorités française les inculpent et les écrouent le 22 juin.
Trois jours après, le 25, ils seront libérés sur l'intervention des autorités allemandes.

Le jour même de sa sortie de prison, Maurice Tréand, aidé par un autre membre du Comité central, Jean Catelas, et un avocat, membre du parti, Robert Foissin, adresse une lettre au Conseiller d'Etat nazi, Turner :

- Nous avons été les seuls à nous dresser contre la guerre, à demander la paix à une heure où il y avait quelque danger à la faire...
L'Humanité, publiée par nous, se fixerait pour tâche de poursuivre une politique de pacification européenne et de défendre la conclusion d'un pacte d'amitié germano-soviétique et ainsi créerait les conditions d'une paix durable.

Cette lettre, portée à son destinataire le 27 juin, est transmise par lui au Gouverneur Militaire de Paris.
Finalement, les pourparlers échouèrent, peut-être en raison d'une intervention du gouvernement de Vichy.
Le 1er juillet reparaissait un premier numéro clandestin de l'Humanité.
Elle ne cessera pas jusqu'à juin 1941, entrée en guerre de l'Allemagne contre la Russie, de réclamer l'autorisation d'être publiée légalement et incitera dans certains cas les ouvriers français à fraterniser avec les soldats allemands. » (147)

Bernard-Henri Lévy, dans son ouvrage L'IDEOLOGIE FRANCAISE décrivit cette étrange politique :

-« C'est l'incroyable démarche, par exemple, de Tréand, Catelas et l'avocat Foissin, qui, fin juin, s'en vont, bénis par Duclos, faire antichambre à la Propaganda Staffel pour réclamer le visa nazi pour la reparution de l'Humanité.
La non moins incroyable lettre qu'ils adressent le soir même à leurs respectables interlocuteurs et où ils s'engagent, dans le cas où le précieux visa leur serait octroyé, à dénoncer les agissements des agents de l'impérialisme britannique qui veulent entraîner les colonies françaises dans la guerre. » (194)

Bernard-Henri Lévy précise également que :

-« Ce tract meurtrier, distribué dans les rues de Paris en mai 1941, où on désigne à la Gestapo, et pour de bon cette fois, avec noms et localisations géographiques à l'appui, l'existence dans l'Ariège d'une organisation qui fournit les papiers et l'argent nécessaires à ceux qui veulent aller rejoindre les troupes anglaises et combattre à leurs cotés.
Les appels, parallèlement, à la fraternisation des travailleurs français et des soldats allemands qu'il est si réconfortant, dit-on, en ces temps de malheur, de voir s'entretenir amicalement, prolétaires de tous pays unis, par-dessus la tête des bourgeois aussi stupides que malfaisants, au coin de la rue ou au zinc du bistrot du coin.
Des appels comme celui-ci, la collection de l'Humanité clandestine en est pleine.
Et si les mots ont un sens et qu'on veut bien donner aux choses leurs noms, il faut bien convenir que le Parti qui prenait le risque d'appels de ce genre n'était ni plus ni moins qu'un parti de collabos.» (194)

Le livre de Bernard-Henri Lévy fut salué à sa sortie, en janvier 1981, par Jean-François Revel :

-« L'idéologie française révèle cet instant dans la crise de conscience occidentale où tout effort, pour distinguer entre totalitarisme de droite et totalitarisme de gauche, doit être et a été abandonné.
Instant très récent.
Il y a cinq ans à peine, l'assimilation du régime soviétique au régime hitlérien soulevait des protestations : elle ne provoque plus que des haussements d'épaules blasés.» (241)

L'Humanité restera clandestin et dans son numéro du 1er juillet 1940, les communistes se proclameront les opposants de Pétain et de Gaulle.
Ce dernier, à la libération imagina une loi prévoyant l'amnistie pour tous les cas de désertion antérieurs au 8 mai 1940, de façon à régler le cas Thorez. (52)

Dans ses mémoires, Henri Frenay (1905-1988) écrivit que :

-« Les variations d'attitude des communistes à l'égard de l'Allemagne hitlérienne m'avaient souvent opposé avant la guerre à ces amis dont nous parlions et qui, en dernière analyse, se pliaient à la discipline du parti.
Je n'avais pu admettre qu'en 1935, deux ans après la prise du pouvoir par Hitler, Maurice Thorez à la chambre des députés s'écrie : Pas un sou pour le service militaire ! (Thorez n'a t'il pas écrit : « Les communistes doivent pénétrer dans l'armée afin d'y accomplir la besogne de la classe ouvrière qui est de désagréger cette armée »).
Trois ans plus tard, après l'Anschluss et l'invasion de la Tchécoslovaquie, le même Thorez déclarait Défendre la France contre Hitler comporte une signification très précise pour la classe ouvrière ; c'est défendre la liberté, c'est défendre la paix.
Le pacte germano-russe est signé en 1939, supprimant pour Hitler la hantise de la guerre sur deux fronts et condamnant à mort la Pologne.
La France mobilise, son armée part aux frontières, mais le même Maurice Thorez déserte.
Aujourd'hui les communistes français, à la suite de l'Union soviétique, entrent dans la guerre...
Je ne reverrai plus ces deux numéros de l'Humanité clandestine qui m'ont été montrés à Paris lors de mon récent voyage.
Ils mettaient dans le même sac la croix de Lorraine et la croix gammée et traitaient de Gaulle de vendu aux Anglais.
Il est sûr que désormais, pour des raisons bien différentes certes, nous mènerons le même combat. » (116)

Henri Frenay contribua à la création du réseau Combat et fonda le journal du même nom en 1941.
Le journal COMBAT disparut en 1974.
Membre du Comité français de libération nationale, il fut ministre dans le Gouvernement provisoire en 1944-1945.

Pour Henri Amouroux :

-« La première vague de la résistance est intellectuelle et militaire.
La seconde sera ouvrière.
Pendant les mois qui ont suivi la défaite de la France, le parti communiste s'est généralement gardé de toute attaque contre l'Allemagne, alliée de la Russie soviétique.
Il dirige ses tracts contre Vichy, clérical et militaire, contre Vichy qui maintient en prison les communistes arrêtés par Daladier en 1939, contre les fauteurs de guerre que l'on s'apprête à juger à Riom, et n'épargne ni de Gaulle, ni les émigrés de Londres.
Fidèle à la ligne politique des Soviets, il n'éprouve aucune admiration pour la lutte que mène l'Angleterre et ses v½ux vont logiquement à l'anéantissement des deux adversaires, anéantissement qui accélérerait le triomphe du communisme.
Tout change le 22 juin 1941, lorsque l'Allemagne attaque l'URSS.
Quelques jours plus tard, le commissaire spécial des Ardennes signale que l'on voit apparaître des Vive Staline sur les murs de l'annexe sedanaise des Aciéries de Longwy et qu'au fur et à mesure que se prolonge la résistance russe les communistes reprennent contact avec la foule dont ils avaient été tenus éloignés depuis la dissolution du parti. » (131)

Il explique également qu' :

« Au peuple de Paris, mal remis de l'exode et de la défaite, les communistes affirment qu'ils n'ont été pour rien dans la guerre.
Aux Français coupés de Vichy par la ligne de démarcation, le Parti propose : Thorez au pouvoir, tel est le cri du peuple de France, ou encore : Ni Londres, ni Berlin.
La France aux Français ! Thorez au pouvoir. » (131)

Dans son numéro clandestin du 4 juillet 1940, on peut lire dans l'Humanité qu' :

-«TRAVAILLEURS FRANCAIS ET SOLDATS ALLEMANDS.
Il est particulièrement réconfortant, en ces temps de malheur, de voir de nombreux travailleurs parisiens s'entretenir amicalement avec des soldats allemands, soit dans la rue, soit au bistrot du coin.
Bravo, camarades, continuez, même si cela ne plait pas à certains bourgeois aussi stupides que malfaisants.
La fraternité des peuples ne sera pas toujours une expérience, elle deviendra une réalité vivante.» (44)

Dans son ouvrage Mon Général, Olivier Guichard (1920-2004) écrivit :

-« Quant aux communistes, l'alliance inattendue entre Staline et Hitler les a mis hors jeu.
Ils s'enferment plus que jamais dans la logomachie d'une révolution si pure qu'elle ne peut voir dans la guerre entre l'Allemagne, la France et l'Angleterre que querelles d'impérialistes : ce n'est pas d'eux non plus que pourrait surgir l'appel à la résistance. » (134)

Quelques années plus tard, en 1951, Arthur London, vice-ministre des Affaires étrangères de la Tchécoslovaquie, est arrêté et torturé.

Ses bourreaux l'interrogent notamment sur le Parti Communiste français :

-« On m'interroge sur l'adjoint de Duclos pendant l'année 1940, Maurice Tréand, dont on veut me faire dire qu'il était en France un des dirigeants du trotskisme européen et un agent de la gestapo.
Les référents veulent transformer les fautes et erreurs du début de l'occupation en France, par exemple la tentative d'obtenir la parution légale de l'Humanité, en une complicité délibérée des dirigeants d'alors avec les nazis. » (58)

Oui, ce qui était bon en 1940 ne l'est plus donc en 1951.
Pourtant Tréand et d'autres membres du PCF ont tenté obtenir la parution légale de l'Humanité lors de l'arrivée des Allemands à Paris, c'est probablement qu'ils en avaient reçu l'ordre de Moscou.
Heureusement que les Soviétiques n'ont jamais traversé l'Elbe sinon la direction du PCF aurait été décapitée.

En Belgique, l'organe du PC La Voix Du Peuple a reparu aussitôt après l'invasion. (44)

Sur le thème de l'activité communiste entre septembre 1939 et juin 1941, Jacques de Launay écrivit :

-« Dans les pays européens, les Russes pouvaient compter sur la collaboration de tous les partis communistes.
De septembre 1939 à juin 1941, ceux-ci adoptèrent une attitude expectative.
Les historiens soviétiques prétendent que les populations des pays en guerre ne pouvaient prendre part volontairement à une guerre des nations capitalistes entre elles.
D'après eux, ce n'est qu'après que la guerre fut progressivement une lutte des peuples pour leur liberté, au printemps 1941, que l'union se fit partout contre l'envahisseur. » (100)

Concernant, par exemple, le parti communiste yougoslave, Kosta Christitch écrivit que :

-« La nouvelle équipe, qui venait d'accéder à la direction du PC yougoslave grâce à l'action meurtrière de Staline, écartait tous ceux que pouvaient troubler le pacte germano-soviétique et le partage de l'Allemagne.
Comme les autres partis communistes qui luttèrent contre l'Allemagne nazie, elle attendit que l'URSS fût attaquée par Hitler, le 22 juin 1941, pour faire appel à la résistance armée et mettre un terme à la campagne de défaitisme inaugurée par le pacte Hitler-Staline. » (23)

Les relations entre le général de Gaulle et les communistes seront à cette période d'avant juin 1941 inexistante, ensuite elles seront pour diverses raisons difficiles.

Olivier Guichard (1920-2004) va nous décrire ces relations ou plutôt ces non-relations :

-« Ni d'un côté ni de l'autre sans doute, on n'était pas pressé de risquer les premiers pas.
Le parti communiste tenait de toute façon à son autonomie : il pouvait a priori se méfier de ce général en qui il dénonçait en 1940 un agent de l'impérialisme anglo-saxon.
Du côté du général, il n'était pas question jusqu'en juin 1941 de rechercher le contact avec le parti qui avait avalisé le pacte germano-soviétique. » (134)

Dans un manifeste de mai 1941, le parti communiste recommandait à côté de l'amitié traditionnelle pour l'URSS :

-« L'établissement de rapports fraternels entre le peuple français et le peuple allemand en rappelant l'action menée par les communistes et par le peuple français contre le traité de Versailles, contre l'occupation de la Ruhr, contre l'oppression du peuple par un autre peuple. » (176)

Dans un autre manifeste parue dans La Vie du Parti du 1er semestre 1941 :

-« On comprend aisément la nature des sentiments qui animent les masses populaires de France, sentiment que les capitalistes partisans de l'Angleterre voudraient orienter dans le sens du chauvinisme et que nous devons orienter, nous communistes, dans le sens de la fraternité avec le peuple allemand, que nous ne confondons pas avec ses maîtres du moment. »

Evidemment, l'un des premiers pays à reconnaître le régime de Vichy est l'URSS.

En tout, trente-deux gouvernements reconnaîtront Vichy avec notamment les Etats-Unis et le Vatican. (147)

Le fait de reconnaître Vichy est l'acceptation de fait de la politique anti-juive de ce gouvernement.

Parlons quelques instants de la politique antisémite de l'Etat français.
Le 27 août 1940, le décret loi du 21 avril 1939 empêchant la propagande antisémite dans la presse est abrogé.
La loi du 6 octobre 1940 exclut les juifs de la fonction publique ainsi que des professions libérales. (261)
Cette loi proclame également la notion de race juive, alors que pour ne pas heurter l'opinion française, les ordonnances allemandes ne faisaient références qu'à la religion juive. (261)

Il faudra donc attendre l'attaque allemande sur l'URSS en juin 1941 pour que le parti communiste français entre dans la résistance.

Pour clore ce chapitre, je laisse de nouveau la parole au général de Gaulle :

-« Mais le parti communiste est là.
Depuis qu'Hitler envahit la Russie, il se pose en champion de la guerre » (68)

26° LE TEMPS PASSE ET RIEN NE CHANGE

Les années passent.
Staline disparaît en 1953.
Finis les purges, à part Beria et son équipe, on ne se débarrasse plus de ses opposants ou supposés tels avec une balle dans la nuque.
Khrouchtchev n'hésite pas a dénoncer les crimes du stalinisme lors du 20ème congrès du parti en 1956.

Et pourtant, rien ne change.
Les Soviétiques ne veulent toujours pas admettre que le pacte germano -soviétique est un crime, responsable de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne et donc du déclenchement de la seconde guerre mondiale.

Les exemples sont malheureusement nombreux.

En 1960, un ouvrage intitulé L'histoire de la grande guerre patriotique paraît à Moscou.

-«C'est ainsi que la décision des Gouvernements français et britannique d'entamer des négociations avec l'URSS n'était que le coup ordinaire de leur double jeu, que la continuation de leur politique munichoise dans un nouveau contexte.
Les négociations faire apparaître l'isolement de l'Union soviétique en présence d'une agression fasciste, et encourager de la sorte l'Allemagne à l'attaquer par surprise.
Par la menace d'une alliance avec l'URSS, les gouvernements français et anglais voulaient contraindre l'Allemagne à conclure avec eux un règlement de vaste portée, aux termes duquel leurs intérêts respectifs sur le marché mondial ne seraient pas préjudiciés, cependant que serait garantie une attaque-surprise de l'Allemagne contre l'Union soviétique. »

-« Si la Pologne en 1939 ne passa pas entièrement sous la botte nazie, c'est que l'URSS arrêta la poussée vers l'Est. » (269)

Le parti communiste français publie en 1964 un ouvrage Histoire du parti communiste français et en 1967 Une histoire du PCF dans la résistance.

La politique officielle du Parti est toujours la même :

-Le Pacte germano-soviétique, vierge de tout protocole secret, est toujours défendu

-Le Parti s'est engagé dès juillet 1940 dans la résistance, dont il devient, après juin 1941, le principal moteur. (208)

Il faudra attendre le 24 décembre 1989, pour que l'URSS reconnaissent l'existence des articles secrets du traité Ribbentrop-Molotov et les déclare nuls et non avenus.

Quelques mois auparavant, le 23 août 1989, une chaîne humaine entre Tallin (Estonie), Riga (Lettonie) et Vilnius (Lituanie) a réuni plus d'un million de personnes pour commémorer les cinquante ans du pacte et pour demander justice.

En France également le passé est dure à admettre.

Ainsi par exemple (et les exemples sont nombreux), l'Humanité reprocha en avril 1970 à Costa Gavras, le réalisateur du film L'Aveu :

-« d'avoir transformé un livre qui se voulait communiste en un film anticommuniste.»

En janvier 1987, la veuve de Thorez prétendit que :

-« 85 millions de morts à cause du communisme, c'est un terrible mensonge.
J'ai toujours considéré que Staline était un grand homme, un véritable combattant, quelqu'un de raisonnable. »


Une petite anecdote pour terminer ce chapitre sur un passé qui ne passe pas.

En 2005, Victor Erofeev écrivit un ouvrage intitulé Ce bon Staline. (279)

Je laisse la parole à Erofeev:

-"Pour des Français, des Allemands ou des Ukrainiens, c'est un titre provocant.
Mais les Russes, qui à plus de 50 %, pensent que l'action de Staline a été globalement positive, ne voient pas la provocation.
je reçois même des messages communistes qui me disent :

- Ah! enfin quelqu'un qui nous soutient."

Oui, le temps passe mais rien ne change!

27° LE PACTE EST SIGNE : LA GUERRE PEUT COMMENCER

Ribbentrop recevant, après la signature du pacte de non-agression, le correspondant de la DNB (Deutsches Nachrichten-buro), agence de presse créée en 1933 par Max Winkler (1886-1963), lui déclara :

-« Nous venons de vivre le tournant le plus important dans l'histoire des deux peuples.
Une tentative a été faite pour encercler l'Allemagne et la Russie, et c'est précisément de cet encerclement qu'est née l'entente germano-russe. » (76)

Pour Sir Basil H.Liddel Hart (1895-1970):

-« La signature de ce pacte rendait la guerre inévitable, et ce d'autant plus qu'elle intervenait à une date avancée.
Hitler ne pouvait pas reculer dans l'affaire polonaise sans perdre gravement la face aux yeux de Moscou.
Staline ne savait que trop bien que les puissances occidentales étaient disposées depuis longtemps à laisser Hitler réaliser son expansion à l'Est, en direction de la Russie.
Il est probable qu'il considéra le pacte germano-soviétique comme un moyen commode de dévier le dynamisme agressif de Hitler dans la direction opposée.
En d'autres termes, par cet habile pas de côté, il s'écartait pour laisser ses adversaires directs éventuels se heurter de front.
Ce choc diminuerait pour le moins la menace pesant sur l'URSS, et pourrait même produire à plus long terme un épuisement de ces puissances de nature à donner à l'Union soviétique la suprématie dans l'après-guerre.
Le pacte signifiait la disparition de la Pologne comme Etat tampon entre l'Allemagne et la Russie.
Mais les Russes avaient toujours eu le sentiment que les Polonais serviraient plutôt de fer de lance à une invasion allemande que de barricade contre une telle éventualité.
En collaborant à la conquête de la Pologne par Hitler et en participant au partage, non seulement les Russes trouvaient une occasion facile de récupérer leurs possessions d'avant 1914, mais ils avaient la possibilité de faire de la Pologne orientale une zone-barrière certes plus étroite, mais tenue par leurs propres forces armées.
Cette solution leur semblait constituer une meilleure protection que l'existence d'une Pologne indépendante.
D'autres part, le pacte leur ouvrait la voie à l'occupation des Etats baltes et de la Bessarabie, occupation qui viendrait renforcer cette zone tampon.» (22)

Pour Arnold Offner :

-« Les puissances occidentales ont encore concouru au déclenchement de la guerre du fait de leur attitude envers l'URSS en 1938 et 1939.
On doit tout de même constater qu'elles ont pris leurs distances avec l'URSS pendant la crise de 1938 et n'ont pas fait ce qu'il fallait pour négocier une alliance avec elle.
Le fait a son importance si l'on considère qu'une coalition anglo-franco-russe pouvait détourner Hitler de se lancer dans la guerre.
Quoi qu'il en soit, le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 était le préalable indispensable de l'agression de Hitler contre la Pologne. »

L'ouvrage The Diaries of Sir Alexander Cadogan, analyse la méprise de Londres sur l'attitude des Soviétiques:

-« Bien que le risque d'un accord germano-soviétique ait été mentionné librement au cours des délibérations du Cabinet et des chefs de l'Etat-Major, il ne semble pas que l'Intelligence Service ait donné des renseignements précis sur son imminence pas plus que sur sa nature même.
L'on connaissait le désir de l'Allemagne d'établir des relations plus étroites avec la Russie, toutefois l'on considérait que cela était fonction des prises de position d'Hitler.
Le Foreign Office n'avait pas en mains la preuve qu'un tel désir fût partagé par les Soviétiques.
En fait, d'après les informations obtenues de sources soviétiques par le Foreign Office la conclusion d'un accord nazi-soviétique apparaissait improbable.
En conséquence, le département chargé des questions nordiques avait considéré que le danger le plus sérieux consistait à une retraite de la Russie la conduisant à l'isolement. »

Jean Daniel, dans son ouvrage Le temps qui reste écrivit qu' :

-« Entre la morale et l'histoire, le fossé n'en finissait pas de se creuser.
Quand, au surplus, fut conclu le pacte germano-soviétique, il fallut constater un fossé plus grave encore, qui, cette fois, séparait la morale de la politique même. » (114)

Pour le général André Beaufre (1902-1975) qui rédigea le rapport de la mission Doumenc à Moscou :

-« Le retournement de la politique soviétique a eu pour premier effet de conserver une Russie indépendante.
Dans ce sens, la politique russe de 1939 représente une victoire pour nous, une fois admis que la menace de l'URSS n'aurait pas arrêt é l'agression allemande contre la Pologne, et par conséquent n'aurait pas réussi à retarder le déclenchement de la guerre...
Directement ou indirectement même, ce contrepoids doit nous servir pour la revanche, soit pour inciter l'Allemagne à nous ménager en vue d'une collaboration contre la Russie.
C'est là une conséquence certaine des fameuses constantes historiques qui font que, depuis qu'une Autriche, puis une Prusse, ont troublé notre quiétude, les puissances de l'Europe Orientale, Suède, Pologne, Turquie, puis Russie, ont toujours constitué les maîtres-atouts dans notre jeu.
Sans nous laisser abuser par les souvenirs un peu amers des événements si proches que nous venons d'évoquer, sachons jouer dans l'avenir de cette carte russe, mais, cette fois, avec le réalisme et la clairvoyance d'un peuple redevenu maître de ses destins. » (154)

Après la conclusion du pacte germano-soviétique, Jacques Doriot déclara :

- «Je n'ai jamais eu autant de peine d'avoir eu raison et de n'avoir pas été compris. » (19)

28 ° LE TRAITE DU 23 AOUT 1939

Maintenant examinons le contenu de ce traité de non-agression :

-« Le gouvernement du Reich Allemand et le Gouvernement de l'Union des républiques Soviétiques Socialistes désireux de resserrer les liens de paix entre l'Allemagne et l'URSS, tout en s'appuyant sur les bases fondamentales de l'Accord de Neutralité conclu en 1926 entre leurs deux pays, sont parvenus à l'accord suivant :

Article Premier
Les deux parties contractantes s'engagent à renoncer entre elles à tout acte de violence, à tout acte d'agression et à toute attaque, que ce soit individuellement ou bien en coalition avec d'autres puissances.

Article II
Si une des deux Parties contractantes est attaquée par une tierce puissance, l'autre partie contractante ne devra en aucun cas aider cette tierce puissance.

Article III
Dans l'avenir, les gouvernements des deux parties contractantes maintiendront entre eux un contact constant afin de se consulter et d'échanger des renseignements au sujet de problèmes affectant leurs intérêts communs.

Article IV
Aucune des deux parties contractantes ne se joindra à aucun bloc de puissances, qu'il soit dirigé directement ou indirectement contre l'autre partie.

Article V
Si, entre les parties contractantes, des différents ou des conflits s'élèvent au sujet de problèmes divers, les deux parties devront les régler à l'amiable par consultations ou, si c'est nécessaire, par l'intermédiaire de commission d'arbitrage.

Article VI
Le présent traité est conclu pour une période de dix ans.
Si une des parties contractantes ne le dénonce pas un an avant expiration, ce traité sera automatiquement prorogé pour une autre période de cinq ans.

Article VII
Le présent traité sera ratifié dans les délais les plus courts.
Les ratifications seront échangées à Berlin.
L'accord entrera en vigueur dès sa signature.

Fait en double expédition, en langues allemande et russe

Moscou, le 23 août 1939
Pour le gouvernement du Reich Allemand : v.Ribbentrop
Avec les pleins pouvoirs du Gouvernement de l'URSS : v.Molotov »

En soit, ce traité est assez classique, deux puissances politiques-militaires, deux dictateurs voulant éviter du moins pour l'instant de se heurter, le temps de voir comment la situation va évoluer, oui tout cela n'a rien d'exceptionnel.

Mais la suite du traité, restée secret jusqu'en mars 1946, révèle une autre forme de complicité beaucoup plus dangereuse qu'un simple pacte de nom agression :

«1) Dans le cas d'un réarrangement territorial et politique dans la région des Etats baltes (Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie), la frontière nord de la Lituanie représentera la limite des zones d'influence de l'Allemagne et de l'URSS.
A cet égard, chaque partie reconnaîtra l'intérêt de la Lituanie dans la région de Vilnius.

2) Dans le cas d'un réarrangement territorial et politique des régions appartenant à l'Etat polonais, les zone d'influence de l'Allemagne et de l'URSS devront être limitées approximativement par la Narew, la Vistule et la San.
La question de savoir si c'est dans les intérêts des deux parties de maintenir un Etat polonais indépendant et comment un tel Etat devrait être limité, ne pourra être définitivement réglée que dans le cours développement politiques ultérieurs.
De toute façon les deux gouvernements résoudront cette question au moyen d'un accord à l'amiable.

3)En ce qui concerne le Sud-Est de l'Europe, les soviets attirent l'attention sur leur intérêt en Bessarabie.
Les Allemands déclarèrent leur désintéressement politique complet dans ces régions.

4)Ce protocole sera traité comme strictement secret par les deux parties.

Moscou, le 23 août 1939.

D'un coté le réalisme, de l'autre l'utopie, le rêve.

La preuve en est apportée dans un article du Figaro du 24 août 1939 :

-« On apprend aujourd'hui à Varsovie qu'il n'y aura rien dans le pacte qui empêchera l'achat de matériel de guerre à la Russie par la Pologne en cas de guerre avec l'Allemagne.
Cela seulement était d'ailleurs le seul secours que la Pologne ait jamais attendu de la Russie soviétique. » (1)

Dans son ouvrage Wahn und Wirklichkeit, Erich Kordt nous explique que Hitler était si transporté par le triomphe remporté à Moscou que, le matin de 25 août, il demanda à son bureau de la presse des nouvelles des crises ministérielles de Paris et de Londres.
Il avait cru à la chute des deux gouvernements.
Ce fait est également confirmé par Pierre et Renée Gosset.
Selon ces deux auteurs, c'est au docteur Otto Dietrich (1897-1952), directeur des Services de presse de Goebbels que Hitler demanda si les gouvernements français et anglais avaient démissionné à la suite de du pacte germano-soviétique. (6)

Le 30 août 1939, devant le Soviet Suprême, Molotov déclara :

-« L'accord germano-soviétique a été attaqué avec virulence dans la presse anglo-française et américaine, en particulier dans certains journaux socialistes, les chefs socialistes français et anglais se montrent particulièrement violents pour dénoncer cet accord.
Ces personnes veulent absolument que l'Union soviétique combatte l'Allemagne aux côtés de la France et de l'Angleterre.
On peut légitimement se demander si ces bellicistes ont encore un gramme de bon sens.
Si ces messieurs ont une irrésistible envie de partir en guerre, laissons-les partir seuls, nous verrons quelle sorte de guerriers ils feront ! »

Il a également déclaré à propos du partage de la Pologne :

-« Que rien de ce qui était polonais ne survivra dans ces régions ! » (201)

Cet accord ou plutôt cette série d'accords entre l'Allemagne et l'URSS ne fut guère apprécié par Mussolini.

Le Duce écrivit un courrier à Hitler le 3 janvier 1940 où il exprimait sa répugnance à cet accord :

-« Personne ne sait mieux que moi, qui ai dans ce domaine quarante année d'expérience, que la politique, particulièrement la politique révolutionnaire, a ses exigences tactiques.
J'ai reconnu les Soviets en 1924 (le 9 avril 1924).
En 1934, j'ai signé avec eux un traité de commerce et d'amitié.
J'ai cru comprendre que, étant donné en particulier que les prévisions de Ribbentrop sur la non-intervention de la Grande-Bretagne et de la France ne sont pas vérifiées, vous étiez obligé d'éviter le deuxième front.
Vous avez eu à payer cet avantage, car la Russie, sans coup férir, a été le grand profiteur de la guerre, en Pologne et dans la Baltique.
Toutefois, moi qui suis révolutionnaire et qui n'ai jamais modifié ma mentalité révolutionnaire, je vous dis que vous ne pouvez pas sacrifier constamment les principes de votre révolution aux exigences tactiques du moment...
J'ai aussi le devoir très net de vous dire que tout nouveau pas fait pour resserrer les relations avec Moscou aurait des répercussions catastrophiques en Italie, où l'unanimité du sentiment antibolchevique est absolue, dure comme le granit, inébranlable.
Laissez-moi espérer que cela n'arrivera pas.
La solution au problème de votre Lebensraum se trouve en Russie, et nulle part ailleurs...
Le jour où nous aurons détruit le bolchevisme, nous aurons mené notre fidélité aux principes de nos deux révolutions.
Alors, ce sera le tour des grandes démocraties, qui ne pourront survivre au cancer qui les ronge... » (89)

Lors du procès de Nuremberg, l'accusateur américain, Sidney Alderman lira le procès verbal d'une conférence qui eut lieu le 23 mai 1939 dans le cabinet de travail de Hitler :

-« A présent, déclare Hitler, il s'agit d'adopter les circonstances à nos projets, alors que par le passé, nous adoptions nos projets aux circonstances extérieures.
Nous avons parfaitement employé les années passées, depuis notre avènement, poursuivant avec rigueur et méthode le grand but de la réunion des Allemands, de tous les Allemands, sous une même autorité, en un seul Etat.
Ce but, nous l'avons atteint sans verser une seule goutte de sang.
Mais nous sommes aussi arrivés à un point où les moyens purement politiques deviennent inopérants.
Désormais, nous ne pourrons remporter de nouveaux succès qu'en recourrant à la force, c'est à dire en attaquant sur le plan militaire.
Ce principe admis, examinons ses possibilités d'application.
De toute évidence, notre objectif dépasse le petit territoire de la ville libre de Dantzig.
Ce que nous recherchons, c'est l'extension de notre espace vital, et la certitude de pouvoir couvrir nos besoins alimentaires.
Du fait des réalités géographiques du continent européen, cette double exigence ne peut trouver satisfaction qu'en direction de l'Est.
D'où la nécessité d'attaquer la Pologne, à la première occasion.
Je ne pense pas que l'on puisse espérer une simple répétition du coup de la Tchécoslovaquie.
Cette dois, il va falloir combattre.
Par conséquent, nous allons commencer par isoler la Pologne.
Tache préliminaire, mais décisive.
C'est à moi, en tant que responsable de la direction politique, qu'il appartiendra de fixer la date de l'attaque.
Au cas où le conflit germano-polonais nous exposerait au risque d'une guerre à l'ouest, nous serions forcés de nous tourner d'abord contre la France et la Grande-Bretagne.
En d'autres termes, nous ne pourrons remporter une victoire rapide sur la Pologne que si les puissances occidentales s'abstiennent d'intervenir.
Donc, si nous ne pouvons éliminer ce risque, il vaudra mieux attaquer d'abord à l'ouest, quitte à liquider la Pologne par la suite.
Il faut bien se rendre compte que contre la France et la Grande-Bretagne, ce sera une guerre à mort.
Se leurrer serait dangereux : contre ces deux grands pays, nous ne nous en tirerons pas aux prix de quelques escarmouches.
Dans une telle guerre, on ne pourra plus s'arrêter à des considérations de haute moralité : l'enjeu sera non la justice ou l'injustice, mais l'existence ou la disparition de quatre vingt millions d'Allemands.
Une telle guerre sera-t-elle brève ou longue ?
En tout état de cause l'armée comme la direction politique, dans le camp adverse aussi bien que dans le nôtre, devront s'efforcer d'abréger la guerre.
Néanmoins, les dirigeants ont le devoir d'envisager également un conflit de dix ou même de quinze ans, et de prendre leurs dispositions en conséquence.
Sans doute, une attaque-éclair peut permettre une solution rapide.
Cependant, il serait criminel de compter uniquement sur l'effet de surprise.
Nous chercherons, certes, à frapper dès le début du conflit un coup décisif, mieux encore le coup décisif, et cela sans nous embarrasser de scrupules, tels que les usages internationaux ou le respect des traités.
Mais, encore une fois, cela ne peut réussir que si l'invasion de la Pologne ne nous entraîne pas une guerre avec l'Angleterre.
Il s'ensuit la nécessité de nous préparer également à un conflit de longue durée, notamment en privant la Grande-Bretagne de toute possibilité d'intervention sur le continent.
A la Wehrmacht d'occuper les positions essentielles pour la flotte et l'aviation.
Si nous pouvons d'un côté nous mettre en possession de la Hollande et de la Belgique et de l'autre battre la France, nous aurons jeté les bases d'une offensive victorieuse contre l'Angleterre.
Sur terre, l'Allemagne est assurée de l'emporter.
Mais, il nous faudra mobiliser toutes les forces dont nous disposons pour abattre l'Angleterre.
C'est cette victoire-là qui doit être notre objectif final. » (15)

Donc Hitler pense que s'il envahit la Pologne, la France ne l'attaquera pas.
Il lui faut donc un accord de non-agression avec l'URSS pour être totalement tranquille.

La Pologne, Obsession commune de l'Allemagne et de la Russie.

Déjà en 1920, l'historien et co-fondateur en 1908 du Journal Action Française, Jacques Bainville (1879-1936) avait prévu la suite des événements :

-« Pour ressusciter la Pologne, il fallait tailler à même l'Allemagne.
Mais pour que la Pologne, et par conséquent tout l'édifice européen construit à Versailles, fût en sécurité, il n'aurait pas fallu que l'opération fût tentée sur une nation allemande ni sur un état allemand. »

Publié de 1908 à 1944, l'Action Française préconisait le retour de la monarchie.

On pouvait lire sur sa manchette :

-« Pour que vive la France, vive le roi. »

Dès 1922, le général Hans von Seeckt (1866-1936), chef de la Reichswehr de 1920 à 1926, considérait que :

-« L'existence de la Pologne est intolérable et incompatible avec les conditions essentielles à la vie de l'Allemagne.
La Pologne doit disparaître et disparaîtra, par suite de ses faiblesses internes et de l'action de la Russie avec notre aide.
Effacer la Pologne de la carte doit être l'un des mobiles fondamentaux de la politique allemande, on peut y arriver au moyen et avec l'aide de la Russie.» (14)

1922, dix-sept ans avant le pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS.

Reichswehr, en français, Défense de l'Empire, est le nom donné à l'armée allemande de 1921 à 1935, ensuite du 21 mai 1935 jusqu'en 1945, l'armée allemande se nommera Wehrmacht, ce qui signifie en français, puissance de défense.

Hans von Seeckt, ancien chef d'état-major du maréchal allemand August von Mackensen (1849-1945, commandant des armés austro-allemandes sur le front oriental de 1915 à 1918) fut envoyé en Chine de 1934 à 1935 avec le général Alexander von Falkenhausen (1878-1966) qui lui resta en Chine de 1934 à 1939, pour aider Chang Kai-chek (1887-1975) contre Mao Tsé-Toung (1893-1975). (64)

Pour Molotov (1890-1986) :

-« La Pologne, bâtard du traité de Versailles. »

29° LE 1 ER SEPTEMBRE 1939 : L'ALLEMAGNE ATTAQUE LA POLOGNE

En 1939, Hitler, fort de ce complément du pacte germano-soviétique, considère que le Kremlin lui a donné le feu vert.
L'encre des signatures est à peine sèche qu'il lance l'ordre d'attaque. (111)

Le 1er septembre 1939, l'Allemagne attaque la Pologne.

La seconde guerre mondiale va commencer.
Elle durera 2174 jours.
Elle provoquera la mort de 55 millions de morts, dont 28 millions de civils.
35 millions de personnes seront mutilés. (260)

L'URSS perdra 20 à 25 millions de personnes durant cette guerre.

Mais pour Staline et Hitler, la vie humaine ne vaut rien !

Une fois de plus, Hitler agit sans respecter aucunes règles diplomatiques.
Je n'ose même pas parler du droit public international !

Je vais quand même faire un effort en donnant deux exemples !

Le 26 janvier 1934, les Allemands avaient signé avec les Polonais, un pacte d'une durée de dix ans (encore un) qui visait à éviter le recours à la paix dans les différents qui pourraient surgir entre les deux pays.
Encore un pacte qui ne fut pas respecté.
Hitler dénonça de façon unilatérale cet accord le 28 avril 1939 avec cinq années d'avance !

Hitler accusait les Polonais d'avoir attaquer la ville allemande de Gleiwitz.
Evidemment, c'est faux !
Les nazis, sous la direction d'Alfred Helmut Naujock (1911-1966), déguisés en soldats polonais tirèrent quelques coups de feu en l'air et envoyèrent des messages radios via la station de cette ville. (118)
Une petite anecdote en passant, les uniformes polonais qui servirent pour cette manipulation nazie, furent volés en Pologne par Oskar Schindler (décédé en 1974).
Oui, le fameux Schindler de la non moins fameuse liste ! (251)

Entre l'Allemagne et la Pologne, la lutte est totalement inégale.
D'un coté, nous avons l'Allemagne avec une armée de 1 500 000 hommes, 2700 avions et 3000 chars, tandis que du coté polonais, il n'y a que 750 000 hommes et que 300 avions.

En moins d'un mois, l'aviation et les unités allemandes écrasent la vaillante armée polonaise du général Rydz-Smigly (1886-1944).

Mais cette défaite n'était pas inévitable.

Ecoutons le témoignage du général Jodl (1890-1946), chef d'état-major de l'armée, directeur des opérations de guerre de 1938 à 1945, adjoint de Keitel :

-« Nous étions certes en mesure d'écraser la Pologne, mais nous n'aurions jamais résisté à une attaque concentrique des trois puissances ennemies.
Si nous avons pu nous en sortir, en cette année 1939, c'est uniquement parce que les cent dix divisions franco-britanniques ont observé une passivité totale, vis-à-vis des vingt-trois divisions dont l'Allemagne disposait sur la frontière Ouest. » (15)

Pourtant la convention militaire franco-polonaise du 19 août 1939 précisait que la France déclencherait une offensive contre l'Allemagne avec le gros de ses forces à dater du quinzième jour après le premier jour de la mobilisation
générale française. (17)

Et non, rien ne se passe et le général Wilhelm Keitel (1882-1946), chef de l' O.K.W (Oberkommando Der Wehrmacht) en est tout surpris :

-« Nous nous étions toujours attendus à une attaque des puissances occidentales, c'est-à-dire de la France, durant la campagne de Pologne.
Nous fûmes très surpris qu'à l'ouest, à part quelques escarmouches entre la ligne Maginot et le mur de l'Ouest, il ne se fût rien passé, bien que nous n'ayons eu alors, je le sais pertinemment, sur tout le front Ouest, depuis la frontière des Pays-Bas jusqu'à Bâle, en tout et pour tout cinq divisions non compris les faibles effectifs qui occupaient les ouvrages fortifiés du mur de l'Ouest.
Ainsi, du point de vue opérations militaires, une attaque française durant la campagne de Pologne n'aurait rencontré qu'un faible écran de troupes allemandes et non une véritable défense ». (17)

Pour le général Kurt von Tippelskirch, qui plus tard, en 1944, pris sur le front russe, le commandement de la IV ème armée :

-« Les Polonais furent abandonnés à leur sort, et il se produisit exactement ce qu'Hitler avait escompté.
Les Français se contentèrent de quelques raids locaux dans le territoire les séparant du mur de l'Ouest.
Comme celui-ci ne suivait pas partout les sinuosités de la frontière, mais était tracé aussi droit que possible, il fut facile pour les Français compte tenu de la réserve que les ordres imposaient aux Allemands, d'occuper deux portions de terrain en saillie, la Warndt, au sud ouest de Sarrebruck, et une autre proéminence de la frontière entre Sarrebruck et la forêt du Palatinat.
Cette dernière attaque, mené le 13 septembre, fit craindre passagèrement du côté allemand à une percée imminente sur Deux-Ponts et il en résulta que des réserves furent amenées d'urgence derrière le secteur menacé.
Lorsque après la fin de la campagne de Pologne, l'arrivée des trois formations allemandes devenues libres à l'est se fit sentir, les Français, à partir du 3 octobre, évacuèrent la plus grande partie du territoire frontalier qu'ils avaient occupé précédemment.
Ils ne voulaient pas exposer leurs forces avancées à des défaites partielles et reculèrent jusqu'à et en partie derrière la frontière.
Les Allemands suivirent et ne furent pas peu surpris de voir à quel point les positions de campagne étaient mal aménagées et peu résistantes. » (17)

Léopold Trepper constate que :

-« Pas un instant lorsque les troupes allemandes se lancèrent à l'assaut de ce pays (la Pologne), l'armée française ne songea à attaquer la ligne Siegfried dégarnie d'effectifs.
Cette offensive eût été le seul moyen, pourtant, de soulager l'armée polonaise, submergée par la Wehrmacht.
Et, sur le plan tactique, elle eût été probablement lourde de conséquences.
Il n'est pas interdit de penser, sans vouloir pour autant refaire l'histoire, que Hitler, obligé de faire face sur deux fronts, eût été contraint de reculer. » (16)

La ligne Siegfried est le nom donné au système fortifié allemand, édifié de 1937 à 1940 entre la frontière suisse, au niveau de Bâle, et Clèves.
Inutile aux Allemands durant la première période de la guerre, elle se révéla tout aussi inutile lors de l'effondrement militaire de l'Allemagne.
oui, tout aussi inutile que la ligne Maginot dont nous reparlerons dans un prochain chapitre.

L'ambassadeur de Pologne en France, Lukasiewicz prit d'exaspération du fait de l'inactivité de l'armée française, pris à parti Bonnet en lui hurlant :

-« Dois-je en conclure, que la parole française n'a aucune valeur ? » (132)

Le 3 septembre 1939, Churchill retrouve le poste de Premier Lord de L'Amirauté qu'il avait quitté en 1915, et devient membre du cabinet de guerre.

Ce même jour, à 11H 30, Hitler reçoit le nouvelle ambassadeur de l'URSS, Wladimir Dekanosov (le remplaçant de Alexei Merekolov), qui lui remet ses lettres de créances.
Dekanosov restera ambassadeur à Berlin jusqu'en juin 1941.
Ensuite, de retour à Moscou, il deviendra deuxième vice-commissaire aux Affaires étrangères, chargé des Affaires européennes. (52)
En 1953, après la mort de Staline, Dekanosov sera exécuté.
La légende affirme que Dekanosov giflait ses collaborateurs pour les garder en forme.

Le 4 septembre 1939, l'Angleterre et la France déclarent la guerre à l'Allemagne.

Paul Schmidt, interprète de Hitler de 1934 à 1944, écrivit dans ses mémoires que Hitler, le 13 août 1939, déclara à Ciano :

-«Je suis convaincu, dur comme fer, que ni l'Angleterre, ni la France ne s'engageront dans une guerre généralisée. »

Moins d'un mois plus tard, Hitler déclarait encore à Ribbentrop :

-« Je ne peux pas imaginer que les Français et les anglais viennent en aide aux Polonais.
Vous verrez, Ribbentrop, ils bluffent.
Nous n'auront pas la guerre avec eux » (171)

En apprenant, l'entrée en guerre de la France et de la Grande-Bretagne, Goering déclara :

-« Si, jamais, nous perdons cette guerre, que le ciel est pitié de nous ! » (15)

Le 5 septembre 1939, Molotov donne sa réponse à Schulenburg concernant sa demande d'une offensive immédiat de l'URSS contre la Pologne :

-«Nous somme d'accord avec vous sur le fait qu'en temps utile il sera absolument nécessaire que nous menions une action concrète.
Nous considérons cependant que ce temps n'est pas encore venu.
Il est possible que nous nous trompions, mais il nous semble qu'une hâte excessive porterait préjudice à notre cause et favoriserait l'union entre nos adversaires. »

Le 7 septembre 1939, Staline révèle à Dimitrov sa vision sur la guerre et son accord avec Hitler:

-"La guerre se déroule entre deux groupes de pays capitalistes, les pauvres et les riches, pour les colonies, les matières premières, etc..., pour un nouveau partage et pour la domination du monde.
Nous ne sommes pas hostiles à ce qu'ils se bagarrent bien et s'affaiblissent l'un l'autre.
Ce n'est pas un mal si l'Allemagne ébranle la situation des pays capitalistes les plus riches, en particulier de l'Angleterre.
Après Hitler, ce sera nous.
Sans le comprendre et le vouloir, Hitler ébranle, mine le système capitaliste.
Nous pouvons man½uvrer, soutenir un côté contre l'autre, pour qu'ils se déchirent mieux.
Le pacte de non-agression aide dans une certaine mesure l'Allemagne.
Le moment suivant, nous soutiendrons un autre pays.
La division des pays capitalistes en pays fascistes et démocratiques a perdu son sens antérieur."

Le 10 septembre 1939, de nouveau Molotov rencontre Schulenburg :

-«Le Gouvernement Soviétique a été totalement pris de surprise par l'inattendue rapidité des succès militaires allemands.
D'après nos communications précédentes, l'Armée Rouge avait compté sur plusieurs semaines, qui se sont maintenant réduites à quelques jours.
Les autorités militaires soviétiques sont donc dans une situation difficile, étant donné que dans les conditions présentes, elles auraient besoin de deux ou trois semaines de plus pour leurs préparatifs.
Le Gouvernement Soviétique a l'intention de saisir l'occasion d'une prochaine avance des troupes allemandes pour déclarer que la Pologne est en train de s'écrouler et qu'il est en conséquence nécessaire pour l'Union Soviétique de venir en aide aux Ukrainiens et aux Biélorusses menacés par l'Allemagne.
Cet argument est censé justifier l'intervention de l'Union Soviétique auprès des masses, et en même temps éviter de donner à l'Union Soviétique l'apparence d'un agresseur. »

Le 15 septembre 1939, l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou rencontre de nouveau Molotov pour se plaindre du communiqué prévu pour justifier la future agression soviétique, car ce dernier contenait des parties blessantes pour l'Allemagne.

Molotov lui donna la réponse suivante :

-« Le Gouvernement Soviétique ne voit malheureusement pas d'autre motivation possible, étant donné que l'Union Soviétique ne s'est jusque-là pas préoccupée du sort des minorités en Pologne, et qu'elle doit justifier à l'étranger, d'une manière ou d'une autre, son intervention. »

Le 17 septembre 1939, l'URSS respectant les clauses secrètes du pacte de non-agression, franchit la frontière orientale de la Pologne.

Ce même jour Vladimir Potemkine, commissaire adjoint aux Affaires étrangères remet à l'ambassadeur Polonais Waclaw Grzybowski un texte de Molotov expliquant l'invasion du reste de la Pologne par l'URSS:

-"Monsieur l'Ambassadeur,

La guerre germano-polonaise a montré la faillite intérieure de l'Etat polonais.
Au cours de dix jours d'opérations militaires, la Pologne a perdu tous ses bassins industriels et ses centres culturels.
Varsovie, en tant que capitale de la Pologne, n'existe plus.
Le gouvernement polonais s'est effondré et ne manifeste plus aucun indice de vie.
Cela signifie que l'Etat polonais et son gouvernement ont, de fait, cessé d'exister.
Par cela même, les traités conclus entre l'URSS et la Pologne ont perdu leur valeur.
Abandonnée à son propre sort et privée de ses dirigeants, la Pologne est devenue un champ d'action facile pour toutes sortes de menées et de surprises susceptibles de devenir une menace pour l'URSS.
C'est pourquoi, ayant observé la neutralité jusqu'à présent, le gouvernement soviétique ne peut plus rester neutre en présence de ces faits.

Le gouvernement soviétique ne peut pas non plus rester indifférent alors que ses frères de sang Ukrainiens et Blancs-Russiens, habitant le territoire de la Pologne, abandonnés à leur sort, sont restés sans défense.

Prenant cette situation en considération, le gouvernement soviétique a donné des instructions au commandement suprême de l'Armée rouge d'ordonner aux troupes de franchir la frontière et de prendre sous leur protection, la vie et les biens de la population de l'Ukraine et de la Russie blanche occidentale.

Dans le même temps, le gouvernement soviétique a l'intention de faire tous ses efforts pour libérer le peuple polonais de la malheureuse guerre où l'on jeté ses dirigeants insensés et pour lui donner la possibilité de vivre d'une vie paisible.

Agréez, Monsieur l'Ambassadeur, l'assurance de ma parfaite considération.

Le commissaire du Peuple
pour les Affaires étrangères
de l'Union soviétique
v.Molotov

Le 18 septembre 1939, la radio soviétique annonça que :

-« La Pologne était devenue une tête de pont commode pour toutes sortes d'éventualités difficiles à prévoir et susceptibles de présenter une menace pour l'URSS.
Dans ces conditions, le gouvernement soviétique a donné l'ordre au haut commandement de l'Armée Rouge de faire franchir la frontière aux troupes et de prendre sous leur protection et les biens de la population. »

Le même jour on pouvait lire dans la Pravda que l'invasion soviétique de la Pologne était destinée à sortir le peuple polonais d'une guerre malencontreuse où l'a plongé l'attitude déraisonnable de ses dirigeants, et lui donner la possibilité de mener à nouveau une vie paisible.

Dans ses mémoires, Churchill écrivit :

-« Ce fut alors le tour des Soviets.
Ce qui se posent maintenant en démocrates entrèrent en scène.
Le 17 septembre, les armées russes se ruèrent à travers la frontière orientale de la Pologne, qui n'était pour ainsi dire pas défendue, et avancèrent vers l'ouest, sur un large front.
Le 18, ils occupèrent Vilna et rencontrèrent leurs collaborateurs allemands à Brest-Litovsk.
C'est là que, pendant la guère précédente, les Bolcheviks, rompant les engagements solennels qui les liaient à leurs alliés occidentaux, avaient conclu une paix séparée avec l'Allemagne du Kaiser, acceptant, l'échine courbée, des conditions draconiennes.
Cette fois-ci, à Brest-Litovsk, c'était avec l'Allemagne de Hitler que les communistes russes échangeaient sourires et poignées de main. » (89)

Le 19 septembre 1939, un communiqué germano-soviétique est publié :

-« Les soldats allemands et soviétiques ont pour mission de restaurer la paix et l'ordre troublés par la désintégration de l'état polonais et d'aider la population polonaise à réorganiser les bases de son existence politique. »

Le 21 septembre 1939, Churchill envoie une note à l'attention du cabinet de guerre dans laquelle il déclare :

-« Les Russes ont fait preuve de la plus grossière mauvaise foi au cours des récentes négociations, c'est un fait acquis ; mais le général Vorochilov, en demandant que les armées soviétiques occupassent Vilna et Lemberg, si la Russie devait être l'alliée de la Pologne, n'avait fait que poser une condition parfaitement valable du point de vue militaire.
Cette demande a été rejetée par la Pologne pour des raisons certes bien naturelles, mais dont la vanité nous apparaît maintenant.
Résultat : la Russie s'est établie en ennemie sue la même frontière et elle occupe les mêmes positions qu'elle aurait occupées en amie très peu sûre et suspecte.
La différence, en fait, n'est pas aussi considérable qu'on pourrait le croire à première vue.
Les Russes ont mobilisé des forces énormes, ils ont montré qu'ils pouvaient avancer avec rapidité loin de leurs positons d'avant guerre ; ils sont maintenant par rapport à l'Allemagne dans une situation limitrophe qui interdit absolument à celle-ci de dégarnir le front de l'est.
Ce front, il faut qu'elle le surveille, et cela immobilise 20 divisions d'après le général Gamelin.
Peut-être même 25, si ce n'est davantage.
On peut dire qu'un front de l'est existe déjà en puissance. » (89)

Le général Maurice Gamelin (1872-1958) exerçait depuis 1935 les deux fonctions cumulées de vice-président du Conseil supérieur de la guerre et de chef d'Etat-Major général de l'Armée de terre.
Depuis 1938, il avait été également investi d'une nouvelle fonction de chef d'Etat-Major de la Défense nationale, par laquelle son autorité s'exerçait aussi sur la Marine et sur l'Armée de terre.
Le corps expéditionnaire britannique, dès le début de la guerre, avaient également été placé sous son commandement. (119)
Le 20 mai 1940, il est remplacé par Maxime Weygand (1867-1965).

Ce même jour, Heydrich envoie au haut commandement de l'armée, la note suivante :

-« Le III ème Reich ne reconstruira pas la Pologne détruite.
La noblesse et le clergé de ce pays devront être, dès la conquête terminée, exterminés.
Il importera de conserver le peuple dans un niveau de vie très bas.
Il fournira ainsi des esclaves à bon marché.
On parquera surtout tous les juifs dans les villes, où ils demeureront aisément accessibles.
La solution définitive demandera quelque temps avant d'intervenir et d'être menée à bien.
Elle restera strictement secrète. »

Continuant sa note sur le sort de la Pologne, il précise :

-« La solution du problème de la Pologne est différente selon les milieux, c'est à dire l'intelligentsia polonaise d'une part et les milieux travailleurs polonais d'autre part.
En ce qui concerne les dirigeants politiques dans les territoires occupés on peut tout au plus les évaluer à 3%.
Mais ces 3% doivent être neutralisés et internés dans les camps de concentration.
Les Einsatzgruppen ont dressé des listes comprenant les noms des chefs les plus marquants... » (99)

Plus tard, au cours, d'une assemblée générale de la police qui s'est tenue en mai 1940, Bruno Streckenbach devait déclarer que les archives de la SD avaient répertorié environ quatre mille personnes appartenant aux milieux dirigeants intellectuels de la résistance polonaise dont il fallait envisager l'arrestation et la liquidation. (99)

Joseph Wulf va nous donner un exemple concernant la volonté des nazis de détruire la Pologne :

-« En exemple, il convient de citer ici la très vieille université des Jagellons (Jagellon, famille lituanienne à l'origine de la dynastie lituano-polonaise qui, fondée par Ladislas II Jagellon, régna de 1386 à 1572 en Pologne, en Bohême et en Hongrie) à Cracovie.
En 1939-1940 elle était dirigée par le recteur Tadeusz Lehr-Splawinski.
Lorsqu'il voulut demander aux autorités d'occupation ce qu'ils envisageaient de faire pour la réouverture de l'université, le recteur Lehr-Splawinski fut convié par le SS-Obersturmfuhrer Muller à se présenter à la kommandantur du Einsatzkommando de la Sipo à Cracovie.
Muller s'informa très poliment sur l'organisation universitaire, sur le nombre des professeurs et étudiants juifs pour déclarer ensuite qu'il avait l'intention d'exposer aux professeurs et aux agrégés de l'Université, de l'Académie des Mines de Cracovie le point de vue allemand sur le problème scientifique et sur les écoles académiques.
A cet effet, tous les enseignants se rassemblèrent le 6 novembre 1939 dans la salle Copernic de ladite Université.

Le SS-Obersturmfuhrer Muller leur déclara au nom du commandant de la Sipo au gouvernement général, Bruno Streckenbach :

-Vous êtes tous arrêtés.
Vous serez conduits dans un camp de prisonniers où on vous instruira sur la situation réelle.
Vous n'avez pas à poser de questions.
Que les femmes quittent la salle.
Le départ va avoir lieu immédiatement.
Je pense que le recteur ferait bien d'ouvrir la marche.

Après cette allocution, les savants et intellectuels durent se présenter deux par deux dans le couloir où ils furent soumis à une fouille à corps ; ils furent ensuite conduits dans la célèbre prison de la gestapo, le montelupi à Cracovie.
Sur les deux-cents savants et plus arrêtés ce jour-là, environ une vingtaine furent relâchés un peu plus tard, il s'agissait d'Ukrainiens, d'étrangers et de deux médecins spécialistes.

Trois jours après, la gestapo transféra cent quatre-vingt-six de ses victimes au camp de concentration de Sachsenhausen où périrent entre autres :

- le président de l'Académie des Mines, le professeur Kazimierz Kostanecki
- le professeur de littérature et d'histoire Ignacy Chrzanowski
- l e bibliographe Stanislaw Estreicher
- le byzantinologue Léon Sternbach (1864-1940)
- le professeur de sciences naturelles Michal Siedlecki
- le géographe Jerzy Smolenski.

Le 8 février 1940, cent deux professeurs âgés de plus de quarante ans furent relâchés, les autres transférés au camp de concentration de Dachau.

Parmi les libérés, plusieurs décédèrent des suites de leur internement, dont les savants connus :

- Stefan Kolaczkowski, spécialiste en histoire de la littérature
- l'angliciste professeur Dyboski

pour n'en citer que quelques-uns.

Parmi ceux internés à Dachau beaucoup furent plus tard transportés dans les camps de Buchenwald et de Mauthausen où ils périrent.
Voilà donc quel fut le destin du corps enseignant de l'établissement Alma mater de Cracovie, une des plus vieilles universités fondée en 1364 par le roi de Pologne Casimir III le Grand. » (99)

Casimir III le Grand (1310-1370) fut roi de Pologne de 1333 à 1370.

Le camp de concentration de Orianinburg-Sachsenhausen où furent déportée la plupart des membres de l'Université de Cracovie fut créé en 1933 à Berlin dans une brasserie désaffectée.
Dans ce camp, 22000 soldats russes furent exécutés en 1942.
Pour brûler les corps des pauvres soldats russes, pendant deux mois les fours crématoires n'interrompirent pas leur tâche. (226)

Quand au camp de Dachau, il fut ouvert dans la même période que sachenhausen, au environ de mars 1933.

La description de ces camps m'a donné l'envie de rendre hommage à Primo Lévi (1919-1987) :

-«A l'antique objectif visant à éliminer ou à terroriser l'adversaire politique, ils ont adjoint un objectif moderne et monstrueux, celui de rayer de la surface du globe des peuples entiers avec leurs cultures.
En général, on entrait dans les camps de concentration allemands pour ne plus en sortir : il n'y était prévu d'autre issue que la mort.»

Primo Levi était un écrivain italien.
Juif et résistant, il témoigne en dans son premier roman, J'étais un homme, sa déportation à Auschwitz.
Il publie ensuite en 1963 la Trêve, qui relate le retour des camps vers la terre natale, et en 1975 le Système périodique .
Il s'est suicidé en 1987.

Révolté par toutes ces atrocités, Canaris déclara à Burkner, chef de la section Etranger de l'Abwehr :

-« Une guerre conduite au mépris de toute éthique ne peut pas être gagnée.
Il y a aussi une justice divine sur terre. » (92)

Lorsque Canaris informa Paulus (1890-1957), le futur maréchal de Stalingrad, des horreurs commises par les nazis en Pologne, ce dernier lui répondu qu'il se déclarait totalement solidaire des atrocités ordonnées par Hitler.
Canaris en fut indigné. (92)

Le général Blaskowitz, commandant en chef à l'Est, fit rédiger, le 6 février 1940, un rapport sur les excès commis par les SS contre les juifs et la classe dirigeante polonaise et l'adressa à Hitler qui en conçut une vive irritation. (181)
Ce rapport entraînera sa disgrâce.

Dans le journal de Ciano, en date du 4 décembre 1939, on peut lire :

-« Le Duce vient de prendre connaissance d'un rapport sur les atrocités commises par les nazis en Pologne.
Il m'a conseillé de faire parvenir aux journaux alliés les informations contenues dans ce rapport.
Il est nécessaire que le monde est connaissance de ces faits. »

De leur coté, les Soviétiques arrêtent également les opposants polonais potentielles.
Ils arrêtent notamment l'auteur Alexandre Wat.

Je laisse l'honneur à Czeslaw Milosz, prix Nobel de littérature 1980, de nous décrire Wat :

-« Un Soljenitsyne intellectuel, j'insiste sur l'adjectif.
Il appartenait à cette fameuse élite des années 20 en qui s'incarnaient tous les espoirs et toutes les cultures de l'Europe centrale, cette élite que devaient bientôt exterminer dans divers pays de l'Est les régimes totalitaires.
Il était l'une des grandes figures du monde littéraire varsovien.
Maïakovski voyait en lui un futuriste, bien que lui-même préférât se déclarer dadaiste.
Il pratiquait l'ironie mais, comme des milliers d'intellectuels de son temps, se prit d'une passion violente pour la Révolution russe avant de dénoncer, à partir de 1939, ce pacte désastreux avec l'histoire.
Il a connu les prisons staliniennes à treize reprises. » (239)

En 1980, après l'attribution du prix Nobel à Czelaw Milosz, le peuple polonais exprima sa fierté et manifesta contre le gouvernement.
On ne peut que avoir de la sympathie pour ce courageux peuple.

Il ne faut jamais oublier que la police stalinienne n'oublie jamais personne.
De ce fait, la femme d'Alexandre Wat, Ola, fut après l'arrestation de son mari, déportée au Kazakhstan.
Elle raconta son expérience dans son livre L'age d'homme.

D'après mes sources, les Soviétiques déportèrent environ 1,5 millions de Polonais.

Le 22 septembre 1939, l'armée allemande victorieuse et l'armée soviétique défilent à Brest-Litovsk devant les généraux Heinz Guderian (1888-1954) et Krivocheine. (180)

Le 27 septembre 1939, l'alliance tripartite est signé.
L'axe Rome-Berlin-Tokio est prêt à affronter le reste du monde.

Le 28 septembre 1939, la garnison de Varsovie se rend.

La dernière fraction importante de l'armée rouge se rend le 5 octobre 1939.

30° LE TRAITE DU 28 SEPTEMBRE 1939

De nouveau, le 28 septembre 1939, Molotov et Ribbentrop se rencontrent.

L'objectif en étant la délimitation précise des nouvelles frontières communes de l'URSS et de l'Allemagne.

De ce fait, ils signent un nouveau traité dont voici le texte :

-« Traité Germano-Soviétique de délimitation et d'amitié du 28 septembre 1939
Le gouvernement du Reich Allemand et le Gouvernement de l'URSS considèrent comme étant leur tâche exclusive, à la suite de la désintégration de l'ancien Etat polonais, de rétablir la paix et l'ordre dans ces territoires et d'assurer aux peuples qui y vivent une existence paisible, en rapport avec leur caractère national.

Dans ce but les deux Gouvernement ont convenu ce qui suit :

Article premier.
Le Gouvernement du Reich Allemand et le Gouvernement de l'URSS déterminent comme frontière de leurs intérêts nationaux respectifs dans le territoire de l'ancien Etat polonais la ligne tracée sur la carte annexée qui sera décrite avec plus de détail dans un protocole additionnel.

Article II.
Les deux parties reconnaissent comme définitive la délimitation de leurs intérêts nationaux respectifs déterminés à l'article premier et repoussent toute interférence de tierces puissances dans ce règlement.

Article III.
La réorganisation indispensable de l'administration publique sera effectuée dans les zones situées à l'ouest de la ligne déterminée à l'article premier, par le Gouvernement du Reich Allemand ; dans les zones situées à l'est de cette ligne, par le gouvernement de l'URSS.

Article IV.
Le Gouvernement du Reich Allemand et le Gouvernement de l'URSS considèrent ce règlement comme la base solide sur laquelle pourront se développer progressivement des relations amicales entre leurs deux peuples.

Article V.
Ce Traité sera ratifié et les instruments de ratification seront échangés à Berlin dès que possible.
Le traité deviendra effectif à sa signature.

Fait en double exemplaire, en langue allemande et russe

Von Ribbentrop
V.Molotov

On retrouve ensuite de nouveaux des protocoles additionnels et confidentiels :

a)Protocole confidentiel du 28 septembre 1939

Le gouvernement de l'URSS ne mettra pas d'obstacle au désir éventuel de nationaux allemands ou d'autres personnes d'origine allemande, résidant dans sa sphère d'influence, d'immigrer vers l'Allemagne ou vers la sphère d'influence allemande.

Il est d'accord pour que ces déplacements soient organisés par des agents du gouvernement du Reich en collaboration avec les autorités locales compétentes, et pour que les droits de propriété des émigrants soient sauvegardés.

Une obligation correspondante incombe au Gouvernement du Reich en ce qui concerne les personnes d'origine ukrainienne ou russe blanche résident dans sa sphère d'influence.

Pour le Gouvernement du Reich Allemand : v.Ribbentrop
Pour le Gouvernement de l'URSS : v.Molotov

b)Protocole additionnel secret du 28 septembre 1939

Les plénipotentiaires soussignés déclarent que le Gouvernement du Reich allemand et le Gouvernement de l'URSS sont d'accord sur ce qui suit :

Le protocole additionnel secret signé le 23 août 1939 est amendé.
Le territoire de l'Etat lithuanien est inclus dans la sphère d'influence de l'URSS, tandis que d'autre part la province de Lublin et certaines parties de la province de Varsovie sont incluses dans la sphère d'influence de l'Allemagne.

Aussitôt que le Gouvernement de l'URSS aura pris des mesures spéciales en territoire lithuanien pour la protection de ses intérêts, la frontière germano-lituanienne actuelle, afin de réaliser un tracé plus normal et plus simple, sera rectifiée de telle sorte que la partie du territoire lithuanien située au sud-ouest de la ligne qui figure sur la carte annexée sera rattachée à l'Allemagne.

Par ailleurs il est prévu que les accords économiques actuellement en vigueur entre l'Allemagne et la Lituanie ne seront pas affectés par les mesures du Gouvernement soviétique mentionnées ci-dessus.

Pour le Gouvernement du Reich Allemand : v.Ribbentrop
Pour le Gouvernement de l'URSS : v.Molotov

C) Protocole additionnel secret du 28 septembre 1939

Les plénipotentiaires soussignés, en concluant le Traité germano-soviétique de délimitation et d'amitié, se sont déclarés d'accord sur ce qui suit :

Les deux parties ne toléreront sur leurs territoires aucune agitation polonaise susceptible d'affecter le territoire de l'autre partie.
Elles mettront fin à une telle agitation dès son origine et se renseigneront mutuellement sur les dispositions prises à cet effet.

Pour le Gouvernement du Reich Allemand : v.Ribbentrop
Pour le Gouvernement de l'URSS : v.Molotov

A son retour de Moscou, Ribbentrop raconta à Hitler et à ses convives qu'il ne s'était jamais senti aussi bien qu'au milieu des collaborateurs de Staline. (186)

-« C'était comme si je m'étais trouvé parmi de vieux camarades du Parti, mon Führer. » (186)

Le 6 octobre 1939, Willi Munzenberg (1887-1940) écrivit :

-« Le 28 septembre, Staline n'a pas seulement conclu un nouveau pacte avec Hitler, mais il a solennellement signé un traité d'amitié.
Par ce traité d'amitié, Staline s'est formellement solidarisé avec la dictature hitlérienne, il a formellement approuvé l'agression lâche et spoliatrice du pouvoir hitlérien contre la Pologne et proclamé avec cynisme le partage du butin.
Dans ce même traité d'amitié, Staline a, avec Hitler, qu'il désignait il y a encore quelques semaines, avec raison, comme le grand fauteur de guerre, accusé les démocraties occidentales d'avoir mis le feu aux poudres et ceci à la vérité parce qu'elles refusent de reconnaître la main mise sur la Pologne.
Staline a apporté toute l'aide possible à la dictature hitlérienne.
Protégé par Staline à l'Est, elle peut désormais se jeter sur les démocraties occidentales.
Staline et Hitler portent, à parts égales, la lourde responsabilité de tout le sang qui sera versé dans les combats à venir.
Hitler n'aurait jamais osé attaquer la Pologne sans le soutien de Staline, de même qu'aujourd'hui il n'oserait pas agresser les démocraties occidentales sans l'incitation de Staline. »

Thierry Wolton va maintenant nous relater la vie de Munzenberg :

-« Derrière le Rassemblement universel pour la Paix se profile en effet un personnage déterminant du Komintern, Willy Munzenberg, chargé par Moscou d'organiser une croisade mondiale antifasciste à travers de larges mouvements pacifistes, comme le RUP justement.
Installé à Paris depuis le début des années 30, Munzenberg est déjà l'organisateur occulte du congrès d'Amsterdam-Pleyel en 1933.
Génie de la propagande, il a favorisé, en coulisse, la création du RUP même si les communistes y sont très minoritaires.
En fin de compte l'organisation échappera d'ailleurs au contrôle de Moscou puisqu'elle condamnera le pacte germano-soviétique d'août 1939.
Il est vrai que Willy Munzenberg, en disgrâce au Komintern depuis 1938, ne disposait plus alors des moyens nécessaires pour mener sa politique occulte.
Arrêté par la police française au lendemain de la déclaration de guerre, Munzenberg connaîtra même une fin tragique : il est retrouvé pendu à la branche d'un arbre sur l'une des routes de l'exode en juin 40, probablement assassiné par la Guépéou. » (45)

Léopold Trepper va nous donner plus de détails sur la fin tragique de Munzenberg :

-« Willy Munzenberg avait été rayé des cadres du parti allemand et de l'International communiste en 1937.
En 1940, il avait été interné par le gouvernement Daladier au camp des étrangers de Gurs.
C'est là que deux agents de Béria, internés avec lui, furent chargés de l'exécuter.
Les deux hommes lui proposèrent de s'évader avec eux.
Trop heureux de profiter de l'occasion, il accepta : on le retrouva pendu à deux cents mètres du camp. » (16)

Willy Munzenberg dirigea également avec Clara Zetkine (1857-1933) le Secours Rouge.
Cette organisation créé en 1922 avait comme objectif d'organiser la défense des agents soviétiques arrêtés à l'étranger. (203)

Le 31 octobre 1939, Molotov déclara que :

-« Nos rapports avec l'Allemagne se sont fondamentalement améliorés...
Nous avons toujours été d'avis qu'une Allemagne forte est une condition nécessaire d'une paix solide en Europe. » (84)

Le 1er octobre 1939, dans une déclaration à la radio, Churchill annonce que :

-« De nouveau la Pologne a été envahie par deux des grandes puissances qui l'ont tenue en esclavage pendant cent cinquante ans et ont été incapables de détruire l'esprit de la nation polonaise.
L'héroïque défense de Varsovie montre que l'âme de la Pologne est indestructible : elle se dressera de nouveau comme ces rochers qui peuvent être quelques temps submergés par la marée, mais qui restent quand même des rochers.
La Russie a poursuivi froidement une politique dictée par l'intérêt.
Nous aurions pu souhaiter que les Russes occupent leurs positions actuelles en amis et alliés de la Pologne au lieu de les occuper en envahisseurs.
Mais le fait pour les armées russes de se tenir sur cette ligne est clairement nécessité par la sécurité de la Russie face à la menace nazie.
En tout cas, la ligne est là et un front de l 'est a été créé, que l'Allemagne nazie n'ose pas attaquer. » (89)

Michel Tansky va maintenant nous décrire une rencontre entre Soviétiques et Allemands en Octobre 1939 :

-«Au mois d'octobre, une délégation russe comprenant notamment les chefs d'état-major des régions frontalières de l'ouest fit un voyage d'inspection dans les territoires annexés et rencontra une commission allemande afin de procéder à certaines rectifications de la ligne de partage.
Ce fut à cette occasion que Joukov vit pour la première fois l'armée du IIIèmr Reich.
Très prévenants, les Allemands lui montrèrent tout ce qui pouvait l'intéresser : les chars de Guderian, les escadrilles de Goering, les unités du train entièrement motorisées, les transmissions.
Impassible, Joukov regardait, observait, posait des questions.
Il paraissait détendu, curieux, mais non impressionné, alors qu'en réalité, il devait faire un effort constant pour cacher ses alarmes. » (75)

Dans ses mémoires, Speer affirme qu' :

-« En octobre, Hanke m'apprit qu'il avait rapporté à Hitler, que lors de la rencontre des troupes allemandes et soviétiques sur la ligne de démarcation en Pologne, on avait observé l'insuffisance, voire l'indigence de l'armement soviétique.
D'autres officiers confirmèrent ces observations, et Hitler dur être très intéressé par ces renseignements à ce sujets : il voyait là un signe de faiblesse militaire ou un manque de talent d'organisation. » (186)

Karl Hanke fut secrétaire de Goebbels et Gauleiter de Basse-Silésie.

31° LE SORT DES ETATS BALTES

Winston Churchill va maintenant nous décrire le destin des Etats Baltes après l'invasion de la Pologne :

-« La première mesure que prit la Russie après avoir partagé la Pologne avec l'Allemagne fut de conclure trois pactes d'assistance mutuelle avec l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
Ces trois Etats Baltes étaient les pays les plus violemment antibolchevistes de l'Europe.
Tous trois s'étaient affranchis de l'autorité du gouvernement soviétique au cours de la guerre civile de 1919 et 1920, et ils avaient constitué, de la rude manière dont on conduit les révolutions dans ces régions, un genre de société et de gouvernement dont le principe essentiel était l'hostilité au communisme et à la Russie.
Depuis vingt ans Riga, en particulier, répandait dans le monde un flot de propagande violemment antibolchevique par la radio et par tous autres moyens.
A l'exception de la Lettonie, ils ne s'étaient pas, cependant, associés à l'Allemagne hitlérienne.
Les Allemands avaient été heureux de les sacrifier dans le marché qu'ils avaient conclu avec les Russes et le gouvernement des Soviets se jetait maintenant sur sa proie avec une haine longtemps contenue doublée d'un ardent appétit.
Ces trois Etats avaient formé une partie de l'empire tsariste : ils représentaient les anciennes conquêtes de Pierre le grand.
De nombreuses troupes russes les occupèrent immédiatement, contre lesquelles ils n'avaient aucun moyen de résister efficacement.
Tous les éléments anticommunistes et antirusses firent l'objet d'une liquidation féroce exécutée selon les méthodes habituelles.
Bon nombres de gens disparurent qui, depuis vingt ans, vivaient en liberté dans leur pays natal et qui représentaient la classe dominante de la population.
Ils furent, en grande partie, déportés en Sibérie.
Quant aux autres ils allèrent plus loin encore.
Cette manière de procéder s'appelait : Pacte d'assistance mutuelle. » (89)

Le 5 octobre 1939, la Lettonie signe un pacte d'assistance mutuelle avec l'URSS qui en profite pour installer dans ce pays des bases militaires avec 25 000 soldats.

Le 13 juin 1940, l'URSS exige la formation d'un gouvernement prêt à assurer l'application du pacte d'assistance mutuelle.
Vychinski, délégué extraordinaire en Lettonie nomme un gouvernement provisoire.

Le 17 juin 1940, les troupes soviétiques occupent la Lettonie, acte, bien évidemment contraire au traité de non-agression entre la Lettonie et l'URSS signé le 5 février 1932.

Le 14 et 17 juillet 1940 ont lieu des élections, mais petits problèmes, il n'y a qu'une liste établie par le parti communiste.

Le 24 juillet 1940, le parlement de Lettonie vote la nationalisation du sol, des usines, immeubles, banques, navires et demande l'incorporation de la Lettonie dans l'URSS.

Toujours, le 24 juillet, un gouvernement pro-soviétique est formé en Lettonie.

Il commence une politique de nationalisation et demande le rattachement de la Lettonie à l'URSS.

Le 5 août 1940, la Lettonie est reconnue comme la 14ème République au sein de l'URSS.

En octobre 1939 la population était de deux millions d'habitants.
En novembre 1939 et mai 1941, 70 000 Lettons préférèrent émigrer à l'étranger.

35000 lettons furent déportés ou exécutés par les soviétiques entre 1940 et 1941 (dont 15 000 Lettons déportés en deux jours, les 13 et 14 juin 1941).

20 000 Lettons furent mobilisés dans l'armée soviétique en 1941 et 1944-1945.

70000 Lettons furent obligés de se réfugier en URSS du fait de la sauvagerie allemande.
Ces derniers massacreront 60 000 Lettons et en déportèrent 30 000.

Les Allemands emmenèrent en Allemagne 35 000 Lettons pour travailler dans leurs usines.
N'oublions pas les 40 000 Lettons morts dans l'armée allemande de 1942 à 1945, les 70 000 Lettons exécutés ou déportés par les Soviétiques en 1944-1945, les 100 000 Lettons obligés de se réfugiés à l'ouest entre 1942 et 1945.

Fin 1945, la population Lettone n'est plus que de 1.400.000, soit une perte de 600 000 habitants.
Entre 1946 et 1953, les Russes déportent 100 000 Lettons (dont 43 500 paysans les 23-25 mars 1949).

En 1955, la Lettonie retrouve le même nombre d'habitants qu'en 1939, mais principalement du fait de l'arrivée de 535 000 Russes, Biélorusses et Ukrainiens, soit 25 % de la population.

Dans une interview dans L'EXPRESS donné par Jan Trappans en 1984, ce dernier qui était Directeur des Programmes lettons de Radio Europe Libre, évoque l'atmosphère stalinienne qui règne aujourd'hui à Riga, une russification nettement plus avancée que dans les deux autres républiques avec 53,7 % seulement de Lettons et une répression croissante depuis la nomination en août 1983, comme premier secrétaire du Parti letton, de Bousi Pugo, ex-chef du KGB local. (141)

La Lettonie ne retrouvera son indépendance que le 28 août 1991. (37)

Nous allons maintenant examiner un document accablant pour l'URSS.

Il s'agit de l'ordre N°001223 de déportation du 11 octobre 1939.
Ce document définit la procédure pour effectuer la déportation d'éléments anti-soviétiques de Lituanie, de Lettonie et d'Estonie.
On voit le cynisme des soviétiques car cet ordre fut signé 6 jours après la signature du pacte de d'assistance mutuelle entre la Lettonie et l'URSS et le lendemain de la signature du pacte d'assistance mutuelle entre la Lituanie et l'URSS .

Nous allons examiner quelques extraits de cet ordre n° 001223 :

-«ORDRE No.001223 définissant la procédure pour effectuer la déportation des éléments anti-soviétiques de Lituanie, de Lettonie et d'Estonie du 11 octobre 1939

STRICTEMENT SECRET

1. SITUATION GENERALE

La déportation des éléments anti-soviétiques hors des républiques baltes est une tâche de haute importance politique.
La réussite de son exécution dépend de la capacité des troïkas et des quartiers généraux opérationnels de district de planifier avec attention l'exécution des opérations et de prévoir tout ce qui est nécessaire.
De plus, il faut prendre soin d'exécuter les opérations sans agitation, ni panique, de façon à interdire toutes manifestations et troubles que ce soit de la part des déportés ou de la part de la partie la population locale qui est hostile à l'administration soviétique.

Les instructions sur la procédure à suivre pour exécuter les déportations sont données ci-dessous.
Il faut exécuter strictement les instructions, mais dans les cas particuliers, les collaborateurs engagés dans les opérations doivent tenir compte des conditions concrètes et, pour maîtriser correctement la situation, prendre d'autres décisions pour atteindre le même but, soit de remplir la tâche qui leur est confiée sans bruit et sans panique.

2. PROCEDURE D'INSTRUCTION

L'instruction des groupes opérationnels est faite par les troïkas de district aussi vite que possible le jour précédant les opérations en tenant compte du temps nécessaire pour se rendre sur le lieu de l'opération.

Les troïkas de district organisent le transport des groupes opérationnels jusqu'au lieu des déportations.

Les troïkas de district s'adressent à la direction locale du Parti soviétique pour recevoir le nombre nécessaire de voiture et de wagons.

Les locaux prévus pour transmettre les instructions sont soigneusement organisés à l'avance, tant par leur volume que par le nombres d'entrées et sorties, en prenant en considération la possibilité d'une intrusion de personnes étrangères.
Pendant l'instruction le bâtiment est gardé par des membres de l'opération.

Si quelqu'un prévu pour l'opération ne se présente pas à la séance de transmission des ordres, la troïka du district remplace de suite l'absent d'une réserve de personnel prévue à l'avance.

Par les officiers de la police, la troïka notifie la décision du gouvernement de déporter un contingent déterminé d'éléments anti-soviétiques du territoire de la république ou de la région.
De plus ils expliquent sommairement ce que ces déportés représentent.

On attire particulièrement l'attention des travailleurs du Parti, réunis pour la transmission des ordres, sur le fait que les déportés sont des ennemis du peuple soviétique et qu'une attaque armée de la part des déportés ne peut être exclue.

3. PROCEDURE POUR LA TRANSMISSION DES DOCUMENTS

Après des instructions générales pour les groupes opérationnels, on transmet les documents concernant les déportés.
Les dossiers personnels des déportés sont réunis et transmis aux groupes opérationnels, par communes et villages, de sorte qu'il n'y ait pas de perte de temps lorsqu'ils sont distribués.

Après la réception des dossiers personnels, le chef du groupe opérationnel prend connaissance des dossiers des familles qu'il doit déporter.
Il s'assure de la composition de la famille, des formulaires nécessaires à remplir pour les déportés, des moyens de transport pour les déportés.
Il devra recevoir des réponses exhaustives à toutes ses questions.

En même temps que la remise des documents, la troïka du district explique à chaque chef de groupe où habitent les familles à déporter, la route à suivre pour atteindre le lieu de la déportation et les routes que suivra le groupe opérationnel ave les déportés jusqu'à la gare où ils seront embarqués dans les trains.
Il est également essentiel d'indiquer où sont stationnés les groupes militaires de réserve, au cas où il serait nécessaire de faire appel à eux en cas de troubles.

On contrôle tout le groupe opérationnel : les armes, l'état des armes et les munitions.
Les armes doivent être prêtes au combat, les magasins chargés, mais les cartouches ne doivent pas être engagés dans le canon.
Les armes ne doivent être utilisées qu'en dernier ressort, lorsque le groupe opérationnel est attaqué ou menacé d'attaque ou lorsqu'il y a résistance.

4.PROCEDURE POUR EFFECTUER LES DEPORTATIONS

Dans le cas de plusieurs familles à déporter dans un village, l'un des membres du groupe opérationnel est nommé chef et il se rend avec son groupe dans le village.
En arrivant dans le village, le groupe opérationnel prendra contact (en observant la discrétion nécessaire) avec les autorités locales : président, secrétaire ou membre du soviet du village, et s'informera du lieu exact où habitent les familles à déporter.

Après cela les groupes opérationnels, en compagnie des représentants des autorités locales, qui doivent faire l'inventaire des biens, se rendent chez les familles à déporter.
Les opérations doivent commencer à l'aube.
Dès qu'il pénètre dans l'habitation, le chef du groupe opérationnel réunit toute la famille dans une pièce, en prenant toutes les précautions nécessaires contre toute éventualité.

Après avoir contrôlé la conformité de la famille avec la liste, noté l'adresse des absents et le nombre des malades, on leur demande de rendre leurs armes.
Indépendamment du fait si une arme a été rendue, le déporté est fouillé, puis on fouille l'ensemble des locaux pour trouver des armes cachées.
Pendant la fouille des locaux il y a un garde qui surveille les déportés.

Si la fouille permet de trouver des armes en petite quantité, elles sont réparties entre les membres du groupe opérationnel.
Si on en trouve beaucoup, on les charge sur un camion ou dans un wagon du groupe, après en avoir retiré les munitions.
Les munitions sont chargées avec les armes.
Si nécessaire un convoi avec garde est organisé pour le transport des armes.

Dans le cas de découvertes des armes, de littérature contre-révolutionnaire, de devises étrangères, de grandes richesses, etc...
on fait un bref rapport de la fouille sur place, où l'on indique les armes cachées et la littérature contre-révolutionnaire.
S'il y a une résistance armée, la troïka de district décide de l'arrestation de personnes qui ont résisté et de leur transport à la section du Commissariat du Peuple de la Sécurité publique.

On dresse un rapport à propos des déportés qui se cachent ou qui sont malades, rapport qui est contresigné par le représentant local du Parti.

Après la perquisition, on notifie aux déportés qu'ils sont déportés par décision du gouvernement dans d'autres régions de l'Union.

Les déportés peuvent prendre avec eux un maximum de 100 kg d'effets personnels : 1) vêtements, 2) chaussures, 3) sous-vêtements, 4) couvertures, 5) vaisselles, 6) verres, 7) ustensiles de cuisines, 8) un mois de nourriture pour la famille, 9) l'argent, 10) valises ou malles pour y mettre les objets.
Eviter les articles encombrants.

Si les gens sont des déportés de la campagne, ils peuvent prendre de petits instruments agricoles, pioches, scies, et autres, de façon à ce qu'ils puissent être chargés dans des wagons spéciaux du train de déportation.

Pour ne pas mélanger ces biens avec ceux d'autres, on y écrit le prénom, le prénom du père, le nom de famille et le nom du village.

En chargeant ces biens sur les véhicules, on prend soin à les disposer de telle façon que les déportés ne puissent pas les utiliser pour résister pendant que le convoi roule sur la route.

Simultanément avec le chargement des véhicules par le groupe opérationnel, les représentants locaux du Parti présents préparent un inventaire des biens et décrivent les mesures de conservation en conformité avec les instructions reçues.

Si un déporté possède son propre moyen de transport, ses biens sont chargés sur ce véhicule et avec sa famille il rejoint le lieu d'embarquement.

Si le déporté n'a pas de véhicule les autorités locales réquisitionnent des charrettes dans le village, sur ordre du chef de groupe opérationnel.

Toutes les personnes qui entrent dans la maison du déporté pendant la procédure ou qui s'y trouvent, sont détenues jusqu'à la fin de la procédure et on s'informe de ses liens avec le déporté.
Cela est fait pour trouver des personnes qui se cachent de la police ou des gendarmes.
Après vérification de l'identité des personnes détenues et la vérification que ce ne sont pas des personnes recherchées, elles sont relâchées.

Si les habitants du village commencent à s'assembler autour de la maison pendant la procédure, ils sont sommés de rentrer chez eux, et aucun attroupement n'est toléré.
Si le déporté refuse d'ouvrir la porte de sa maison, sachant que des représentants du Commissariat du peuple de Sécurité publique sont arrivés, la porte doit être enfoncée.
Dans des cas particuliers on peut demander de l'aide à un groupe opérationnel voisin.

Le Transport des déportés du village vers le lieu de rassemblement de la gare doit être fait de jour, on prendra soin que le rassemblement de chaque famille ne prendra pas plus de deux heures.
Dans tous les cas une action ferme et décidée est de règle, sans la moindre excitation, bruit ou panique.

Il est catégoriquement interdit de confisquer des biens aux déportés excepté les armes, littérature contre-révolutionnaire et devises étrangères, ou d'utiliser la nourriture des déportés.

Tous les participants aux opérations sont avertis qu'ils s'exposent à être jugés pour tentatives d'appropriation de biens appartenant aux déportés.

5. PROCEDURE POUR SEPARER UNE FAMILLE DE DEPORTES DE SON CHEF DE FAMILLE

Prenant en compte que beaucoup de déportés doivent être arrêtés et envoyés dans des camps spéciaux et que leur famille doivent rejoindre des lieux de résidence spéciaux dans des régions lointaines, il est essentiel que le transport de la famille et de son chef ait lieu simultanément, sans les informer de leur future séparation.
Après la perquisition et que les documents adéquats d'identifications aient été remplis dans la maison du déporté, un membre du groupe opérationnel remplit les documents du chef de famille qu'il met dans le dossier de celui-ci et ceux des membres de la famille dans le dossier de la famille.
Le transfert de toute la famille jusqu'à la gare se fait ensemble dans un seul véhicule, et ce n'est que là que les chefs de famille sont séparés et placés dans un wagon spécial pour chefs de famille.

Pendant les préparatifs à la maison il faut avertir que le chef de famille que ses effets doivent être mis dans une valise séparée car l'inspection sanitaire sera séparé pour les hommes, les femmes et les enfants.

A la gare les chefs famille qui doivent être arrêtés sont placés dans des wagons spéciaux, que leur indiquent les préposés.

6. PROCEDURE POUR CONVOYER LES DEPORTES.

Il est interdit aux membres du groupe opérationnel qui escortent les déportés de s'asseoir sur les véhicules.
Ils doivent suivre à coté ou derrière la colonne des déportés.
Le chef du convoi doit de temps en temps parcourir la colonne pour s'assurer du bon déroulement des opérations.

Quand le convoi passe dans un lieu habité ou qu'il croise des passants, il doit faire l'objet d'une surveillance particulière ; les responsables doivent éviter les évasions et interdire toute conversation entre les déportés et les passants.

7. PROCEDURE POUR METTRE LES DEPORTES DANS LE TRAIN

A chaque lieu d'embarquement un membre de la troïka et une personne spécialement nommée à cet effet sont responsables de l'embarquement.
Le jour de l'embarquement le chef de l'embarquement, avec le chef du train de déportation et des forces armées d'escorte du Commissariat du Peuple des Affaires intérieures, examineront les wagons pour voir s'ils sont équipés de tout le nécessaire, puis se mettront d'accord sur la procédure à observer pour la remise des déportés.

Les hommes de l'Armée rouge formant l'escorte du Commissariat du Peuple des Affaires intérieures encerclent la gare.

Les chefs des groupes opérationnels transmettent au chef du train de déportation une copie de la liste nominale des déportés dans chaque wagon.
Le chef du train de déportation avec cette liste fait l'appel nominal des déportés, vérifiant chaque nom et désignant la place dans le wagon.
Les bagages du déporté sont chargés avec lui dans le wagon, à l'exception de l'inventaire agricole, qui est chargé dans un wagon séparé.

Les déportés sont réunis dans les wagons ; il est interdit de séparer les familles (exception pour les chefs de famille de sujets à l'arrestation).
Un nombre de 25 personnes par wagon doit être observé.

Une fois que le wagon est rempli il est cadenassé.

A partir du moment où les personnes ont été remises et placées dans le train de déportation, le chef de train porte la responsabilité pour toutes les personnes embarquées et leur acheminement à leur destination.
Après la remise le chef du groupe opérationnel fait son rapport sur son opération, note le nom du déporté, s'il a trouvé une arme ou de la littérature contre-révolutionnaire et comment s'est déroulé l'opération.

Après avoir placé les déportés dans le train de déportation et transmis son rapport sur les résultats de l'opération, les membres du groupe opérationnel sont libérés et agissent en accord avec les ordres du chef de district du Commissariat du Peuple de la Sécurité publique.

Vice-Commissaire du peuple de Sécurité publique de l'URSS.
Commissaire de Sécurité publique de troisième rang
SEROV » (37)

En 1945, Ivan Serov était ministre de l'Industrie.
Après la capitulation de l'Allemagne, il vint en personne à Berlin, pour organiser le transport des usines berlinoises en URSS.
Entre 75% et 91% des diverses industries berlinoises sont annexées par les Soviétiques pour une valeur excédant 4 milliards de mark.
Sérov dirigea également la police secrète soviétique à Berlin de 1945 à 1950, puis à Vienne de 1950 à 1952. (146)
Après la mort de Staline, Alexandrovitch Ivan Serov qui est un proche de Khrouchtchev, devient ministre de la sécurité.
De ce fait, il est le responsable de l'élimination de Lavrenti Béria (1899-1953),Viktor Abakoumov et Rioumine.
Abakoumov est fusillé en décembre 1954.

Georges Malenkov (1902-1988) crée le 13 mars 1954 un nouvel organisme : le fameux KGB (Komitet Gosudarstvennoi Bezopasnosti).
Le général Serov en sera le responsable du 14 mars 1954 à décembre 1958. (86)
En décembre 1958, il prend la responsabilité du GRU.
Il est remplacé au KGB par Alexandre Chelepine. (86)

Mais la carrière de Serov va être brisée par une histoire d'espionnage.
Le KGB va découvrir qu'un colonel du GRU, Oleg Penkovsky était un espion à la solde du MI 6 et de la CIA.
S'il n'y avait que cela , ce ne serait pas dramatique.
Une simple revanche des occidentaux après l'affaire Philby.
Mais de plus d'être à la solde de l'occident, Penkovsky était également un ami intime de la fille de Serov. (50)

D'avril 1961 à la fin du mois d'août 1962, le colonel Penkovsky avait réussit à transmettre à la C.I.A et à l'Intelligence Service, 5000 microfilms contenant des renseignements de la plus haute importance sur la politique et sur les secrets militaires et économiques de l'Union soviétique. (86)
Le colonel sera arrêté le 22 octobre 1962. (86)
Oleg Penkovsky, fut jugé le 7 mai et condamné le 10 mai 1963.
Officiellement, il est fusillé le 13 mai 1963.
Selon certains témoins de son exécution, il aurait été, en fait, brûlé vif. (45)

Les mémoires d'Oleg Penkovsky ont été publié en 1966 sous le titre Carnets d'un agent secret aux éditions Tallandier.

Du fait de cet énorme scandale, Serov est révoqué.
Il est remplacé par Piotr Ivanivitch Ivachoutine.

Quant à Alexandre Chelepine, il restera chef du KGB jusqu'en 1961, date à laquelle il est remplacé par Vladimir Semichastny. (86) (146)

En 1967, ce dernier est remplacé par Iouri Vladimirovitch Andropov (1914 -1984).
Il restera à la tête du K.G.B. jusqu'en 1982.
Il succéda à Leonid Brejnev (1906-1982) en novembre 1982 en tant que secrétaire général du P.C.U.S.
Il est élu président du présidium du Soviet suprême (chef de l'État) en juin 1983.
Andropov mourut moins d'un an après son investiture.

Pour en revenir à Chelepine, selon Michael Voslensky, responsable avec Semitchasny de la chute de Khrouchtchev, il devait remplacer ce dernier.
Mais comme Khrouchtchev reussit à évincer Malenkov, Brejnev gagna la partie face à Chelepine. (177)

Nous aurons l'occasion de reparler de Chelepine dans le chapitre consacré à Katyn.

Pendant et en application de son alliance avec l'Allemagne nazie, l'URSS annexa 465 000 km2 avec ses vingt deux millions d'habitants.

Soit :

* Pologne 180 163 km2 et 13 millions d'habitants

*Finlande 42 000 km2 et 450 000 habitants

* Etats Baltes 169 000 km2 et 5 400 000 habitants

* Roumanie (Bessarabie et Bukovine ) 54 000 km2 et 3 200 000 habitants

32° LE TEMOIGNAGE D'ALBERT SPEER (1905-1981)

Dans ses mémoires, Albert Speer nous raconte une anecdote assez drôle sur les relations germano-allemande :

-« Vers le début du mois d'octobre, l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, le comte von der Schulenburg, fit savoir à Hitler que Staline s'intéressait personnellement à nos projets architecturaux.
Une série de photographies de nos maquettes fut exposée au Kremlin ; toutefois, sur ordre de Hitler, le secret fut gardé sur nos constructions les plus importantes, pour éviter, comme il disait, d'en donner le goût à Staline.
Schulenburg avait proposer de me faire venir par avion à Moscou pour que lui explique mes plans : il pourrait vous garder, dit Hitler, plaisantant à moitié et il m'interdit de faire le voyage.
Peu de temps après, le ministre plénipotentiaire Schnurre me fit savoir que mes projets avaient plu à Staline » (186)

Speer raconte également que :

-« Staline semblait satisfait de l'accord passé au sujet des frontières et, les négociations une fois terminées, traça de sa propre main à la frontière du territoire attribué à la Russie les contours d'une vaste réserve de chasse, dont il fit le cadeau à Ribbentrop.
Ce geste provoqua naturellement l'entrée en lice de Goering, qui ne voulait pas admettre que le cadeau de Staline allât au ministre des Affaires étrangères personnellement, estimant au contraire qu'il devait revenir au Reich et par conséquent à lui, le grand veneur du Reich.
Une vive querelle opposa alors ces deux nemrods.
Goering, plus énergique, ayant su imposer ses vues, elle tourna au désavantage du ministre des Affaires étrangères qui en conçut une profonde irritation. » (186)

Albert Speer, qui était à l'origine un architecte, s'inscrit au parti nazi dès 1931.
Il devint ministre de l'Armement en 1942.
Il fut condamné à vingt ans de prison par le tribunal de Nuremberg.

Le 11 novembre 1939, on peut lire dans la Pravda un article assez édifiant :

-« Le gouvernement britannique proclame aujourd'hui qu'il a pour but, ni plus ni moins, s'il vous plaît, la destruction du nazisme.
Il s'agit donc d'une guerre idéologique, d'une sorte de guerre idéologique, d'une sorte de guerre idéologique, d'une sorte de guerre religieuse du Moyen-Age.
Toute personne saine d'esprit comprendra qu'une idéologie ne peut être détruite par la force ; il est donc insensé, mais encore criminel de continuer une guerre pour la destruction du nazisme sous la fausse bannière d'une lutte pour la démocratie.
Quelle sorte de démocratie est-ce là, d'ailleurs quand le Parti Communiste Français est en prison ? »

Le 14 décembre 1939, la Société des Nations décide d'exclure l'URSS (elle y était rentrée le 18 septembre 1934), non point à cause de son attitude face à la Pologne et de sa collaboration avec l'Allemagne, mais du fait de son agression de la Finlande.

On pourrait donc penser que la France et la Grande-Bretagne ignoraient le protocole secret ajouté au pacte de non-agression.
Cette hypothèse est peu probable.

Déjà dans la presse, dès le début septembre 1939, des bruits circulent sur un plan de partage de la Pologne entre Russes et Allemands.

Ainsi l'article de Robert Lorette dans le Paris-soir du 4 septembre 1939 intitulé Un plan germano-russe de partage de la Pologne:

-"Un Allemand renseigné vient de me parler du plan germano- soviétique qui se présenterait comme suit :

. L'Allemagne occuperait Dantzig, le corridor et le bassin industriel de Silésie, puis offrirait la paix à la Pologne.
Après quoi, ce serait au tour de la Russie d'entrer en action, le Reich demeurant neutre.
Dans ce cas, il serait évidemment difficile pour les démocraties de se porter au secours de la Pologne, une première fois mutilée.
L'Allemagne aurait alors beau jeu pour se tourner vers l'Ouest...." (5)

33° LA CONNAISSANCE DU PROTOCOLE SECRET PAR LES OCCIDENTAUX

La vérité ne sera connue ou plutôt dévoilé qu'en mars 1946 lord du procès de Nuremberg par l'intermédiaire de l'avocat de Rudolf Hess (26 avril 1894- 17 août 1987) et de Hans Frank (1900-1946), maître Alfred Seidl.
Il récupéra ce document par l'intermédiaire d'un journaliste ayant ses entrées dans les milieux diplomatiques américains.
Donc ces derniers connaissaient ce document.

Officiellement la vérité ne fut dévoilée que deux ans plus tard.

En janvier 1948, les Américains publièrent un ouvrage intitulé Nazi-Soviet relations 1939-1941, et en français La vérité sur les rapports germano-soviétique de 1939 à 1941.
Cet ouvrage basé sur des documents allemands met en évidence la connivence entre Hitler et Staline.

Les Soviétiques répliquèrent en publiant la même année un ouvrage intitulé Les falsificateurs de l'Histoire.
Cet ouvrage accusait la Grande-Bretagne et la France d'avoir essayé de détourner l'agression hitlérienne de l'Ouest de l'Europe vers l'Est, en abandonnant la sécurité collective et en sacrifiant la Tchécoslovaquie par les accords de Munich.
Les négociations de l'été 1939 avec l'URSS n'auraient été qu'une feinte.
L'URSS, complètement isolée, n'aurait donc d'autre choix que de conclure un pacte de non-agression avec l'Allemagne.

Une petite anecdote en passant, lors de son exclusion de la SDN, Roosevelt déclara un embargo moral contre l'URSS.
Et pourtant il n'y eut pas de diminution des exportations américaines en URSS.
Au contraire, elles augmentèrent dans le courant de l'année 1940.

34° LA GUERRE EN FINLANDE

Cette guerre entre l'URSS et la Finlande se déroula entre le 30 novembre 1939 et le 12 avril 1940.
Seul les communistes français, dans leurs écrits et journaux prirent le parti de l'URSS :

-« Malheureusement pour la Finlande, ses dirigeants sont des brigands à la solde des banquiers de Londres. »

-« Pas une arme, pas un sou pour les domestiques de Londres et de Washington. »

Après la campagne difficile de la Finlande provoque l'éviction de Vorochilov du poste de commissaire à la défense.
Il est remplacé par Semion Konstantinovitch Timochenko (1895-1970).
Il est vrai que l'armée finlandaise était dirigé par le maréchal Carl Gustaf Emil, baron Mannerheim (1867-1951).
Cet homme a un passé militaire brillant.
Après une brillante carrière dans l'armée du tsar, il vainquit les bolcheviks en 1918 et assura l'indépendance de son pays, dont il fut régent.
En 1939-1940, il mena la résistance contre les Soviétiques.
Il combattit de nouveaux les Soviétiques aux côtés de l'Allemagne de 1941 à 1944.
Chef de l'État finlandais de 1944 à 1946, il signa l'armistice avec l'U.R.S.S. en septembre 1944.

En décembre 1939, l'URSS ne peut aligner contre la Finlande plus de neuf divisions, d'où son échec contre une armée douze fois inférieure en nombre.
Les Allemands en ont tirés la conclusion erronée, du moins à court terme de la nullité militaire de l'URSS.

Le 21 décembre 1939, Hitler envoie un télégramme à l'occasion de l'anniversaire de Staline :

-« Veuillez accepter mes plus sincères félicitations.
J'y joins mes meilleurs v½ux pour votre bonne santé et pour l'avenir heureux des peuples de notre amie l'Union soviétique. »

Dans son télégramme de remerciement, Staline ajouta :

-« L'amitié entre les peuples de l'Union soviétique et de l'Allemagne, cimentée par le sang, a toute les raisons de demeurer solide et durable. »

Le 25 décembre 1939, on peut lire dans la Pravda, la description de la guerre européenne vue par les Soviétiques :

-« Des monceaux de cadavres, une vision pornographique où les chacals se déchirent entre eux. »

Le 31 décembre 1940, Hitler écrivit à Mussolini :

-« Les relations présentes avec l'URSS sont très bonnes » (17)

Si Hitler ment à son partenaire, c'est qu'il ne porte aucune confiance à Ciano.

Il disait souvent :

-«Ce que Ciano sait, Londres le sait. » (17)

Durant cet hiver 1939, dans une ville de Pologne au sud de Cracovie, Zakopane, les officiers du NKVD se promènent en traîneaux avec leurs collègues de la Gestapo.
De part et d'autre, on livre des opposants à leurs bourreaux. (174)

35° STALINE N'OUBLIE JAMAIS RIEN

Malheur, oui malheur à tous ceux qui auront manifesté leur mécontentement au pacte Ribbentrop-Molotov.
Le temps pourra toujours passer, Staline n'oublie pas.

L'anecdote suivante, si on peut appeler cela une anecdote car comme toujours avec Staline, il y aura des morts, nous est racontée par Artur London dans son ouvrage l'Aveu.

Elle concerne Wladimir Clementis (1902-1952), ministre des Affaires étrangères en Tchécoslovaquie :

-«Le 13 mars 1950, Clementis me fit venir dans son bureau.
Il m'annonça que Gottwald lui avait demandé de présenter sa démission en raison de « sa mauvaise politique de cadres ».

J'écoute ces paroles avec saisissement :

-Gottwald a-t-il donné des exemples concrets ?

Clementis fait un signe de dénégation.

-C'est donc mon travail aussi qui en cause, puisque, dans ce secteur, nous travaillons ensemble depuis un an !

Clementis hausse les épaules d'un air impuissant.
Je me sens très inquiet, d'autant plus que le motif donné, et qui me concerne également, me semble un prétexte.
Je lui demande s'il n'a pas été question, dans sa discussion avec Gottwald, de sa position politique, en 1939, contre le pacte germano-soviétique, l'occupation de la Biélorussie et de l'Ukraine par l'Armée rouge et la guerre russo-finlandaise.

Clementis répond qu'il n'en a absolument pas été question, mais il est d'accord avec moi que le vrai motif doit se chercher dans cette direction... » (58)

Clémentis démissionnera.
Il sera arrêté et fera parti du procès Slanky où il sera condamné à mort le 27 novembre 1952.

Rudolf Slansky (31 juillet 1901-1952) était secrétaire général du PC de Tchécoslovaquie et vice-président du Conseil des ministres.
Sur les quatorze accusés du procès Slansky, il y aura onze condamnations à mort, trois à perpétuité.
Ils seront réhabilités en 1968 pendant le printemps de Prague, qui n'allait malheureusement pas durer.

Deux ans plus tard, le film de Costa-Gavras L'AVEU sort sur les écrans.
Le printemps de Prague étant terminé du fait des chars soviétiques, le film n'est guère apprécié par les autorités tchèques.

Le fils de Slansky est viré de son usine.
Arthur London est déchu de sa nationalité tchèque.
Une vieille tradition communiste.
En 1974, Alexandre Soljenitsyne se vit retirer sa citoyenneté soviétique.
Alexandre Dubcek (27 novembre 1921- 7 novembre 1992) est exclu en 1970 du parti communiste. (234)

Vingt ans plus tard, Vaclav Havel sut les récompenser de toutes ses années de calvaire.
Il nomme le fils de Slansky comme ambassadeur à Moscou.
Tout un symbole !
Il nomme Alexandre Dubcek président de l'Assemblée nationale. (234)

Le malheureux Artur London, ne verra pas ses camarades réhabilités pour de bon et le bonheur de voir le film de Costa-Gavras à Prague pour la première fois en janvier 1990.
Artur London est mort quatre ans trop tôt.

CHAPITRE X
LA DEFAITE FRANCAISE

Mai-juin 1940, la France connaît la plus grande défaite militaire de son histoire.

Staline est inquiet de cette débâcle aussi rapide.

Ribbentrop l'a fort bien compris.

Il l'exprimera même au ministre des affaires étrangères du Japon, Matsuoka que :

-« L'Union soviétique désirait que la guerre durât aussi longtemps que possible.
La trop rapide défaite de la France ne convenait pas à cet astucieux homme politique qu'est Staline. » (13)

En effet, Ribbentrop a raison, un article dans Paris-Soir du mardi 11 juin 1940 le confirme :

-«LA GUERRE DANS L'OUEST NE FAIT QUE COMMENCER
dit-on à Moscou où la presse envisage un accord avec la Suède et la Finlande.

Le correspondant à Stockholm de la « Nouvelle Gazette de Zurich » signale ce matin que la presse soviétique fait soudain preuve d'une singulière réserve à l'égard des assurances affichées par le IIIème Reich, quant à l'issue finale de la guerre en cours.
Selon les Izvestia remarque notre confrère, les espoirs allemands concernant la fin prochaine du conflit seraient très exagérés.
De son côté, l'organe officiel de l'Armée rouge serait d'avis que la grande guerre de l'Ouest ne fait que commencer.
Mais cette publication constaterait que les Alliés ne se sont pas suffisamment préparé en vue des armes modernes employées par Hitler » (214)

Pourtant les alliés étaient au courant des préparatifs d'attaques des Allemands, Wihhem Canaris (1887-1945) chef de l'Abwehr et son adjoint le général Hans Oster (1888-1945) les avait informé.

Le 31 mars 1940, Canaris avertit l'un de ses amis de Stockholm de l'attaque allemande sur la Norvège.
Le 2 avril, le gouvernement suédois informa Oslo. (144)

Le ministre norvégien des Affaires étrangères téléphona alors à Ribbentrop pour lui demander :

-« Est-ce vrai que vous songez à nous envahir ?

Ribbentrop lui répondit alors :

-« Mon cher collègue, n'ayez aucune crainte, la Norvège n'est pas visée... » (144)

Quant à Hans Oster, il informa d'abord, le 3 avril 1940, l'attaché militaire hollandais à Berlin, Jacobus Sas, de l'attaque allemande sur la Norvège et le Danemark. (92) (140)

Le 9 avril, en effet, commença l'invasion du Danemark et de la Norvège par l'Allemagne.

Les Troupes allemandes passèrent par Leningrad et Mourmansk pour aller attaquer le port norvégien de Narvik.

D'après la Pravda :

-« L'occupation du Danemark et de la Norvège est une juste réponse aux provocations franco-anglaise. »

Ensuite, Oster informa, le 27 avril 1940 le même attaché commercial de l'attaque allemande sur les Pays-Bas. (92) (140)

Oster rencontre une dernière fois Sas le 8 mai 1939, pour l'informer de l'attaque imminente à l'ouest. (92) (157)

Canaris prévint également les Belges par l'intermédiaire du Saint-Siège. (140)

Oster prévint également le Vatican de l'attaque imminente par l'intermédiaire du docteur Muller et l'industriel Schmidhuber. (92)

Jean-Baptiste Durosel (1917-1994) précise dans son ouvrage POLITIQUE ETRANGERE DE LA FRANCE L'ABIME 1939-1945 que :

-« Le 6 mai, le pape et monseigneur Montini firent savoir à l'ambassadeur français Charles-Roux et à son conseiller d'ambassade, Jean Rivière, que, selon une information sérieuse, l'Allemagne déclencherait cette semaine son offensive à l'ouest.
Charles-Roux fut reçu par le pape, qui n'indiqua pas quelle était sa source, sinon que son origine n'était pas italienne.
Pie XII (1876-1958) avait d'ailleurs vu récemment von Ribbentrop.
Le 7 mai Monseigneur Montini confirma cette information.
Mais, commente Charles-Roux, les renseignements dont elle fait état peuvent avoir été mis en circulation par l'Allemagne dans l'intention de nous égarer.
Selon son collègue belge, il s'agissait d'un informateur allemand, catholique laïque, Muller, qui s'était dit chargé par l'Etat-Major allemand de recueillir des renseignements en Italie. » (119)

Le 10 mai 1940, les Allemands commencent l'invasion de la Belgique et des Pays-Bas.

Ce même jour, Molotov affirmera:

-"L'Allemagne doit se défendre contre l'attaque anglo-française." (272)

Dans la nuit du 13 et 14 mai 1940, la campagne de France commence.

Comme en politique, la morale n'existe pas, en plus d'avoir échouer à éliminer Hitler, Oster et Canaris connaîtront un destin tragique.

Oster et Canaris seront pendus sur l'ordre de Hitler le 9 avril 1945, dans le camp de Flossenburg.
Flossenburg était un camp créé en 1938, situé en Allemagne à coté de la frontière de la Tchécoslovaquie.

Pour Roger Gheysens :

- « La participation de Canaris à la résistance contre le Führer est difficile à déterminer, tout comme les contradictions de ses man½uvres tortueuses rendent énigmatique sa psychologie étrangement compliquée. (86)

-Quelle était la pensée intime de Canaris ?
On en a donné plusieurs explications : l'amiral voulait empêcher la guerre de s'étendre ; il voulait renverser Hitler ; il luttait pour une grande Europe où l'Allemagne exercerait un rôle prépondérant ; ou bien, par déformation professionnelle d'agent secret, il se couvrait de part et d'autre, tout renseignement important donné à l'un étant contrebalancé par une information équivalente donnée à l'autre.
On se perd en conjonctures. » (140)

En France occupée, les Anglais avait installé le siège local de l'Intelligence Service dans un couvent parisien, au 127 rue de la Glacière.
En 1943, le parloir de ce couvent abrita une rencontre secrète entre l'amiral Canaris et le chef de l'Intelligence Service en France.
Canaris voulait faire demander à Churchill quelles seraient les conditions d'une paix éventuelle entre l'Allemagne et les alliés.
Evidemment, comme on le sait la réponse fut négative. (244)

Trahison ou dernière solution pour sauver l'Allemagne ?
Chacun a sa réponse, souvent, toujours divergente.

En 1950, dans son ouvrage Zwischen und Hitler (Entre la Wehrmacht et Hitler), le général Friedrich Hossbach (1894-1980) écrivit :

-“Quelques-uns ont eu l'abominable intention d'entraver nos opérations en trahissant des secrets d'opérations, en sabotant notre puissance militaire.
Ils ont frappé dans le dos des combattants du Reich et causé d'innombrables sacrifices en hommes et en matériel.
Personne plus que les anciens soldats n'a intérêt à voir éclaircir cette accusation portée contre les officiers. »

Hossbach est surtout connu pour avoir fait un résumé de la réunion du 5 novembre 1937 où Hitler explique son ambition suprême : la guerre.

Après cette réunion, le général Fritsch confia à un ami ses impressions sur Hitler :

-« Je me suis trouvé en présence d'un fou. »

Le protocole Hossbach servira comme preuve à charge lors du procès de Nuremberg.
Hossbach, à l'époque colonel, était l'aide de camp de Hitler.
Il s'occupait notamment d'assurer la liaison entre l'armée et le parti.
Nommé pendant la guerre au rang de général d'infanterie, il commanda la 4ème armée sur le front russe.

Doenitz, dans ses mémoires, écrivit :

-« Qu'un citoyen se dresse contre la personne du chef de l'Etat qu'il juge responsable du malheur de son pays, c'est admissible.
Mais, en aucun cas, il ne doit mettre en danger ou vouer sciemment à la mort des compatriotes qui n'ont pas plus de part que lui à la conduite des affaires gouvernementales, en aidant l'adversaire extérieur à anéantir son propre peuple.
Ceux qui livrent des secrets militaires n'ont aucune justification.
Chaque nation les méprises.
L'adversaire lui-même ne les respecte pas, il se borne à les utiliser.
Un peuple qui ne considère pas une telle trahison avec cette netteté intransigeante, ébranle les principes mêmes de son existence, quel que soit son régime. » (117)

De plus, les services de renseignement français avaient un agent auprès de Reinhard Heydrich (1904-1942) : Wunder, ce qui signifie en français Merveille.
Heydrich, au courant de cette affaire le fit rechercher.
Ne le trouvant pas, il considéra que ce personnage était mythique.

Heydrich mourut le 4 juin 1942 à la suite d'un attentat opéré par deux sous-officiers tchèque, Jan Kubis et Josef Gabcik, sans jamais savoir le fin mot sur cette affaire. (55)
Ce qui est moins connu sur la mort de Heydrich est que celui-ci n'a pas succombé à la suite de ses blessures mais à la toxine microbienne qui avait été adjointe à la grenade.
Après l'attentat, Heydrich fut opéré, il se serait rétablit avant d'être atteint par la paralysie causée par la toxine botulique. (113)
Walter Shellenberg devint son successeur à la tête du SD.
Un décret de Hitler, du 11 novembre 1938, fit du SD (Sicherheitsdienst) le service de Sûreté et de Renseignement du parti nazi.

Pourtant, de nombreux éléments font penser que pour les spécialistes militaires, la défaite de la France ne fut pas une énorme surprise.

Jules Moch (1893-1985) dans son ouvrage Une si longue vie publié en 1976, nous raconte son expérience de ministre des Travaux publics en 1938, dans le deuxième cabinet de Léon Blum.

Moch corrigea une extraordinaire bévue concernant l'alimentation en énergie de la ligne Maginot.

La Ligne Maginot était un système de fortifications, édifié sur les frontières est et nord-est de la France entre 1927 et 1936.
L'idée de cette ligne de défense vient d'André Maginot (1877-1932).
Il fut Ministre de la Guerre de 1922 à 1924 et de 1929 à 1932.

Cette dernière était exclusivement alimentée par deux lignes électriques :

- Une venant de la centrale de Kemps sur le Rhin.

- L'autre venait de Suisse, à coté de Schaffhouse, et rejoignait l'Alsace en traversant l'Allemagne.

Evidemment en cas de guerre, l'alimentation électrique de la ligne Maginot aurait immédiatement été coupée.
De ce fait cette ligne de défense aurait été inutilisable.

La réparation de cette énorme sottise par Jules Moch ne servira à rien, puisque les Allemands contourneront cette ligne de défense en passant par les Ardennes.

Dès 1935, dans son livre Double crime sur la ligne Maginot, Pierre Nord exprimait son scepticisme sur cette ligne de défense :

-"Vous connaissez l'enjeu.
Nous avons dépensé des milliards pour construire cette barrière-là.
Elle est réussie.
Ils se casseront le nez dessus s'ils l'attaquent de vive force.
Ils se mettrons le monde à dos s'ils veulent la contourner par la Belgique ou la Suisse.
Mais vous savez bien qu'ils n'y renonceront pas.
S'ils pouvaient créer une seule brèche dans la Ligne, que se passerait-il?
Dieu seul le sait. (278)

Indéniablement, l'histoire des fortifications se confond avec celle des capitulations. (278)

Par la suite, Jules Moch rejoindra Londres en 1942.

Après guerre, il deviendra de 1945 à 1947, ministre des travaux publics, puis de 1947 à 1950, ministre de l'intérieur.
De 1950 à 1951, il sera ministre de la défense nationale dans le cabinet de René Pleven (1901-1993), puis enfin de nouveau ministre de l'intérieur dans le cabinet de Pierre Pflimlin en mai 1958.

Bertrand de Jouvenel (1903-1987) décrit l'armée française dans un article dans La Voix du 8 décembre 1929 :

-« Plus on réfléchit à cette question de la fortification, plus il est apparent que l'on prépare une guerre de positions, conforme à une stratégie pré-frédéricienne, et il vous vient une certaine anxiété à la pensée qu'une armée mobile et pénétrante, numériquement inférieure à la nôtre, pourrait se ménager grâce à ses facultés de man½uvre, cette supériorité sur le point décisif qui est le secret de la victoire.
En 1914, nous avions préparé une guerre de mouvement.
Nous avons eu une guerre de positions.
En 19.. ? nous aurions préparé une guerre de positions.
Et ce serait peut-être une guerre de man½uvres.
A la fin de la dernière guerre, on a bien vu quelle importance à la rapidité de déplacement des réserves sur une ligne de rocade, et les possibilités de progression des troupes parvenues à percer le front ennemi.
Il semble que l'on devrait en conséquence s'appliquer à la motorisation de l'armée.
Tout le monde à l'état-major est partisan de la motorisation.
Tout le monde convient qu'il faut pouvoir transporter rapidement l'infanterie et créer de grandes unités mobiles.
Voyons donc ce qui a été fait : Chacune de nos cinq divisions de cavalerie possède un bataillon de dragons porté en automobiles.
Du moins en principe car, en vertu de nécessités budgétaires, ces automobiles se réduisent dans la réalité à des bicyclettes !
On nous assure cependant que la transformation se fait à un rythme accéléré !
Que serai-ce si l'état-major n'était pas partisan de la motorisation ?
Pour l'artillerie, la motorisation se fait aussi.
Les tracteurs remplacent progressivement les chevaux.
Mais la substitution s'opère sur un rythme analogue. » (28)

Pour l'état-major français, l'emploi des chars n'était conçu qu'en appui de l'infanterie avec la protection d'une puissante artillerie.
En 1938, le général Maurin, ancien ministre de la guerre, publie un livre sur l'armée moderne où il n'évoque la motorisation que pour souligner les difficultés d'entretien des véhicules et l'exigence des ravitaillements en carburants. (9)

Au printemps 1939, le général Chauvineau publie un livre Une invasion est-elle encore possible ? , préfacé par le maréchal Pétain (1856-1951).
L'auteur diminue systématiquement l'importance de l'engin blindé : prix de revient élevé, mangeur d'hommes en effectifs, faiblesse en face de l'obus, de la mine et du corps à corps, incapacité de tenir le terrain, impossibilité d'avoir assez d'essence et d'être commandé, enfin rapidité de vieillissement.

La conclusion de Chauvineau est édifiante :

-« En France, la guerre d'invasion à vive allure, que l'on appelle encore guerre de mouvement, a vécu ! » (9)

Dans la préface de ce livre, le maréchal Pétain prônait le front défensif continu avec son béton, repoussant la man½uvre offensive avec ses chars et contestait les possibilités des chars et des avions d'attaque au sol. (9)
Le maréchal y professait que les chars et les avions ne modifiaient pas les données de la guerre et que l'élément principal de la sécurité française était le front continu étayé par la fortification. (60)

Le général Gamelin (1872-1958) considérait que :

- « L'aviation ne décide pas le sort d'une bataille.
Pour être vainqueur, il faut occuper le terrain.
L'aviation n'occupe pas le terrain.
Les divisions blindées sont un outil trop pesant et peu maniable ; elles pourront percer nos lignes, mais les lèvres de la plaie se refermeront derrière elle et nous les écraserons avec nos réserves.
Nous avons une conception différente et plus judicieuse de l'emploi des chars.
Nous en faisons un auxiliaire de la progression de l'infanterie ; ils forment des moyens autour desquels se groupe et avance l'infanterie.
Quand nous voudrons former des divisions blindées, nous aurons toujours la ressource de rassembler nos chars et d'en faire des unités. » (9)

Dans le Mercure de France, un général rejetait le principe même de la motorisation :

-« Les Allemands étant naturellement offensifs, doivent naturellement avoir des Panzerdivisions.
Mais la France, pacifique et défensive, ne peut-être que contre- motorisatrice. »

Mercure de France était une revue littéraire française fondée en 1889 par Alfred Vallette (1858-1935) et longtemps dominée par la personnalité de Remy de Gourmont (1858-1915).
Elle cessa de paraître de 1940 à 1946 et disparut en 1965.
En 1894, Vallette donna ce même nom à la maison d'édition qu'il fonda, encore active aujourd'hui.

Le panzer est un Char de combat de l'armée allemande et une Panzerdivision est une division blindée allemande.

Dommage également que l'état-major soit resté sourd aux avertissements venant de l'étranger.

Le général autrichien Eimannsberger considérait que :

-« L'emploi tactique des chars préconisés par l'état-major français constitue une méconnaissance gigantesque des réalités. »

Le maréchal russe Toukhatchevski, un nom qui revient souvent dans cet ouvrage, soulignait dans un article de l'Etoile Rouge, le quotidien de l'armée, en mai 1937 :

- « L'armée française, dont la doctrine officielle base le combat sur l'emploi méthodique de l'infanterie, de l'artillerie et des chars, est loin d'admettre les thèses de l'un de ses plus brillants écrivains militaires, Charles de Gaulle. »

L'Etat-major français s'était d'ailleurs fait de puis longtemps spécialiste de l'erreur de jugement.

En 1909, un ministre de la guerre auquel on objecte l'artillerie lourde allemande, répondit

-« C'est inutile !
Avec un nombre suffisant de coups de 75, tous les obstacles sont renversés. » (30) (183)

En 1910, le commandant de l'école supérieure de guerre assiste à une démonstration d'aviation militaire.

A la fin, il s'écria :

-« Tout ça, c'est du sport.
Pour l'armée, l'avion, c'est zéro. » (30) (183)

En 1938, le colonel de Gaulle organise une démonstration de chars en man½uvre devant le général Gamelin (1872-1958).

Ce dernier dira à de Gaulle :

- « Je vous félicite, mon colonel, mais tant que je serais là, on ne s'amusera pas à ces exercices ! » (30)

En 1929, un livre intitulé Feue l'Armée française, prédit que :

-« Notre armée future sera dissociée, bousculée, massacrée, avant d'avoir fait le moindre mal à l'agresseur.» (28)

Pierre Cot (1895-1977), ministre de l'air (dont le principal collaborateur se nommait Jean Moulin), proposait, devant le conseil supérieur de la guerre, la création d'un corps de parachutistes.

Le maréchal Pétain qui présidait le conseil lui répliqua :

- « Il nous faut des soldats et non des saltimbanques. » (29)

Le 22 mars 1939, Edouard Daladier (1884-1970) et Georges Bonnet (1889-1972) rendent visite à Neville Chamberlain.

Bonnet, dans son ouvrage Fin d'une Europe raconte cette visite :

-« M.Chamberlain m'interroge sur l'état de l'aviation française : il a le sentiment que nous avons beaucoup de mal à faire démarrer notre aviation en série, ce qui peut nous mettre en mauvaise posture, si la guerre éclate.
Il ajoute que le gouvernement britannique est très satisfait de sa production mensuelle, qui a passé de deux cent cinquante en septembre à six cents en février. » (31)

Chamberlain avait malheureusement raison, car au cours de l'année 1938, les avions construits en France ont été au nombre de cinq-cents, contre six mille six cents construits en Allemagne. (32)
Pourtant, pendant la première guerre mondiale, la France avait produit plus d'avions que l'Allemagne.

En août 1938, le général Joseph Vuillemin (1883-1963), chef de l'état-major de l'armée de l'air depuis le 22 février 1938, va à Berlin pour rencontrer le chef de l'état-major de l'aviation allemande, le général Milch

A la fin de cette visite, il déclare à l'ambassadeur de France à Berlin, François-Poncet :

-« S'il y a la guerre à la fin de septembre, comme vous le croyez, il n'existera plus un seul avion français au bout de quinze jours. » (103)

A son retour, il relate son voyage à Georges Bonnet (1889-1972) :

-« Le général Vuillemin avait été particulièrement intéressé par la visite des usines d'aviation.
Il avait été frappé par le rythme régulier et accéléré de la production.
L'usine Messerschmitt à Augsbourg construisait des avions dépassant alors la vitesse de 50 km à l'heure, à raison de 180 par mois ; l'usine Junker produisait mensuellement 600 moteurs et cette production pouvait être facilement triplée avec trois équipes travaillant vingt-quatre heures.
Ce n'étaient là que quelques exemples...
Le général Vuillemin reconnaissait la puissance de l'aviation allemande qui se manifestait à la fois par la quantité et par la qualité du matériel fabriqué, et dénotait une avance technique incontestable.
Avions de chasse et avions de bombardement étaient dotés d'un armement et de qualités de vol qui les plaçaient bien en têtes de la production internationale.
Ce voyage n'avait donc pas délivré le général des inquiétudes qu'il avait exprimées au Comité permanent de la défense nationale quelques temps auparavant.

Il me répéta :

- Hélas, s'il y avait la guerre, en quinze jours l'aviation française serait anéantie.
Nous ne disposons que de vieux avions, dont la vitesse n'est pas supérieure à 300 ou 350 km à l'heure.
Notre aviation est donc complètement surclassé par l'aviation allemande qui s'est assuré une vitesse moyenne de 500 à l'heure, soit 200 de plus que la nôtre.
Si la guerre éclatait et si je devais faire prendre l'air à ces avions surannés, je serais obligé de les faire diriger par mes pilotes les plus médiocres, parce qu'ils seraient, hélas, certainement sacrifiés.
Il me faudrait garder les bons aviateurs pour le moment éloigné où nous aurions des avions modernes et où ils pourraient lutter à armes égales avec l'ennemi .» (17)

Willy Messerschmitt (1898 -1978) était un ingénieur et industriel allemand.
Il construisit notamment des avions de chasse utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale, et, en 1938, le premier avion à réaction produit en série utilisé en novembre 1944 sur le front occidental.

Pierre Sorlin précise qu'en 1938, les Allemands disposent de 3500 appareils, dont plus de la moitié sont des bombardiers.
Les Anglais ont 700 chasseurs et 620 bombardiers.
Les Tchèques disposent de 300 bombardiers et de 300 chasseurs.
Les Français ne peuvent mettre en ligne que 1250 avions, dont 800 sont pratiquement périmés. (17)

Churchill dans ses mémoires confirment la faiblesse de l'aviation française.

Selon le Premier ministre anglais, au début de la guerre :

-« Il n'y eut pas d'attaques aériennes sur l'Angleterre, excepté quelques vols de reconnaissances, ni sur la France.
Le gouvernement français nous demanda d'agir de la même manière vis-à-vis de l'Allemagne, pour éviter que les bombardements de représailles ne vinssent frapper son industrie, qui n'était pas protégée contre le danger aérien. » (17)

En 1938, les dépenses militaires française représente 8% de la production française tandis que l'Allemagne consacre 17% de sa production aux dépenses militaires. (111)

Oui, le général de Gaulle était le seul à avoir compris l'intérêt des blindés et de l'aviation face aux défenses statiques.

Il le démontrera de nouveau lors de l'appel du 18 juin :

- « Foudroyés, aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. »

Pour Sir Basil Liddel Hart (1895-1970) :

-« Les Français possédait beaucoup des éléments qui formaient une armée moderne.
Mais ces éléments n'étaient pas organisés de façon à former une telle armée.
En effet, les principes militaires du haut commandement avaient vingt ans de retard.
Contrairement à la légende qui fut répandue après la défaite de 1940, les Français avaient plus de chars que les Allemands n'avaient pu en construire jusque-là et beaucoup de ces chars, s'ils étaient plutôt moins rapides, étaient plus gros et protégés par un blindage plus épais.
Mais le haut commandement français voyait les chars avec le même oeil qu'en 1918, c'est-à-dire comme des domestiques de l'infanterie, ou comme des éléments de reconnaissances complétant la cavalerie.
Sous l'influence de cette conception dépassée, l'armée française avait tardé, à la différence de l'armée allemande, à organiser ses chars en divisions blindées et elle avait encore tendance à les disséminer en petits groupes.
La faiblesse des Français, et surtout des Polonais, était encore accentuée par le manque d'aviation pour protéger et soutenir leurs armées.
Cette lacune était partiellement due, chez les Polonais, à l'absence de ressources en matière de construction aérienne, mais les Français n'avaient pas la même excuse...
Dans les deux cas, on avait fait passer les besoins en aviation après la mise sur pied de vastes armées.
La voix des généraux était la plus écoutée pour la répartition du budget militaire et les généraux avaient une tendance naturelle à favoriser le type de forces qu'ils connaissaient le mieux.
Ils ne se rendaient pas compte à quel point l'efficacité de forces terrestres dépendait désormais d'une couverture aérienne appropriée.
On s'aperçoit que le déclin de ces deux armées provient d'un degré fatal d'autosatisfaction au sommet.
Dans le cas des Français, ce sentiment avait été alimenté par la victoire de 1918 et de la façon dont leurs alliés avaient toujours accepté de s'en remettre à leur prétendue supériorité dans le domaine des principes militaires.
Dans le cas des Polonais, ce sentiment remontait à leur victoire sur les Russes en 1920.
Dans les deux cas, les chefs militaires faisaient preuve depuis longtemps d'une suffisance arrogante au sujet de leurs armées et de leurs techniques.
Il faut cependant reconnaître que certains des officiers français les plus jeunes, tel le colonel de Gaulle, s'intéressèrent vivement aux idées nouvelles de guerre blindée qui étaient préconisées en Angleterre.
Mais les généraux plus haut placés firent très peu attention à ces théories anglaises, alors que les généraux allemands de la nouvelle école les étudiaient attentivement.
Malgré cela, l'armée allemande était encore loin de former un corps réellement efficace et moderne.
Non seulement elle n'était pas prête pour la guerre dans son ensemble, mais la majorité des divisions d'active étaient d'un modèle démodé et le haut commandement avait tendance à rester dans les chemins déjà tout tracés.
Cependant il avait été créé un petit nombre de formations modernes avant la déclaration de guerre : six divisions blindées et quatre divisions légères (mécanisées), ainsi que quatre divisions d'infanterie motorisée pour les appuyer.
Tout cela ne représentait qu'une faible proportion du total, mais comptait plus que tout le reste de l'armée allemande.
En même temps, le haut commandement allemand avait adopté, avec quelques hésitations, la nouvelle théorie de la guerre à grande vitesse, et il était désireux de la mettre à l'épreuve des faits.
Cette adoption avait été due, avant tout, au plaidoyer enthousiaste du général Heinz Guderian et de quelques autres, et de la façon dont leurs arguments avaient séduit Hitler qui était attiré par toute théorie promettant une solution rapide.
Finalement, l'armée allemande remporta cette incroyable série de victoire, non pas à cause d'une supériorité de force écrasante ou d'une force moderne, mais parce qu'elle était en avance de quelques longueurs vitales sur ses adversaires. » (22)

Comme nous l'a indiqué Basil Liddel Hart (1895-1970), cette légende, fausse comme toutes les légendes, faisant de l'Allemagne nazie le symbole de l'efficacité sur le plan logistique, n'était qu'un leurre.

Ce qui a fait le succès de l'Allemagne, du moins dans ses débuts, c'est le talent de ses généraux comme Heinz Gudérian (1888-1954), Erich Manstein (1887-1973), Erwin Rommel (15 novembre 1891-14 octobre 1944).

Raymond Fletcher nous rappelle cette vérité oubliée :

-« On voit dans l'Allemagne nazie un modèle d'efficacité.
En fait, la Grande-Bretagne était mieux organisée pour la guerre que les Allemands.
Les nazis continuèrent de fabriquer des tanks et des transports de troupes blindés dans la Ruhr alors qu'il n'y avait plus depuis longtemps de wagons pour en prendre livraison.
Ils utilisèrent très mal leurs savants.
Sur 16000 inventions d'intérêt militaire faites pendant la guerre, il n'y en a eut qu'un nombre infime qui passèrent au stade de la production en raison de l'inefficacité régnante.
Les services de renseignement nazis finirent par s'espionner les uns les autres tandis que le renseignement britannique faisait un travail admirable.
Alors que les civils anglais fabriquaient des grilles de fer et des casseroles afin de contribuer à l'effort de guerre, les Allemands continuaient de produire des objets de luxe.
Les Anglais mobilisèrent tôt les femmes, pas les Allemands.
Le IIIème Reich, modèle d'efficacité militaire ou industrielle, est une légende grotesque. » (112)

En novembre 1933, Basil Liddel Hart (1895-1970) fut consulté pour savoir comment les formations blindées rapides, que le War Office commençait de constituer, seraient le mieux utilisées dans le cadre d'une guerre future.
Il suggéra dans le cas d'une invasion allemande en France de lancer une contre-offensive blindée à travers les Ardennes.
Bien évidemment, il ne fut pas écouté car comme on le sait les Ardennes sont infranchissables pour des chars...

Pire encore, la France est loin d'être motivé par une nouvelle guerre.

Winston Churchill va nous expliquer l'état moral de la France au début de la guerre :

-« On ne peut dire que la France, en 1939-1940, ait envisagé la guerre avec beaucoup d'enthousiasme, ou même avec beaucoup de confiance.
Dans le domaine de la politique intérieure, l'agitation des dix années précédentes avait provoqué la désunion et le mécontentement.
D'importants éléments, pour faire pièce au communisme grandissant, s'étaient tournées vers le fascisme, écoutant d'une oreille complaisante l'habile propagande de Goebbels et la répandant autour d'eux de bouche à oreille.
C'est ainsi que, dans l'armée également, le travail de désagrégation accompli à la fois par le communisme et par le fascisme se faisait sentir ; les longs mois d'hiver donnèrent à ces propos empoisonnés, le temps et l'occasion de produire tous leurs effets. » ( 89)

Oui, Staline est inquiet.

Il espérait que la France et l'Allemagne s'épuiseraient dans une guerre aussi longue et meurtrière que la première guerre mondiale.
La logique de Staline était pourtant brillante : il suffit d'attendre que l'Allemagne soit épuisée pour l'attaquer.
Mais les Ardennes, soient disant infranchissables vont mettre à mal ce projet.

Il n'y a plus qu'une seule solution pour Staline :

- Il faut que les relations entre l'URSS et l'Allemagne restent les meilleurs possibles, le temps que l'Armée Rouge se remette des purges qui ont détruites son état-major.

D'ailleurs Staline confirme cet état de fait lors d'un congrès en mars 1941 :

-« Il nous faut enfin du temps.
Oui, camarades, du temps.
Nous devons construire de nouvelles usines, nous devons créer de nouveaux cadres pour l'industrie, et ceci demande du temps, beaucoup de temps.
Au point de vue économique, nous ne pouvons pas dépasser les principaux pays capitalistes en deux ou trois ans. »

Il serait encore plus inquiet s'il connaissait l'état d'esprit d'Hitler après sa victoire en France.

Ce dernier n'apprécia pas que Staline profite de ce qu'il soit occupé par la campagne de France pour annexer les Etats baltes, car si Hitler avait donné son accord pour que ces trois états soient dans la sphère d'influence soviétique, mais pas pour une occupation effective. (22)

Hitler était inquiet de n'avoir laissé que dix divisions à l'Est face à cent divisions russes. (22)

CHAPITRE XI
LA COLLABORATION CONTINUE

Pourtant jusqu'à maintenant les relations Staline-Hitler se passaient plutôt bien, même trop bien, car les relations entre ces deux potentats ne furent pas uniquement politique, elles se jouèrent aussi se le plan de la logistique.

Selon une dépêche de l'agence Fournier, publié dans Le Petit Journal du 24 août 1939 :

-« D'importantes quantités d'essence russe sont arrivées ces jours-ci en Allemagne, via Stettin.
Un grand nombre de garages du Reich en sont déjà pourvu.
En outre, on signal l'arrivée de coton russe de Turkestan.
D'autres expéditions plus importantes sont annoncées.
Ces expéditions sont toutes antérieures à la signature de l'arrangement commercial germano-russe publié avant-hier.
On apprend que d'importants chargements de minerais de manganèse russe sont arrivés à Stettin (Szczecin, en allemand Stettin, est un port polonais, à l'embouchure de l'Oder).
Plusieurs bateaux ayant un chargement qui dépasse plusieurs milliers de tonnes du même minerai sont actuellement en route vers l'Allemagne. »

On peut considérer l'URSS comme la complice de l'Allemagne, puisque l'essence utilisée par la Wehrmacht en Pologne vient de Bakou, et le blé consommé par ces mêmes soldats allemands, d'Ukraine. (54)

D'ailleurs la preuve en est donné par l'accord germano-soviétique du 24 octobre 1939.
Cet accord concerne la fourniture par l'URSS de céréales, de pétroles et autres matières premières à l'Allemagne.

Léopold Trepper fut témoin d'une scène assez mémorable lors de l'invasion de la France :

- « Je vois encore cet officier allemand s'écrier, en tapant du plat de la main sur le capot de sa voiture :
Si nous avons réussi notre offensive au-delà de tout espoir, c'est grâce à l'aide de l'Union soviétique qui nous a fourni le pétrole pour nos tanks, le cuir pour nos chaussures et le blé pour nos greniers. » (16)

Gilles Perrault précise qu' :

-« En mars 1940, le pacte germano-soviétique est à son zénith.
Hitler et Staline ont conjugué leurs forces pour abattre la Pologne ; à présent, ils font des affaires.
Par centaines de milliers de tonnes, les céréales russes sont livrées à l'Allemagne et suppléent aux importations habituelles, empêchées par le blocus maritime anglais.
Mais plus important encore que le blé russe, que les phosphates russes que le coton russe : le pétrole russe.
C'est le nerf de la guerre éclair, le soucis permanent des chefs de la Wehrmacht.
Pour que Staline ne coupe pas l'artère nourricière allant du Caucase jusqu'aux chars allemands, Hitler lui consent des sacrifices d'autant plus inouïs qu'il a déjà décidé la guerre contre la Russie.
En échange de ses fournitures, Staline obtient de l'artillerie, des chasseurs, des bombardiers et d'innombrables machines-outils.
Le 30 de ce même mois de mars, le Führer déclare que les livraisons de matériel de guerre à l'armée russe auront la priorité sur les commandes allemande elle-même ; il livre à Staline le croiseur lourd Lutzow, il s'apprête à lui vendre les plans du cuirassé Bismarck, qui sera le plus grand navire du monde.
En échange du pétrole russe, Hitler livre des armes dont il sait qu'elles seront bientôt retournées contre lui.
Il est, dans l'histoire, peu d'exemples d'une braderie de cette force. » (53)

Dans ses Mémoires de Guerre, le général de Gaulle constatera que :

-« Du côté de la Russie soviétique, aucune fissure ne se montrait dans le marché qui la liait au Reich.
Au contraire, après deux voyages de Molotov à Berlin, un accord commercial germano-russe, conclu au mois de janvier, allait aider puissamment au ravitaillement de l'Allemagne. »

Pour Henri Bernard :

-« Le pivot de la politique stalinienne avait toujours été l'entente avec le Reich, fût-il nazi.
En chaque circonstance, cette politique servit Hitler à souhait.
Elle lui permit de ne combattre sur un front pendant près de deux ans.
Moscou depuis septembre 1939, contribuant ainsi à l'effondrement allié du printemps 1940.
Staline s'était réjoui des difficultés britanniques.
Les réservoirs des avions allemands qui bombardaient Londres et Coventry contenaient de l'essence russe.
Le Reich hitlérien avait absorbé les Balkans à sa guise, région que l'Union soviétique, tout comme l'empire des tzars, considérait autrefois comme son fief.
Les livraisons que l'URSS fit à l'Allemagne, depuis septembre 1939 jusqu'au 21 juin 1941 inclus furent pour celle-ci d'un intérêt vital.
Nous nous en rendons mieux compte à présent car nous savons combien la situation de certains secteurs économiques allemands était précaire.
Non seulement les approvisionnements soviétiques ont considérablement aidé la politique hitlérienne et contribué aux victoires de l'Axe avant le 22 juin 1941, mais ils ont également contribué aux défaites prochaines de l'armée rouge. » (101)

Georges-André Chevallaz nous indique qu' :

-« En vertu de l'accord commercial acquis le 11 février 1940, les livraisons russes en minerai de fer, en chrome, en manganèse, en pétrole, bien qu'elles soient inférieures aux v½ux allemands, compensent quelque peu les effets du blocus des mers par la flotte britannique.
L'URSS reçoit de l'Allemagne des avions, un croiseur, de l'artillerie, du matériel d'équipement industriel et ferroviaire. » (111)

Les livraisons soviétiques à l'Allemagne ne furent pas seulement importantes en matières premières (le phosphate, platine, manganèse, chrome, zinc, nickel, cuivre, bois) et en carburant.
Elles comportaient aussi d'abondantes quantités de céréales, légumes, viandes de boucherie, huile, beurre, cuir, etc ...

Quelques semaines avant l'invasion allemande, les livraisons soviétiques prévues par les accords commerciaux étaient accélérées.

Selon Grégoire Gafenco ancien ministre des Affaires étrangères de la Roumanie et qui fut ambassadeur de Roumanie à Moscou :

-« Jamais aux dires des experts économiques allemands, les accords n'avaient été établis si rapidement et les affaires n'avaient mieux marché.
Le mois qui devait finir si mal marqua l'apogée de la collaboration économique entre les Soviets et le Reich. » (111)

Lisons maintenant un article écrit par Saint-Brice dans Le Journal du 22 mai 1940 intitulé Le double jeu des Soviets vis-à-vis du conflit actuel :

-« Avons-nous besoin de dire que nulle part peut-être plus qu'à Moscou on ne suit les développements de la bataille occidentale.
Les indications qui nous arrivent de ce côté sont fort instructives.
On y retrouve le perpétuel double jeu des Soviets.
Tout d'abord, la radio soviétique exalte les succès allemands.
Elle ne se borne pas à proclamer les résultats tels que Hitler pourrait poursuivre la lutte, même si celle-ci devait durer des années...
Perspective qui n'est pas particulièrement encourageante pour les Allemands !
Mais, faisant écho aux man½uvres de la propagande allemande, les Russes mettent en opposition les souffrances que représente pour les Alliés, et particulièrement pour les Français, la continuation de la guerre et les agréables perspectives offertes à qui répondrait à l'appel du paradis du prolétariat.
La Russie n'a aucune raison de faire la guerre.
L'Union des Républiques Soviétiques, tranquille, achève son unité.
Elle est riche, belle, féconde, et prête à accueillir les prolétaires de tous les pays...
Le même leitmotiv se retrouve dans le journal de l'armée soviétique.
L'Etoile Rouge écrit que pendant les armées des Etats capitalistes sont en train de s'user, la Russie renforce continuellement sa puissance.
Cela n'empêche pas Staline de se préparer à réclamer sa part de butin, comme il l'a fait en Pologne.
Et voici la contre-partie.
On fait savoir que la Russie aurait déconseillé à Berlin de faire pression sur la Suède, en vue d'obtenir le passage de ravitaillements destinés aux troupes allemandes encerclées dans la région de Narvik.
On dit même que la Russie encouragerait la résistance de la Suède à cette demande.
L'ambassadeur des Soviets à Londres, M.Maisky, reprend au Foreign Officeles négociations commerciales qui avaient été interrompues, on le sait, par suite du refus des Russes de se prêter à l'extension du blocus du côté de la région de Vladivostok.
Les héritiers de Lénine ont plus d'un tour dans leur sac. » (109)

Pour Alexandra Viatteau :

-« La Wehrmacht s'approvisionne en pétrole et en matières premières soviétiques : après la débâcle française de mai-juin 1940, les chars allemands, ravitaillés en essence soviétique, s'engagent sur les Champs-Élysées. » (180)

Goebbels lui-même effaçait de ses délirants discours toutes les traces d'antisoviétisme. (16)

Cette volonté de ne pas faire des vagues, de ne pas provoquer l'Allemagne va très loin.
Dès la fin de 1939, Moscou demande à Richard Sorge (1895-1944) et Léopold Trepper de revenir en Russie.
Bien évidemment, ils refusent et en deviennent de ce fait suspect.

Le 21 juillet 1940, Hitler déclara :

-« Staline flirte avec l'Angleterre pour la maintenir en guerre et nous enchaîner, dans le dessein de gagner du temps pour prendre ce dont il a envie, sachant très bien qu'il ne pourrait pas le faire si la paix revenait.
Il faut tourner notre attention vers la solution du problème soviétique. » (22)

Le 4 août 1940, on peut lire dans la Pravda :

-« Comme c'est merveilleux, comme c'est sublime quand le monde entier est ébranlé dans ses fondements, quand périssent et s'effondrent les grandeurs. »

CHAPITRE XII : LA GUERRE

Le 18 décembre 1940, Hitler signe la directive n°21, plus connue sous le nom d'opération Barbarossa.

La première phrase de ce plan est explicite :

-« Les forces allemandes doivent être prêtes, avant la fin de la guerre contre la Grande-Bretagne, à abattre l'Union Soviétique dans une campagne éclair. »

1° STALINE REJETTE LES AVERTISSEMENTS DE SES ESPIONS

Peu de temps après, Richard Sorge (1895-1944), correspondant de la Frankfurter Zeintung fait parvenir une copie de ce texte à Moscou.
Ses informateurs furent notamment le colonel Scholl, attaché militaire au Siam et le colonel Oskar Ritter von Nienermayer.

Harro Schulze-Boysen connu sous le nom d'agent de coro, un Allemand anti-nazi, envoi aux Russes, dès le début 1941, des informations précises sur l'invasion allemande.

Un agent tchèque nommé Schlwor prévint également les Soviétiques (140)

Richard Sorge, ainsi que Léopold Trepper (dont les sources sont notamment l'Allemand Ludwig Kainz et le baron Vassili de Maximovitch) donneront en mai 1941, la date précise de l'invasion.

Pour être précis, Richard Sorge avait prévenu de Tokyo, le 17 mai 1941 Moscou que les Allemands étaient en train de concentrer 170 à 190 divisions contre l'URSS. (50)

Le 21 juin 1941, donc la veille de l'invasion allemande, l'attaché militaire soviétique à Vichy, Souslouparov dira à Léopold Trepper :

-« Vous vous trompez complètement.
J'ai rencontré aujourd'hui même l'attaché militaire japonais qui arrive de Berlin.
Il m'a affirmé que l'Allemagne ne prépare pas la guerre.
On peut lui faire confiance. » (16)

Wolosiuk, attaché de l'armée de l'air auprès de Souslouparov se trouve à Moscou le 21 juin 1941, la veille de l'attaque allemande sur la Russie.

Le centre lui confie un message à remettre à Trepper :

-« Vous direz à Otto que j'ai transmis au grand patron les informations sur l'imminence de l'attaque allemande.
Le grand patron s'étonne qu'un homme comme Otto, un vieux militant, un homme du renseignement, se laisse intoxiquer par la propagande anglaise.
Vous pourrez lui redire l'intime conviction du grand patron que la guerre avec l'Allemagne ne commencera pas avant 1944 ». (16)

A la suite de l'invasion de la Russie par l'Allemagne, le gouvernement de Vichy rompt de lui-même les relations avec Moscou.

De retour, à Moscou en 1945, Trepper sera arrêter et restera en prison jusqu'à la mort de Staline, car le directeur ne pouvait pas laisser courir dans Moscou un homme aigri qui proclamerait partout avoir, par trois fois, vainement averti Staline de l'imminente attaque allemande, et s'être ensuite ingénié pendant des années à redresser les errements du Centre. (53)

Quant à Richard Sorge, il est arrêté le 18 octobre 1941 et pendu le 7 novembre 1944.

Pour en savoir plus sur Sorge , je conseille le livre d'un auteur allemand que j'apprécie beaucoup, puisqu'il s'agit de Hans Hellmut Kirst (5 décembre1914-1989) : Sorge L'espion du siècle (Robert Laffont 1960).
Je conseille également de cet auteur la série 08/15 toujours chez Robert Laffont, racontant avec un extraordinaire humour la vie des soldats allemands avant et pendant la guerre.

Et pourtant, ce ne sont pas les seuls à avoir communiquer cette information fondamentale à Moscou.

Au printemps 1941, Jean Jérôme (1906-30 avril 1990), de son vrai nom Michel Feintuch averti Moscou de l'imminence de l'attaque allemande.
Il fera passer cette information à Moscou par Jacques Duclos (1896-1975). (45)
Jean Jérôme était le représentant de la direction du parti communiste pour établir des liaisons avec l'orchestre rouge et les autres organisations de résistance.
Léopold Trepper le connaissait sous le nom de Michel. (16)
En 1983, Jean Jérôme publia ses mémoires : La part des hommes aux Editions Acropole.

Rudolf Roessler (1897-12 décembre 1958), de Lucerne en Suisse préviendra également le Centre.
Même phénomène que pour Trepper et Sorge, il n'est pas pris au sérieux.
De plus, le Centre se méfie de ce Roessler, car de lui, il ne connaît que son nom de guerre : Lucy.

Le Centre demandera même à Alexandre Radolfi, dit Rado(1899-1981) dont le nom d'agent était Dora, responsable du réseau en Suisse, de cesser toutes relations avec Roessler, car il ne peut s'agir évidemment que d'un agent provocateur.
Rado, pourtant, continuera quasiment jusqu'à la fin de la guerre ses contacts avec Lucy. (54)

Rado, au sein du Komintern, était une légende car il participa en 1919, avec Bela Kun (1886-1938), à la création du parti communiste hongrois.

Certes, dire comme Pierre Accoce et Pierre Quet que La guerre a été gagnée en Suisse, c'est bien évidemment excessif.
Mais ce pays a eut un rôle important dans cette période trouble.
Pourtant, le plus étonnant est qu'à l'époque, la Suisse n'a plus, depuis 1918, de relations diplomatiques avec l'URSS.
Elles ne seront rétablies qu'en 1946.

Pour Allen Welsh Dulles (1893-1969), directeur de la CIA du 10 février 1953 au 27 septembre 1961 :

-« Les Soviétiques exploitèrent alors une source fantastique, située en Suisse, un nommé Rudolf Roessler, qui avait pour nom de code Lucy.
Par des moyens qui n'ont pas encore été éclaircis, Roessler en Suisse parvint à obtenir des renseignements du haut commandement allemand à Berlin à une cadence à peu près Ininterrompue, et souvent moins de vingt-quatre heures après qu'eussent été arrêtées les décisions quotidiennes au sujet du front de l'Est.» (129)

Pour Alexander Foote :

-« Lucy tenait entre ses mains les fils qui remontaient aux trois grands commandements de l'armée allemande.
L'effet de ses communications sur la stratégie de l'armée rouge et sur la défaite de la Wehrmacht a été incalculable. » (130)

Rado, comme Trepper sera également arrêté à son retour en URSS.

Le 5 janvier 1945, Trepper et Rado prennent l'avion pour Moscou.
A l'escale du Caire, prévoyant son destin tragique, Rado préfère fuir.
Malheureusement, sa liberté fut de courte durée.
Réfugié dans un camp anglais, il fut immédiatement réclamé par Moscou.
Les Anglais ne voulant pas d'incident diplomatique avec l'URSS, le rendirent aux Soviétiques. (16)

Rado comme Trepper et tant d'autres ne fut libéré qu'après la mort de Staline en 1953.
Après sa libération, il écrivit ses mémoires, intitulé Sous le pseudonyme de Dora aux éditions Julliard.

Ismail Ege Akhmedoff, commandant dans le GRU en 1941, a raconté comment le Centre avait refusé de croire un rapport émanant d'une excellente source tchécoslovaque, l'avertissant que les Allemands concentraient des troupes à la frontière soviétique.

Il affirma également que :

-« Le rapport précisait que dans la seconde moitié du mois de juin 1941, les Allemands déclareraient la guerre à l'URSS...
Que c'était un des renseignements les plus importants reçus par le GRU depuis sa création...
Qu'il fut immédiatement transmis aux membres du Politburo dont faisait partie Staline...
Cette nuit-là, on m'a montré le télégramme avec la décision de Staline écrite et signée à l'encre rouge disant textuellement :

- Ce renseignement est une provocation britannique ; découvrez le responsable et punissez-le.» (126)

En tout Moscou reçu 84 avertissements sur l'imminence de l'attaque allemande.

Tout cela peut paraître incroyable, Staline sait tout mais refuse d'agir.
Tous les efforts de ses agents, sans compter les avertissements de la Grande-Bretagne et des USA, demeurent ignorer.

L'impression que le Centre est inapte est une opinion souvent exprimée par ses agents

Pour Alexandre Foote, qui travailla en Suisse avec Rado :

-« L'inefficacité des services de renseignements soviétiques était pour moi une source de stupéfaction perpétuelle.
Il paraît impossible aux yeux de l'½il moyen, qu'un service dirigé d'une manière aussi fantaisiste puisse jamais obtenir des résultats.
N'importe quel service de renseignements ordinaire aurait périclité depuis longtemps dans ces conditions.
Le fait que le S.R de l'Armée rouge continue de fonctionner, et avec efficacité même, est dû, j'en suis sûr, davantage à l'habileté de ses agents et de ses organisateurs sur le terrain, ainsi qu'aux facilités apportées par les partis communistes locaux qu'à l'esprit d'entreprise et à la puissance d'organisation du Centre. » (126)

Mais n'oublions pas que ce n'est pas la première fois durant la seconde guerre mondiale qu'une puissance militaire refuse de croire les informations de ses espions.

Les services secrets français connaissaient parfaitement la date et l'endroit de l'attaque allemande dans les Ardennes en mai 1940.

De plus, Rudolf Roessler prévint aussi les Français de l'imminence de l'attaque allemande.

La morale de cette histoire est simple, vous pouvez fort bien avoir les meilleurs services de renseignement au monde, faut-il encore que les responsables politiques aient la sagesse de vous écouter.

Du coté allemand, on peut citer le cas de Elyesa Bazna, plus connu sous le nom de Cicéron.
De novembre 1943 à avril 1943, profitant de son poste de valet de chambre de l'ambassadeur de Grande-Bretagne en Turquie, Sir Hugh Knatchbull -Hugesgen ; il inonda l'Allemagne d'informations essentielles.
Mais le scepticisme et les haines ou ambitions internes au sein des responsables du III ème Reich rendit cette opération inefficace. (63)
Plus tard, Bazna écrira ses mémoires sous le titre de Signé Cicéron.
Pour les lecteurs curieux désirant en savoir plus sur cet espion, je ne peux conseiller que de lire les ouvrages de Pierre Nord (1900-1985) : LE KAWASS D'ANKARA et L'INTOXICATION. (191) (192)

La morale de cette histoire, si morale il y a, nous est donné par Hitler et Staline.

Hitler déclara le 17 mai 1942 à ses plus proches collaborateurs :

-« Les bolcheviques nous sont supérieurs dans un seul domaine : l'espionnage. »

Staline pour sa part, avait déclaré au maréchal Joukov, à la veille de l'invasion nazie :

-« On ne peut croire aveuglement le service secret. » (86)

2° LE TEMOIGNAGE DE LEOPOLD TREPPER

Dans sa cellule, Trepper eut l'occasion de rencontrer le général
japonais Tominaga, chef d'état major de l'armée japonaise en
Mandchourie :

- « Savez-vous quelque chose sur Richard Sorge ?

- Naturellement, au moment où l'affaire Sorge a éclaté, j'étais vice-ministre de la défense.

- Alors, pourquoi Sorge a-t-il été condamné à mort fin 1941, et fusillé le 7 novembre 1944 seulement ?
Pourquoi n'avez-vous pas proposé de l'échanger ?
Le Japon et l'URSS n'étaient pas en guerre.

-C'est absolument faux.
Nous avons proposé à trois reprises à l'ambassade soviétique à Tokyo d'échanger Sorge contre un prisonnier japonais.
A trois reprises nous nous sommes heurtés à la même réponse : Le nommé Richard Sorge nous est inconnu.

Inconnu, Richard Sorge, alors que les journaux japonais relataient abondamment ses contacts avec l'attaché militaire soviétique ?
Inconnu, l'homme qui avait prévenu l'URSS de l'attaque allemande, l'homme qui avait averti en pleine bataille de Moscou que le Japon n'attaquerait pas l'Union soviétique permettant ainsi à l'état-major soviétique de ramener les divisions fraîches de Sibérie ?
On préférait laisser fusiller Richard Sorge plutôt que d'avoir après la guerre un autre témoin à charge sur les bras.
La décision ne venait pas de l'ambassade soviétique à Tokyo mais directement de Moscou.
Richard Sorge payait son intimité avec le général Berzine.
Suspect depuis l'élimination de ce dernier, il n'était pour Moscou qu'un agent double, trotskistes par-dessus le marché !
Pendant des mois, on ne déchiffra pas ses dépêches, jusqu'au jour où le Centre se rendit (enfin) compte de l'inestimable valeur militaire des renseignements fournis.
Après son arrestation au Japon, la direction l'abandonna comme un colis encombrant : telle était la politique de la nouvelle équipe.
Moscou laissa fusiller le 7 novembre 1944 l'inconnu Richard Sorge.
Je suis particulièrement heureux de dévoiler aujourd'hui cette imposture et de porter cette accusation à la face du monde.
Richard était des nôtres.
Ceux qui l'ont laissé assassiner n'ont pas le droit de se l'approprier. » (16)

Les Journalistes Alain Guérin et Nicole Chatel écrivirent que :

-« Staline ne pouvait pas avoir oublié le nom de Richard Sorge qui, avant la guerre, avait prévenu les services de renseignements de l'armée soviétique des préparatifs de guerre et qui avait précisé la date de l'offensive nazie.
Staline, qui se souvenait certainement aussi du cas qu'il avait fait de ces informations, ne tenait probablement pas à ce qu'il reste des témoins de son aveuglement.
Il ne tenta sans doute guère de sauver Richard Sorge. » (56)

Max Klausen, le radio de Richard Sorge, après avoir connu les prisons japonaises, connaîtra celle de la Loubianka.
Il partagea un temps la cellule de Trepper.

3° STALINE REJETTE LES AVERTISSEMENTS DES BRITANNIQUES ET DES AMERICAINS

Et pourtant, même les Anglais et les Américains enverront en mars et juin 1941 des éléments précis sur la future attaque allemande.

Mais Staline s'était refusé à croire les avertissements de Roosevelt sur le plan Barberousse communiqués en mars 1941 par le sous-secrétaire d'Etat américain Summer Welles à Constantin Oumanski, ambassadeur soviétique à Washington, comme ceux de Churchill relatifs au changement du dispositif allemand le long de la frontière soviétique, transmis en avril par Sir Alexander Cadogan (fonctionnaire permanent du Foreign office) à Ivan Maiski, ambassadeur de l'URSS à Londres. (86)

Oumanski deviendra ensuite ambassadeur à Mexico.
Il mourra dans un accident d'avion en février 1945.
Selon Marcel Ollivier, cet accident n'en serait pas un et aurait été provoqué par Staline. (57)

Dans ses mémoires, Ivan M.Maisky, ambassadeur d'URSS en Grande Bretagne raconte sa rencontre avec Sir Stafford Cripps, ambassadeur britannique à Moscou, le samedi 21 juin 1941.

Laissons donc la parole à ce dernier :

-« Vous vous rappelez qu'à plusieurs reprises j'ai prévenu le gouvernement soviétique de l'imminence d'une attaque allemande ?
Eh bien !
Nous possédons à présent des renseignements dignes de fois d'après lesquels l'offensive allemande sera déclenchée demain, donc le 22 juin, ou encore, en cas de retard de dernière minute, le 29 juin.
Je tenais à vous en informer. » (179)

Maiski sera présent dans la délégation soviétique lors de la conférence de Yalta, notamment en tant qu'interprète pour Staline. (198)
Le plus étonnant dans toute cette histoire est que Summer Welles fut informé de la future invasion allemande en Russie par le fameux et mystérieux Canaris.

Ce fut le 16 février 1941 que l'Amiral Canaris fit savoir à son agent Bleich que Hitler avait décidé d'attaquer l'URSS.
Il lui demanda de partir immédiatement pour Lisbonne et d'alerter les services américains.
Bleich put faire passer le renseignement très rapidement à Summer Welles. (92)

Encore plus extraordinaire, un autre membre de l'Abwehr prévint les alliés et dès le 26 décembre 1940.
Il s'agissait de Paul Thummel.
L'information lui fut donné le 18 décembre 1940 par Himmler. (92)

Paul Thummel, pourtant membre du parti national- socialiste depuis le 18 mai 1927, offrit ses services au 2ème bureau de l'armée tchécoslovaque le 8 février 1936.
Il fournit aux Tchèques de nombreux renseignements sur la politique allemande envers la Tchécoslovaquie.
Après 1939, il continua sa collaboration avec le 2ème bureau tchécoslovaque replié à Londres.
Paul Thummel est arrêté le 20 mars 1942.
Il sera fusillé par les nazis le 27 avril 1945 (86)

Plus étonnant encore, il faut savoir que vers la mi-mai 1941, l'ambassadeur d'Allemagne en URSS, Schulenburg et Gustav Hilger apprirent à Wladimir Dekanosov, ambassadeur de l'URSS en Allemagne qu'une attaque allemande était imminente. (179)

Mais pour le maréchal soviétique Golikov, directeur des services de renseignement de l'Armée Rouge de juin 1940 à juillet 1941 :

- « Tous les documents prétendant que la guerre est imminente doivent être considérés comme des faux provenant de sources britanniques ou même allemandes. » (16)

Golikov avait l'intention de rappeler Sorge et de le punir en tant que Semeur de panique et mauvais agent de renseignement. (86)
Golikov n'hésitait pas à ajouter en marge des dépêches envoyées par Trepper et Sorge : agent double ou source britannique. (16)

Roger Gheyssen considère que pour Staline :

-« Tous ces avertissements de Churchill constituaient une provocation capitaliste qui tendait uniquement à détourner l'attention des Russes de la mission Hess (Rudolf Hess 1894-1987), premier geste d'un compromis anglo-allemand qui vise à réconcilier les belligérants pour attaquer ensuite la Russie de concert.
Le dictateur bolchevistes croit qu'il a du temps devant lui : si la mission Hess doit amener la création de l'alliance anglo-allemande, les négociations vont certainement durer des mois » (140)

Oui, les Anglais et les Américains savent tout, le témoignage de Lord Mountbatten (1900-1979) nous le confirme.

4° LE TEMOIGNAGE DE LORD MOUNTBATTEN (1900-1979)

Le samedi 21 juin 1941, Lord Mountbatten fut invité en compagnie du magnat de la presse britannique Lord William Max Aitken Beaverbrook (1879-1964) qui possédait notamment le Daily Express (fondé en 1900), par le Premier ministre Winston Churchill.

Le Premier ministre accueillit ce jour-là ses invités par un visage hilare.

-J'ai de très excitantes nouvelles, annonce-t-il.
Hitler va attaquer la Russie demain à l'aube.
Pendant toute la matinée nous avons essayé de deviner ce qui va se passer.

-Je vais vous dire ce qui va se passer, interrompit Beaverbrook.
Les Allemands vont rentrer dans les Russes comme dans du beurre.
Et quelle raclée, ils vont leur mettre !
En moins d'un mois, six semaines au plus, tout sera terminé.

-Les Américains, objecta Churchill, estiment qu'il faudra aux Allemands plus de deux mois, et notre Etat-Major partage cet avis.
Je pense, pour ma part, que les Russes vont tenir au moins trois mois, mais qu'après ils seront battus et que nous nous retrouverons comme avant, le dos au mur...

Croisant le regard de Mountbatten, qui avait paru oublié pendant cet échange, Churchill s'adressa à son jeune ami presque en s'excusant :

-Ah, Dickie, racontez-nous donc vos combats en Crète !

-C'est du passé, répondit Mountbatten.
Mais si vous m'autorisez à donner mon opinion, j'aimerais vous dire ce qui va arriver en Russie.

Churchill acquiesça avec un peu d'agacement.

-Je suis en désaccord avec Max Beaverbrook, déclara Mountbatten.
Je suis aussi en désaccord avec les Américains, avec votre Etat-Major et, à la vérité, avec vous-même, Monsieur le Premier ministre.
Je ne pense pas que les Russes seront battus.
C'est la fin d'Hitler.
C'est le tournant de la guerre.

-Allons, Dickie, répliqua Churchill amusé, pourquoi votre point de vue est-il si différent ?

-D'abord parce que les purges militaires de Staline ont éliminé toute opposition intérieure potentielle dont les nazis auraient pu chercher à se servir.
Deuxièmement, et il est douloureux pour moi de le reconnaître alors que ma famille a régné là-bas si longtemps, les Russes ont maintenant quelque chose à défendre.
Cette fois, ils se battront tous.

Churchill ne paru nullement convaincu.

-C'est bien agréable d'entendre une voix jeune, enthousiaste comme la vôtre, cher Dickie.
On verra bien. (21)

Lord Beaverbrook était, à cette époque, le ministre de la production industrielle.
Son action fut efficace car dès le milieu de l'année 1940, la production de chasseurs avait été multipliée par deux et demi et, au cours de toute l'année 1940, la Grande-Bretagne produisit 4283 avions de chasse contre 3000 appareils mono ou bimoteurs produits par l'Allemagne. (22)

Louis, 1er comte Mountbatten of Burma commanda les forces alliées dans le Sud-Est asiatique de 1943 à 1945.
En 1946 et 1947, il fut le dernier vice-roi des Indes.
En 1955, il est premier lord de la Mer et en 1956 amiral de la flotte.
Il fut chef d'état-major de la défense de 1959 à 1965.
Le 27 août 1979, il périt victime d'un attentat organisé par des membres de l'IRA provisoire.

5° LE TRAITE SOVIETO-JAPONAIS

Le 5 avril 1941, Yosuki Matsuoka, ministre des affaires étrangères du Japon depuis le 20 juillet 1940, rencontre Ribbentrop.

Ce dernier lui confie :

-« La plus grande partie de l'armée allemande se trouve échelonnée sur la frontière est du Reich, prête à déclencher l'attaque à n'importe quel moment.
La situation est telle qu'il fallait considérer l'éventualité d'un conflit comme possible, sinon comme probable. »

Le Japon ne voulant pas être mêlé à cette guerre, se décide à signer un pacte de non-agression avec l'URSS.

Il est étonnant que Staline n'est pas considéré que la volonté du Japon de signer un pacte avec l'URSS, soit le prélude d'une évolution des relations entre l'Allemagne et la Russie.

Surtout que nous sommes au moment où l'Allemagne attaque la Grèce et la Yougoslavie.
Ce dernier pays est une sphère traditionnelle d'influence de la Russie.

Grégoire Gafenco, à l'époque ambassadeur de Roumanie à Moscou va maintenant nous expliquer tout l'intérêt, pour les deux paris concernées, de cet accord :

-« Le point essentiel était de s'assurer la neutralité du Japon en cas d'attaque allemande.
Cette condition était péremptoire ; sans cela l'accord avec le Japon n'avait aucune valeur.
Car s'il fallait excepter de l'accord l'hypothèse d'une guerre avec le Reich, la neutralité japonaise ne couvrait plus rien.
Au point où en étaient les choses, l'URSS pouvait faire des pactes avec n'importe qui ; mais la guerre, elle ne pouvait plus la faire qu'avec l'Allemagne.
Obtenir de la part du Japon une garantie absolue, sans réserve et sans exception, signifiait, étant donné les rapports intimes entre le Japon et l'Allemagne, limitait les chances d'agression allemande.
C'était ce que Staline, qui présidait lui-même aux négociations, s'efforçait de faire comprendre à son hôte de marque.
M.Matsuoka ne se dépêchait pas de comprendre.
Peut-être était-il gêné par l'appui chaleureux que prêtait la diplomatie allemande, qui veillait à ce que tout se passât conformément aux principes et aux intérêts du Pacte tripartite.
Ce qui était curieux et significatif, c'était que la résistance japonaise semblât se concentrer autour des concessions minières (l'un des contentieux nippo-soviétique concernait les concessions minières de l'île de Sakhaline, accordées au Japon par le Traité de Portsmouth).
Le samedi 12 avril, les négociateurs japonais avaient quitté le Kremlin à minuit, ayant abandonné tout espoir d'entente ; M.Matsuoka s'était résigné, paraît-il, à accepter un accord sans exception ni réserve, mais il ne voulait pas renoncer aux mines de Sakhaline ; M. Staline s'était montré intraitable et n'avait consenti aucun compromis.
Le départ du ministre japonais était annoncé pour dimanche à 3 heures.
Les Allemands répandaient le bruit que les négociations avaient définitivement échoué.
Par ailleurs, dimanche 13 avril dans la matinée, il y eut un premier coup de théâtre : M. Matsuoka ayant été autorisé télégraphiquement par Tokyo à promettre en une lettre personnelle qu'il arrangerait la question des concessions dans le sens désiré par les autorités soviétiques, les négociateurs japonais furent conviés au Kremlin pour signer l'accord.
La cérémonie se déroula dans une atmosphère de grande allégresse ; plus les négociations avaient été orageuses, plus la détente semblait douce et bienfaisante.
M. Matsuoka fut retenu par Staline dans une conversation des plus cordiales.
On fut obligé de retarder d'une heure le départ de l'express transsibérien.
Lorsque le ministre japonais entouré des membres de sa mission fut enfin arrivé à la gare où l'attendaient les diplomates, les économistes, les attachés militaires des puissances de l'Axe, un second coup de théâtre se produisit.
Dans un brouhaha de gens surpris, de policiers affairés, de miliciens accourant au pas de gymnastique, Staline apparut au bout du perron et s'avança vers le groupe des voyageurs japonais.
Son apparition provoqua une véritable stupeur dans les rangs des diplomates ; jamais le maître de la Russie, dont les apparitions en public étaient si rares, n'avait fait pareil honneur à un hôte étranger.
Cependant Staline marchait d'un pas incertain, comme si le grand air, le contact direct avec la foule et sa propre audace l'eussent grisé.
Reconnaissant un frère en chaque passant, il serrait les mains des voyageurs et des employés sur le quai.
Puis, après avoir salué son hôte japonais, venu au-devant de lui avec un air grave, solennel et ému, il se dirigea vers le groupe chamarré des attachés militaires et donna l'accolade à tous les officiers qui lui étaient présentés.
Devant le colonel d'état-major allemand von Krebbs, figé au garde-à-vous, Staline s'arrêta, et lui passant le bras autour du coup lui dit d'un clignement d'½il : Nous resterons toujours amis, n'est-ce pas, nous autres.
Cette parole historique, qui n'échappa à aucun des journalistes rangés derrière les diplomates, fit une demi-heure plus tard le tour du monde.
Le départ du train emportant Matsuoka passa inaperçu ; tous les regards étaient braqués sur Staline, et le retour du maître à son automobile fut une véritable marche triomphale ; la foule, qui l'avait reconnu, l'ovationnait, alors que les membres de l'Ambassade japonaise, troublés par l'honneur qui avait été fait à leur pays, l'escortaient, pleins d'enthousiasme et de reconnaissance, et que le petit ambassadeur Tatekawa, monté sur un banc, agitait son mouchoir et criait d'une voix stridente : Spassivo, spassivo... (merci, merci) .»

Matsuoka restera ministre des Affaires étrangères jusqu'en juillet 1941.
Il est remplacé par Shigénori Togo.
Le successeur de ce dernier sera Mamoru Shigémitsu.
C'est lui qui conduira, le 2 septembre 1945, la délégation japonaise à bord du cuirassé Missouri pour signer l'acte de capitulation.

Yosuki Matsuoka, Shigénori Togo et Mamoru Shigémitsu se retrouveront après guerre sur le banc des accusés lors du procès des criminels de guerre de Tokyo qui commença le 3 mai 1946 et dura jusqu'au 12 novembre 1948.
Matsuoka fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Quant à Togo, il fut condamné à 20 ans de prison.
Enfin, Shigémitsu fut condamné à 7 ans de prison. (61)

Lors du départ de Matsuoka, le colonel allemand von Krebs ainsi que Staline sont présents.

Ce dernier passa le bras autour du cou de Krebs et lui dit avec un clignement d'½il :

-« Nous resterons toujours amis, n'est ce pas nous autres. »

Par la suite, Hans Krebs devint général, puis conseiller militaire d'Hitler.
Il fut l'un des derniers proches d'Hitler à être encore, en avril 1945, dans le bunker.
Comme Hitler, Joseph Goebbels (1897-1945), Walter Hewel, Wilhelm Burgdorf et Franz Schedle, qui eux aussi se trouvaient également à l'intérieur de l'abri, Krebs se suicida.
En choisissant la solution du suicide, Krebs avait démenti les rumeurs qui, depuis quelques jours, dans l'entourage du Führer, laissaient croire que cet ancien attaché militaire à Moscou, parlant fort bien le russe, était assuré de connaître un meilleur sort que ses compagnons. (82)

Cet accord mettait fin à des relations houleuses entre l'URSS et le Japon.

Par exemple en août 1939, les Russes infligèrent une lourde leçon au Japonais dans la région de Nomonhan, sur la frontière de la Mandchourie occidentale.
Une force japonaise de quelque 15 000 hommes fut encerclée et perdit plus de 11 000 soldats sous l'action de 5 brigades mécanisées et 3 divisions d'infanterie soviétiques. (22)

Tous ces éléments devraient donner la puce à l'oreille de Staline, mais celui-ci ne voit rien, n'entend rien.

Cet accord, et aussi la dépêche de Richard Sorge informant Moscou que le japon n'attaquerait pas l'URSS, permit à l'état-major russe soviétique de ramener des troupes fraîches de Sibérie en pleine bataille de Moscou.
Bien évidemment, l'Allemagne n'apprécie pas que son allié japonais signe un accord avec un futur ancien allié.

L'ambassadeur allemand à Tokyo, le lieutenant-colonel Eugen Ott déclara en apprenant le pacte entre le Japon et l'URSS :

-« Le Japon a conclu un pacte de neutralité avec l'URSS et nous estimons que le Japon a fait un peu trop d'avances à l'Union soviétique...
L'Allemagne n'est guère satisfaite. (97)

Dans son ouvrage L'homme qui sauva Staline, Hans Otto von Meissner, ancien secrétaire d'Etat à la chancellerie présidentielle, va nous décrire la surprise des Allemands face à la contre attaque soviétique en décembre 1941 :

-« Je n'y comprends rien, voilà que les Russes engagent devant nous une masse de division sibérienne qui proviennent tout droit d'Extrême-Orient.
Ils dégarnissent complètement leur front Est, sans avoir l'air de se soucier de la formidable armée japonaise qui occupe la Mandchourie.
Tout ce passe comme si Staline était sûr, politiquement, de ne rien avoir à craindre de ce côté-là !
En effet, les Russes savaient qu'ils ne couraient aucun risque de la part du Japon.
C'est cette certitude qui leur permit de rappeler leurs armées d'Extrême-Orient.
C'est pour cela qu'ils purent sauver Moscou, et c'est pour cela que, trois ans et demi plus tard, ils prirent Berlin.
Cette certitude, Staline la devait à un seul homme, et cet homme s'appelait Richard Sorge.
C'est lui qui donna au dictateur russe l'assurance que les Japonais ne bougeraient pas ; et c'est sur cette simple affirmation de l'espion remarquable dans lequel il avait toute confiance, que Staline dégarnit ses frontières orientales au profit du front germano-russe. »

Cet accord fut donc un des nombreux éléments expliquant la défaite allemande.

6° ET POUTANT STALINE NE CROIT PAS A LA GUERRE

Encore peu de temps avant l'attaque allemande, la mode en Russie était à la célébration de l'amitié avec l'Allemagne. (16)
Au printemps 1941, il était interdit en URSS de dire ou d'écrire le moindre mal sur l'Allemagne nazie.

Le roman d'Ilya Ehrenbourg (1891-1967), La chute de Paris fut publié après le remplacement des mots : A bas les fascistes ! par le cris : A bas les réactionnaires ! (97)

Dans son ouvrage La nuit tombe il nous raconte qu' :

- « A partir du début de mars, Londres annonçait que Hitler se préparait à envahir les Balkans.
Nos journaux conservaient un calme impassible.
J'allais à une conférence sur la situation internationale ; le conférencier décrivit magistralement la nature carnassière de l'impérialisme britannique ; j'attendais ce qu'il dirait de l'Allemagne.
Il ne la mentionna pas. » (97)

Une directive fut envoyée dans les camps russes d'internement, interdisant aux gardiens de traiter les prisonniers politiques de fascistes. (16)

En décembre 1940, l'ancien chargé d'affaire en France, Ivanov est arrêté à Moscou pour tendances anti-allemandes.
Il sera condamné à cinq ans de déportation en septembre 1941, alors que depuis juin l'URSS et l'Allemagne sont en guerre. (56)

Staline veut croire qu'Hitler ne va pas l'attaquer, du moins dans l'immédiat. (97)

Sur le plan diplomatique, Staline fait tout pour ne pas déplaire l'Allemagne.

D'abord, il va demander, le 9 mai 1941, aux ambassadeurs belges, norvégien et yougoslave de fermer leurs ambassades et de quitter la Russie, puisque leurs gouvernements avaient cessé d'exister.

Ensuite, il va reprendre des relations diplomatiques avec le gouvernement pro-allemand d'Irak.
Ce gouvernement était dirigé par Rachîd Al-Gaylâni (1892-1965).
Il avait déjà été Premier ministre d'Irak du 31 mars 1940 au 31 janvier 1941.
Le 3 avril 1941, avec l'aide allemande, il reprend le pouvoir et chasse le jeune roi d'Irak Faiçal II (1935-1958).

L'Angleterre ne pouvait permettre que l'Irak soit sous influence allemande.
Bien sur pour des raisons militaires mais aussi pour des raisons financières.

La compagnie pétrolière l'Irak Petroleum appartient en partie à l'Angleterre car la moitié des actions appartiennent à l'Anglo-Iranian et la Royal dutch. (184)

De ce fait Al-Gaylâni ne gardera pas longtemps le pouvoir car les Anglais le chasseront le 30 mai 1941.

Il fut condamné à mort par le régent Ibn Al Ilah (1913-1958).
Réfugié en Allemagne, il dut en 1945 se réfugier en Arabie séoudite.
Réhabilité en 1963, il revint en Irak après le coup d'état du général Abdul Salam Aref (1921-1966).

Cela fera dire à l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Moscou, Sir Stafford Cripp que :

-« Le gouvernement soviétique semblait décidément placé aux ordres de Berlin.
Il était prêt à tout pour éviter un conflit avec l'Allemagne et servait partout les desseins de Hitler dans le monde. » (111)

Grégoire Gafenco précise également que :

-« Les diplomates allemands ne pouvait s'empêcher de rendre justice aux efforts si louables que Staline faisait pour sauver la collaboration entre l'URSS et le Reich. » (111)

Le moindre élément de réchauffement des relations soviéto-allemande le rassure.

Par exemple, le 10 novembre 1940, Molotov arrive à Berlin pour discuter d'une large série de problèmes, y compris la proposition allemande suggérant que l'Union soviétique rejoigne les rangs des forces de l'axe.

Un communiqué conjoint fut publié à l'issue de ces conversations :

- « L'échange de vues eut lieu dans une atmosphère de confiance mutuelle et aboutit à une compréhension réciproque sur toutes les questions importantes intéressant l'Allemagne et l'Union soviétique. » (22)

Lors de cette entrevue à Berlin, Ribbentrop, en guise de bienvenue, déclara à Molotov qu' :

-« Aucune puissance au monde ne peut aujourd'hui changer le fait que la dernière heure de l'Angleterre est venue.
L'Empire britannique est battu, sa défaite définitive n'est plus qu'une question de temps. » (15)

A ce moment précis, les sirènes donnent l'alerte.
Ribbentrop est obligé de conduire son invité à la cave.

Quand les appareils anglais sont repartis, Molotov ne peut s'empêcher d'ironiser :

- « Si l'Angleterre est battue, comment se fait-il qu'elle nous ait forcés de continuer notre entretien sous terre ? » (15)

Je laisse maintenant la parole à Hans Baur (1897-1993) qui fut le pilote de Hitler :

-« En novembre 1940, Hitler me convoqua pour me dire que j'allais retourner à Moscou : le ministre soviétique des Affaires étrangères, Molotov, venait en visite officielle à Berlin.
Il avait offert son appareil pour rendre son voyage plus court et plus confortable.
Mais cette offre fut déclinée.
Molotov comptait arriver avec une délégation comptant deux cent soixante-cinq personnes qu'on ne pouvait transporter par des avions.
Cet énorme effectif devait, nous dit-on officiellement, visiter les usines où l'on fabriquait des avions et des moteurs en contrepartie de livraisons effectuées par la Russie, mais, comme nous l'apprîmes plus tard, était destiné à se faire une idée générale du potentiel industriel de l'Allemagne.
Molotov arriva donc par le train.
Je me trouvais dans le vestibule quand il entra à la chancellerie.
Trois inspecteurs de police l'accompagnaient et restèrent dans le vestibule.
Pendant la conversation entre Hitler et Molotov, nos propres policiers offrirent du café et d'autres boissons à leurs confrères soviétiques, mais ceux-ci refusèrent tout avec un sourire stéréotypé.
De toute évidence, ils avaient reçu l'ordre formel de ne rien accepter, ce qui ne me surprit pas après mon expérience de Moscou. » (172)

Dans ses mémoires, Albert Speer (1905-1981) nous raconte une anecdote sur cette visite :

-« A la grande joie de Hitler et de ses convives, le docteur Karl Brandt, rapporta d'un ton moqueur que la suite du Conseil et ministre des Affaires étrangères soviétique faisait ébouillanter, avant de s'en servir, toutes les assiettes et tous les couverts, par crainte des microbes. » (186)

Les participants allemands se montrèrent très satisfaits des résultats, qui, le 16 novembre 1940 furent résumés dans ces termes :

-«Il n'y aura pas pour l'instant de traité défini.
La Russie a semblé désireuse de se joindre au pacte des trois puissances après que plusieurs questions ultérieures eurent été clarifiées.
Molotov a été averti de l'action envisagée par l'Allemagne dans les Balkans afin de soutenir l'Italie, et il ne soulève aucune objection.
Il suggère de créer des conditions permettant à l'influence soviétique de s'exercer en Bulgarie, dans des conditions similaires à l'influence allemande en Roumanie, mais cette suggestion n'est pas suivie par les Allemands.
L'Allemagne indique cependant qu'elle se désintéresse de la
domination turque sur les Dardanelles et qu'elle comprendrait le désir des Russes d'installer des bases dans ce secteur. »

Mais dès le 12 novembre 1940, Hitler avait déclaré dans sa directive de guerre n° 18 que :

-« L'initiative de conversations politiques a été prise dans le but de clarifier l'attitude soviétique actuelle.
Quels que soient les résultats de ces entretiens, tous les préparatifs à l'Est qui ont déjà été ordonnés verbalement seront poursuivis. » (22)

Et le 23 novembre 1939, Hitler déclara :

-« Les traités ?
Nous les respectons tant qu'ils nous seront utiles.
Pas un jour de plus. » (15)

Autre exemple, le 28 mars 1940, Ribbentrop câblait à son ambassadeur à Moscou :

- « Le Führer ne serait pas seulement particulièrement heureux d'accueillir Staline à Berlin, mais ferait tout son possible pour que cette réception soit digne de la position et de l'importance de son hôte.
Il lui garantira tous les honneurs exigés par les circonstances. » (13)

Staline était rassuré également par le fait que les cours du mouton étaient restés stables dans l'ensemble de l'Europe, preuve que les Allemands ne se préparaient pas à constituer les stocks de vestes en peau de mouton indispensable à une campagne d'hiver en Russie, pas plus qu'ils ne fabriquaient les huiles spéciales nécessaires aux véhicules.

Le plus incroyable est à venir.

Le 14 juin 1941, une semaine avant l'invasion allemande, il autorisa l'agence de presse soviétique à publier une déclaration dans laquelle il attaquait, à l'encontre de tous les usages diplomatiques, l'ambassadeur britannique pour la propagation de rumeurs annonçant une prochaine guerre russo-allemande.
Staline assura que l'Allemagne remplissait à la lettre ses engagements à l'égard de la Russie et bien qu'il ne pût plus nier la mobilisation des deux cotés de la frontière, il déclara faux, dépourvus de sens et provocateurs les bruits selon lesquels les troupes allemandes ou russes préparaient la guerre. (13)

Molotov n'hésita a convoquer von der Schulenburg pour lui montrer cette dépêche avant qu'elle ne soit diffusée à la radio. (74)

Dommage que Staline n'aie pas lu un article de Georges Blun, paru dans Le Journal du 22 mai 1940 :

-« Adolf Hitler a résolu d'imposer sa domination personnelle et l'hégémonie du Reich gammé à l'ensemble du monde.
Il veut être roi des rois.
C'est dire qu'il ne se déclarera pas satisfait pour avoir coupé notre armée en deux tronçons, comme il voudrait le faire ou occuper les capitales de la France et de l'Angleterre.
Il y a encore les Balkans, de même qu'il y a encore la Russie.
En août dernier, Staline a voulu jouer au plus rusé.
Il nous semble qu'il comprendra bientôt son erreur. » (109)

Mais Staline aurait du lire aussi un célèbre best-seller : Mein Kampf.

Ainsi il aurait pu comprendre la vision politique de Hitler :

-« De la sorte, nous autres nationaux-socialistes, nous reprenons la tâche là où elle a été laissée il y a six cents ans.
Nous arrêtons l'interminable exode allemand vers le sud et l'ouest et nous tournons nos regards vers les terres de l'est.
Si nous parlons du sol de l'Europe d'aujourd'hui, nous ne pouvons penser en tout premier lieu qu'à la Russie et à ses Etats vassaux limitrophes. »

L'ambassadeur allemand à Moscou, Schulenburg, dans ses rapports à Moscou analyse fort bien la politique soviétique.

Ainsi le 4 juin 1941, il écrit que :

-« Le kremlin s'efforce par tous les moyens d'éviter un conflit avec l'Allemagne. » (15)

Le 7 juin 1941, dans un autre rapport, il signale que :

-« Manifestement, Staline et Molotov, seuls responsables de la politique étrangère, sont anxieux de maintenir de bonnes relations avec le Reich.
C'est ce qui ressort de l'attitude du kremlin et aussi celle de la presse qui parle des évènements d'Allemagne avec une objectivité totale. » (15)

Le 21 juin 1941 à 22 heures, Molotov demandait à Schulenburg de bien vouloir lui dire si vraiment comme le bruit courrait, l'Allemagne avait des griefs contre la Russie, afin qu'on les aplanisse ensemble. (191)

Ce même jour, Moscou envoyait un télégramme à son ambassade de Berlin pour formuler la proposition suivante :

- Organiser une rencontre immédiate au somment, donc entre Staline et Hitler pour éviter une guerre.

Selon Malcolm Mackintosh, il y a trois raisons qui expliquent l'insuffisante préparation de l'armée rouge à la veille de la guerre :

-« D'abord, il semble que Staline ait été persuadé que Hitler respecterait les clauses du traité germano-soviétique d'août 1939 et qu'en évitant soigneusement toute provocation vis-à-vis de l'Allemagne, la Russie pourrait rester en dehors de la guerre.
Cette opinion ne pouvait que conduire à relâcher la vigilance et à tenir pour négligeables les signes pourtant visibles de l'accroissement de la menace allemande ; c'est là l'origine des ordres stricts qui tendaient à proscrire tout mouvement capable d'inquiéter les Allemands.
Staline ne prévoyait pas une guerre russo-allemande avant 1942.
Aussi, les armées de couvertures, qui auraient dû, au moins, être en alerte, ne s'étaient déployées au début de la bonne saison de 1941 que pour parfaire leur instruction.
Le programme de fortifications frontalières était à peine ébauché.
L'Union soviétique ne pouvait s'engager dans la guerre dans des conditions plus défavorables.

- Ensuite, la croyance, enracinée dans les esprits par une propagande insistante, en l'impossibilité d'une invasion et en l'invincibilité de l'armée rouge contribuait à entretenir un optimiste excessif et conduisait à un relâchement dans les préparatifs de défense ; en effet, toute guerre d'agression devait être aussitôt portée par l'invincible armée rouge sur le territoire de l'ennemi.

-Enfin, les purges staliniennes avaient privé l'armée de milliers d'officiers de valeur.
L'exécution des programmes et des plans en souffrit grandement.
L'étude des doctrines modernes énoncées par Toukhatchevski avait été abandonnée ou ralentie. » (153)

En 1948, le vice-premier Voznesensky révéla que les projets économiques pour le troisième quart de 1941 prévoyaient encore l'état de paix et qu'un nouveau plan conforme au besoin de guerre n'avait été élaboré qu'après le début des hostilités. (13)

La monomanie stalinienne me fait toujours penser au film de Joseph Losey (1909-1984) Les routes du sud sortie en salles en 1978.
Un soldat communiste allemand déserte afin de prévenir Staline que la Wehrmacht est sur le point d'attaquer, et finit fusillé comme provocateur.

Entre parenthèse, Losey n'a strictement rien inventé.
Ce personnage a réellement existé.
Il s'agissait de Wilhelm Korpik, un ancien membre du parti communiste allemand.
Il décida de déserter et de passer en URSS, après que l'ordre d'attaque eut été lu dans son régiment.
Pour toute récompense, Staline ordonna de le fusiller séance tenante ce déserteur-désinformateur.

D'ailleurs Khrouchtchev cite cette anecdote lors du XXème congrès :

-« A la veille de l'invasion du territoire de l'Union soviétique par l'armée hitlérienne, un citoyen allemand franchit notre frontière et indiqua que les armées allemandes avaient reçu l'ordre de lancer l'offensive contre l'Union soviétique dans la nuit du 22 juin à 3 heures.
Staline en fut informé immédiatement, mais cet avertissement même fut ignoré... »

7° L'HYPOTHESE DE VICTOR SOUVOROV

Une hypothèse, certes hasardeuses (et même très hasardeuse) peut expliquer la logique stalinienne.

En 1989, Victor Souvorov, ancien agent des services secrets soviétiques (le GRU), passé à l'Ouest en 1978, publia un livre intitulé Le Brise-Glace. Juin : le plan de secret de Staline pour conquérir l'Europe (Editions Olivier Orban 1989) ; concernant la politique de Staline durant cette période charnière entre la signature du pacte du 23 août 1939 à l'invasion allemande du 22 juin 1941.

L'hypothèse de Souvorov est simple.
C'est Staline qui voulait surprendre Hitler en passant à l'offensive le 6 juillet 1941, mais comme on le sait, Hitler fut plus rapide.
Selon Souvarov, seul le pari à cent pour cent sur l'offensive à l'outrance explique l'arrachage des barbelés et le démantèlement des fortifications défensives dans toute la Russie de l'Ouest, pour libérer le passage, ou bien encore la concentration de troupes, certaines amenées même d'Extrême-Orient, devenue commune depuis le dépeçage de la Pologne.
Et c'est aussi ce pari perdu qui explique les énormes pertes soviétiques des premiers jours et des premières semaines : l'armée organisée pour forcer, n'était pas en état de se défendre comme un énorme crocodile qu'on frapperait très fort et par surprise.
En sommes, comme le voulait Staline, le drapeau rouge a bien, finalement flotté à Berlin.
Mais, si l'on en croit Souvorov, sans Hitler, il aurait aussi flotté beaucoup plus à l'ouest. (12)

Entre parenthèse, je conseille également un autre livre de Souvarov Les Libérateurs (Editions Mazarine 1982) un livre très drôle qui ne donne pas envie de s'engager dans l'armée rouge.

C'est une hypothèse peu probable car le 15 mai 1941, Georghi Kontantinovitch Joukov (1896-1974) et Semion Timochenko (1895-1970) présentèrent à Staline un plan d'attaque préventive qu'il repoussa.

D'autres hypothèses sont possibles.

En 1946, Staline prétendit que les défaites initiales des Russes n'étaient pas du à l'effet de surprise.
Son interprétation, totalement contraire à la vision officiel de l'histoire, était qu'il avait laissé délibérément entrer les Allemands dans l'intérieur de la Russie afin de mieux les tenir à sa merci.

Dans une lettre du 3 février 1947 envoyé à un historien militaire, le colonel Razin, Staline rappela deux exemples historiques qu'il avait suivis :

-« Déjà les vieux Parthes connaissaient ce type de contre-offensive lorsqu'ils attirèrent Crassus, le commandant romain et ses troupes, dans l'intérieur de leur pays, pour lancer une contre-offensive et le détruire.
Koutousov, ce stratège de génie, connaissait également cette tactique lorsqu'il détruisit Napoléon par une contre-offensive bien préparée. »

Marcus Licinus Crassus (114-53 av JC) chargé de l'expédition contre les Parthes, fut vaincu et tué à Carrhes (aujourd'hui Harran en Turquie) .
Mikhail Illarionovitch Koutosov ou Koutousoz (1745-1813) commandait l'Armée russe pendant la campagne de russie. »

Pourtant l'ambition d'Hitler est déjà ancienne, comme le prouve le témoignage du maréchal Friedrich Paulus (23 septembre 1890- 1er février 1957), le maréchal de Stalingrad, lors du procès de Nuremberg :

-« Parlant de mon activité personnelle, je puis dire ceci : le 3 septembre 1940, je pris mes nouvelles fonctions à l'état-major général.
Parmi les divers dossiers que j'avais à connaître, je trouve l'esquisse d'un plan d'opérations contre la Russie.
L'auteur en était le chef d'état-major de la XVIII ème armée.
Le général Halder (chef du grand Etat-major général de l'armée de terre de 1938 à 1942), mon supérieur direct, me chargea d'achever ce travail, en prenant pour base les données suivantes : examen très poussé des possibilités d'attaque, en tenant compte de la conformation du terrain, des forces à engager immédiatement, des renforts, etc...
L'Allemagne disposerait de cent trente à cent quarante divisions nationales.
Pour l'établissement du dispositif de l'aile sud, je devais tenir compte de l'utilisation, par nos forces, du territoire roumain.

Quant aux objectifs, on m'en fixa deux :

1)anéantissement des parties de l'armée rouge stationnées en Russie blanche ;
2) empêcher les unités encore en mesure de combattre de s'échapper vers les profondeurs de l'espace russe.

Le plan d'opération terminé, le haut commandement rédigea la fameuse Instruction 21, base des préparatifs militaires et économiques.
Il s'agissait à présent d'élaborer et de mettre au point les détails du dispositif d'attaque.
Ce dispositif fut approuvé par Hitler, le 3 février 1941, dans son nid d'aigle.
Le haut commandement prévoyait que l'attaque serait déclenchée à une date qui permettrait de vastes mouvements de troupes en territoire russe : aux environs du 15 mai.
Puis Hitler ayant décidé, à la fin de mars, de liquider la Yougoslavie, cette date fut rapportée de cinq semaines.
Comme je viens de le dire, l'attaque fut exécutée selon un plan préparé de longue date et soigneusement camouflé.
Une vaste man½uvre, organisée en Norvège et sur les côtes de France devait, en juin 1941, fait croire à un débarquement imminent en Angleterre, de manière à détourner l'attention de ce qui se préparait à l'est.
Le seul fait de nous fixer comme objectif une ligne Volga-Archangelsk, objectif qui dépassait de loin nos possibilités militaires, suffit pour illustrer la véritable folie des grandeurs de la politique d'agression national-socialiste.
Sur le plan stratégique, la réalisation d'un tel objectif aurait exigé l'anéantissement total de l'armée rouge.

Quant aux objectifs d'ordre économique, j'ai entendu moi-même Hitler déclarer :

- Si je ne puis m'emparer du pétrole de Maikop et de Grozny, je vais être obligé de mettre fin à la guerre.

En résumé, de toute évidence, il s'agissait d'une guerre de conquête.
En colonisant le territoire russe, en exploitant ses ressources, Hitler pensait pouvoir vaincre à l'Ouest et, ensuite, établir son hégémonie définitive sur l'Europe toute entière. » (15)

Friedrich Paulus (1890-1957) était un spécialiste des blindés.
Il fut chef de la VIe armée.
Il dut capituler à Stalingrad le 2 février 1943.
Interné en U.R.S.S., il fut libéré en 1953 et s'installa en RDA.

Le 22 juin 1941, un jour avant l'anniversaire de l'invasion de Napoléon en 1812, Hitler attaqua la Russie.

Le même jour Ribbentrop recevant l'ambassadeur d'URSS en Allemagne, Dekanosov, pour l'informer officiellement de la déclaration de guerre, eut cette phrase inattendue :

-« Dites bien à Moscou que j'étais opposé à l'attaque. » (179)

Dekanosov et son équipe ainsi que les diplomates allemands présent à Moscou seront, après de longues négociations, échangés à la frontière turque.

L'ambassade d'URSS à Berlin, surnommé La maison russe, sera par la suite occupé par Alfred Rosemberg.
L'ambassade fut détruite lors d'un bombardement.

8° LES CONSEQUENCES DE L'INCONSEQUENCE DE STALINE

Mais Staline, qui était son propre analyste en matière de renseignement et qui voulait jouer au plus fin avec les nazis jusqu'au tout dernier moment, rejeta les avertissements en les taxant de provocation.

Il laissa ainsi l'Armée rouge dans un état si lamentable que lorsque la Wehrmacht lança son assaut le dimanche 22 juin 1941, un des commandants demanda par radio à son quartier général :

- « On nous tire dessus.
Que faut-il faire ? » (50)

La réponse reçue est la suivante :

-« Etes-vous fous ?
Et d'abord pourquoi votre message n'est-il pas chiffré ? (191) (74)

Nikita Khrouchtchev (1894-1971), lors du XXème congrès affirma :

-« Quant les armées fascistes eurent effectivement envahi le territoire soviétique et que les opérations militaires furent en cours, Moscou ordonna qu'il ne soit pas répondu au tir allemand.
Pourquoi ?
Parce que Staline, en dépit de faits évidents, pensait que la guerre n'avait pas encore commencé, que ce n'était là qu'une action de provocation de la part de plusieurs contingents indisciplinés de l'armée allemande et que notre réaction pourrait offrir aux Allemands un motif de passer à la guerre... »

Georges Bortoli décrit ainsi cette politique d'abandon :

-« En 1941, Staline n'a pas préparé les armées soviétiques à l'invasion imminente, évidente, pour ne pas irriter Hitler.
Par sa faute, les Allemands ont eu la joie de trouver en face d'eux des fortifications inachevées, des aérodromes non camouflés, des états-majors sans instructions et des divisions à peine arrivées à l'état d'alerte.» (49)

Pire encore, dans les semaines précédentes l'invasion allemande, la Luftwaffe n'hésitait pas à violer l'espace aérien soviétique.
Afin de ne pas provoquer d'incident avec les Allemands, les troupes soviétiques déployées à la frontière avaient reçu l'interdiction de tirer sur les avions allemands survolant le territoire soviétique, sous réserve que ces vols ne soient pas fréquents. (74)
De temps à autre, Molotov avait protesté, mais sans éclat, contre les violations de l'espace aérien par les Allemands. (74)

Staline sait tout, mais ne veut rien savoir.

Pour Henri Bernard :

-« Staline porte de lourdes responsabilités dans les désastres que subira l'armée rouge au cours des premiers mois.
Son erreur ne fut pas d'avoir signé le pacte germano-soviétique, toute considération d'ordre moral mise à part.
En août 1939, il pouvait espérer qu'Allemands et Occidentaux s'épuiseraient réciproquement.
Son IIIème plan ne devait s'achever qu'en 1943.
Raison de plus pour souhaiter que la Wehrmacht s'engage au plus tôt à l'Ouest et se détourne des frontières soviétiques.
Mais l'erreur de Staline fut d'avoir persisté dans sa confiance en Hitler, alors que les circonstances n'étaient plus pareilles à celles de 1939 et que ses prévisions se trouvaient démenties.» (101)

La version soviétique, du moins, sous l'époque stalinienne, est évidemment différente.

Selon le Bolchevik :

-« Le généralissime Staline est le créateur d'une stratégie et d'un art du commandement insurpassable.
Les maréchaux soviétiques ont grandi au cours de cette guerre sous sa direction immédiate ; ils sont les élèves de son école. » (93)

9° LE DESARROI DE STALINE

Dans la nuit du 21 au 22 juin 1941, quand Joukov annonce au téléphone à Staline que les Allemands bombardent massivement sur tous les fronts, ce dernier reste longuement silencieux, comme paralysé.
Au matin, il veut encore croire que Hitler manifestement, ne sait rien de cela.
Quand on lui propose de s'adresser au pays, il répond qu'il n'a rien à dire.
Molotov s'en chargera. (174)
Il reprendra, certes le dessus : son soucis sera , comme d'habitude, de trouver des responsables.
Les commandants du front ouest, qui, à la veille de l'attaque, avaient obéi à ses ordres de ne rien faire, sont fusillés, tout comme le général d'aviation qui l'avait informé des défauts des appareils soviétiques. (174)

Staline persuadé qu'il a été trahi, donne l'ordre de fusiller tous les détenus politiques et fait relâcher les droits communs pour les envoyer aux armées. (175)

Dans son ouvrage Les années de ma vie, le général Gorbatov nous décrit l'état de l'Armée rouge en juin 1941 :

-« La confirmation de ce que j'avais craint me glaçait d'effroi : comment nous battre, privés de tant d'officiers et de chefs expérimentés dès avant la guerre ?
C'était incontestablement l'une des principales causes de nos échecs, bien qu'on n'en parlât pas, ou qu'on représentât la chose comme si ayant chassé les traîtres de l'armée en 1937-1938, on avait accru sa puissance. »

Le général de Gaulle écrivit dans ses Mémoires de Guerre- l'Appel :

-« On vit les dirigeants du Kremlin, dans l'extrême désarroi où les plongeait l'invasion, retourner leur attitude immédiatement et sans réserve.
Alors que la radio de Moscou n'avait pas cessé d'invectiver contre les impérialistes anglais et leurs mercenaires gaullistes jusqu'à l'instant même où les chars allemands franchissaient la frontière russe, on entendit les ondes de Moscou prodiguer les éloges à Churchill et à de Gaulle littéralement une heure après. » (60)

Le général expliqua dès juillet 1940 à Maurice Schumann que L'Allemagne se retournerait contre la Russie, que les Etats-Unis entreraient dans la guerre et qu'ainsi la question de la guerre était pratiquement réglée. (134)

Plus tard, Staline cherchera à se disculper, notamment lors d'un discours, le 21 août 1941 :

-« Certains doivent se demander : comment le gouvernement soviétique a-t-il pu signer un pacte de non-agression avec ces monstres, des hommes sans fois ni lois tel Hitler et Ribbentrop ?
L'URSS n'a t-elle pas commis une faute ?
Certainement pas.
Un pacte de non-agression est un pacte de paix.
A mon sens, aucun Etat sincèrement épris de paix n'a le droit de refuser un tel pacte avec un pays voisin, même si les dirigeants dece pays sont des criminels. » (15)

Dans un autre discours, Staline va montrer son coté pragmatique (élément indispensable pour être un véritable homme politique) :

- « Nous avons assuré à notre pays la paix pendant une année et demi, ainsi que la possibilité de préparer ses forces. » (15)

L'attitude des partis communistes changea soudainement.

Dans ses Mémoires de Guerre, le général de Gaulle écrivit :

-« A la fin de 1941, les communistes entrèrent, à leur tour, en action.
Jusqu'alors, leurs dirigeants avaient adopté à l'égard de l'occupant une attitude conciliante, invectivant, en revanche, contre le capitalisme anglo-saxon et le gaullisme son serviteur.
Mais leur attitude changea soudain quand Hitler envahit la Russie. » (60)

Laissons maintenant la parole à l'historien, Stéphane Courtois :

-« Pour quelle raison le parti se lance dans la lutte armée, c'est à dire une forme de lutte qui lui est totalement étrangère ?
Pour une raison extrêmement simple, il en reçoit purement et simplement un ordre de Moscou. »

Pour confirmer les propos de Stéphane Courtois, voici un extrait d'un télégramme de Staline envoyé en juillet 1941 :

-« Juillet 1941, de Staline à Tito et aux partis communistes de l'Europe occupée.
L'heure a sonné où les communistes doivent engager un combat ouvert avec le peuple contre les envahisseurs.
Sans perdre un instant, organisez des détachements de partisans et commencez une guerre de partisans derrière les lignes ennemis.
Mettez le feu aux usines de guerre.
Organisez les paysans pour qu'ils cachent leurs grains et mènent leurs bétails dans les bois.
Il est absolument essentiel d'utiliser tous les moyens possibles pour terroriser l'ennemi et lui faire sentir qu'il est assiéger. »

Stéphane Courtois est directeur de Recherches au CNRS.
Il est aussi directeur de la revue Communisme.
Il est aussi membre du Conseil d'administration de l'Institut d'histoire sociale dont nous avons beaucoup parlé dans un chapitre précédent.

Le premier acte de résistance communiste commencera donc après l'invasion de l'Union soviétique par l'Allemagne.
Le 21 août 1941, le colonel Fabien de son vrai nom Pierre Georges (1919-1944) tue dans la station Barbès, l'enseigne de vaisseau allemand Alfons Moser.

Ainsi les alliances changent.
Après avoir été alliés, les Soviétiques et les Allemands deviennent ennemis.
Un peu comme dans le roman de George Orwell 1984 où les alliances entre l'Estasia, l'Eurasia et l'Océania varient selon l'évolution de la situation politique ou militaire du moment.

Pour conclure, il est assez amusant de comparer les politiques de la France et de l'URSS.

D'un coté, nous avons une démocratie, de l'autre une épouvantable dictature et pourtant ces deux pays ont un point commun : bien qu'ayant toutes les informations sur les futures attaques allemandes, ils ont préféré les ignorer et connaître ainsi la défaite.
C'est un grand classique des services secrets de connaître et de se complaire dans l'erreur.

Ainsi, pour prendre un exemple récent, une des causes expliquant la réussite des attentats de 11 septembre 2001 est l'incompétence du FBI et de la CIA.
Concernant ce sujet, je vous conseille de voir le film de William Karel CIA : guerres secrètes.

CHAPITRE XIII
MALGRE LA GUERRE : ENCORE DES RENCONTRES

Souvarine écrivait dans Le Figaro que Staline était prêt à signer n'importe quoi, avec n'importe qui, pourvu que son pouvoir en recueille un avantage quelconque.

Pour Souvarine :

-« Le pire dans le système soviétique n'est pas l'oppression, mais le mensonge. » (269)

1° RENCONTRE DE JUIN 1943

C'est entièrement vrai car au mois de juin 1943, Viatcheslav Mikhailovitch Skriabine dit Molotov (1890-1986) responsable de la diplomatie soviétique de 1939 à 1949 et de 1953 à 1956, rencontra Joachim von Ribbentrop (1893-1946) ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne, à Kirovograd, qui se trouvait alors à l'intérieur des lignes allemandes, pour discuter des possibilités de mettre fin à la guerre.

Kirovograd (qui s'est appelé ainsi de 1939 à 1991, son nom est désormais Elizavetgrad), est située en Ukraine.

Selon des officiers allemands qui assistèrent à la rencontre en qualité de conseillers techniques, Ribbentrop mit comme condition à la paix que la nouvelle frontière soviétique longeât le Dniepr, tandis que Molotov refusait de considérer une autre solution que le retour aux frontières initiales.

Les pourparlers furent bloqués par la difficulté de concilier des exigences aussi contradictoires et ils furent rompus à l'annonce que les puissances occidentales avaient été informées de cette entrevue.
On s'en remit alors de nouveau au jugement de la bataille pour décider du résultat. (22)

Si cette rencontre est la plus importante, d'autres entretiens ont eut lieu, mais avec des personnalités de moindre rang.

Par exemple, plusieurs entretiens ont eut lieu à Stockholm

2° RENCONTRES DE STOCKHOLM

La encore, les dates des rencontres de Stockholm varient selon les différentes sources.
Arthur comte, dans son ouvrage Yalta ou le partage du monde considère que les premières rencontres entre Péter Kleist (il fut avant guerre, président du comité Allemagne-Pologne), collaborateur de von Ribbentrop et Edgar Clauss (un homme d'affaires dont l'épouse d'origine russe était liée avec Alexandra Kollontai 1872-1952, ambassadeur d'URSS en Suède et de son premier conseiller, Semionov) datent de décembre 1942. (52)

En 1932, Trotski avait voulu s'installer en Suède, mais Kollontai avait fait connaître l'hostilité de son gouvernement à cet accueil.
De ce fait le gouvernement suédois avait renoncé à accueillir l'ancien chef de l'Armée rouge.

Selon Jean-André Faucher dans son ouvrage La mort des aigles, c'est seulement le 18 juin 1943 qu'un fonctionnaire de l'ambassade soviétique de Stockholm, Alexandrov, chargea Clauss de faire savoir à Kleist que Staline était prêt à conclure un armistice avec le Reich si l'Allemagne consentait à revenir sur ses frontières de 1939. (82)

Gilles Perrault donne raison aux deux précédents auteurs, en considérant que les deux premières rencontres entre Kleist et Clauss datent de décembre 1942 et juin 1943.

Le 4 septembre 1943, Keist rencontra de nouveau Kollontai, ancienne commissaire à la Sécurité sociale.
Celle-ci lui fit savoir que l'URSS ne reprendrait les pourparlers qu'après le renvoi de Ribbentrop et de Alfred Rosenberg (1893-1946) ministre des territoires occupés de l'Est.

Le 8 septembre 1943, Kleist revit Clauss.
Ce dernier lui fit savoir que Wladimir Dekanossov viendrait en Suède pour le rencontrer.

Le 23 septembre 1944, Joseph Goebbels (1897-1945) écrivit dans son journal :

-« Le Führer ne croit pas que les négociations avec Churchill puissent avoir le moindre résultat, car son hostilité est trop profondément enracinée et il se laisse guider par la haine plutôt que par la raison.
Le Führer préférait des négociations avec Staline, mais il ne croit pas non plus en leur réussite. » (82)

Le 28 septembre, Clauss informa Kleist que les négociations étaient suspendues. (82)

Boris Meissmer considère que les pourparlers de Stockholm furent engager dans le seul objectif de faire pression sur les occidentaux en agitant l'épouvantail d'une paix séparée entre la Russie et l'Allemagne.

Une dernière tentative fut effectuée par l'intermédiaire du Japon.

Le 4 septembre 1944, l'ambassadeur du Japon à Berlin, Hiroshi Oshima s'était présenté au quartier-général du Führer et lui avait offert la médiation de son pays pour négocier un armistice avec l'Union soviétique. (82)

Le Feld Maréchal Walther von Brauchitsch analysait qu'une paix négociée était improbable du fait du caractère idéologique de la guerre entre l'Allemagne et l'URSS :

-« Nous sommes dans une guerre idéologique.
Elle ne peut se terminer par des négociations.
Nous devons donc la mener jusqu'au bout. » (92)

Le Feld Maréchal Walther von Brauchitsch (1881-1948) commanda l'armée de terre de 1938 à 1941 et dirigea la campagne de France en 1940.
C'est lui qui avait remplacé Fritsch comme commandant de l'armée de terre.

3° LA DERNIERE PROPOSITION DE PAIX

Début 1945, le Japon proposa sa médiation.
En effet, la Russie offrait de reconnaître, dans une paix séparée, les frontières allemandes de 1937 et l'incorporation au Reich de la plus grande partie de l'Autriche, mais réclamait pour elle la Bohême et la Moravie.
Cette proposition renforça Hitler dans sa croyance aveugle que ses adversaires commençaient aussi à s'épuiser. (181)

CHAPITRE XIV
LES CONSEQUENCES DU PACTE : LE MASSACRE DES POLONAIS

La principale victime du pacte Ribbentrop-Molotov est évidemment la Pologne.
Ce partage indu amènera un véritable massacre du peuple polonais.

Nous allons examiner de nombreux cas en commençant évidemment par Katyn.

1° LE MASSACRE DE KATYN

Dans la nuit du jeudi au vendredi 13 avril 1990, les auditeurs de Radio Moscou entendirent une annonce plus qu'intéressante, historique :

-« Le NKVD (Sigle de Narodnyï Komissariat Vnoutrennikh Diel Commissariat du peuple aux Affaires intérieures. Nom de la police politique soviétique de 1934 à 1943) est responsable de la mort de 15 000 officiers et soldats polonais.
L'URSS exprime son profond regret pour cette tragédie, et la considère comme l'un des pires crimes de Staline. » (11)

Le vendredi 13 avril 1990, l'agence TASS (acronyme pour Telegrafnoïe Aguentstvo Sovietskogo Soïouza, agence de presse soviétique puis russe, créée en 1925 à Moscou) déclare que :

-« Les archives qui ont été retrouvées permettent de conclure à la responsabilité directe pour les atrocités commises dans la forêt de Katyn de Beria, Merkoulov et leurs subordonnés. » (11)

En mars et avril 1940, 4143 officiers furent massacrés à Katyn, 6295 à Kalinine, 4403 à Kharkov et 10 000 dans un lieu inconnu.
15 000 Polonais fait prisonnier le 17 septembre 1939 ont disparu après mai 1940.
L'URSS, cinquante années après cette tragédie, reconnaît enfin sa responsabilité. (11)

Revenons à l'origine de ce drame.

En 1939, lorsque les armées russes envahirent la Pologne, elles firent entre 180 000 et 230 000 prisonniers polonais, dont environ 15 000 officiers. (56) (180)

Les officiers furent regroupés dans trois camps :

- le camp de Kozielsk n°1 avec 4500 officiers

- le camp de Starobielsk n°1 avec 3920 officiers

- le camp d'Ostachkov avec 6500 officiers (56)

Quant aux simples soldats, ils avaient été répartis dans toutes les régions de l'URSS et traités de la même façon que les déportés politiques russes, avec lesquels ils s'étaient trouvés souvent mêlés.
Employés aux travaux les plus accablants, soumis à des climats implacables, sans hygiène, ni soins médicaux, mourant littéralement de faim, on les vit accourir à l'appel du général polonais Anders (1892-1970) pour combattre contre les Allemands après l'attaque de juin 1941. (56)

Selon Alexandra Viatteau, sur les 230 000 prisonniers polonais fait par les Soviétiques en 1939, il n'y avait que 82 000 survivants en 1941. (180)
75 000 rejoignirent l'armée du général Wladyslaw Anders (1892-1970) et 7000 l'armée de Berling. (180)

Lorsque la guerre éclata, en septembre 1939, le général Anders fut engagé au combat contre les blindés de Fedor von Bock (1880-1945) et termina la campagne contre les Russes.
Il est blessé par eux près du village de Zatowka.
Puis il fut fait prisonnier par l'Armée Rouge. (52)

Le 4 août 1941, après avoir été douché et avoir reçu des vêtements propres, il fut amené dans un luxueux et vaste bureau aménagé dans la Loubianka où il rencontra Vsevolod Nikolaievitch Merkoulov et Lavrenti Pavlovitch Beria (1899-1953). (52)

Ce dernier lui dit alors :

-« Nous n'avons qu'un seul but, l'écrasement du reich. »

Ensuite, il lui annonça qu'aux termes d'un accord russo-britannique et d'un accord russo-polonais qui venait d'être conclu, tous les Polonais enfermés dans des prisons ou des camps soviétiques étaient amnistiés et seraient libérés sur-le-champ.
Une armée polonaise serait constituée dont le commandement en chef serait assuré, à la demande du gouvernement polonais de Londres par Anders. (52)
Par la suite, l'armée du général Anders combattit en Italie.
En 1944, les soldats polonais, au prix de lourdes pertes (4000 hommes) réussirent à prendre d'assaut le monastère de Monte Cassino.

Le 6 octobre 1941, Jan Kot, ambassadeur polonais à Londres, rencontre Andrei Ianourievitch Vychinski (1883- 23 novembre 1954) :

-KOT. Je me permets de vous soumettre quelques chiffres : le nombre des officiers polonais faits prisonniers par l'Armée Rouge et déportés dans différentes parties du territoire russe est grosso modo de neuf mille cinq cents.
Or, aujourd'hui, nous n'en avons récupéré que deux mille.
Que sont devenus les sept mille cinq cents qui nous manquent ?
Nous savons, par exemple, que plus de quatre mille officiers ont été emmenés des camps de Starobielsk et de Kozielsk vers une destination inconnue.
Entre nous et ces hommes disparus, se dresse un mur infranchissable.
Aidez-nous, monsieur le ministre à vaincre ce mur.

-VYNCHINSKI. Il faudrait tenir compte des circonstances, monsieur l'ambassadeur.
Depuis 1939, d'énormes changements se sont produits.
Des populations entières ont quitté leurs régions natales pour s'établir ailleurs, alors, que dire des individus.
Nous avons libéré un grand nombre de vos hommes, certains ont trouvé du travail, d'autres sont rentrés chez eux...

-KOT. Si l'un de ces officiers avait été vraiment libéré, il se serait aussitôt mis en rapport avec nous.
Il ne s'agit ni d'enfants, ni de criminels obligés de se cacher.
Il m'est impossible de ne pas supposer qu'ils se trouvent toujours en Russie soviétique. (15)

En novembre 1941, Kot obtient une audience de Staline.

Nous allons voir l'hypocrisie de ce dernier :

-KOT. Monsieur le président, vous êtes sans doute le véritable promoteur de l'amnistie accordée aux citoyens polonais vivant sur le territoire soviétique.
Accepteriez-vous d'insister auprès de votre administration pour que votre noble geste soit réellement appliqué ?

-STALINE. Voulez vous dire par là qu'il reste encore, chez nous, des Polonais en captivité ?

-KOT. En ce qui concerne le camp de Starobielsk dissous en 1940, nous n'avons pas retrouvé un seul homme.

-STALINE. Je vous promets d'ordonner une enquête.
Remarquez qu'on voit souvent des choses bizarres, lors de ces libérations collectives...

-KOT. Je vous demanderai néanmoins, Monsieur le président, d'ordonner la mise en liberté de nos officiers dont nous avons besoin pour encadrer notre nouvelle armée.
Des documents en notre possession établissent des dates auxquelles ces officiers furent emmenés des camps.

-STALINE. Vous possédez des listes détaillées ?

-KOT. Tous les noms ont été notés, alphabétiquement, par les commandants russes des camps ; c'est d'après ces listes qu'ils procédaient chaque jour à l'appel des prisonniers.
En plus, la NKVD avait ouvert, pour chaque officier, un dossier individuel.
Or, si nous prenons par exemple l'armée commandée en 1939 par le général Anders, aucun de ses officiers d'état-major n'a été retrouvé.

Staline hoche la tête, décroche le téléphone et demande le service central de la N.K.V.D.

-Staline à l'appareil : veuillez me faire savoir si tous les prisonniers polonais ont été libéré ?

Il raccroche, se tourne de nouveau vers Kot et, tranquillement, aborde un sujet différent.
Au bout de quelques minutes, le téléphone sonne. Staline écoute une longue explication que lui donne l'homme de la N.K.V.D, puis, sans avoir prononcé une parole, il repose le combiné... pour revenir au même sujet.
Le mystère de la disparition des officiers polonais reste entier. (15)

En décembre 1941, Staline affirmera aux généraux polonais Sikorski et Anders, qu'il ne reste plus un seul polonais dans les camps ou prisons soviétiques (15)

Wladyslav Sikorski (1881-1943) fut chef du gouvernement polonais de 1922 à 1923 et ministre de la guerre de 1924 à 1925.
Il se retira en France après le coup d'état du maréchal Jozef Pilsudski (1867-1935) en 1926.

Ecoutons également le témoignage du général Anders (1892-1970) :

-« Dès ma libération de prison, j'ai essayé de retrouver mes soldats de Starobielsk, Kozielsk et Ostachkov.
J'ai toujours reçu des réponses évasives des autorités soviétiques.
Le commandant en chef, général Sikorski, au cours de sa visite à Moscou, en appela personnellement à Staline : il lui fut répondu que les prisonniers polonais avaient dû s'évader.
Pour ma part, pendant tout le temps de mon séjour en URSS, j'ai fait, pour découvrir quelques informations sur leur sort, les plus grands efforts auprès des autorités soviétiques et auprès de Staline lui-même.
J'ai envoyé des gens à leur recherche dans toutes les directions.
Au cours d'entretiens privés, quelques-uns des hauts fonctionnaires soviétiques déclarèrent qu'une erreur fatale avait été commise dans cette affaire. »

Bien évidemment Staline a menti aussi bien à Kot, qu'à Sikorski et Anders.

Il suffit de lire le rapport de Beria du 5 mars 1940 pour en être persuadé :



Rapport de L.P. Beria
Commissaire du Peuple aux Affaires de l'Intérieur de l'URSS
au sujet des agitateurs détenus en URSS
5 mars 1940

Au camarade Staline

Dans les camps de prisonniers de guerre du NKVD de l'URSS et dans les prisons des parties occidentales de l'Ukraine et de la Biélorussie sont actuellement détenus un grand nombre d'anciens officiers de l'armée polonaise, d'employés de la police polonaise et des services de renseignement, de membres de partis polonais nationalistes contre-révolutionnaires, de membres d'organisation de résistance contre-révolutionnaire ouverte, de fugitifs et d'autres.
Tous sont des ennemis jurés de l'autorité soviétique, pleins de haine pour le système soviétique.

Les officiers et policiers prisonniers de guerre, qui se trouvent dans les camps tentent de poursuivre leur travail contre-révolutionnaire, font de l'agitation anti-soviétique.
Chacun d'eux attend seulement d'être libéré pour pouvoir participer à la lutte contre le pouvoir soviétique.

Les organes du NKVD dans les régions occidentales de l'Ukraine et de la Biélorussie ont découvert plusieurs organisations insurrectionnelles contre-révolutionnaires.
Dans toutes ces organisations contre-révolutionnaires, les anciens officiers, policiers et gendarmes jouaient un rôle dirigeant actif.
Parmi les fugitifs arrêtés et les personnes ayant violé la frontière d'Etat, on a également découvert un nombre considérable de personnes qui sont membres d'organisations d'espionnage et insurrectionnelles contre-révolutionnaires.

Dans les camps de prisonnier de guerre on compte en tout (sans inclure les soldats et les sous-officiers) 14 736 anciens officiers, fonctionnaires, propriétaires terriens, policiers, gendarmes, gardiens de prison, colons et agents de renseignement, à 97% de nationalité polonaise.

Parmi eux, on compte :

. généraux, colonels et lieutenants-colonels 295
. commandants et capitaines 2080
. lieutenants, sous-lieutenants et aspirants 6049
. officiers et responsables de police, de gardes frontières et de gendarmerie 1030
. simples policiers, gendarmes, gardiens de prison et agents de renseignement 5138
. fonctionnaires, propriétaires terriens, prêtres et colons 144.

Dans les prisons occidentales de l'Ukraine et de la Biélorussie se trouvent 18 632 personnes arrêtées (dont 10 685 polonais), dont :

. anciens officiers 1207
. anciens policiers, agents de renseignements et gendarmes 5141
. espions et saboteurs 347
. anciens propriétaires terriens, industriels et fonctionnaires 465
. membres de diverses organisations insurrectionnelles contre- révolutionnaires et autres éléments contre-révolutionnaires 5345
. fugitifs 6127.

Partant du fait qu'ils sont tous des ennemis endurcis, incorrigibles, du pouvoir soviétique, le NKVD de l'URSS estime nécessaire de :

I. confier au NKVD de l'URSS :

1. les cas des 14 700 personnes qui se trouvent dans les camps de prisonniers de guerre, anciens officiers polonais, fonctionnaires, propriétaires terriens, policiers, agents de renseignement, gendarmes, colons et criminels ;

2.ainsi que les cas de 11 000 personnes arrêtées, détenues dans les prisons des régions occidentales de l'Ukraine et de la Biélorussie, membres de diverses organisations contre-révolutionnaires d'espionnage et de subversion, anciens propriétaires terriens, industriels, anciens officiers polonais, fonctionnaires et fugitifs

à examiner suivant la procédure spéciale, avec application à leur encontre de la peine capitale par fusillade.

II. L'examen de ces cas doit être fait sans convoquer les personnes arrêtées et sans leur communiquer l'accusation, ni la décision de clore l'enquête ni la condamnation finale selon la procédure suivante :

1. pour les personnes qui se trouvent dans les camps de prisonniers de guerre, en utilisant les documents présentés par la direction pour les prisonniers de guerre du NKVD de l'URSS ;

2.pour les personnes arrêtées, en utilisant les documents des dossiers présentés par les NKVD de la RSS d'Ukraine et la RSS de Biélorussie.

III. confier l'examen des dossiers et l'exécution de la sentence à la troïka composée des camarades Merkolov, Koboulov et Bachtakov.

LE COMMISSAIRE DU PEUPLE POUR LES AFFAIRES DE L'INTERIEUR DE L'UNION DES RSS

Rapport approuvé et contresigné par les camarades I.Staline, K.Vorochilov (1881-1969), V.Molotov (1890-1986), A.Mikoyan (1895-1978), Kalinine (1875-1946) et Kaganovitch

La vérité, du moins pour les Polonais, viendra en 1943, plus précisément le 13 avril par Radio Berlin :

-« Nous avons reçu une dépêche de Smolensk nous informant que les habitants du pays ont indiqué aux autorités allemandes un endroit où les bolcheviks avaient organisé des exécutions secrètes massives et où 10 000 officiers polonais avaient été assassinés par la Guépéou.
Les autorités allemandes se sont donc rendu à un endroit appelé Kozogory la colline des chèvres, station climatique située à 10 kilomètres à l'ouest de Smolensk, où une découverte atroce a été faite.
Il s'agit d'un fossé de 28 mètres sur 16 sur lequel étaient empilés, en douze couches, les cadavres de 3000 officiers polonais vêtus de leur uniforme ; certains étaient ligotés, tous avaient des blessures par balle de pistolet dans la nuque.
Il n'y aura aucune difficulté à identifier ces cadavres car grâce à la nature du sol, ils sont complètement momifiés et les Russes ont laissé sur eux tous leurs papiers personnels.
Il a été établi dès aujourd'hui que le cadavre du général Smoravinski, de Lublin, a été découvert parmi ceux d'autres officiers assassinés.
Ces officiers se trouvaient précédemment dans un camp à Kozelsk, près d'Orel ; en février-mars 1940, ils avaient été amenés en wagons à bestiaux jusqu'à Smolensk, où ils furent assassinés par les bolcheviks.
La recherche d'autres charniers se poursuit.
De nouvelles couches de cadavres se trouvent encore sous celles déjà découvertes.
On pense que le nombre des officiers assassinés se monte à 10 000, ce qui représenterait la totalité des officiers faits prisonniers par les Russes. » (7)

Bien avant, la découverte macabre faite par les Allemands ; les Anglais et les Polonais doutaient de retrouver les officiers manquants.

Le 14 août 1941, la Pologne et l'URSS signèrent un accord militaire.

Churchill écrivit à ce propos :

-« Le général Anders et d'autres généraux polonais, détenus jusque-là dans des prisons soviétiques où ils subissaient un régime sévère qui allait parfois jusqu'au coups, se virent soudain laver, habillés, congratulés et nantis de commandements importants dans les forces polonaises.
Les Polonais qui s'inquiétaient depuis longtemps du sort de nombreux détenus dans les trois camps d'internement (Kozielsk, Starobielsk, et Ostachkov), demandèrent leur élargissement.
Mais aucun prisonnier de ces trois camps, à présent englouti par le déferlement allemand, ne put être retrouvé.
Au reste, les dirigeants polonais se rendirent compte à diverses occasions de l'embarras des officiels soviétiques. »

Lors d'une conversation entre la lieutenant-colonel Berling (de l'état-major général polonais) et Vsevolod Nikolaievitch Merkoulov (directeur du N.K.G.B - Norodnyi Kommissariat Gosudarstvennoi Bezopasnosti- Commissariat du Peuple à la sécurité de l'Etat) ; Berling déclara qu'il existait d'excellents cadres pour la nouvelle armée polonaise dans les camps de Starobelsk et de Kozelsk :

-« Non, laissa échapper Merkoulov, pas ceux-là.
Nous avons commis une bien lourde erreur en ce qui les concerne. »

Bien évidemment, les Soviétiques vont contester cette version.

Le 14 avril 1943, l'agence TASS annonce que :

-« Les prisonniers polonais en question étaient internés au voisinage de Smolensk dans des camps spéciaux et employés à la construction des routes.
Il fut impossible de les évacuer au moment de l'approche de la Wehrmacht, si bien qu'ils tombèrent aux mains des troupes du reich.
Si donc, on les a retrouvés assassinés, cela signifie qu'ils l'ont été par les Allemands qui, pour des raisons de provocation évidentes, assurent maintenant que ce crime est le fait des autorités soviétique. » (7)

En apprenant ce massacre, le général Sikorski demanda à la Croix-Rouge internationale d'effectuer une enquête.

Le 25 avril 1943, l'URSS prit prétexte de la requête de Sikorski pour rompre avec le gouvernement polonais précisant que le gouvernement polonais actuel, en entrant dans la voie d'une entente avec le gouvernement d'Hitler, a cessé, en fait d'entretenir des rapports d'alliés avec l'Union soviétique et qu'il a adopté envers elle une attitude hostile. (52)

Le 4 juillet 1943, le général Sikorski (1881-1943) périt dans un accident d'avion à Gibraltar, du moins probablement, alors qu'il revenait d'une inspection au moyen-orient. (52)

Le général de Gaulle (1890-1970) lui rendra hommage :

-«Cet homme éminent, qui jouissait d'assez de prestige pour dominer les passions de ses compatriotes, d'assez d'audience internationale pour qu'on dût le ménager, était irremplaçable. » (52)

Bien évidemment la Grande-Bretagne ne voulant pas créer d'incidents diplomatiques avec son nouvel allié, la BBC diffusa le 15 avril 1941, la déclaration suivante :

-« Dans un communiqué diffusé aujourd'hui, Radio Moscou nie catégoriquement et officiellement les informations propagées par les Allemands sur le prétendu assassinat des officiers polonais par les autorités soviétiques.
Ces mensonges allemands montrent bien le sort qui attendait ces officiers que les Allemands employèrent, en 1941, à des travaux de construction. » (7)

En 1943, dans un rapport rendu public en juillet 1972 établi par Owen O'Malley, ambassadeur de la Grande-Bretagne auprès du gouvernement polonais en exil, la responsabilité des Soviétiques dans le massacre de Katyn est révélée. (86)

A la fin de la guerre, un magistrat de Cracovie, le procureur Roman Martini dirigea une enquête sur ce massacre.
Martini réussira à retrouver les noms des officiers de la NKVD, responsable de ces crimes.
Mais le 28 mars 1946, il est assassiné par deux membres du comité pour l'Amitié Russo-polonaise. (15) (180)

Le lieutenant-colonel Van Vliet, un américain prisonnier des Allemands, fit partie en 1943 d'un groupe de prisonniers que les autorités nazies amenèrent à Katyn pour leur montrer le charnier.

En 1945, rentré aux Etats-Unis, Van Fliet rédige un rapport dans lequel il note :

-« Je détestais les Allemands, mais je dois avouer que dans cette affaire, ils disaient la vérité ». (15)

En 1951, Van Vliet raconta son aventure en Russie.
A la suite de cette publication, le congrès américain demanda une enquête.
A la fin de décembre 1952, la commission devait conclure à la culpabilité des Soviétiques après avoir entendu quatre-vingt un témoins, reçu une centaine de communications et examinée cent quatre vingt trois documents. (85)

Le mardi 17 octobre 1989, la télévision de Varsovie diffusa un film intitulé Katyn.

Dans ce film, Van Vliet affirma :

-« J'ai tout de suite compris que les officiers polonais avaient été assassinés par les Soviétiques.
Pour le prisonnier de guerre que j'étais, il suffisait de regarder les chaussures des victimes pour se rendre compte qu'ils n'avaient pas passé plus de quelques mois dans le camp. » (85)

En 1948, le général Anders fit paraître à Londres un recueil de textes intitulés Les crimes de Katyn à la lumière des documents où il affirme la culpabilité soviétique.

En 1956, Nikita Khrouchtchev aurait proposé à Wladyslaw Gomulka (1905-1982) de révéler au monde que Katyn avait été ordonné par Staline et Beria.
Gomulka refusa, dit-on, craignant une explosion de haine antisoviétique. (180)

Wladyslaw Gomulka (1905-1982) fut Secrétaire général du Parti ouvrier unifié polonais de 1943 à 1948, il fut victime du stalinisme et ne retrouva son poste qu'en 1956, après plus de quatre années d'emprisonnement.
Partisan d'une certaine libéralisation, il ne sut la réaliser et dut démissionner en 1970 à la suite des émeutes des ports de la Baltique.

En 1959, Alexandre Nikolaievitch Chelepine (1918-1994), directeur du KGB de 1958 à 1961, écrivit dans un rapport demeuré secret jusqu'en 1992, que sur l'ordre de Staline, 21 857 Polonais furent fusillés.
Il proposait également dans ce rapport de détruire les fiches individuelles des 21 857 Polonais exécutés car ces fiches ne représentaient aucun intérêt opérationnell ni aucune valeur historique.

Chelepine présida également les syndicats soviétiques, dont le rôle consistait à enrégimenter les travailleurs et à fomenter la subversion dans les mouvements syndicaux à l'étranger. (50)

Il fut également premier secrétaire du Komsomol (union des jeunesses communistes léninistes).
Il s'agissait d'un organisme, fondé en 1918, regroupant les jeunes de 14 à 28 ans. (49)

Chélépine fut nommé en 1961, secrétaire du comité central.
En 1962, il est président du comité de contrôle du Parti et de l'Etat.
Il fut l'un des responsables de la chute de Khrouchtchev.

L'aveu de culpabilité de l'URSS viendra en 1990, donc peu de temps avant son effondrement, mais son attitude lors du procès de Nuremberg fesait déjà douter de son innocence.

Nous savons maintenant que ces officiers polonais furent assassinés en mars et avril 1940.

Les Soviétiques espéraient faire attribuer Katyn aux Allemands lors du procès de Nuremberg.
Ils espéraient que le rapport sur lequel ils fondaient leur accusation serait acceptée sans discussion et que la culpabilité serait considérée comme acquise.
Mais les Américains désiraient au contraire que les droits des défenses fussent respectées.

Pour l'accusateur soviétique, le colonel Pokrovsky :

- « Les médecins légistes estiment le nombre total de corps à onze mille.
L'énorme matériel mise à la disposition de la commission, notamment les dépositions de plus de cent témoins, les constatations des experts médicaux, les documents et autres pièces à conviction, permettent d'établir avec certitude les points les points suivants :

- Les Polonais prisonniers internés dans trois camps à l'ouest de Smolensk et qui, jusqu'à l'agression hitlérienne, travaillaient à la réfection des routes, sont restés sur place même après l'arrivée des forces allemandes, jusqu'à la fin septembre 1941.

- Au cours de l'automne 1941, les autorités allemandes procédèrent, dans la forêt de Katyn, à des exécutions massives de ces mêmes prisonniers polonais.

- Les exécutions étaient l'½uvre d'un service militaire allemand camouflé sous le nom de Etat-major du 537 ème bataillon de génie, et commandé par le lieutenant colonel Arnes et ses adjoints directs, les lieutenants Rex et Hott.

- Au printemps 1943, les autorités d'occupation allemandes ont transporté à Katyn les cadavres des prisonniers polonais qu'ils avaient fusillé ailleurs.
Les corps furent enterrés dans les fosses du charnier de Katyn, afin d'effacer les traces de la bestialité germanique et d'accroître le nombre des victimes des atrocités bolcheviques à Katyn.

- Les constatations médicales établissent de manière incontestable la date des premières exécutions : automne 1941. »

Du fait de l'équité du procès, la version soviétique fut mise à mal par de nombreux témoins, notamment par le général allemand Oberhauser.

Ecoutons son témoignage :

- Oberhauser. Les morts de Katyn avaient été abattus d'une balle dans la nuque, c'est-à-dire au revolver ou au pistolet.
Dans mes unités de transmissions, il y avait tout au plus un revolver par sous-officier, donc, pour l'ensemble du 537 ème régiment, cent cinquante revolvers.

- Smirnov (l'accusateur soviétique). Pourquoi considériez-vous que cent cinquante revolvers sont insuffisants pour un tel massacre ?

-Oberhauser. Parce que le régiment de transmissions d'un groupe armées couvrant un espace aussi vaste est terriblement éparpillé.
En l'occurrence, les unités du 537 ème étaient réparties entre Kolodov et Witebsk, sur un front de plus de cinq cents kilomètres.
Par conséquent, les cent cinquante revolvers ne se trouvaient jamais réunis au même endroit. (15)

Le tribunal de Nuremberg interrogea également le colonel Ahrens.
Selon ce dernier, s'il existait effectivement une unité appelée 537 ème régiment de transmissions, il ne connaissait pas l'existence du 537ème bataillon de génie.

Henri de Montfort posa une question fondamentale sur Katyn :

-« Si les assassinats avaient été commis par les Allemands, ne couraient-ils pas le risque, en annonçant en 1943, les massacres et en fixant la date de ceux-ci à mars-mai 1940, de se voir pris à leur propre piège : car comment auraient-ils pu être sûrs que ces officiers de Kozielsk avaient cessé de correspondre avec leur famille à cette date. »

Alexandra Viatteau écrivit dans son ouvrage Comment a été traitée la question de Katyn à Nuremberg qu' :

- « Après l'interrogatoire des criminels de guerre nazis, ainsi que des chefs du 537 ème régiment des transmissions allemand stationné fin août 1941, près de Katyn et la délibération des juges qui conclurent après avoir entendu le colonel Ahrens et les officiers du régiment, à l'impossibilité de retenir contre le chef d'accusation du massacre de Katyn, ce chef d'accusation fut retiré et ne figure donc pas dans le verdict rendu le 30 septembre 1946 à Nuremberg.
Le jugement de Nuremberg est, de fait, un verdict dans l'affaire de Katyn.
Il y avait deux meurtriers présumés responsables du crime.
A la fin du procès, accablant sur les autres points, on dut abandonner les charges contre un suspect, bien qu'il fût au moment du jugement en position de faiblesse face à l'autre qui faisait partie des juges et des vainqueurs.
On s'abstint d'accuser l'autre suspect, devenu allié en juin 1941, mais en procédant par cette simple élimination, le coupable était logiquement désigné, puisque l'armée polonaise n'avait pas commis de suicide collectif cela au moins était sûr, et qu'elle n'était pas partie en Mandchourie, comme l'avait prétendu Staline en 1941, avant la découverte du charnier. » (34)

Annette Wieviorka dans son ouvrage Le procès de Nuremberg précise que :

- « Katyn disparaît simplement du jugement, ce qui constitue en quelque sorte l'aveu tacite de la culpabilité soviétique. » (35)

Pour Heydecker et Leeb :

-« Jamais encore, dans l'histoire de l'humanité, autant de crimes monstrueux n'ont été reprochés à un aussi petit nombre d'accusés.
Pourtant, la cour, dans son verdict, refusera de tenir compte de certains forfaits.
Elle estimera en effet que les preuves soumises par l'accusation sont insuffisantes pour établir nettement la culpabilité des chefs nazis.
C'est notamment le cas dans l'affaire de Katyn, qui se terminera par la victoire totale de la défense. » (15)

Ils rajoutent également :

-«De toute manière, l'accusation soviétique n'insistera plus sur l'affaire de Katyn.
Cet abandon constitue-t-il un aveu ?
A Nuremberg, bien des gens en sont persuadés. » (15)

Léon Poliakov (1910-1987) écrivit dans son ouvrage Le procès de Nuremberg :

-« Le procès de Nuremberg paraissait tirer sa conclusion, puisque dans son verdict, il ne parlait pas de cette affaire, et ne la mettait donc pas à la charge des Allemands.
A l'Est, le gouvernement communiste polonais composé par Moscou, le gouvernement Bierut (Boleslav Bierut de son vrai nom Krasnodebski 1892-1956), ne mentionna même pas le nom de Katyn dans la liste des crimes allemands commis en Pologne, et cela peut être considéré comme un aveu. » (104)

Jean - Marc Varaut écrivit qu'à l'issu du procès :

-« L'impression générale est que Staline a fait assassiner préventivement l'encadrement de l'armée polonaise.
L'affaire de Katyn ne sera pas reprise par le tribunal dans on jugement.
L'Union soviétique n'insistera plus sur l'affaire, sans jamais reconnaître le crime.
Et le gouvernement communiste polonais ne mentionne pas le nom de Katyn dans la liste des crimes allemands commis en Pologne. » (106)

Dans ses Mémoires de Guerre - l'Unité, publié en 1956, le général de Gaulle (1890-1970) écrivit :

-« Du coup, les Polonais se livraient, de nouveau, à l'aversion et à la crainte que leur inspiraient les Russes.
Au printemps de 1943, ils les avaient officiellement accusés, non sans apparence de raison, d'avoir, trois ans auparavant, massacré dans la forêt de Katyn 10 000 de leurs officiers prisonniers.
Staline, irrité, avait suspendu les relations diplomatiques. » (68)

Jacques Mordal constate que :

-« Le malaise ne fit que s'accentuer.
Pour l'univers entier, la culpabilité soviétique ne paraissait faire aucun doute.
Mais il n'est pas moins remarquable que la riposte russe a été étrangement lente.
Entre la défense et l'accusation qui se jetaient leurs faux témoignages à la tête, les juges de Nuremberg n'ont jamais fait connaître le fond de leur pensée.
Mais la sentence finale ne fait pas allusion à l'affaire de Katyn, retenue cependant dans l'accusation.
Autant dire qu'elle acquittait les Allemands de ce fait.
Allez d'ailleurs à Varsovie interroger l'homme de la rue...» (108)

Pour Jerrard Tickell :

-« Au procès de Nuremberg, le massacre de Katyn figurait dans l'acte d'accusation de Goering et d'autres dirigeants nazis.
Mais mes alliés vainqueurs décidèrent de disjoindre cette affaire du fond et l'on ne l'étudia jamais en détail.
Au reste, le gouvernement soviétique ne profita pas de l'occasion pour se disculper, alors même que les soupçons les plus graves pesaient sur lui.
Dans le texte de l'arrêt final du tribunal international, Katyn n'est même pas mentionné.
Chacun est libre de tirer ses propres conclusions. » (7)

Enfin, pour Olivier Guichard (1920-2004) :

-« Comment peut-on faire juger des hitlériens par des Staliniens ? » (134)

Pendant presque cinquante-ans, les Soviétiques utiliseront la désinformation pour nier Katyn.

Par exemple, dans le numéro 71 d'HISTORIA magazine 2ème guerre mondiale de mars 1969, Arkady Poltorak, docteur en droit et maître de recherches à l'institut des sciences politiques et juridiques de l'Académie des sciences d'URSS, écrivit un article prétendant innocenter l'URSS:

-« La Wehrmacht avait subi des défaites catastrophiques sur l'ensemble du front germano-soviétique.
Le désastre de Stalingrad s'était déjà produit.
L'Allemagne allait visiblement à sa perte.
C'est dans ces circonstances que Hitler recourut à la provocation de Katyn, en prétendant que les autorités soviétiques avaient assassiné les prisonniers au printemps de 1940.
Agir de cette façon avait évidemment pour objectif de dresser les Polonais contre les Soviétiques et de semer la discorde dans le camp allié.
Et c'est ainsi que commença l'opération Katyn. »

Il faudra attente les années 80 pour entendre un son de voix plus réaliste du coté soviétique.

En 1989 Les Nouvelles de Moscou dans un article intitulé Les secrets de la forêt de Katyn, publie une série de témoignages sur la découverte du charnier de Katyn :

-Un habitant de Gnezdova, le village le plus proche se rappelle qu'En 1943, deux habitants du village ont raconté aux Allemands qu'ils savaient où les nôtres avaient fusillé les Polonais.
Les soldats allemands ayant emmené les villageois sur place, ils les ont forcé à creuser le sol.
On a d'abord trouvé dix-sept Soviétiques évangélistes, puis trois cents polonais et enfin dix-huit Soviétiques parmi lesquels des femmes.
Les Allemands ont fait enterrer les Polonais à part, mais auparavant, ils ont analysé tous les restes pour déterminer l'origine de leurs blessures.

Les témoignages recueillis par l'hebdomadaire relèvent également que la forêt de Katyn avait été utilisée dès les années 30 comme cimetière pour les victimes des purges staliniennes, avant le massacre de Katyn.
Des camions amenaient régulièrement des cadavres tués par balles dans la forêt pour les y enterrer, en 1935, bien avant la guerre, racontent les habitants cités par Les nouvelles de Moscou. (10)

La publication de cet article par cet hebdomadaire soviétique représente tout un symbole car ce journal et bien sur ses journalistes furent les victimes parmi tant d'autres du stalinisme.
Ce journal fut crée le 5 octobre 1930 par une américaine Anna Louise Strong.
Mais la liberté de ton de ce journal ne fut pas apprécié à sa juste valeur par Staline.
Le rédacteur en chef du journal, Mikhail Borodine est exécuté en 1951.
Anna Louise Strong est arrêtée, puis expulsée en 1949 sous l'accusation d'espionnage.
Le journal cessa de paraître entre 1949 et 1956.
Anna Louise Strong est morte à Pékin en 1970 à l'age de 84 ans. (46)

Six éléments prouvent indéniablement la culpabilité soviétique dans le massacre de Katyn :

-1° Les officiers polonais incarcérés à Kozielsk ont cessé de donner de leurs nouvelles à leur famille après mars-avril 1940.

-2° La liste des 2730 officiers polonais identifiés à Katyn, grâce aux papiers retrouvés sur les cadavres correspond très exactement à une partie de la liste des anciens prisonniers à Kozielsk.

-3° Alertées dès l'été 1941, par les Polonais libres, les autorités soviétiques se sont montrées incapables de dire ce qu'il est advenu des ex-prisonniers de Kozielsk, Starobielsk et Ostachkov.

-4° Interrogés des l'automne 1940 sur le sort des officiers polonais, des responsables soviétiques de haut rang parlent d'une faute lourde qui a été commise à leur égard.

-5° Les paysans de la région ont témoigné que les prisonniers polonais avaient été conduits en camions dans la forêt de Katyn en mars-avril 1940 par les Russes et qu'on ne les avait jamais revus.

- 6° Le tribunal de Nuremberg, malgré la plainte soviétique, refusa de mettre Katyn à la charge de l'Allemagne. (56)

Le père de Wojciech Jaruzelski (ministre de la Défense en1968, puis en 1981 Premier ministre et secrétaire général du Parti ouvrier unifié polonais et enfin Président de la République en 1989) fut assassiné à Katyn.
Le jeune Jaruzelski fut ,avec sa mère, déporté en Sibérie.
Sa mère n'en est pas revenue.

Sur cette tragédie, Michel Déon nous donne son point de vue :

-« C'est une certitude, croyez-moi.
Une fois de plus, les communistes se montrent d'une lâcheté vomitive.
Je les admirerais s'ils acceptaient et revendiquaient le massacre de Katyn au nom de la Révolution et de ses intérêts supérieurs.
Pour maintenir la Pologne sous son joug et en faire l'alliée docile qu'elle est aujourd'hui, il fallait passer sur le corps de ces 10 000 hommes, les cadres de la nation polonaise, ceux qui auraient mené la résistance contre tous les occupants, soviétiques ou allemands.
Il n'y avait pas d'autre alternative, et en cela les communistes voient justes. » (152)

Sur 230 000 prisonniers polonais faits par l'Armée Rouge, il y aura 82 000 survivants, soit seulement 35 %.
N'oublions pas que dans la zone soviétique, 1 500 000 Polonais seront déportés en Russie et en Sibérie durant l'hiver 1939/40.

Par contre, les populations civiles juives furent repoussés vers les armées allemandes, qui les internèrent et les massacrèrent. (39)

Aujourd'hui, nous savons que c'est Staline, à la suite d'un rapport de Beria daté du 5 mars 1940, qui ordonna la liquidation des officiers polonais.

Le NKVD avait noté les adresses des familles des prisonniers qui avaient pu maintenir le contact avec leurs proches.
Ces familles furent inscrites dans les registres des Polonais destinés à la grande déportation d'avril 1940 vers la Sibérie et le Kazakhstan, ainsi qu'aux suivantes, notamment celles de juin et juillet 1940, qui, en s'ajoutant à celle de février, touchèrent près de 1 800 000 personnes dont peu survécurent. (156)

Par ordre secret n° 0011365 du 25 octobre 1940, fut dressée une liste des primes signée par Lavrenti Beria en personne.
Ce document accordait à 44 fonctionnaires du NKVD une prime mensuelle de 800 roubles chacun pour avoir exécuté de manière efficace des devoirs spéciaux. (156)

Nous allons entendre maintenant le témoignage d'anciens fonctionnaires du NKVD.

Pour Klimov :

-« Ce sont les nôtres qui ont fusillé les Polonais en 1940.
Et aussi une partie des religieux polonais qui ont été abattus dans les caves du NKVD à Smolensk. » (156)

Pour Tokariev :

-« Quand les Moscovites ont fini le massacre, ils ont fait un banquet, mais je n'y suis pas allé.
On tuait tous les jours, même le 1er mai.
250 hommes par jour, tout un mois.
Même le 1er mai. » (156)

Pour conclure, les principaux responsables de ce massacre connurent un sort dramatique.

Officiellement Beria fut jugé à huis clos le 18 décembre 1953 par un tribunal que présidait le maréchal Koniev (1897-1973) et fusillé le 23 décembre 1953. (175)
Son collègue Merkoulov fut également exécuté en 1953. (180)

Raikhmann a été arrêté en 1951, relâché, puis arrêté à nouveau en 1954 et abattu alors qu'il tentait de s'enfuir. (180) (152)
Kruglov et Fedorov ont réussi à quitter l'URSS. (152)
Mais par la suite, ils furent retrouvés et assassinés.

Pour terminer le dossier Katyn, je vous donne l'extrait d'un article paru récemment dans la presse :

-«La Pologne ouvrira sa propre enquête sur le massacre d'officiers polonais par la police politique de Staline en 1940 à Katyn, a annoncé mardi l'institut polonais IPN chargé d'enquêter sur les crimes nazis et staliniens.
Les familles des victimes s'impatientent de la lenteur de la justice russe qui mène depuis quatorze ans sa propre enquête. » (270)

Un autre drame dont les Soviétiques portent une lourde responsabilité est la bataille de Varsovie.

2° LA BATAILLE DE VARSOVIE

Varsovie : ville martyre.
Elle connut deux insurrections : celle de 1943 et celle de 1944.
Nous parlerons de la seconde.

Mais rendons quand même aux juifs du ghetto de Varsovie qui se soulevèrent le 19 avril 1943.
Depuis le 1er décembre 1940, un mur de 18 kilomètres les a isolés du reste du monde.
Les Allemands ont entassé là près de 380 000 personnes (39% de la population de la ville sur 8% seulement de la superficie totale de la capitale). (243)

Le pire dans tout cela est l'indifférence des démocraties à la Shoah !
Le 27 avril 1943, les révoltés pressent Arthur Zyngielbojm, qui représente le Bund auprès du gouvernement polonais en exil, de convaincre les alliés d'exercer des représailles immédiates :

-« Au nom des millions de juifs qui sont déjà mort, au nom de ceux qui sont assassinés dans les flammes, au nom des héroïques combattants et en notre nom à tous ceux qui sont promis à la mort, nous en appelons au monde entier.
Les alliés doivent prendre conscience de la responsabilité historique qui rejaillirait sur eux s'ils restaient sans réaction face à un crime qui n'eut jamais d'équivalent perpétré par les criminels hitlériens contre tout un peuple tout près de périr. » (243)

Comme d'habitudes, les alliés ne font rien !
Je ne parlerais pas du Vatican.
Il suffit de voir le film de Costa-Gavras Amen sortie en 2001 .

Le 12 mai 1943, Arthur Zyngielbojm se suicide :

-« Par ma mort, je voudrais une dernière fois protester contre la passivité d'un monde qui admet et assiste à l'extermination du peuple juif. »

Les combats s'achevèrent le 16 mai 1943.
56 065 juifs perdirent la vie. (231)

Juste une petite parenthèse, qui je l'espère pourra intéresser le lecteur curieux, le mot ghetto vient du nom d'un quartier de Venise dans lequel la communauté juive fut confinée en 1516.

A la fin juillet 1944, après une avancée spectaculaire, l'Armée rouge arrive aux portes de Varsovie.

Le 1 er août 1944 commence l'insurrection polonaise décidée la veille par le général Komarowski.

Le 3 août 1944, l'armée rouge s'arrête, en ayant atteint le faubourg de Praga devant Varsovie.

Le 5 août 1944, Henrich Himmler (1900-1945) exigea une répression terrifiante en édictant un décret interdisant de faire des prisonniers et recommandant de tuer tout les habitants :

-« Varsovie doit être rasée afin que rien ne reste debout de cette ville maudite.
Il convient de passer par les armes tous ses habitants, sans considération d'âge ou de sexe. » (82)

Le Colonel SS Geibel respecta ce décret à la lettre comme le montre les pertes polonaises.

En août 1944, les groupes de combat SS Kaminski et Dirlewanger furent engagés dans la répression de l'insurrection de Varsovie. (137)
Le groupe Dirlewanger du nom de son commandant était composé de condamnés, et de soldats passés en conseil de guerre, d'officiers dégradés, en sommes de tous les déchets de l'armée allemande.
D'ailleurs, les chefs de ce groupe n'avaient pas droit aux décorations, ni aux insignes de leur commandement.

Le groupe Kaminski du nom de son commandant, un ingénieur russe passé à la solde de l'Allemagne était composé d'Ukrainiens.
Kaminski avait d'abord été chargé du maintien de l'ordre dans le commissariat de la Russie blanche dirigé par Koch, et n'avait pas hésité à participer à des massacres de juifs. (137)

A Varsovie, ils se conduisirent avec une brutalité révoltante, accumulant les viols, les meurtres les plus raffinés, sans parler de pillage.
Les Ukrainiens, qui détestaient les Polonais, s'en donnèrent à c½ur joie.

Le général Guderian, indigné, réussit à émouvoir Hitler, qui retira les deux unités de la bataille de Varsovie.
Kaminski disparut, probablement fusillé.

Quant à Dirlewanger, qui avait pourtant reconnu avoir perdu le contrôle de ses hommes, il s'en tira, grâce à la protection de Himmler, avec un nouvel avancement. (137)

Le 11 août 1944, Churchill écrivit à Staline :

-« C'est vraiment très étrange de constater que l'armée soviétique a arrêté sa propre offensive et se soit repliée à une certaine distance, juste au moment où l'armée clandestine polonaise commençait l'insurrection. »

La réponse de Staline est édifiante :

-« Le commandement soviétique est arrivé à la conclusion qu'elle doit se dissocier de cette aventure de Varsovie, envers laquelle elle ne peut prendre aucune responsabilité directe ou indirecte. »

Le 13 août 1944, Moscou dénonce les criminels de guerre qui mènent l'insurrection.

Le 2 octobre 1944, les Polonais doivent capituler.

L'AK (Armja Krajowa) perdu 22 000 hommes.
De plus, elle a eu 5000 blessés et 16 000 prisonniers.

Concernant la population civile, il y a eu entre 180 000 et 220 000 morts.
75% de la ville de Varsovie est détruit.

Quant aux Allemands, ils ont perdu 17 000 hommes.
Ils ont également eu 9000 blessés.

Le 7 janvier 1945, les Soviétiques prirent ce qui restait de Varsovie.

Deux théories existent sur le sujet de l'insurrection de Varsovie :

- La version soviétique prétendant que l'insurrection est arrivée trop tôt par rapport au tableau de marche de l'armée rouge.

- Celle des Polonais prétendant que Staline a laissé les Polonais se faire massacrer par les Allemands pour éviter une potentielle opposition après la défaite allemande.

Nous laisserons d'abord la parole aux soviétiques avec A.N Chimanski et le maréchal Konstantine Rokossovski (1896-1968).

Pour A.N.Chimanski :

-« Le but du soulèvement, comme l'ont d'ailleurs déclaré sans ambages, à l'époque, ceux qui l'organisèrent, était non pas d'aider l'armée Rouge, mais, bien au contraire, de la gêner.
Ces aventuriers estimaient qu'en s'emparant de la capitale ils pourraient prendre le pouvoir.
Il n'y a pas eu le moindre préparatif militaire ou technique ; les insurgés manquent d'armes et de munitions.
Les habitants de Varsovie interviennent dans la bataille, mais la lutte est trop inégale.
Les Polonais subissent des pertes effroyables, surtout en raison de leur manque d'expérience des combats.

Le gouvernement soviétique, qui n'est informé qu'au moment même du soulèvement, ne fait pas mystère de son attitude.

Dans une note au gouvernement britannique, en date du 16 août, il précise sa position :

L'affaire de Varsovie est une entreprise téméraire et démente, qui se solde par un véritable massacre de la population.
Les choses eussent été bien différentes si le commandement soviétique avait été prévenu avant le début de l'insurrection et si les Polonais avaient gardé le contact avec lui.
Mais les choses étant ce qu'elles sont, le commandement soviétique est arrivé à la conclusion qu'il ne doit pas se compromettre dans cette aventure.
Telle est l'attitude officielle du gouvernement de Moscou.
Pourtant, l'armée rouge, en constatant que des dizaines de milliers de patriotes polonais, envoyés par les réactionnaires à une mort certaine, participent à l'insurrection, fait tout son possible pour venir en aide aux insurgés, malgré les difficultés qu'elle dit affronter dans ce secteur du front. (94)

Le Maréchal Konstantine Rokossovski (1896-1968) va maintenant nous donner sa version des faits :

-« Dans son ensemble, la population polonaise avait une attitude favorable envers l'armée rouge.
Le peuple se réjouissait sincèrement de notre arrivée et s'efforçait de faire tout ce qui était en son pouvoir pour chasser les occupants le plus rapidement possible.
A mesure que la I ère armée polonaise avançait, de nombreux volontaires venaient la rejoindre.
Des unités de la garde populaire, de l'armée populaire et d'autres forces de la résistance s'y étaient incorporées.
Seule l'armée de l'intérieur (Armia Kraiova) se tenait obstinément à l'écart.
Dès la première rencontre avec les représentants de cette organisation, nous eûmes une mauvaise impression.
Ayant appris que dans les forêts du nord de Lublin se trouvait une unité polonaise qui s'intitulait 7ème division AK, nous décidâmes d'y envoyer plusieurs officiers d'état-major pour assurer la liaison.
La rencontre eut lieu.
Les officiers AK, qui portaient l'uniforme polonais, furent arrogants et repoussèrent la proposition qui leur fut faite de coordonner les opérations contre les troupes de l'axe, déclarant que l'AK n'obéissait qu'au gouvernement polonais de Londres et à ses représentants officiels...
Voici comment ils définirent leur attitude envers nous :
Nous ne prendrons pas les armes contre l'armée rouge, mais nous ne voulons aucun contact avec elle.
Position extrêmement nette.
La tragédie qui se jouait à Varsovie ne me laissait pas de repos.
La conscience de l'impossibilité d'entreprendre une grande opération pour venir en aide aux insurgés était douloureuse.
Durant cette période, je pus m'entretenir avec Staline.
Je lui rendis compte de la situation sur le front et de tout ce qui concernait Varsovie.
Staline me demanda si les troupes du front étaient en état de déclencher immédiatement une opération pour libérer Varsovie.
Ayant reçu une réponse négative de ma part, il me pria de donner toute l'aide qu'il m'était possible aux insurgés pour améliorer leur situation.
Il approuva mes propositions concernant les moyens et les modalités de l'aide que nous pourrions fournir.
J'ai déjà dit que, depuis le 13 septembre, nous avions commencé à ravitailler les insurgés en armes, munitions, vivres et médicaments.
Ce sont nos bombardiers de nuit PE-2 qui étaient chargés de cette mission.
Ils larguaient leur chargement à faible altitude sur les emplacements signalés par les insurgés.
Du 13 septembre au 1er octobre 1944, l'aviation du front effectua 4821 sorties pour aider les insurgés dont 2535 avec des chargements qui leur étaient destinés.
Des officiers furent parachutés pour assurer les liaisons et corriger les tirs d'artillerie.
Nous réussîmes à interdire le ciel aux avions ennemis au-dessus des positions tenues par les insurgés.
Les camarades polonais qu réussissaient à parvenir jusqu'à nous depuis Varsovie nous faisaient part de leur enthousiasme pour l'efficacité de nos aviateurs et artilleurs.
Les diverses organisations des insurgés accueillaient avec joie les officiers de liaison et de correction de tir que nous parachutions.
Mais toutes nous mettaient en garde, nous avertissant que les membres de l'AK ne voulaient avoir aucun rapport avec nous, que la direction de l'AK avait un comportement éminemment suspect, qu'elle se livrait à une propagande hostile à l'égard de l'Union soviétique, du Comité polonais de libération nationale organisé à Lublin et de la 1ère armée polonaise.
Il est remarquable que Bor n'ait jamais essayé d'entrer en liaison directe avec l'état-major du front, bien que nous lui ayons communiqué notre code.
Il était évident que ces politiciens étaient prêts à tout, sauf à coopérer avec nous.
Bientôt, d'ailleurs, cela devait se confirmer.
Tout en accroissant notre aide aux insurgés, nous avions décidé d'effectuer un important débarquement sur la rive opposée, à Varsovie, en utilisant des canots.
L'état-major de la I ère armée polonaise fut chargé de l'opération.
La date et le lieu du débarquement, le plan de soutien de l'artillerie et de l'aviation, les opérations combinées avec les insurgés, tout cela fut coordonné en temps utile avec la direction de l'insurrection.
Le 16 septembre, des unités de l'armée polonaise traversèrent la vistule.
Elles débarquèrent sur les parties de la rive qui étaient tenues par des détachements d'insurgés.
Tous nos plans reposaient sur ce fait.
Soudain, il apparut que ces parties de la rive étaient tenues par des Allemands.
L'opération se déroula dans des conditions très difficiles.
La première vague de débarquement put se maintenir sur la rive avec beaucoup de mal.
Il fallut engager de nouvelles forces.
Les pertes s'accrurent.
Et non seulement les dirigeants de l'insurrection n'apportèrent aucune aide aux unités débarquées, mais ils n'essayèrent même pas d'entrer en contact avec elles.
Dans ces conditions, il n'était pas possible de se maintenir sur la rive occidentale de la Vistule.
Je décidai d'arrêter l'opération.
Nous aidâmes les troupes de débarquement à revenir sur notre rive.
Le 23 septembre, ces éléments de la I ère armée polonaise avaient rejoint leurs unités.
En décidant d'effectuer cet héroïque débarquement, les combattants polonais se sacrifiaient en connaissance de cause, pour venir en aide à leurs compatriotes dans la détresse.
Mais ils furent trahis.
Bientôt, nous apprîmes que, sur ordre de Bor-Komorovski et de Monter, au début du débarquement, les unités et détachements de l'AK furent rappelés de la rive au centre de la ville.
Leur place fut prise par les troupes allemandes.
Mais, au cours de cette opération, les détachements de l'armée populaire, en position dans ce secteur, subirent des pertes, les membres de l'AK ne les ayant pas avertis qu'ils quittaient la rive.
A partir de ce moment, la direction de l'AK commença de préparer la capitulation, ce qui est attesté par un grand nombre de documents conservés dans les archives.
Nos propositions d'aide à ceux qui voulaient évacuer Varsovie pour rejoindre la rive orientale de la Vistule ne furent pas prises en considération.
C'est seulement après la capitulation que quelques dizaines d'insurgés réussirent à passer de notre cotés.
C'est ainsi que finit tragiquement le soulèvement de Varsovie. » (95)

Konstantine Rokossovski (1896 -1968) était un maréchal soviétique d'origine polonaise.
Il participa à l'encerclement des troupes allemandes de Stalingrad en 1942.
Il commanda le premier puis le deuxième front de Russie Blanche (Biélorussie), jusqu'à la prise de Varsovie.
En 1949, il prit la nationalité polonaise et devint ministre de la Défense de Pologne de 1949 à 1956 jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Gomulka.
Il redevint soviétique et fut nommé vice-ministre de la Défense en U.R.S.S de 1956 à 1958.

L'AK sera dénoncé par les Soviétiques comme le fumier de la réaction. (135)

Le général de Gaulle, le 6 décembre 1944, lors d'un entretien avec Staline, entendit la version de ce dernier sur l'insurrection de Varsovie :

-« Un autre moment dans le déclin du gouvernement de Londres a coïncidé avec l'échec de la prétendu insurrection de Varsovie.
Le peuple polonais a appris que cette insurrection avait été déclenchée sans l'accord du commandement de l'Armée Rouge.
Si on avait demandé au gouvernement soviétique s'il était prêt à aider cette révolte, il aurait certainement dit non.
Notre armée venait de réaliser une avance de 600 kilomètres, de Minsk à Varsovie.
Son artillerie, ses munitions, venaient de bases situées à 400 kilomètres encore plus à l'arrière.
Nos troupes n'étaient pas prêtes à prendre Varsovie.
On ne leur a pas demandé.
Le peuple polonais sait qu'il a été lancé dans une aventure coûteuse.
Ce sont les agents du gouvernement émigré qui ont permis à l'Allemagne de remporter ce succès à Varsovie. » (61)

Maintenant laissons la parole à l'accusation avec le Général Komorowski et le Colonel iranek-osmecki.

Le général Tadeusz Komorowski dit Bor (1895-1966), commandant en chef de l'AK (Armia Krajowa) explique dans son ouvrage European Resistance Movements la raison de l'insurrection :

-« Varsovie, en tant que capitale polonaise, avait gardé durant toute la guerre une attitude extrêmement active.
Au moment où le sort de la nation semblait se jouer, où le front entrait dans la cité même, la population de Varsovie attendait avec impatience l'ordre de commencer la lutte contre l'occupant abhorré.
La volonté de revanche pour toutes les atrocités commises par les Allemands arrivait à son point culminant.
Bien entendu, le fait même de la libération de la capitale par nos propres soldats devait souligner la volonté de la nation de sauvegarder la souveraineté de l'Etat polonais.
On voyait dans cette lutte finale contre l'occupant allemand, la meilleure façon de préserver les droits nationaux de la Pologne.
Les Polonais savent que si la résistance non-communiste ne montre pas sa puissance, elle ne pourra résister à l'influence soviétique et perdra son indépendance.
De même, les Soviétiques ne veulent pas que l'AK soit trop puissante.
Depuis 1939, l'URSS a détruit toute forme d'opposition polonaise, on l'a vu aussi par des déportations ou des massacres de masses. »

Maintenant, laissons la parole à l'un des participants de cette insurrection, le colonel Kazimierz Iranek-Osmecki (1897-1984) :

-«Lorsque la nouvelle du soulèvement parvient à Londres, le gouvernement polonais intervient auprès de son homologue britannique, qui va tenter d'aider les insurgés de deux façons.
Puisque les aérodromes soviétiques sont les terrains alliés les plus proches de Varsovie, Churchill pense que les utiliser serait la façon la plus rapide et la plus rationnelle d'aider les Polonais, et cela d'autant plus que la lutte ne peut qu'aider l'armée rouge.
D'autre part, le Premier ministre britannique ordonne une intensification des parachutages au-dessus de la Pologne.
Les avions partiront de Brindisi parce que c'est de cette base italienne que décollent depuis un an tous les appareils chargés des approvisionnements à destination de l'armée de l'intérieur.
Ravitailler les insurgés d'aussi loin est une entreprise dangereuse.
En outre, les conditions météorologies pour des vols aussi longs (2200 kilomètres aller et retour) ne sont pas toujours favorables.
Les départs ne sont donc pas réguliers et, bien souvent, les avions n'arrivent pas à destination.
Du 1er août au 2 octobre, on compte cent quatre-vingt-six vols.
Mais quatre-vingt-trois seulement pourront larguer leur cargaison.
Les Alliés y perdront d'ailleurs trente-trois appareils, vingt avec des équipages composés de Britanniques, de Sud-Africains, de Canadiens et de Néo-Zélandais, et treize autres avec un personnel polonais.
Le 4 août, Churchill demande à Staline de venir en aide aux insurgés.
Staline refuse, refus qu'il renouvelle d'ailleurs le 12, lorsque le Premier ministre revient à la charge.
Le texte de sa réponse, qui souligne au passage que les autorités soviétiques déclinent toute responsabilité quant au sort des avions alliés qui, venus ravitailler les insurgés, se poseront sur les aérodromes russes, est également communiqué à l'ambassadeur des USA à Moscou.
Le 20 août, alors que les stocks diminuent dans la capitale polonaise, Churchill et Roosevelt adressent un appel conjoint à Staline, appel qui se heurte une fois encore à un non catégorique, motivé par le fait que l'armée de l'intérieur est passée à l'action sans consulter préalablement l'armée rouge.
Le gouvernement britannique est à ce point irrité par l'attitude de l'URSS que, lors de la réunion du cabinet de guerre qui se tient le 4 septembre, on va même jusqu'à envisager d'interrompre les convois de l'Arctique à moins que l'armée rouge n'intervienne à Varsovie.
Cette idée est finalement abandonnée, elle ferait trop de tort à la cause alliée.
Entre-temps, des bombardiers lourds américains, basés en Grande-Bretagne, attendent la permission des Russes d'atterrir sur leurs terrains car les vols à partir de Brindisi son décidément trop onéreux.
Soudain, Moscou modifie sa position.
Le 10 septembre, les Soviétiques acceptent que les avions alliés utilisent leurs aérodromes.
Et, dès le 18, 110 bombardiers de la 8e air force américaine décollent de Grande-Bretagne pour aller parachuter, en plein jour, des vivres, des armes et du matériel aux insurgés de Varsovie.
Neuf appareils ne reviendront pas.
Du reste, à cause de la violence du vent et de l'altitude élevée à laquelle on a procédé au parachutage, 30% seulement des containers atteignent leur destination.
A la suite des efforts entrepris dès le 27 juillet par le gouvernement polonais en exil, Londres et Washington publient, le 30 août, une déclaration commune garantissant les droits des combattants de l'armée de l'intérieur.
Ce texte précise que ces troupes font partie intégrante des forces armées polonaises et que toutes représailles à leur encontre seraient, de la part de l'Allemagne, une violation des lois de guerre.
Cette prise de position arrive avec un mois de retard parce qu'Anglais et Américains ont tenté de convaincre les Russes d'y adhérer.
Après d'interminables discussions, Moscou a fini par refuser et Londres et Washington ont publié leur texte sans la signature soviétique.
L'Union soviétique n'a jamais méconnu l'éventualité d'un soulèvement à Varsovie.
Du reste, sa radio n'a jamais cessé d'appeler les habitants de la capitale polonaise à l'insurrection en raison des avantages militaires que pourrait en retirer l'armée rouge.
On comprend donc mal pourquoi Staline a répété à plusieurs reprises que le soulèvement l'a pris par surprise.
Au surplus, le 9 août, alors qu'il est en conférence au Kremlin avec Mikolajczik (1901-1966), Premier ministre polonais, il lui promet que l'aviation soviétique apportera toute l'aide possible aux insurgés.
Il ressort d'ailleurs de cette conversation que l'armée rouge avait naguère envisagé de prendre Varsovie le 6 août.
L'armée de l'intérieur essayera d'ailleurs à plusieurs reprises, d'entrer en liaison avec les forces russes.
Le 7 août, le capitaine Kalougine, officier soviétique qui a été parachuté, avant le soulèvement, pour accomplir une mission de renseignement et qui se trouve alors au Q.G du colonel Monter, envoie un message radio à Moscou par l'intermédiaire de Londres.
Le 8 août, Monter prend contact de la même façon avec le maréchal Rokossovski (1896-1968), en lui proposant de coordonner leurs opérations, mais ces deux démarches restent sans réponse, bien que, le 13 août, l'agence Tass publie à ce propos un communiqué assez évasif.
Lorsque Polonais et Russes tiennent les deux rives de la Vistule, ce qui rend les contacts possibles, le colonel Monter deux patrouilles équipées d'émetteurs-récepteurs radio chez les Soviétiques pour leur proposer de coopérer.
La seule réaction de l'armée rouge est le parachutage d'observateurs d'artillerie qui dirigent le tir des pièces russes.
Puis à partir du 14 septembre (soit six semaines après le début du soulèvement), des avions soviétiques commencent à jeter des vivres et des armes sur Varsovie, les Russes n'emploient pas de parachutes, ce qui explique qu'une grande partie des armes soit détériorée au moment de la prise de contact avec le sol.
En apprenant que l'URSS accepte de laisser les appareils alliés utiliser ses aérodromes, le général Bor envoie un message radio, via Londres, au maréchal Rokossovski, pour lui proposer, une fois de plus, de coopérer.
Une fois de plus, sa demande demeure sans réponse.
Mais il y a pire : des détachements de l'armée de l'intérieur qui ont pris part à l'opération Tempête, à l'est de la Vistule, essayent, après en avoir fini avec les Allemands, de venir soulager Varsovie.
L'armée rouge les cerne et les désarme.
Nombre d'officiers et de soldats seront d'ailleurs internés dans des camps de prisonniers en Russie.
Le refus de Moscou de se joindre aux Anglo-Américains pour garantir les droits des combattants de l'armée de l'intérieur se justifie par le désir des Soviétiques d'avoir les mains libres pour arrêter ces hommes et les enfermer dans les camps en Union soviétique.
Lorsque l'armée de l'intérieur se lance dans l'affaire de Varsovie, elle sait fort bien qu'elle ne pourra pas tenir longtemps toute seule face aux Allemands.
Mais il va de soit pour elle que les intérêts soviétiques et Polonais, même s'ils ne sont pas identiques, se rejoignent sur la nécessité de vaincre le Reich le plus vite possible.
Les chefs de l'armée de l'intérieur pensent donc que, même si l'armée rouge ne veut pas modifier ses plans pour exploiter le soulèvement de Varsovie, elle ne va pas stopper brutalement son offensive et refuser tout secours aux insurgés.
En fin de compte, cette attitude révèle les intentions profondes de Moscou à l'égard de la Pologne.
Pour leur part, les Polonais pensent que leur allié les a purement et simplement trahis.
Le monde civilisé, de son côté, est étonné de cette attitude.
Quoi qu'il en soit, le soulèvement de Varsovie, la plus grande action militaire qui se soit déroulée en Pologne depuis la campagne de 1939, témoigne de la volonté de la nation polonaise de rétablir son indépendance et de combattre toute puissance qui menacerait la liberté du pays. » (91)

Le colonel Iranek-Osmecki servit, durant la première guerre mondiale, dans la légion polonaise du maréchal Pilsudski.
Il rejoint ensuite le Pow, une organisation militaire secrète.
Il participa à la guerre soviéto-polonaise de 1919-1920.
Entre les deux guerres, il enseigne à l'Ecole de guerre polonaise.
En 1939, il est affecté à l'état major général.
Comme on l'a vu précédemment, il participa au soulèvement de Varsovie.
Après la guerre, il s'installa à Londres et devint rédacteur en chef de l'Histoire officielle de l'armée de l'intérieur polonaise. (258)

En 1948, Stanislas Mikolajczik (1901-1966) président du conseil national, une sorte de parlement clandestin portera une grave accusation :

-« J'affirme que c'est par suite d'une affreuse machination de Staline et du parti que l'Armée rouge laissa délibérément massacrer les patriotes polonais pour se débarrasser d'une élite, qui n'aurait jamais accepté l'asservissement de sa patrie. »

Ce n'est pas à la légère que Mikolajczik prononce cette terrible accusation car de nombreux faits confirment ses dires.

Le 3 août 1944, il rencontre Staline :

- Mikolajczyk. Avant tout je viens vous demander une assistance immédiate pour nos hommes engagés dans une lutte terriblement inégale contre les Allemands.

- Staline. Je ne puis me fier aux Polonais.
Ils me soupçonnent de vouloir occuper la Pologne de nouveau.
Ils me créent bien des difficultés.

Stanislaw Mikolajczik (1901-1966) est issu d'une famille rurale.
Il est l'un des chefs du parti paysan et dirige la lutte contre Pilsudski.
Organisateur de la grande grève paysanne de 1937, il est contraint de se réfugier en France puis en Angleterre où il prend la tête du gouvernement polonais en exil à Londres.
Ayant démissionné à la mort de Sikorski, il retourne en Pologne et devient président du Conseil et ministre de l'Agriculture.
Malgré l'affaire de Katyn, il tente de garder de bonnes relations avec l'URSS.
Mais lorsque les communistes truquent les élections de 1947, il abandonne la politique et se retire aux USA.

Comme par hasard, l'armée soviétique avait arrêté son offensive vers Varsovie dès le 1er août 1944, donc dès le premier jour de l'insurrection.

Le 26 août 1944, le général Anders, lors d'une rencontre avec Churchill, se plaint de la mauvaise volonté soviétique à aider l'AK dans son action de libération de la capitale polonaise :

- Anders. Depuis trois ans, les bolcheviks incitaient à l'insurrection.
A mesure qu'ils avançaient plus profondément en Pologne ils amplifiaient encore leur propagande dans ce sens, en annonçant dernièrement qu'ils se trouvaient déjà dans les faubourgs de Varsovie, mais, à partir du 1er août, ils se sont tus complètement et n'ont pas remué d'un doigt pour accorder, ne fût-ce que la plus petite aide à l'armée de l'intérieur.

- Churchill. Je le sais très bien.
Les Américains ont même déclaré qu'ils étaient prêts à effectuer des vols en partant d'Angleterre avec des atterrissages à Poltava sur le territoire soviétique.
On s'est adressé à Staline qui refusa d'accorder son consentement même à cela.

Le Premier ministre Churchill souligna également que les Russes se trouvaient éloignés de 30 kilomètres de Varsovie à peine et n'auraient aucune difficulté à fournir leur aide, alors que, de leurs bases italiennes, les Anglais devaient voler 780 milles soit environ 1155 km. (17)

Sir Basil H.Lidell Hart (1895-1970) confirme la pensée de Churchill :

-«Néanmoins, le refus soviétique d'autoriser les bombardiers américains venus d'Europe occidentale à se poser sur des aérodromes russes après avoir largué du ravitaillement aux Polonais de Varsovie, n'a jamais reçu d'explication satisfaisante.
Des pilotes britanniques et polonais effectuèrent bien de telles missions aller et retour à partir de l'Italie, mais, à de telles distances, leurs efforts, aussi courageux fussent-ils, ne pouvaient guère changer l'issue des combats. » (22)

Pour Isaac Deutscher :

- « Staline commit un acte qui fit frémir d'horreur l'opinion des pays alliés : il refusa aux avions britanniques partant de leurs bases, qui se proposaient de parachuter des vivres et des armes aux insurgés, le droit d'atterrir sur les aérodromes russes, derrière les lignes, et réduisit l'aide britannique au minimum.
Plus tard, des avions russes apparurent sur la ville en flammes pour apporter leur aide, mais il était trop tard.
Il n'est pas facile de savoir ce que Staline espérait gagner au moyen de cette démonstration de dureté.
La tragédie de Varsovie accrut les sentiments russophobes en Pologne et choqua même les admirateurs de Staline.
Il est difficile d'imaginer quel calcul politique, fut-il le plus cynique, motiva cette attitude.
Il était inspiré par une de ces ranc½urs sans scrupules et par une de ces malveillances dont il avait donné tant de preuves durant la grande épuration. »(13)

Finalement, une conclusion s'impose et elle est donné par Wladimir Vissotsky (1938-1980) :

-« Le pouvoir soviétique de l'époque, c'est-à-dire Staline, voulait ne mettre à la tête du gouvernement que des communistes polonais ayant passé la guerre en URSS, formés et éduqués à Moscou, il fallait donc laisser tuer les partisans communistes qui étaient sur place... » (220)

Je donnerai pour terminer les dossiers de Katyn et de l'insurrection de Varsovie la parole à Georges-André Chevallaz :

-« L'affaire du charnier de Katyn, les corps de milliers d'officiers polonais massacrés découverts par les Allemands en 1943, le refus soviétique de collaborer avec le gouvernement polonais de Londres, la passivité singulière avec laquelle l'armée rouge, portant proche, laissa la Wehrmacht écraser l'insurrection de Varsovie, illustrent la Realpolitik sans scrupule de Staline, sa volonté de couvrir l'URSS d'un glacis de sécurité entièrement soumis à son contrôle. (150)

Pour conclure, on considère que 6 028 000 Polonais ont été tué par les Allemands et que plus d'un million l'ont été par les Soviétiques. (180)

3° LE DEMEMBREMENT DE LA POLOGNE

En 1945, la Pologne fut déplacée de 300 km vers l'ouest échangeant 180 163 km2 cédés à l'URSS, contre un territoire de 104 680 km2 d'où 2 200 000 Allemands furent expulsés. (40)

Pourtant l'accord du 31 juillet 1941 entre l'URSS et la Pologne indique :

-« Le gouvernement de l'URSS déclare que les Traités soviéto-allemands de 1939 concernant les changements territoriaux en Pologne ne sont plus en vigueur. »

Isaac Deutscher dans son Staline écrivit que :

-« Dans les premiers jours de la guerre, son gouvernement avait déclaré, en des termes très généraux, que le pacte Ribbentrop-Molotov sur la Pologne était nul et non avenu.
Le général Sikorsky (1881-1943), chef du gouvernement en exil, avait interprété cette déclaration comme signifiant que la Russie acceptait de rendre les marches orientales de la Pologne.
Mais ce n'était pas le sens des déclarations de Staline.
Au c½ur de la bataille de Moscou, Staline demanda à Anthony Eden, qui se trouvait à ce moment-là dans la capitale soviétique, la reconnaissance des nouvelles frontières russes, telles qu'elles étaient au moment de l'attaque hitlérienne, mais le ministre britannique préféra laisser cette question en suspens.
Puis Staline proposa de s'entretenir directement avec Sikorsky, mais celui-ci répondit que la constitution polonaise ne lui donnait pas le droit de négocier sur la question des frontières de son pays.
A partir de ce moment, Staline lui aussi invoqua la constitution, qui lui défendait de céder une part quelconque du territoire russe. » (13)

Ce changement fut décidé lors de deux conférences, celle de Téhéran du 28 novembre au 1er décembre 1943 et de Potsdam du 17 juillet 1945 au 2 août 1945.

Lors de la conférence de Téhéran de 1943, Roosevelt et Staline examinaient une carte de la Pologne.

Ce dernier prit la carte de Roosevelt entre ses mains après avoir déposé son verre de vodka :

- Staline. Qui a fait cette carte, notre ami capitaliste Churchill ?

- Roosevelt. Non, je vous assure, ce sont mes services.

Alors Staline prit un crayon rouge, il en avait toujours un dans sa poche, et dit :

- Moi, ce qui m'intéresse, c'est surtout le territoire allemand.
Je veux cela...

Et avec son crayon il barra une partie de la Prusse-orientale, annexant ainsi tout simplement les ports de Koenisberg et Memel.

Memel dont le nouveau nom est Klaïpeda, est une ville de Lituanie, fondée par les chevaliers Teutoniques en 1252.
Ville libre en 1919, elle est occupée par les Allemands en mars 1939.
Elle fut conquise par les Soviétiques en 1944.

Comme la carte géographique n'avait pas été conçue pour envisager le sort de l'Allemagne, les contours de la côte de la Prusse -orientale étaient incomplets.

Alors Staline traça lui-même avec son crayon cette côte, afin de bien préciser ce qu'il demandait. Ensuite, toujours avec son crayon rouge, il marqua à grands traits les parties du territoire polonais qu'il réclamait, Wilna par exemple, et surtout la province de Lwow :

- La ville est polonaise, d'accord, dit Staline, mais le reste du territoire est ukrainien.
Mais je veux me montrer bon enfant, continua Staline s'adressant à Roosevelt.
Pour vous plaire, je suis prêt à rendre aux Polonais ceci et cela !

Grâce à Yalta (conférence qui eut lieu du 4 au 11 février 1945), Staline obtient que la frontière de l'URSS suive la ligne Curzon.
Georges Nathaniel, marquis Curzon of Keedleston (1859-1925) fut ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne de 1919 à 1923.
Il a attaché son nom à la ligne de démarcation (qu'il proposa en 1919) pour fixer les frontières orientales de la Pologne et qui est proche de celle d'aujourd'hui.

Staline prit ainsi la partie de la Pologne déjà conquise du fait du pacte Ribbentrop-Molotov et donna aux Polonais une partie de l'Allemagne qui n'avait jamais fait parti historiquement de la Pologne.

Oui, Staline incorpore ainsi dans la Pologne des terres allemandes depuis le XIII ème siècle, elles n'avaient été véritablement polonaises qu'à la fin du X ème siècle.
Cette zone représentait avant 1945, 23% du territoire allemand, 22% de la population et 22% du revenu national du Reich de 1937 (43)

Le 5 juin 1944, Staline déclara :

-« Cette guerre est différente de celle du passé.
Celui qui vient à occuper un territoire lui impose du même coup son propre système social.
Il l'impose où ses armées ont pu avancer.
Il ne saurait en être différent. »

Bien évidemment, il n'y aura pas d'élection car comme le dit si bien Staline :

-« Tous ces peuples nous détestent.
Si nous les autorisons à organiser des élections à l'occidentale, nous aurons affaire partout à des gouvernements hostiles. »

Le 9 août 1944, Staline reçut au Kremlin Stanislaw Mikolajczyk et lui affirma :

-« Je sais que le communisme va aux Polonais comme une selle de cheval à une vache. »

Churchill tenta à Yalta d'empêcher cette annexion :

- Churchill. Nous avons déclaré la guerre à l'Allemagne, couru un risque terrible, failli perdre notre place dans le monde non seulement comme empire mais tour simplement en tant que nation, pour que la Pologne reste un Etat libre et souverain.
Aujourd'hui nous ne pourrions admettre que la Pologne ne soit pas un Etat libre et souverain. (198)

- Staline. A chaque page de l'histoire, la Pologne a été le couloir par lequel des armées étrangères ont envahi la Russie.
Deux fois en trente ans, les Allemands ont utilisé ce couloir !
Par conséquent, la Pologne doit pouvoir verrouiller ce couloir par ses propres moyens, c'est-à-dire en ayant un gouvernement ami de la Russie. (198)

La conférence de Potsdam (17 juillet au 2 août 1945) décida que les anciens territoires allemands à l'est d'une ligne partant de la Baltique à l'ouest de Swinemunde, descendant le long de l'Oder jusqu'au confluent de la Neisse occidentale, puis le long de celle-ci jusqu'à la frontière tchécoslovaque, seront placés sous l'administration du gouvernement polonais et par suite ne seront pas considérés comme faisant partie de la zone d'occupation soviétique en Allemagne. (40)

La ligne ODER-NEISSE, la nouvelle frontière occidentale de la Pologne dont le tracé fut définitivement décidé par les accords de Potsdam en 1945, est reconnue par la RDA en 1950 et par la Pologne et l'Allemagne réunifiée, le 14 novembre 1990. (43)

Harry Hopkins qui rédigea le mémorandum de la conférence de Téhéran nota que :

- « D'un trait de son crayon rouge, Staline décida ainsi du sort de centaines de milliers de personnes innocentes.
Un trait signifiait la mort, la déportation, la captivité. »

Churchill ne voulant pas de problèmes avec Staline essaya de faire avaler aux Polonais ce changement de frontière.

Lors de l'entretien du 26 août 1944 entre Churchill et le général polonais Anders (1892-1970), Churchill déclara que :

- « La Grande-Bretagne, en concluant son alliance avec la Pologne, n'a jamais garanti les frontières de celle-ci, elle a donné sa garantie et a pris des engagements envers la Pologne quant à son existence en tant qu'Etat libre, indépendant, pleinement souverain, puissant, grand, de façon que les citoyens qui y vivraient puissent être heureux et y prospérer librement, sans subir aucune influence étrangère qui les menace de l'extérieur. »

Churchill ajoute encore que les Polonais ne devaient pas s'obstiner à maintenir leurs frontières orientales.

Cette fameuse zone d'anciens territoires allemands situés à l'est de la ligne Oder/Neisse fut transféré par l'Union soviétique provisoirement à la Pologne. (43)

Le 21 juin 1990, le parlement est-allemand et le Bundestag (nom de l'Assemblée fédérale de l'Allemagne, assemblée législative instituée en 1949 et élue au suffrage universel direct) reconnurent l'intangibilité des frontières de la Pologne.
La frontière Oder/ Neisse fixé en 1945 n'est plus une frontière provisoire. (43)

Churchill tenta à Yalta d'empêcher cette annexion:

- Churchill. Nous avons déclaré la guerre à l'Allemagne, couru un risque terrible, failli perdre notre place dans le monde non seulement comme empire mais tour simplement en tant que nation, pour que la Pologne reste un Etat libre et souverain.
Aujourd'hui nous ne pourrions admettre que la Pologne ne soit pas un Etat libre et souverain. (198)

- Staline. A chaque page de l'histoire, la Pologne a été le couloir par lequel des armées étrangères ont envahi la Russie.
Deux fois en trente ans, les Allemands ont utilisé ce couloir !
Par conséquent, la Pologne doit pouvoir verrouiller ce couloir par ses propres moyens, c'est-à-dire en ayant un gouvernement ami de la Russie. (198)

Non seulement Staline n'hésite pas à s'agrandir sur le dos des Polonais, mais il inflige aux Polonais sa propre version de la démocratie.

Je laisse le soin à Raymond Cartier de non expliquer la démocratie version Staline :

-« Le 28 juin 1945, dans une conférence tenue à Moscou, la fusion du gouvernement de Londres et du comité de Lublin (reconnu par Moscou) a été établie.
L'inégalité de la représentation est manifeste.
Lubin a seize ministres, Londres six !
La présidence de la république revient à un communiste : Boleslaw Bierut (1892-1956).
La présidence du gouvernement provisoire est confiée à un socialiste de Lublin, Osobka-Morawski (1910-1997) et les deux vices-présidences au communiste Wladislaw Gomulka et à l'ex-chef du gouvernement de Londres Stanislaw Mikolajczik.
Le parti paysan polonais de ce dernier est certainement le plus proche du c½ur rural et catholique de la Pologne, mais Mikolajczik découvre, en retrouvant le sol natal, que le monopole du pouvoir appartient aux comités communistes appuyés par l'armée et la police russe.
Toutes les libertés sont suspendues.
Les propriétés sont confisquées.
Les arrestations, déportations, exécutions arbitraires entretiennent la terreur. (93)

4° LE BILAN HUMAIN

On estime que la population polonaise était en 1938 de 34 849 000 habitants.
Au recensement du 10 février 1946, la population était de 23 930 000 habitants.

Cette importante baisse de la population est du à deux raisons, les pertes dues à la guerre ( 6 028 000 morts soit 17% de la population de 1939), le reste étant du à l'évolution des frontières polonaises vers l'ouest.

Sur plus de six millions de morts, trois millions sont morts dans des camps d'extermination du fait qu'ils soient juifs.

320 000 soldats sont morts pendants les combats.

Sur les 230 000 soldats polonais emprisonnés par l'Armée rouge, il n'y a eut que 82 000 qui en sont sortis vivants.
Soit un taux de retour de 35%.

Du fait de la seconde guerre mondiale, pour 1000 habitants on compte :

- 220 morts en Pologne
- 108 morts en Yougoslavie
- 97 morts en URSS
- 15 morts en France
- 8 morts en Grande Bretagne

De nombreuses villes sont en ruines, nous avons déjà examiné le cas particulier de Varsovie, Breslau devenu Wroclaw était rasé à 75%, Stettin devenu Szczecin et Dantzig devenu Gdansk étaient détruits à 50%.
La Pologne, du fait de la guerre perdra 65, 6% des établissements industriels (19 592 sur 30 017), 70% des voies ferrées sont utilisables.

Pour finir ce chapitre concernant la Pologne, je laisse la parole au général Anders:

- "En 1945, ce fut la fin de la guerre pour le monde, pas pour la Pologne".

CHAPITRE XV
ENCORE D'AUTRES MASSACRES

1° LE MASSACRE DES REFUGIES SOVIETIQUES

Staline dans sa logique meurtrière désira récupérer également tous les réfugiés soviétiques se trouvant dans la zone occidentale.

Alexandre de Marenches (1921-1995), directeur du S.D.EC.E (Service de documentation extérieure et de contre- espionnage, service créé en 1946) de 1970 à 1981 (désormais appelé depuis avril 1982 DGSE Direction générale de la sécurité extérieure), va maintenant nous décrire d'autres massacres dont Staline est responsable :

-« Un effrayant exemple de la rigidité américaine est l'opération qui a constitué à restituer aux Soviétiques des dizaines de milliers de réfugiés russes qui se trouvaient après la défaite nazie dans les zones d'occupation américaines et anglaises.
Les Français ne l'ont pas fait.
Ces gens ont été fusillé jusqu'au dernier lorsque les Américains et les Anglais les ont retournés par trains entiers aux Soviétiques.
Certains de ces ressortissants se sont suicidés en se jetant sur des barbelés électrifiés plutôt que d'être rapatriés en URSS.
Le général Juin (1888-1967) m'envoya un jour voir le général Eisenhower pour l'avertir de ces événements abominables.
Eisenhower m'a répondu : Oui, je suis au courant.
Mais c'est prévu.
On ne peut rien y changer.
Nous avons donc laissé froidement massacrer des milliers de gens qui étaient anticommunistes. » (25)

Pour en savoir plus concernant ce dossier, je conseil la lecture de l'ouvrage de Nicholas Bethell, paru aux Editions du seuil en 1975 Le dernier secret 1945 Comment la Grande-Bretagne et les Etats-Unis livrèrent à Staline plus de deux millions de Russes.

Une fois de plus, pour comprendre la logique stalinienne, il faut savoir que la base du système est l'élimination, la destruction de toutes personnes, organisations, forces militaires, qui pourraient non forcément s'opposer, mais simplement douter de la bonne parole du petit père des peuples.

2° LE MASSACRE DES TATARS

N'oublions pas non plus les Tatars de Crimée.
Le 13 octobre 1921 fut créé la République autonome de Crimée.
Accusés d'avoir collaborés avec les Allemands, 183 000 Tatars furent déportés en mai 1944, en Asie Centrale et en Sibérie et pour bien montrer la disparition de ce peuple, leur république fut supprimée et rattachée à l'Ukraine.

Hélène Carrère d'Encausse va maintenant nous donner son point de vu sur la déportation des Tatars :

-« Vivant dans une région occupée par les Allemands jusqu'en avril 1944, les Tatars sont, dès le départ des troupes d'occupation, incorporés dans la liste des nations collaboratrices fort arbitrairement établie par Staline, nations sur qui pèsera une responsabilité collective s'étendant à la totalité de la population.
Le 18 mai 1944, six jours à peine après que le territoire de la Crimée ait été libéré, toute la population tatare, y compris les enfants et les vieillards, était en quelques heures déportée vers l'Asie centrale, l'Oural et la sibérie.
Plus de 200 000 personnes, dont la majeure partie a été assignée à résidence en Uzbekistan, ont subi ce sort.
Si la déportation avait été brutale, elle ne fut rendue officielle et définitive que tardivement.
Le 25 juin 1946, un décret annonçait enfin qu'en raison de la collaboration des populations avec les Allemands, la république de Crimée( de même que les R.S.S.A des Tchétchènes et Ingouches) était supprimée et ses habitants installés dans d'autres régions de l'URSS où ils recevraient des terres et une aide gouvernementale.
Tandis que, dans leurs lieux d'exil, les Tatars vivaient sous une surveillance permanente, le pouvoir soviétique s'est acharné à détruire en Crimée toute trace de ses anciens habitants.
L'arrivée massive de colons russes ou ukrainiens, la suppression de tous les noms de lieux tatars, la destruction systématique de leurs habitations, tout a été fait pour qu'un retour éventuel leur devienne impossible.
Jusqu'en 1956, ce destin tragique, les Tatars l'ont partagé avec six autres nations accusées de trahison par Staline.
Après 1956, seuls les Tatars ont été exclus des mesures de réparation que Khrouchtchev a prises.
Au 20ème congrès, Khrouchtchev inclut dans la longue liste des crimes de Staline les déportations de 1944 ; mais dans son énumération des peuples déportés, il omet de mentionner les Tatars.
Ici leur destin prend un tour tout à fait exceptionnel.
Tous les autres peuples déportés sont réhabilités et retrouvent en janvier 1957 leur territoire et leur statut national.
Les Tatars au contraire ne bénéficieront que de mesure de clémence restreinte, à la limite de la clandestinité.
Un décret du 28 avril 1956 étend à tous les Tatars le bénéfice d'un statut normal dans leur lieu de résidence.
Mais, d'une part, ce décret n'est pas rendu public ; d'autre part, il précise que les Tatars ne peuvent récupérer les biens qui leur ont été confisqués, ni retourner en Crimée.
Leur territoire d'origine a d'ailleurs été cédé par la R.S.F.S.R à l'Ukraine en 1954.
Les Tatars ont été ainsi condamnés à rester là où ils étaient (le droit de s'installer n'importe où en URSS sauf en Crimée ne répondait nullement à leur aspiration), à y vivre en minorité isolée en disposant de droits culturels mineurs. » (120)

Le docteur Boris Segal, né en 1926, et dont le père fut fusillé sous Staline, va nous décrire cette logique de déportation et surtout cette volonté d'oublie :

-« Ce ne sont plus des sadiques ou des fanatiques comme sous Lénine et Staline, mais des bureaucrates qui tout simplement ne comprennent pas qu'on parle de ce qui n'existe pas aux yeux du pouvoir.
Ce qui n'existe pas aux yeux du pouvoir, c'est ce que le pouvoir a éliminé du langage officiel :
Quand Khrouchtchev, au XX ème Congrès, oublie dans la liste des peuples massacrés et déportés par Staline les Tatars de Crimée, les Tatars n'existent plus.
Et le général Grigorenko qui les défend est jugé fou de parler d'un peuple rayé de l'histoire et de la mémoire. » (36)

Le major général Piotr Grigorevitch Grigorenko, décoré de l'ordre de Lénine, deux fois de l'ordre du Drapeau rouge, de l'ordre de l'Etoile rouge et de l'Ordre de la Guerre patriotique fut arrêté le 7 mai 1969 pour avoir protesté contre les violences infligées aux Tatares de Crimée et réclamé le retrait des troupes soviétiques de Tchécoslovaquie. (50)

Dans son ouvrage L'Empire éclaté, Hélène Carrère d'Encausse précise que le général Grigorenko prit position pour les Tatars le 17 mars 1968 lors de la célébration du 72 ème anniversaire de l'écrivain A. Kosterin à Moscou.
En mai 1969, il vint témoigner à Tachkent en leur faveur et fut arrêté alors. (120)

Si Grigorenko fut reconnu parfaitement sain d'esprit par un jury de psychiatres soviétiques de bonne foi, le KGB obtint qu'il soit remis dans les mains de ses propres médecins, qui bien évidemment lui trouvèrent une maladie sur le plan mental. (50)
Il resta interné dans une clinique psychiatrique de 1969 à 1974.
Ensuite, il passa par la case prison et ne sera libéré qu'en 1978.
Grigorenko est mort le 22 février 1987.

A la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'Union soviétique, un quart de millions de Tatars sont retournés à leur terre ancestrale en Crimée, au sud de l'Ukraine, les autres restant dispersés an Asie centrale, principalement en Ouzbékistan. (38)

En 1924, la république des Allemands de la Volga fut crée.
Elle regroupait les descendants des colons allemands établis au XVII ème siècle.
Le 22 juin 1941, les Allemands attaquent l'URSS.
Staline décrète le 28 août 1941 que les Soviétiques d'origine allemande étaient collectivement coupables d'espionnage au profit de l'Allemagne.
La déportation touchait 800 000 personnes, dont 400 000 vivaient dans la république, supprimée officiellement en septembre 1941.

3° LE MASSACRE DES AUTRES NATIONALITES

Les chiffres que je vais maintenant donner défient toutes les lois de la raison et de l'humanisme.

D'abord, nous allons voir les chiffres donnés par le site web FOCUS HISTOIRE

Les habitants de la république allemande de la Volga furent les premiers visés : 366 000 furent déportés entre le 3 et le 21 septembre 1941.

En tout, il y eut huit nationalités déportés :

- Allemands de la Volga : septembre 1941 366 000
- Karachais : novembre 1943 68 000
- Kalmuks : décembre 1943 92 000
- Tchétchènes : février 1944 362 000
- Ingoushes : février 1944 134 000
- Balkars : avril 1944 37 000
- Tatars de Crimée : mai 1944 183 000
- Meskhètes : novembre 1944 200 000

Cela fait en tous 1 442 000 personnes déportés en Sibérie ou au Kazakstan.
On peut rajouter à ce chiffre, les minorités avec les déportations de 843 000 soviétiques d'origine allemandes (n'appartenant pas à la république allemande de la Volga), de 45 000 Soviétiques d'origine finlandaise.
Cela fait en plus de 3 millions de personnes déportés.

Maintenant, nous allons voir les chiffres donnés par Robert Conquest dans son ouvrage The Nations Killers - Soviet deportation of Nationalities :

- Allemands de la Volga : 380 000
- Karatchais : 75 737
- Kalmyks : 134 271
- Tchétchènes : 407 690
- Ingouches : 92 074
- Balkars : 42 666
- Tatars de Crimée : 200 000

Si les chiffres peuvent varier selon les sources (et dans des proportions relatives faibles), ils indiquent tous des déportations de populations d'une importance exceptionnelle en terme de grandeur.

Raymond cartier (1904-1975) va maintenant nous décrire le sort de la population soviétique après la seconde guerre mondiale :

-« Les populations qui ont accueilli les Allemands en libérateurs, qui ont fourni des auxiliaires à la lutte contre le bolchevisme, Tarare de Crimée, Tchetchènes-Ingousta, Kalmouks, Ukrainiens, Baltes, Caréliens sont transplantées.
Les millions de prisonniers et de travailleurs russes en Allemagne ne sont pas libérés sous les fleurs, comme leurs homologues occidentaux ; ils sont traités en lâche et, au lieu du chemin de leurs foyers, prennent celui de la Sibérie.
Une autre répression frappe les paysans.
Pendant la guerre et pour le plus grand bien du ravitaillement, ils ont fait triompher l'agriculture individualiste, maronné dix ou quinze millions d'hectares dont ils ont arrondi leurs parcelles privées, allant parfois jusqu'à se partager les kolkhozes et pendre leurs dirigeants.
Ces forfaits sont constatés par une commission de 39 membres présidée par l'ancien ministre Andreiev.
La charte de l'agriculture soviétique est sérieusement violée ; l'appétit de la propriété l'emporte sur les intérêts de l'agriculture collective...
Mais tout rentre dans l'ordre.
Les néokoulaks rendent gorge et, par milliers, prennent également le chemin de Sibérie. » (93)

Je laisse maintenant la parole à D.Khodjaev :

-« Pour déporter 500 000 Tchétchènes et Ingouches, Lavrenti Beria mobilisa 100 000 soldats et 19 000 hommes du NKVD.
Mais nul, ne pressentait ici l'imminence d'un désastre, en ce 23 février 1944, jour de la fête de l'Armée rouge, où tous les hommes furent convoqués aux soviets de villages."

Evidemment, la raison de ces convocations est d'arrêter tous les hommes présents:

-"Le lendemain, des soldats entrèrent dans toutes les maisons pour emmener les habitants restants : femmes, enfants, vieillards et malades, qui eurent dix à quinze minutes pour ramasser vivres et vêtements.
Les militaires fusillaient tout récalcitrant et tout être intransportable : en quelques heures, des centaines de personnes, notamment des invalides, furent tuées en plaine, et beaucoup plus dans les montagnes.
Dans le seul village de Khaibakh, des centaines d'hommes, femmes et enfants, parqués dans une grange, furent brûlés vifs ; des véhicules surchargés de déportés furent précipités dans les gorges ; des centaines d'autres furent poussés sur le lac gelé de Galant-chai, dont la glace céda. »

Toutes ces horreurs me font penser aux Khmers rouges qui en 1975, lors de leur arrivé au pouvoir au Cambodge, déportèrent à la campagne la population des villes.
Deux ou trois millions de personnes y laissèrent la vie entre 1975 et 1979.

Selon Norodom Sihanouk :

-« Quand les Khmers rouges sont arrivés au pouvoir en 1975, les Cambodgiens étaient 6 millions.
Quand les Vietnamiens les ont chassés, en janvier dernier, la population de notre pays n'était plus que de 3 millions.
Un immense Auschwitz. » (266)

Pour en savoir plus sur cette période douloureuse du Cambodge, je vous conseille de voir The Killing Field (La Déchirure) de Rolland Joffé sorti sur les écrans en 1984.

Juste pour terminer ce dossier, je lisais récemment un livre de Françoise Giroud La comédie du pouvoir, où elle relate un exposé du ministre des Affaires étrangères lors d'un conseil des ministres se déroulant au milieu des années 1970.
Ce ministre indiquait qu'il ne fallait pas dramatiser la situation du Cambodge car renvoyer les gens à la rizière, on y trouve des poissons, j'en ai même péché, ils ne mourront pas de faim. (262)

Alors Giscard répondit :

-« Si on envoyait le Quai d'Orsay à la rizière. » (262)

4° LE MASSACRE DES SOLDATS PRISONNIERS

La déportation s'appliquera également aux soldats de l'Armée rouge.
L'ORDRE 270 décrète traître à la patrie tout soldat capturé par l'ennemi.

Pour Staline :

-« Il n'existe pas de prisonniers russes !
Le soldat russe combat jusqu'à la mort.
S'il tombe en captivité, il s'exclut automatiquement de la collectivité russe. » (172)

-"Il n'y a pas de prisonniers de guerre, il n'y a que des traîtres." (273)

Jan Krause décrira ainsi la politique de Staline :

-« Il était en tout cas impitoyable, indifférent aux souffrances incommensurables qu'il faisait subir aux autres.
Y compris aux soldats faits prisonniers par les Allemands et à leurs familles, déportées à titre de représailles.
Comme Hitler, il exigeait que l'on meure sur place plutôt que reculer, mais on ne l'a vu qu'une fois visiter le front, à bonne distance et dans une soigneuse mise en scène. »

Soljenitsyne dans son ouvrage Une journée d'Ivan Denissovich, publié en 1962 et d'abord publié dans la revue Novy Mir, décrit la vie dans un camp d'un soldat soviétique victime de l'ordre 270 :

-« D'après son dossier, Choukhov est au camp pour trahison de la Patrie.
Il a fait tous les aveux qu'il fallait : il s'est rendu aux Allemands parce qu'il avait envie de trahir l'Union soviétique, et il s'est, soit disant, évadé parce qu'il avait reçu une mission des services de renseignements de l'ennemi.
Quelle mission ?
Choukhov n'était pas assez futé pour en trouver une.
Ni non plus l'officier du contre-espionnage.
Alors c'était resté comme ça : Une mission.
Au contre-espionnage, on l'avait salement passé à tabac, Choukhov.
Alors il avait réfléchi : s'il ne signait pas, c'était le champ de navets.
En signant, il se donnait au moins une chance de vivre encore un peu.
Il avait signé.
Dans la vérité, ça s'était passé ainsi : en février 42 leur armée, au complet, s'était fait encercler sur le front Nord-Ouest, et les avions ne pouvaient rien leur parachuter à manger, vu qu'il n'y avait pas d'avions.
Ils en étaient arrivés à râper les sabots des chevaux crevés, pour faire, en ajoutant de l'eau, une pâte qu'ils avalaient.
Du reste, ils n'avaient pas non plus de cartouches.
Et les Allemands les avaient cueillis, les uns après les autres.
Choukhov s'était fait prendre avec un de ces groupes.
Il était resté prisonnier deux jours, mais en forêt sans qu'on l'emmène.
A cinq, ils s'étaient évadés et, après s'être planqués dans des bois et dans des marais, ç'avait été un vrai miracle : ils avaient rejoint les ligne.
Seulement deux s'étaient fait descendre raides, à la mitraillette, par les nôtres, un troisième était mort de ses blessures, et deux seulement, dont Choukhov, s'en étaient tirés.
Plus malins, en racontant qu'ils avaient tourné en rond dans la forêt, ils n'auraient pas eu d'ennuis.
Mais ils y avaient été bon c½ur bon argent : on revient, qu'ils avaient expliqué, d'avoir été faits prisonniers par les Allemands.

- Prisonniers ?
- Putains de vos mères !
- Des agents fascistes, oui !
- Au poteau !

A cinq, peut-être bien que, leurs dépositions ayant collé, on les aurait cru.
Mais, à deux, pas moyen.

- Vous êtes de mèche, tas de fumiers, qu'on leur avait dit, avec votre histoire d'évasion. » (41)

Dans L'Archipel du Goulag, Soljenitsyne décrit la scène suivante :

-« Un officier réceptionne un convoi de détenus condamné à dix ans de déportation.

Parmi eux, un seul a cependant pris vingt-cinq ans de camps :

- Tu es là pour quoi ? s'étonne l'officier.

- Sans motifs..., répond le prisonnier.

- Tu mens ! coupe l'officier.
Sans motif, on ne donne que dix ans. » (218)

Cette ½uvre, publiée à partir de 1973, à l'étranger, n'a été autorisée en URSS que le 7 juillet 1990.
Elle décrit l'histoire de la violence et de la répression en Russie depuis 1917.
C'est aussi une chronique minutieuse des camps de travail.

Alexandre Soljenitsyne fut lui-même arrêté en février 1945 en Prusse orientale où il combat avec son unité.
On lui reproche les opinions qu'il a formulé sur Staline dans une lettre qu'il envoya à un ami.
Il est emprisonné à la Loubianka.
Le 7 juillet 1945, il est jugé par un comité spécial du NKVD.
Il fut condamné à huit ans de détention dans un camp de redressement par le travail.
Il sera libéré en mars 1953.

Le général Andrei Vlassov (1900-1946) avait reçu l'ordre de ne se rendre uniquement qu'après une perte de 50 000 hommes. (100)
Andreï Andreïevitch Vlassov fut capturé durant l'été 1942.
Il se rangea aux côtés des Allemands et entreprit la libération des peuples de Russie à la tête d'anciens prisonniers soviétiques.
Le 5 mai 1945, les Américains le capturèrent et le remirent aux Soviétiques, qui l'exécutèrent.
Si le lecteur désire en savoir plus sur ce soldat perdu, je conseille l'ouvrage de
Jean-Christophe Buisson : Il s'appelait Vlassov aux Editions Lattès.

Léopold Trepper connut en prison de nombreux militaires victimes de l'Ordre 270 :

-« Sur la déroute de l'Armée Rouge au début de la guerre, les conversations avec les officiers supérieurs emprisonnés m'apprirent force détails.
Le soldat soviétique faisait le serment de ne jamais être pris vivant et devait garder la dernière balle pour lui.
Mais on ne fait pas la guerre avec des serments : dès le début de son offensive, la Wehrmacht réussit à encercler des divisions entières.
Bien des soldats parvenaient à s'enfuir, beaucoup étaient faits prisonniers.
Ceux-là étaient coupables de ne pas s'être suicidés.
Les autres, qui avaient réussi à rejoindre l'Armée Rouge à travers les lignes ennemies, étaient accusés d'espionnage.
Dans les deux cas, lourdes étaient les peines de prison.
J'ai passé plusieurs mois dans une cellule avec trois généraux.
L'un combattait dans l'Armée Rouge depuis la guerre civile, à laquelle il avait participé tout jeune encore.
Il commandait une division de cosaque, qui fut isolée et cernée par l'ennemi.
Grièvement blessé, il réussit à s'échapper et à se réfugier chez des paysans qui le soignèrent clandestinement pendant plusieurs mois.
Rétabli, il rejoint, par un long périple aventureux les lignes amies.
On l'interroge immédiatement : Pourquoi êtes-vous revenu ?
De quelle mission de renseignements les Allemands vous ont-ils chargé ?
Il est abasourdi, on ne lui laisse pas le loisir de répondre.
Il est arrêté.
Direction Loubianka...
Mon deuxième compagnon de détention, communiste depuis la guerre civile, était, au début des hostilités, général de division. Bousculés par l'attaque allemande, ses troupes résistent bien, se battent courageusement, mais subissent des pertes considérables.
La division est bientôt décimée.
Le général, avec un petit groupe de soldats, s'enfonce dans la forêt où il crée un groupe de partisans qui continue de guerroyer pendant plusieurs mois.
Le maquis, découvert, est attaqué.
Le général, avec deux compagnons, s'échappe de justesse, et tandis que les partisans couvrent sa retraite, il rejoint l'Armée Rouge.
Soupçonné d'espionnage, il est arrêté.
Il a commis l'immense faute de survivre...
Direction Loubienka... » (16)

Trepper nous donne également l'exemple du maréchal Golikov que nous avons déjà parlé dans un chapitre précédent :

-« Lorsque j'étais à Paris, le maréchal Golikov a fait le tour des camps de prisonniers dans les territoires libérés et il a solennellement déclaré, au nom de Staline et du parti, que tous les Russes qui étaient tombés aux mains de l'ennemi seraient les bienvenus dans leur patrie.
Quand ces centaines de milliers de prisonniers de guerre sont rentrés en Union soviétique, ils ont été immédiatement arrêtés et déportés. (16)

Staline avait un fils de sa première femme Ekaterina Svanidze dite Kato morte en 1908, (sa seconde femme née en 1901 se suicidera le 9 décembre 1932), Yakov (1907-1943) qui prisonnier des allemands mourut en captivité.
Jamais Staline n'intervint en sa faveur.

Pourtant même Hitler intervint en faveur de Yakov.

Je laisse sur ce sujet la parole à Albert Speer:

- "Quand dans un moment d'optimiste, il (Hitler) se reprenait à croire en la victoire, il disait parfois sur le ton de la boutade, que la meilleure chose à faire, si on parvenait à vaincre la Russie, serait de confier à Staline l'administration du pays, évidemment sous la tutelle de l'Allemagne, car pour s'y prendre avec les Russes, il était le meilleur chef qu'on puisse imaginer.
Surtout il considérait Staline un peu comme un collègue.
Peut-être est-ce en raison de ce respect qu'il avait à son égard qu'il ordonna, lorsque le fils de Staline fut fait prisonnier, de le bien traiter." (186)

Selon Roman Brakman, Hitler proposa à Staline d'échanger Yakov contre Paulus, le battu de Stalingrad, mais Staline lui fit répondre par le comte Folke Bernadotte (représentant de la Croix Rouge), qu'il n'échangeait pas des Maréchaux contre des soldats. (273)

Bernadotte sera assassiné le 17 septembre 1948 en Israel, alors qu'en tant que médiateur de l'ONU, il recherchait une solution de paix.

Entre parenthèses, ce fut un choix judicieux pour Staline de ne pas échanger Paulus car ce dernier en 1944, adressa aux Allemands un appel contre Hitler!

Yakov, plus souvent connu sous le nom de Jacob est fait prisonnier par les Allemands le 16 juillet 1941.
Il est mort le 14 avril 1943, en Allemagne, au camp de concentration de Sachsenhausen.
Il fut retrouvé mort dans les barbelés électrifiés entourant le camp.

Son second fils Vassili, rongé par l'alcoolisme, mourra en mars 1962, à l'âge de quarante et un ans.

Jan Krause nous rappelle que Staline :

-« refuse l'application des conventions de Genève (signée le 28 juillet 1929), ce qui coûtera la vie à des millions de prisonniers soviétiques, que Staline donne personnellement l'ordre de déployer derrière les unités du front des régiments de NKVD chargés de tirer sur les fuyards (à Stalingrad, 13000 soldats soviétiques sont fusillés par les leurs). » (174)

A Stalingrad, le haut commandement soviétique dont le commissaire politique était Nikita Khrouchtchev ordonna aux hommes de résister jusqu'au dernier homme :

-« Avant de mourir, tuez un Allemand, avec vos dents si nécessaire. » (207)

Lors de la bataille de Stalingrad, le maréchal Tchouikov menaça de fusiller un de ses commandants s'il ne continuait pas le combat bien que sa brigade n'ait plus qu'un char et qu'une centaine de soldats. (188)

Sur les massacres des soldats soviétiques par le NKVD lors de la bataille de Stalingrad, on ne peut conseiller que de regarder le film de Jean-Jacques Annaud Stalingrad sortie en 2001.

Un autre film nommé Stalingrad existe aussi.
Le Stalingrad de Joseph Vilsmaier montre la vie quotidienne des soldats allemands au cours de cette bataille.

N'oublions pas non plus les soldats allemands.
Le 2 février 1943, les Allemands sont battus à Stalingrad.
Sur les 91 000 soldats allemands fait prisonnier par les Soviétiques, seul 5 % survivront.
Soit seulement 4550 soldats !

Une petite anecdote que nous raconte Georges Blond (1906-1989) dans son ouvrage Convois vers l'URSS nous montre comment on fusille un soldat pour un motif futile.
Après l'invasion de l'URSS par les Allemands en juin 1941, les alliés organisèrent des convois sur les ports russes de Mourmansk, d'Arkangelsk et de Molotovsk.
Une réception entre officiers britanniques et russes se déroula dans un de ses ports précédemment cités.
A la fin de cette réception l'un des officiers britanniques porta un toast au roi Georges VI.
Un des officiers soviétiques, peut-être pris de boisson, jeta son verre à terre en crachant dessus.
Le lendemain, celui-ci fut fusillé. (277)

En 1945, lors d'une conversation entre le général Eisenhower (1890-1969) et Joukov (1896-1974), ce dernier lui affirma que lorsque ses troupes arrivaient devant un champs de mines, ils attaquaient comme si rien n'était. (75)
Cela me rappelle la guerre entre l'Irak et l'Iran.
Les Iraniens envoyaient des enfants soldats sur les champs de mines.
Ensuite il suffisait de marcher sur les cadavres des enfants pour éviter les mines.

Alexandre de Marenches nous donne son témoignage à propos de ces enfants soldats iraniens:

-"Ils ne craignaient rien car ils portaient suspendue par une ficelle autour du coup une clef en plastique ou en métal : la clef du paradis.
Il y a, paraît-il, quelqu'un qui fait fortune quelque part en Extrème-Orient en fabriquant par caisses entières ces clefs" (25)

Une anecdote en passant, raconté par Michael Voslensky dans son ouvrage La nomenklatura (Groupe social aux prérogatives exceptionnelles dans les régimes soviétiques) :

-« On racontait qu'au cours de la bataille de Moscou en 1941, un groupe de soldats conduit par un lieutenant commit quelques déprédations dans la datcha de A.A. Andreiev, l'un des personnages les plus effacés du politburo stalinien.
Le modeste Andreiev fit pourtant fusiller le lieutenant.» (177)

Ce n'était jamais qu'une souffrance de plus pour les prisonniers soviétiques.

Le 30 mars 1941, lors d'une conférence devant 250 officiers, Hitler déclara :

-« Dans ce combat idéologique gigantesque, il ne pourrait y avoir place pour des vertus chevaleresques ; le bolchevisme était un crime social ; il s'agissait de l'anéantir.
On devait mettre à mort les commissaires politiques et l'intelligentsia communiste sans se laisser retenir par aucun scrupule personnel. » (136)

Hitler déclara également :

-« J'ai libéré l'homme de ces illusions sordides, humiliantes, empoisonnées qu'on appelle la conscience et la morale. »

-« Notre force sera dans notre rapidité et notre brutalité.
Que m'importe ce que pensera de moi une civilisation occidentale dégénérée Gengis Khan a fait tuer des millions de femmes et d'enfants d'un c½ur léger !
Le monde ne se souvient de lui que comme un grand conquérant.
Il faut éliminer sans merci tous les hommes, femmes et enfants de race polonaise.
C'est la seule façon de satisfaire notre besoin d'espace vitale.
Et qui, après tout, évoque encore aujourd'hui le massacre des Arméniens ?»

Déjà, dès le 3 mars 1941, Himmler avait reçu des pouvoirs spéciaux étendus et indépendants des autres autorités.
Il était chargé de missions particulières qui résulteraient de régler définitivement le conflit entre deux systèmes politiques opposés. (136)

Le 13 mai 1941, Wilhelm Keitel (1882-1946) confirma la décision de Hitler en déclarant que :

- « Tous les commissaires politiques de l'armée rouge et tous les chefs communistes qui seraient faits prisonniers au cours de l'offensive à l'Est devraient être immédiatement liquidés. » (92)

Il compléta cette instruction le 8 septembre 1941, en éditant des instructions inhumaines pour le traitement des prisonniers soviétiques. (15)

Le 20 novembre 1941, le général Feld maréchal Erich von Manstein (1887-1973) déclara :

-«Le soldat doit faire preuve de compréhension à l'égard de la nécessité des sévères mesures d'expiation employés à l'encontre des Juifs, qui sont les dépositaires spirituels de la terreur bolchevique.
Cette expiation est nécessaire pour étouffer dans l'½uf tous les soulèvements qui sont, pour la plupart, organisés par des juifs. » (99)

L'un des rares à contester cette politique génocidaire et en appeler aux conventions internationales fut Canaris.

Wilhelm Keitel (1882-1946) lui fit cette réponse :

- « Vos scrupules correspondent à la conception traditionnelle d'une guerre chevaleresque.
Ici, il s'agit de l'anéantissement d'une idéologie.
C'est pourquoi j'approuve et couvre entièrement les mesures en question. » (15)

Alfred Rosemberg (1893-1946), l'auteur de l'ouvrage Le Mythe du XX ème siècle et ministre des territoires occupés de l'Est décrivit en 1942 dans une lettre à Keitel les conditions de vies des prisonniers russes :

-« Sur les trois millions et demi de prisonniers soviétiques, il ne reste aujourd'hui que quelques centaines de mille qui soient vraiment en état de travailler.
Une grande partie des autres a succombé à la faim, aux intempéries, au typhus exanthématique.
Des milliers de prisonniers acheminés à pied se sont effondrés en route et ont été achevés par l'escorte.
De nombreux camps ne consistaient qu'en une enceinte de barbelés, c'est -à-dire qu'il n'y avait aucun baraquement, si bien que les prisonniers couchaient à la belle étoile, à même le sol, sous la pluie et la neige... » (15)

Alfred Naujocks (1911-1966) fut témoin de l'un des nombreux massacres perpétrés en Russie, notamment par son ami Sepp Dietrich :

-« Près de Kherson, une patrouille annonça avoir découvert les restes de cent prisonniers allemands brûlés et torturés par les Russes.
Dietrich en devint presque fou de rage.
Il donna immédiatement l'ordre d'abattre chaque nouveau prisonnier pendant les trois jours qui suivirent.
Les soldats allemands, désireux de venger leurs camarades ne se firent pas répéter cet ordre.
Naujocks, mort d'épuisement à la suite d'une marche forcée, entendit un matin le crépitement d'une mitrailleuse derrière les lignes.
On exécutait tous les prisonniers.
Il vit, hypnotisé, les Russes tomber comme des mouches dans un immense fossé anti-char. » (118)

Sepp Dietrich (1892-1966) fut condamné à vingt-cinq ans de prison pour complicité dans le meurtre de prisonniers de guerre américain lors de la bataille des Ardennes en 1944.
Libéré au bout de dix ans, il fut amené, en 1957, à Munich et condamné le 14 mai à dix-huit mois de prison pour son rôle dans les exécutions du 30 juin 1934.
Sepp Diétrich est décédé le 3 avril 1966.
Plus de 3500 anciens SS vinrent à son enterrement. (221)


5° L'ABSURDITE DU SYSTEME NAZI

Le témoignage de Rosemberg prouve toute l'absurdité de la politique nazi.
Depuis la révolution d'octobre 1917, les rancunes, les haines liées à la guerre civile, aux exécutions de masse, aux déportations, bien sur à la collectivisation des terres, pouvaient permettre un ralliement relativement facile d'une grande partie de la population à l'Allemagne.
Sauf si les nazis massacrent la population et transforment les survivants en esclaves.

Pour compléter cet état de fait, nous avons maintenant le témoignage du docteur Brautigam, directeur adjoint du département politique du ministère de l'Est :

-« A notre entrée en territoire soviétique, nous avons trouvé une population lasse du bolchevisme, attendant désespérément les nouvelles formules qui lui apporteraient l'espoir d'un avenir meilleur pour elle.
Le devoir de Allemagne était de trouver ces formules, mais on ne les prononça pas.
La population nous a accueilli avec joie, comme des libérateurs, et elle s'est mise à notre disposition.
Avec l'instinct naturel des peuples de l'Est, l'homme primitif découvrit bientôt que, pour l'Allemagne, le slogan libération du bolchevisme n'était qu'un simple prétexte pour réduire en esclavage les peuples de l'Est, selon ses propres méthode...
Ouvriers et paysans comprirent vite que l'Allemagne ne les considérait pas comme des partenaires possédant des droits égaux, mais simplement comme l'objet de ses visées politiques et économiques...
Avec une présomption sans égale, nous avons fait abstraction de toute intelligence politique et nous avons traité les populations de territoires occupés de l'Est comme des Blancs de seconde classe auxquels la Providence aurait uniquement assigné la tâche de servir d'esclaves aux Allemands.
Ce n'est plus un secret pour personne, ni ami, ni ennemi, que par centaine de milliers les prisonniers russes sont morts de faim ou de froid dans nos camps.
Nous nous trouvons maintenant devant cette absurdité d'avoir à recruter des millions de travailleurs dans les territoires occupés de l'Est après avoir laissé les prisonniers de guerre mourir de faim comme des mouches...
Dans le mépris sans bornes de l'humanité slave qui prévalait, on a employé des méthodes de recrutement dont l'origine remonte sans doute aux périodes les plus sombres du trafic des esclaves.
Une véritable chasse à l'homme a été instituée.
Sans aucune considération d'âge, ni d'état physique, des gens ont été expédiés en Allemagne.
Notre politique a forcé à la fois les bolchevistes et les nationalistes russes à former un front commun contre nous.
Aujourd'hui, la Russie lutte avec un courage et un esprit de sacrifice exceptionnel, pour en fait, la simple reconnaissance de sa dignité humaine. » (100)

Cette note secrète envoyée à Alfred Rosenberg (1893-1946) ministre des territoires occupés de l'est, le 24 octobre 1942, servit lors du procès de Nuremberg.

Avant l'invasion du 22 juin 1941, Rosenberg avait eu l'idée de jouer la carte des nationalismes pour tuer l'URSS.
Mais la politique de Rosenberg était aussi bien combattu par les militaires que par Hitler.
Les militaires considéraient que le soutien aux différentes nations signifiait l'opposition de la nation la plus importante, la nation russe, alors que l'objectif raisonnable était d'en appeler à la nation russe et de la séparer de ses dirigeants pour détruire de l'intérieur l'Etat soviétique.
Quant à Hitler, tout l'espace soviétique devait être indistinctement colonisé par l'Allemagne.
La création de gouvernements nationaux ne pouvait qu'hypothéquer l'avenir et compliquer la tâche des futurs colons. (120)

Henri Bernard précise également que :

-« Durant les années précédant la guerre, Staline avait fait régner en URSS un régime de terreur.
Cette époque des grandes purges et des massacres collectifs fut celle de la Iejovtchina, le spasme d'épouvante.
Une grande partie de la population eût salué avec joie la fin d'un tel régime.
Lorsque les Allemands entrèrent en Biélorussie et en Ukraine, ils furent accueillis avec faveur.
Il est certain aussi que, dans les premières semaines de la campagne, des unités soviétiques se rendirent trop facilement.
Maints généraux allemands insistèrent auprès du Führer pour que cet état d'esprit soit encouragé par des mesures de bienveillance et de secours.
Au lieu d'agir ainsi, Hitler et Himmler multiplièrent les ordres inhumains.
La population russe présentait à leurs yeux moins de prix qu'un vil troupeau.
Les SS assumèrent la direction des pays occupés, et leurs actes dépassèrent en horreur tout ce qu'on peut imaginer.
Le moindre prétexte était bon pour créer le vide absolu dans une région.
Biélorussiens et Ukrainiens se rendirent bien vite compte que les nazis ne valaient pas mieux que le NKVD.
Et ceux-là même qui avaient espéré un changement heureux après l'arrivée des forces allemandes, allaient bientôt mener avec ferveur contre celle-ci une guérilla implacable et terriblement efficace pour sauver la sainte Russie. » (101)

Les Allemands prévoyaient que 80 à 85% des Polonais, 65% des Ukrainiens et 75% des Biélorussiens seraient éliminés ou rejetés en Sibérie.
Les survivants deviendraient les esclaves des colons allemands.

Sur ce sujet, Martin Bormann (1900-1945) écrivit :

-« Les Slaves ?
Ils travailleront pour nous.
Quant à ceux d'entre eux dont nous n'avons que faire, qu'ils meurent.
Donc, inutile d'étendre à la Pologne nos prescriptions en matière de vaccination et d'hygiène publique.
De même, l'invraisemblable fécondité de leurs femmes peut nous gêner : qu'elles se fassent avorter, que les hommes emploient des préservatifs, moins qu'il y aura de gosses chez eux, mieux cela vaudra.
L'instruction ?
Inutile, et même dangereuse.
Qu'ils apprennent à compter jusqu'à cent, c'est amplement suffisant pour le travail de man½uvre auquel nous les destinions.
On leur laissera la religion, cela les occupera.
Quant à la nourriture, il faudra qu'ils apprennent à se serrer la ceinture.
Qu'on leur donne de quoi se maintenir en vie, pas davantage.
De toute manière, c'est nous les seigneurs, par conséquent, c'est nous qui allons nous servir les premiers. » (15)

Quant à Heinrich Himmler (1900-1945), devant un auditoire de généraux SS, il affirma :

-« Je me moque éperdument du sort des Russes ou des Tchèques.
L'existence des autres peuples ne m'intéresse que dans la mesure où nous avons besoin d'esclaves pour maintenir et développer la civilisation allemande.
La construction d'une barricade antichar a coûté la vie de 10 000 femmes russes, mortes d'épuisement ?
Cela me laisse indifférent, du moment que la barricade a été construite.» (15)

Eugen Kogon (1903-1987), économiste et journaliste autrichien, fut arrêté en mars 1938 et transféré à Buchenwald en septembre 1939.

Il eu l'occasion de rencontrer, à la fin de l'automne 1937, un responsable SS qui lui expliqua la logique nazie :

- « Ce que nous voulons, nous, les instructeurs de la génération de chefs, c'est former un Etat moderne sur l'exemple des Etats communaux hellènes.
Les grandes réalisations culturelles de l'Antiquité sont dues à ces démocraties conduites par l'aristocratie, avec leur large base économique d'ilotes.
5 à 10% de la population, triés sur le volet, doivent commander; le reste n'a qu'à travailler et obéir.
C'est seulement ainsi que l'on pourra atteindre ces valeurs suprêmes que nous devons exiger de nous-mêmes et du peuple allemand. » (133)

Hans Frank (1900-1946), gouverneur général de Pologne déclara en 1940 :

-« Vous me demandez quelles différences entre le régime du protectorat tchécoslovaque et celui du gouvernement général de Pologne.
Je vais vous citer un exemple frappant.
Récemment, on a placardé à Prague de grandes affiches rouges annonçant l'exécution de sept Tchèques.
Et bien, si je voulais agir ainsi, à Varsovie, les immenses forêts de Pologne ne suffiraient pas pour produire le papier nécessaire. » (15)

On retrouvera dans le journal de Frank les notes suivantes :

-« Imaginons que je me sois présenté devant Hitler pour lui annoncer : Mon Führer, je viens d'exterminer encore cent cinquante mille Polonais.
Il m'aurait certainement répondu : Fort bien, du moment que c'est nécessaire.
De toute manière, une fois que nous aurons gagné la guerre, on pourra faire de la chair à saucisse avec les Polonais, les Ukrainiens et toute cette racaille, je n'y verrai aucun inconvénient. » (15)

-« Ici, en Pologne, nous avons pu faire la main sur trois millions et demi de juifs.
Sur ce total, il reste encore quelques compagnies de travail ; on les emploie au terrassement.
Les autres sont... mettons qu'ils ont émigré... » (15)

En 1941, Frank appelait à :

- « l'annihilation des 3 500 000 juifs qui encombrent la Pologne et pour qui on ne doit éprouver aucune pitié » (232)

6° LE SORT TRAGIQUE DES JUIFS

Adolf Eichmann (1906-1962) affirma :

-« Je sauterai en riant dans ma tombe, heureux d'avoir exterminé six millions de juifs »

Adolf Karl Otto Eichmann était le directeur de la section IV B4 de l'Office Central de Sécurité du Reich . (280)
D'abord chargé de l'extermination des Juifs en Pologne, il organisa la déportation et l'extermination des Juifs dans treize pays d'Europe.
Enlevé en 1960 par les services secrets israéliens en Argentine où il s'était réfugié, il fut condamné à mort.
Il fut pendu le 31 mai 1962, peu avant minuit, dans la cour de la prison de Ramleh.
Après incinération du corps, ses cendres furent dispersées dans la Méditerranée, au-delà de la limite des eaux territoriales israéliennes.
Les Israéliens, à juste titre, avaient estimé qu'enfouir dans le sol d'Israël les cendres de Eichmann aurait été une profanation, une insulte à la mémoire des six millions de juifs assassinés.

Concernant Eichmann, je vous conseille de voir le film de Rony Brauman et Eyal Sivan Un spécialiste et de lire l'ouvrage de Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal aux Editions Gallimard.

Pour terminer sur Eichmann, je vais vous raconter une anecdote sur ce triste sire.
En 1944, il est chargé d'exterminer les juifs de Hongrie.
Le 25 avril, il rencontre un juif hongrois, Joel Brand.
Il lui demandera d'aller voir les alliés.
En échange de dix mille camions, Eichmann promets la survie de un million de juifs hongrois.
Pour en savoir plus sur ce dossier, je vous conseille de lire le livre d'Alex Weissberg, L'histoire de Joel Brand aux Editions du Seuil.

Goering, après son arrestation, apprenant qu'il y avait des survivants parmi les juifs de Hongrie, déclara :

-« Tiens, il en reste encore ?
Je pensais qu'on les avait tous eus.
Il y en a encore un qui n'a pas fait son travail de limier. » (186)

Goering se suicida le 15 octobre 1946.

Les massacres furent nombreux.
Il est bien évidemment impossible de tous les énumérer car il faudrait des milliers de pages.

Mais je citerai quand même le massacre de 33 771 juifs en Ukraine dans le ravin de Baby Yar, le 29 et 30 septembre 1941.

Le poète Evgueni Evtouchenko en a fait un poème:

- Dans l'herbe folle au ravin des Bonnes Femmes
- Les arbres, dirait-on, profèrent des menaces
- Tels des juges.
- De silence sont faits tous les cris de ce lieu
- Je me découvre
- Et sens grisonner mes cheveux
- Je deviens à présent
- Cette plainte muette
- Qu'exhalent par milliers mes morts inhumés là.
- Je suis
- Chaque vieillard fusillé
- Sur ce tertre
- Je suis
- Chaque bambin fusillé
- Sur ce tertre
- Longtemps j'aurai mémoire
- Oh ! longtemps de cela. (143)

En 1953, l'Allemagne fédérale créera la BEG, et en 1957 la BRUG, des lois chargés d'indemniser les juifs survivants ou leur famille. (166)
Concernant la RDA, celle ci décide en 1949 qu'elle n'est pas héritière des crimes du Reich et refuse de verser des indemnités aux juifs. (166)
Réaction finalement peu surprenante quand on connaît la politique antisémite de Staline comme dans l'affaire des blouses blanches.
Pire encore, les Soviétiques utiliseront les anciens camps de concentration pour interner leurs opposants.

7°L'UTILISATION DES CAMPS ALLEMANDS PAR LES NAZIS

Les Soviétiques créèrent dans leurs zones d'occupation onze camps d'internement.
Vous pourrez bien sur me rétorquer que la construction de camps est une vieille habitude stalinienne.
Certes, mais les Soviétiques firent pire, ils utilisèrent les anciens camps de concentration allemands.

A Buchenwald, les Soviétiques internèrent 32 000 prisonniers.
Entre 6000 et 12 000 des prisonniers périrent dans ce camp.

En tout, les Soviétiques internèrent entre 200 000 et 250 000 personnes.
90 000 de ces prisonniers n'ont pas survécu !

Certes, les Soviétiques internèrent dans ces camps beaucoup de nazis et leurs divers collaborateurs, ce qui n'excuse en rien à l'attitude soviétique, mais ils en profitèrent également pour interner 6000 sociaux-démocrates.
Il n'y a pas de petits bénéfices.

CONCLUSION

Lors de la conférence de Téhéran n'hésita pas à faire de l'humour concernant sa grande vision de l'humanisme.
Le soir du 1er décembre 1943, une fête fut organisée pour fêter le soixante dixième anniversaire de Churchill.

Après le repas Staline lança un toast stupéfiant :

- Au premier cinquante mille Allemands que nous allons massacrer au moment de la victoire !

Churchill, totalement choqué, hurla :

- Mais c'est infâme !
Jamais je n'accepterais de tolérer un tel crime.
Ce serait déshonorer l'armée britannique, nos enfants auraient honte de nous !

Staline avec son humour très froid lui répondit ainsi :

- Pour faire plaisir au grand camarade Churchill, j'accepte un compromis.
Je ne bois qu'aux premiers quarante neuf mille cent cinquante Allemands que nous allons massacrer.

Ce genre d'humour ne choquait pourtant pas Franklin Delano Roosevelt (1882-1945).

Pour le président américain :

- « Staline n'essaiera pas d'annexer quoi que ce soit et oeuvrera avec moi pour un monde de démocratie et de paix. » (25)

- « Si je lui remets tout ce qu'il me sera possible de lui donner sans réclamer aucune contrepartie, il se sentira moralement obligé, ne tentera pas d'annexer quoi que ce soit et collaborera à l'établissement d'un monde démocratique et pacifiste.

-« Il y a une chose dont je suis certain : c'est que Staline n'est pas un impérialiste.»

Pourtant en 1925, Alexis Rykov (1881-1938) proclamait :

-« Lorsque le jour sera venu, notre Armée rouge, sur un signe du Komintern, commencera sa grande marche victorieuse, qui fera époque dans l'histoire.
Nous aiderons de toutes nos forces à la victoire brillante et définitive du communisme dans le monde.
L'Armée rouge immense, disciplinée et pénétrée de l'esprit de Lénine en sera le principal artisan. » (57)

En 1928, c'est au tour de Staline d'affirmer :

-« L'armée de l'URSS est destinée à faire la révolution dans le monde entier. » (57)

N'a t-il pas aussi proclamé à propos de la seconde guerre mondiale :

-« Ce n'est pas une guerre comme celles du passé.
Celui qui occupe une partie de territoire y impose son régime.
Chacun introduit son système aussi loin que vont ses forces armées.
Cela ne peut être autrement. » (171)

Jean-François Revel (1924-2006) considère que :

-« Les alliés bradèrent à Staline :

1. Toutes les concessions territoriales en Europe que celui-ci avait obtenues d'Hitler en 1939 lors du pacte Molotov-Ribbentrop ;

2. pratiquement le droit tacitement concédé d'annexer de facto tous les pays « libérés » par l'Armée rouge en Europe orientale et centrale

3. une option sur l'Europe occidentale. »

Cette logique sera respectée à la lettre par ses successeurs.

Ainsi le 25 août 1968, Leonid Brejnev (1906-1982) affirma à Alexander Dubcek (1921-1992) :

-« Les résultats de la seconde guerre mondiale sont inviolables, nous les défendrions même au risque d'une nouvelle guerre. » (171)

Avec Staline, il y a une logique.
Agrandir le communisme quelles que soient les alliances, les compromis à réaliser.
On l'a vu dans cet ouvrage avec Rapallo ou le pacte Ribbentrop-Molotov.

Les rapports de forces dominent l'esprit de Staline.
Il ne croit ni à l'organisation des Nations Unies, ni à la bonne fois occidentale, ni à la cohabitation du capitalisme et du communisme, ni à une paix durable entre l'Union soviétique et les Etats-Unis.
Mais comme Hitler en 1939, Staline a besoin d'un répit.
Il ramasse le butin de sa victoire, les terres slaves d'Europe, comme il ramassait cinq ans auparavant les fruits de l'accord Ribbentrop-Molotov, mais il entend s'abstenir de toute entreprise qui pourrait ouvrir des hostilités prématurées entre une Russie épuisée et une Amérique au sommet de sa puissance.
C'est pourquoi il n'exploite pas les conditions révolutionnaires magnifiques que la libération a créé en France et en Italie.
Protégé par une ceinture d'Etats vassaux exploitant leurs ressources économiques, techniques et humaines, il relèvera les ruines dont l'URSS est couverte et lui donnera la puissance dont elle a besoin pour se mesurer au colosse américain. (93)

Staline et ses successeurs n'ayant pas les moyens d'attaquer directement les Etats-Unis : les Coréens, Vietnamiens, Laotiens et Cambodgiens paieront l'addition !

POUR FINIR QUELQUES PAROLES DE SAGESSE

Il est curieux qu'il soit apparu comme le grand vainqueur d'une guerre qu'il avait recommencée comme le grand vainqueur d'une guerre qu'il avait recommencée en 39 avec son alliée et ami de rencontre Hitler...
Alexandre de Marenches (1921-1995)

Voyez-vous, nous vivons à une époque de démence.
Staline

Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre.
Georges Santayana (1863-1952)

Le philosophe Jaspers (1883-1969) a résumé la situation.
Il dit que, dans la même personne, on ne saurait trouver à la fois ces trois choses : l'honnêteté, l'intelligence et l'adhésion au Parti.
Si l'on est intelligent et membre du parti, on est malhonnête.
Si l'on est honnête et membre du Parti, on est sot.
Si l'on est intelligent et honnête, on n'est pas membre du Parti.
Boris Segal

Enfin je terminerais ce modeste ouvrage par le jugement de Jean Elleinstein :

-« Jamais sans doute dans l'histoire un régime n'a fait preuve de tant d'hypocrisie. »


NOTES BIBLIOGRAPHIQUES :


1° LE FIGARO jeudi 24 août 1939

Le Figaro se replie en 1940 à Lyon.
Il se saborde le 11 novembre 1942.

Le Figaro, qui lors de l'occupation de la zone sud s'était, comme on disait sabordé, avait repris sa publication deux jours avant que la capitale ait été libérée.
Toutefois, son détenteur n'en avait pas la propriété.
Je fis en sorte qu'il pût, néanmoins, éditer le journal.

Le général de Gaulle Mémoire de guerre. Le Salut

2° LE MATIN jeudi 24 août 1939 N° 20241

Le Matin fut créé en 1885 par Maurice Bunau-Varilla (1856-1944) et Alfred Edwards (1856-1914).
En 1912, son tirage était de 647 000 exemplaires.
Après la première guerre mondiale son tirage diminue et en 1939, il n'est plus qu'à 312 597 exemplaires.
Après la défaite de mai-juin 1940, Le Matin réapparaît en zone Nord dès le 17 juin 1940.
L'ordonnance du 30 septembre 1944, interdisant la reparution des quotidiens qui avaient continué de paraître en zone Nord après le 25 juin 1940, on ne retrouvera pas Le Matin dans les kiosques à la libération.

3° LE PETIT JOURNAL jeudi 24 août 1939 N° 27976

Le Petit Journal fut créé le 1er février 1863 par Moise Millaud dit Polydore.
Le 14 juillet 1937, ce journal devient l'organe du PSF.
De ce fait, le colonel François de La Rocque (1885-1946) en devient le directeur.

4° NEW YORK HERALD TRIBUNE jeudi 24 août 1939 N° 18951

Ce journal fut fondé par Jacques Gordon Bennet (1795-1872).
L'édition parisienne de ce journal fut créée le 4 octobre 1887.

5° PARIS-SOIR lundi 4 septembre 1939 N° 5834

PARIS-SOIR fut créé en 1923 par Eugène Merlot, dit Merle.
En 1930, ce quotidien est racheté par Jean Prouvost (1885-1978).
Prouvost fit monter le tirage de Paris-Soir de 60 000 à 1.500.000 exemplaires en 1934.
En 1938, Prouvost achète Match qui deviendra Paris-Match en 1949.
En 1976, Prouvost le revend à Daniel Filipacchi.
Sous le gouvernement Reynaud, Jean Prouvost devint ministre de l'information.
Paris-Soir se saborde le 12 novembre 1942.
Contraint de réapparaître, il disparaîtra pour de bon le 25 mai 1943.
L'ordonnance du 30 septembre 1944, interdisant la reparution de journaux ayant continué de paraître après le 26 novembre 1942, Paris-Soir ne reviendra plus dans les kiosques après la libération.
Après-guerre, Jean Prouvost deviendra propriétaire du Figaro qu'il revendra en 1975 à Robert Hersant (1920-1996).

6° PIERRE ET RENEE GOSSET SOIXANTE-DIX JOURS QUI CHANGERENT LE MONDE DANS HISTORIA OCTOBRE 1959 N° 155

HISTORIA fut créé en décembre 1909 sous le titre Lisez-moi historique-historia, par Jules Tallandier.
En 1934, il change de nom et devient Lisez-moi Historia.
Enfin en 1955, on le retrouve sous son nom définitif d'Historia.

7° JERRARD TICKELL KATYN LE MASSACRE DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE 27 MARS 1969 N° 71

8° ARKADY POLTORAK AU PROCES DE NUREMBERG DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE 27 MARS 1969 N° 71

9° ALBERT MERGLEN 1940 : LES CHARS FRANÇAIS FACE AUX CHARS ALLEMANDS DANS HISTORAMA NOVEMBRE 1977 N° 312

10° LIBERATION 3 AOUT 1989

11° PARIS-NORMANDIE 14 AOUT 1989

12 ° LE NOUVEL ECONOMISTE 8 DECEMBRE 1989

13° ISAAC DEUTSCHER (1907-1967) STALINE EDITIONS GALLIMARD 1953

14° WILLIAM L. SHIRER (1904-1993) LE TROSIEME REICH- DES ORIGINES A LA CHUTE STOCK TITRE ORIGINAL THE RISE AND FALL OF THE THIRD REICH

15° JOE J.HEYDECKER ET JOHANNES LEEB LE PROCES DE NUREMBERG EDITIONS CORREA, BUCHET-CHASTEL 1959

16° LEOPOLD TREPPER LE GRAND JEU EDITIONS ALBIN MICHEL 1975

17° JACQUES DE LAUNAY LES GRANDES CONTREVERSES DU TEMPS PRESENT 1914/1945 MARABOUT UNIVERSITE

18° VICTOR SERGE (1890-1947) S'IL EST MINUIT DANS LE SIECLE EDITIONS BERNARD GRASSET 1939

Victor Serge fut, avant la première guerre mondiale, condamné à cinq ans de prison par la cour d'assises de Paris pour avoir donné refuge à des membres de la bande à Bonnot.
Jules Joseph Bonnot (1876 1912) était un anarchiste français.
Les attaques à main armée rendirent célèbre la bande à Bonnot.
Bonnot fut abattu au moment où il allait être arrêté.
Victor Serge rejoint la Russie après la révolution.
Il est arrêté et déporté à Drenburg le 8 mars1933.
La campagne de soutien menée par Magdeleine Paz, Boris Souvarine (1894-1984), Marcel Martinet, André Malraux (1901-1976), Charles Plisnier (1896-1952), Georges Duhamel (1884-1966), Romain Rolland (1866-1944) et Gérard Rosenthal permet d'obtenir la libération de Victor serge. (178)

19 ° PHILIPPE MASSON UN CHEF EN QUETE DE TRONE : DORIOT DANS HISTORIA HORS SERIE N°39 LA COLLABORATION 1975

20° LE FRANCISTE 11 AVRIL 1939

21° DOMINIQUE LAPIERRE ET LARRY COLLINS (1930 - 20 juin 2005) CETTE NUIT LA LIBERTE EDITIONS ROBERT LAFFONT 1975

22° SIR BASIL H.LIDDEL HART (1895-1970) HISTOIRE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD 1973

23° KOSTA CHRISTITCH INTRODUCTION A L'EXECUTION DE MILOVAN DJILAS (1911-1995) CALMAN-LEVY 1966

24° GILLES PERRAULT LA LONGUE TRAQUE EDITIONS J.C.LATTES, 1975

25° CHRISTINE OCKRENT COMTE DE MARENCHES (1921-1995) DANS LE SECRET DES PRINCES EDITIONS STOCK, 1986

26° WINSTON LEONARD SPENCER CHURCHILL (1874-1965) LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE - TOME PREMIER : L'ORAGE APPROCHE 1919-1939 PLON 1965

L'ouvrage comprenait six ouvrages dont le premier fut publié en 1946 et le dernier en 1953.
La traduction française comportait douze ouvrages, mais est moins épaisse que les éditions originales.
Cette série d'ouvrages permettra à Winston Churchill d'obtenir le prix Nobel en 1953.

Churchill, qui ne manquait pas d'humour, affirmait à propos de ses mémoires :

-« Je n'écris pas une Histoire, j'édifie une fortune. »

27° CENTRE DE SAUVEGARDE DES ARCHIVES HISTORIQUES.
EX-ARCHIVE SPECIALE DE L'URSS.
TRADUCTION FRANCAISE DE ANSIS REINHARDS AVRIL 1999

28° BERTRAND DE JOUVENEL (1903-1987) UN VOYAGEUR DANS LE SIECLE EDITIONS ROBERT LAFFONT 1979

29° LAURE MOULIN JEAN MOULIN PRESSE DE LA CITE 1982

30° JEAN SOULAIROL CHARLES DE GAULLE -LE LIBERATEUR- L'HOMME-L'¼UVRE LIBRAIRIE BLOUD £ GAY

31° GEORGES BONNET (1889-1973) FIN D'UNE EUROPE CONSTANT BOURQUIN, 1948

32° ALFRED SAUVY (1898-1990) HISTOIRE ECONOMIQUE DE LA FRANCE ENTRE LES DEUX GUERRES FAYARD 1965

33° JE SUIS PARTOUT 30 JUIN 1941

Ce journal fut créé le 29 novembre 1930 par l'éditeur Arthème Fayard, Pierre Gaxotte (1895-1982).
Les principaux collaborateurs de cette revue sont Claude Jeantet, Robert Brasillach (1909-1945), Lucien Rebatet (1903-1972) et Thierry Maulnier (1909-1988).
En mai 1940, ce journal est suspendu à la suite d'une campagne anti-Reynaud.
L'hebdomadaire ne réapparaît que le 7 février 1941.
Son rédacteur en chef est Robert Brasillach qui occupe cette fonction depuis le 16 juin 1937.
En 1943, après la chute de Mussolini, Brasillach voulait infléchir la ligne politique du journal.
Mis en minorité, il démissionne et est remplacé en septembre 1943 par Pierre Antoine Cousteau (1906-1965).
Cousteau comme Brasillach sera condamné à mort.
Mais contrairement à Brasillach, Cousteau sera gracié en 1946.
Il retrouvera la liberté en 1954.
Le 28 juillet 1944, le journal est de nouveau interdit, cette fois-ci par Laval.
Il réapparaîtra une dernière fois le 16 août 1944.

34° ALEXANDRA VIATTEAU COMMENT A ETE TRAITE LA QUESTION DE KATYN A NUREMBERG EDITIONS COMPLEXE, 1996

35° ANNETTE WIEVIORKA LE PROCES DE NUREMBERG EDITIONS OUEST-FRANCE, 1995

36° ELIZABETH ANTEBI LA DERAISON D'ETAT DANS HISTORAMA HORS SERIE N°9, 1977

37° SITE INTERNET WWW.LETTON.CH

38° SITE INTERNET WWW.UNHCR.CH

39° NERIN E.GUN STALINE SORT SON CRAYON ROUGE DANS HISTORIA N° 363 FEVRIER 1977

40° HENRI SMOTKINE LA POLOGNE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

41°ALEXANDRE SOLJENITSYNE UNE JOURNEE D'IVAN DENISSOVITCH JULLIARD 1975

42° JACQUES ATTALI UN HOMME D'INFLUENCE LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD, 1985

43° SOPHIE ROSENZWEIG LE LIEN ROMPU CHRONIQUES DE LA REUNIFICATION ALLEMANDE EDITIONS DU FELIN

44° MARIE-JEANNE VIEL LA PRESSE PARISIENNE DANS HISTORIA HORS SERIE N° 39 LIBRAIRIE JULES TALLANDIER, 1975

45° THIERRY WOLTON LE KGB EN FRANCE 1986, EDITIONS GRASSET & FASQUELLE

46° PAULA GARB NAISSANCE D'UN JOURNAL - UNE ODYSSEE CONTEMPORAINE EDITION FRANCAISE LES NOUVELLES DE MOSCOU N° 23 2 JUIN 1989

47° ROY MEDVEDEV LE STALINISME EDITIONS LE SEUIL 1974

48 ° HEDRICK SMITH LES RUSSES- LA VIE DE TOUS LES JOURS EN UNION SOVIETIQUE EDITIONS PIERRE BELFOND 1976

49° GEORGES BORTOLI MORT DE STALINE EDITIONS ROBERT LAFFONT 1973

50° JOHN BARRON KGB 1975 EDITION ELSEVIER SEQUOIA

51° INTERVIEW DE VIKTOR SUVOROV PAR ANDRZEJ MIETKOWSKI DANS LE POINT N° 846 5 DECEMBRE 1988

52° ARTHUR CONTE YALTA OU LE PARTAGE DU MONDE ROBERT LAFFONT 1964

53° GILLES PERRAULT L'ORCHESTRE ROUGE LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD 1967

54° PIERRE ACCOCE ET PIERRE QUET LA GUERRE A ETE GAGNE EN SUISSE. L'AFFAIRE ROESSLER LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN 1966

55° PIERRE NORD (COLONEL ANDRE BROUILLARD) (1900-1985) ...ET STALINE DECAPITA L'ARMEE ROUGE LIBRAIRIE DES CHAMPS ELYSEES 1975

En 1916, Pierre Nord est arrêté à Saint-Quentin par les Allemands pour fait de résistance.
Condamné à mort, vu son jeune age, il est gracié.
Pierre Nord fut en 1939-1940, chef des Services spéciaux des 9ème et 10 ème armées.
Prisonnier en 1940, il s'évade et devient un des animateurs de l'Armée secrète.
Il finit la guerre comme colonel.

56° ALAIN DECAUX KATYN, CRIME HITLERIEN OU STALINIEN DANS L'OUVRAGE NOUVEAUX DOSSIERS SECRETS LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN 1967

57° MARCEL OLLIVIER UN ESPION NOMME STALINE EDITIONS FRANCE-EMPIRE 1974

58° ARTUR LONDON (1915-1986) L'AVEU EDITIONS GALLIMARD 1968

59° ANDRE TAILLEFER LA FILIERE AMERICAINE : LES SECRETS DE L'ALPENFESTUNG ENFIN DEVOILES DANS HISTORAMA HORS-SERIE N°28 JUILLET 1977

60° GENERAL DE GAULLE (1890-1970) MEMOIRES DE GUERRE L'APPEL 1940-1942 LIBRAIRIE PLON 1959

61°GENERAL DE GAULLE (1890-1970) MEMOIRES DE GUERRE LE SALUT 1944-1946 LIBRAIRIE PLON 1959

62° LOUIS GARROS COMMENT FURENT CHATIES LES CRIMINELS DE GUERRE JAPONAIS DANS HISTORAMA N° 272 JUILLET 1974

63° COMMANDANT VULLIEZ UN NOUVEAU JOUR SUR L'AFFAIRE CICERON DANS MIROIR DE L'HISTOIRE FEVRIER 1963

Magazine créé en 1950 par François Sant'Andréa

64° ANDRE FALK LE MYSTERE DE L'INCENDIE DU REICHSTAG DANS LE ROMAN VRAI DU DEMI-SIECLE. 1930-1940. LA DROLE DE PAIX EDITIONS DENOEL 1960

65° ANDRE FRANCOIS-PONCET (1887-1978) IL Y A 20 ANS. L'ANSCHLUSS, PREMIERE ETAPE DES CHANGEMENTS DU MONDE MODERNE DANS HISTORIA N° 136 MARS 1958

66° JACQUES BOULENGER LA VIE TUMULTUEUSE DE GABRIELE D'ANNUNZIO DANS HISTORIA N° 136 MARS 1958

67° FILM HITLER-STALINE : LIAISONS DANGEREUSES REALISATION : JEAN-FRANCOIS DELASSUS ET THIBAUT D'OIRON

68° GENERAL DE GAULLE (1890-1970) MEMOIRES DE GUERRRE. L'UNITE 1942-1944 LIBRAIRIE PLON 1956

69° GOEFFREY BAILEY L'ENLEVEMENT DU GENERAL MILLER DANS HISTORIA N° 196 MARS 1963

70° ANDRE FRANCOIS-PONCET (1887-1978) LE MUSSOLINI QUE J'AI CONNU DANS HISTORIA N° 360 NOVEMBRE 1976

71° ANDRE BRISSAUD UN SECRET QUI FUT BIEN GARDE : CELUI DE LA MORT DE L'EPOUSE DE STALINE » DANS HISTORAMA N° 287 OCTOBRE 1975

72° ADOLF HITLER (1889-1945) LIBRES PROPOS SUR LA GUERRE ET LA PAIX, RECUEILLIS SUR L'ORDRE DE MARTIN BORMANN (1900-1945) FLAMMARION 1954

73° PHILIPPE CONRAD L'ITINERAIRE SUPPRENANT DE JACQUES DORIOT DANS HISTOIRE MAGAZINE N° 25 MARS 1982

74° RONALD SETH L'OPERATION BARBEROUSSE EST DECLENCHEE DANS HISTORIA HORS SERIE 6 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1939-1967 LA GUERRE ET LA PAIX 3 ème TRIMESTRE 1967

Ronald Seth exerça la fonction d'agent secret durant la seconde guerre mondiale.
Il effectua de nombreuses missions, notamment en 1942, en Estonie occupée par les Allemands.

75° MICHEL TANSKY JOUKOV. LE MARECHAL D'ACIER ROBERT LAFFONT

76 ° JACQUES BENOIST-MECHIN (1901-1983) COMMENT FUT SIGNE LE PACTE GERMANO-SOVIETIQUE DANS HISTORIA HORS-SERIE N° 6 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1939-1967 LA GUERRE ET LA PAIX 3ème TRIMESTRE 1967

77° FRANCOIS BRIGNEAU UN WAGON PLOMBE CHANGE LA FACE DU MONDE DANS HISTORIA HORS-SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2ème TRIMESTRE 1967

78° GERARD WALTER LENINE IMPOSE LA PAIX DE BREST-LITOWSK DANS HISTORIA N° 136 MARS 1958

79° HELENE CARRERE D'ENCAUSSE LA III ème INTERNATIONALE DANS L'ENCYCLOPEDIE DES HOMMES CELEBRES HAVAS EDITION ELECTRONIQUE 1987

80° IVAN VORONOV LES RUSSES REPONDENT... DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE N° 24 AVRIL 1968

81° WALTER GORLITZ ET HERBERT A.QUINT HITLER ANNEXE L'AUTRICHE DANS HISTORIA N° 136 MARS 1958

82° JEAN-ANDRE FAUCHER HISTOIRE DU NAZISME - LA MORT DES AIGLES SER GERFAUT 1984

83° TEXTE DE LEOPOLD TREPPER EN POSTFACE DE L'EDITION DE POCHE DU LIVRE DE GILLES PERRAULT L'ORCHESTRE ROUGE MARS 1971

84° VICTOR ALEXANDROV L'AFFAIRE TOUKHATCHEVSKY VICTOR ALEXANDROV ET LES NOUVELLES EDITIONS MARABOUT 1978

85° GERARD GUICHETEAU KATYN - LA FORET QUI ACCUSE DANS HISTORAMA-HISTOIRE MAGAZINE N° 73 MARS 1990

86° ROGER GHEYSENS LES ESPIONS EDITIONS ELSEVIER SEQUOIA 1973

87° RAYMOND CARTIER (1904-1975) LA GRANDE AGONIE DE BERLIN : 1er MAI 1945 DANS HISTORAMA N°255 FEVRIER 1973

88° BRUNO DE CESSOLE PROCES KRAVCHENKO. LA VERITE PASSE A L'OUEST DANS HISTORAMA-HISTOIRE MAGAZINE N°60 FEVRIER 1989

89° WINSTON LEONARD SPENCER CHURCHILL (1874-1965) LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE- L'ORAGE APPROCHE - LA DROLE DE GUERRE- 3 SEPEMBRE 1939-10 MAI 1940 LIBRAIRIE PLON 1948

90° CLAUDE JULIEN L'EMPIRE AMERICAIN EDITIONS BERNARD GRASSET 1968

91° COLONEL IRANEK-OSMECKI PEUPLE DE VARSOVIE, AUX ARMES ! DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE N°78 MAI 1969

92° JEAN-ANDRE FAUCHER HISTOIRE DU NAZISME - A L'ASSAUT DE L'EUROPE 1984 SOCIETE S.E.R-GERFAUT

93° RAYMOND CARTIER (1904-1975) LE DIKTAT DE STALINE A POTSDAM EN 1945 DANS HISTORIA N° 263 OCTOBRE 1973

94° A.N. CHIMANSKI MARCHE SUR VARSOVIE DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE N°78 MAI 1969

95° MARECHAL KONSTANTINE ROKOSSOVSKI (1896-1968) AUX PORTES DE VARSOVIE DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE N° 78 MAI 1969

96° ALAIN DECAUX KIROV : LE CRIME DU SIECLE DANS L'OUVRAGE C'ETAIT LE XXème SIECLE. 2. LA COURSE A L'ABIME LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN 1996

97° ALAIN DECAUX LES ENIGMES DE RICHARD SORGE DANS L'OUVRAGE NOUVEAU DOSSIERS SECRETS LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN 1967

98° ALAIN DECAUX L'AFFAIRE TOUKHATCHEVSKI DANS L'OUVRAGE C'ETAIT LE XXème SIECLE. 2 . LA COURSE A L'ABIME LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN 1996

99° JOSEPH WULF LES EINSATZGRUPPEN DANS DOSSIER HISTORAMA N°1 1er TRIMESTRE 1975

100° JACQUES DE LAUNAY LA GUERRE PSYCHOLOGIQUE DANS LES DOSSIERS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE LES EDITIONS GERARD 1964

101° HENRI BERNARD LES TOURNANTS MILITAIRES DANS LES DOSSIERS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE LES EDITIONS GERARD 1964

102° JEAN-PAUL OLLIVIER KERENSKY OUVRE LA VOIE AUX BOLCHEVIKS DANS HISTORIA HORS-SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS DE RUSSIE 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2ème TRIMESTRE 1967

103° HENRI NOGUERES (1916-1990) MUNICH OU LA DROLE DE PAIX ROBERT LAFFONT, 1953

Henri Noguères fut président de La Ligue des droits de l'homme de 1975 à 1984.
Le 21 septembre 1980, il fut victime d'un attentat dont il réchappa de justesse.
Il fut également directeur et rédacteur en chef de la revue Aux Carrefours de l'histoire.
Ses ouvrages les plus connus sont notamment l'histoire de la résistance en France (1981), la vie quotidienne des résistants de l'armistice à la libération (1983) et la vérité aura le dernier mot (1985).

104° LEON POLIAKOV (1910-1997) LE PROCES DE NUREMBERG JULLIARD 1971

105° WLADIMIR D'ORMESSON (1888-1973) SOUVENIRS SUR PIE XII DANS HISTORIA N°155 OCTOBRE 1959

106° JEAN-MARC VARAUT LE PROCES DE NUREMBERG HACHETTE / PLURIEL 1993

107° GEORGES BONNET (1889-1973) DE MUNICH A LA GUERRE- DEFENSE DE LA PAIX EDITIONS PLON 1967

108° JACQUES MORDAL LA GUERRE GERMANO-SOVIETIQUE. LE ROULEAU COMPRESSEUR RUSSE DANS MIROIR DE L'HISTOIRE AVRIL 1957 N°88

109° LE JOURNAL MERCREDI 22 MAI 1940 N° 17381

LE JOURNAL fut créé le 28 septembre 1892 par Fernand Xau .

110° PIERRE DE VILLEMAREST LES TUEURS DU K.G.B DANS HISTORIA JANVIER 1982 N°422

111° GEORGES-ANDRE CHEVALLAZ LES GRANDES CONFERENCES DIPLOMATIQUES DANS LES DOSSIERS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE LES EDITIONS GERARD 1964

112° ALVIN TOFFLER LA 3ème V AGUE EDITIONS DENOEL 1980

113° HENRI H. MOLLARET L'ARME BIOLOGIQUE DANS HISTORIA JANVIER 1991 N° 529

114° JEAN DANIEL LE TEMPS QUI RESTE EDITION STOCK 1973

115° JEAN BRUHAT LE COMMUNISME DE GUERRE DANS HISTORIA HORS SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2ème TRIMESTRE 1967

116° HENRI FRENAY (1905-1988) LA NUIT FINIRA . 1. MEMOIRE DE RESISTANCE. 1940-1943 COEDITION ROBERT LAFFONT-OPERA MUNDI 1973

117° KARL DOENIZ (1891-1980) DIX ANS ET VINGT JOURS LIBRAIRIE PLON 1959

118° GUNTER PEIS L'HOMME QUI DECLENCHA LA GUERRE EDITIONS ARTHAUD

Le journaliste allemand, Gunter Peis prétend avoir retrouvé Naujock en 1959, à Hambourg.

119° JEAN-BAPTISTE DUROSELLE (1917-1994) POLITIQUE ETRANGERE DE LA FRANCE . L'ABIME. 1939-1944 IMPRIMERIE NATIONALE 1982 1986

120° HELENE CARRERE D'ENCAUSSE L'EMPIRE ECLATE FLAMMARION 1978

121° L'ILLUSTRATION 20 JUILLET 1918 N° 3933

L'ILLUSTRATION fut créé par J.B Paulin (1793-1859) le 15 février 1845.
Il y aura en tout 5293 numéros.

122° L'ILLUSTRATION 12 OCTOBRE 1918 N° 3945

123° PIERRE RIGOULOT LE TERRORISME EN URSS DANS L'HISTOIRE OCTOBRE 1985 N° 82

L'HISTOIRE magazine fondé en 1978.

124° HENRY CHARBONNEAU LA CHUTE DE BARCELONE DANS LE ROMAN VRAI DU DEMI-SIECLE.1930-1940 . LA DROLE DE PAIX EDITION DENOEL 1960

125° LEONARD MOSLEY COMMENT L'ANGLETERRE LIVRA l'OR TCHEQUE AUX NAZIS DANS HISTORAMA MARS 1977 N°304

126° SANCHE DE GRAMONT LA GUERRE SECRETE ROBERT LAFFONT 1962

127° EMMANUEL D'ASTIER (1900-1969) LES GRANDES PURGES DANS HISTORIA HORS SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2ème TRIMESTRE 1967

128° GILBERT BADIA LA FIN DE LA REPUBLIQUE ALLEMANDE 1929-1933 EDITIONS SOCIALES 1958

129° ALLEN WELSH DULLES (1893-1969) LA TECHNIQUE DU RENSEIGNEMENT ROBERT LAFFONT 1964

130° ALEXANDER FOOTE LES SECRETS D'UN ESPION SOVIETIQUE EDITIONS DE LA PAIX 1951

131° HENRI AMOUROUX (-2007) LA VIE DES FRANÇAIS SOUS L'OCCUPATION TOME 2 LIBRAIRIE ATHEME FAYARD 1961

132° MAJA DESTREM LES TROIS PREMIERS JOURS DE LA GUERRE DE 1939 DANS HISTORAMA JUILLET 1974 N° 272

133° EUGEN KOGON (1903-1987) LES SS ET LES CAMPS DE LA MORT DANS DOSSIER HISTORAMA N°1 - HISTOIRE DU NAZISME : LES SS 1ER TRIMESTRE 1975

134° OLIVIER GUICHARD (1920-2004) MON GENERAL EDITIONS GRASSET & FASQUELLE 1980

135° CHRISTIAN JELEN ET LEOPOLD UNGER STALINE AVAIT RAISON : LA POLOGNE N'EST PAS SOVIETISABLE DANS L'EXPRESS N° 1747 28 DECEMBRE 1984-3 JANVIER 1985

136° JOHN ERICKSON LA WEHRMACHT AVANT BARBAROUSSE DANS HISTORIA MAGAZINE 2 ème GUERRE MONDIALE N° 24 AVRIL 1968

137° PHILIPPE MASSON QUI ETAIENT LES SS DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE N° 24 AVRIL 1968

138° MICHEL COLLINET LA TRAGEDIE DU MARXISME EDITIONS CALMANN-LEVY 1948

139° STEFAN ZWEIG (1881-1942) LE MONDE D'HIER. SOUVENIRS D'UN EUROPEEN BELFOND 1982

140° ROGER GHEYSENS LE VERITABLE ROLE DE L'ESPIONNAGE DANS LES DOSSIERS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE EDITIONS GERARD 1964

141° BERNARD ULLMANN TROIS REPUBLIQUES MAL DIGEREES DANS L'EXPRESS N° 1747 28 DECEMBRE 1984-3 JANVIER 1985

142° GERHARD BOLT LA FIN DE HITLER EDITIONS CORREA 1949

143° EVGUENI EVTOUCHENKO TROIS MINUTES DE VERITE GALLIMARD 1963

144° EDMOND BERGHEAUD CANARIS A-T-IL TRAHI HITLER DANS LES GRANDES EGNIGMES HISTORISQUES DE NOTRE TEMPS EDITIONS DE SAINT-CLAIR 1967

145° NICOLAI NICOLAIEVITCH HIMMER SOUKHANOV LA REVOLUTION RUSSE 1917 EDITIONS STOCK 1965

Cet ouvrage fut publié en Union soviétique en 1922.
Sukhanov fut rédacteur en chef des journaux de Maxime Gorki (1868-1936) : Lietopis (La Chronique) et la Novaya Jizn.

146° ROGER GHEYSENS LE VERITABLE ROLE DE L'ESPIONNAGE DANS DOSSIERS DE LA GUERRE FROIDE EDITIONS GERARD 1969

147° ROBERT ARON (1898-1975) HISTOIRE DE VICHY 1940-1944 TOME 1 ARTHEME FAYARD 1954

148° ROBERT ARON (1898-1975) LES GRANDS DOSSIERS DE L'HISTOIRE CONTEMPORAINE LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN 1962

149° GUY PEDRONCINI LES NEGOCIATIONS SECRETES PENDANT LA GRANDE GUERRE FLAMMARION 1969

150° GEORGES-ANDRE CHEVALLAZ LES TOURNANTS DIPLOMATIQUES DANS LES DOSSIERS DE LA GUERRE FROIDE EDITIONS GERARD 1969

151° JACQUES CHASTENET (1893-1978) TOUTE LA TROISIEME REPUBLIQUE A VOL D'OISEAU DANS HISTORIA N° 180 NOVEMBRE 1961

152° MICHEL DEON LES PONEYS SAUVAGES EDITIONS GALLIMARD 1970

153° MALCOM MACKINTOSH L'ARMEE ROUGE AU PIED DU MUR DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE N°24 AVRIL 1968

Malcom Mackintosh est né en 1921.
Après des études à Edimbourg et à Glasgow, où il obtint un diplôme d'histoire et de russe, il sert, durant deux ans, comme officier de liaison de l'armée britannique auprès du commandement soviétique.

154° ANDRE BEAUFRE (1902-1975) LA REVANCHE DE 1945 PLON 1966

155° ARTHUR KOESTLER (1905-1983) LE ZERO ET L'INFINI CALMANN-LEVY 1945

156° SITE WEB HTTP://WWW.HISTOIRE.PRESSE .FR

157° J. BAUWENS LE DOSSIER 1939-1945 LES JOURNEES DE 40 EUROBOOK BALE

158° LOUIS GRONOWSKI LE DERNIER GRAND SOIR EDITIONS DU SEUIL 1980

159° TRIBUNE JUIVE N° 1490

Revue créé en 1968

160° JACQUES VERGES LE SALAUD LUMINEUX EDITIONS N°1 EDITIONS MICHEL LAFON 1990

161° ANATOLE V. BAIKALOV I KNEW STALINE BURNS OATES 1940

162° JEAN-JACQUES MARIE STALINE EDITIONS DU SEUIL

163° RECHERCHE SOCIALISTE N° 13

164° JOEL KOTEK PIERRE RIGOULOT LE SIECLE DES CAMPS JEAN-CLAUDE LATTES 2000

165° MICHEL WINOCK LE GRAND AVEUGLEMENT DANS L'HISTOIRE N° 247

Michel Winock est professeur à l'Institut d'études politiques de Paris.

166° ANNETTE WIEVIORKA ENQUETE SUR UNE POLITIQUE LA SHOAH BUSINESS DANS L'HISTOIRE N° 254 MAI 2001

167° MICHEL WINOCK LA VIE REVEE D'ANDRE MALRAUX DANS L'HISTOIRE N° 254 MAI 2001

168° PIERRE BILLARD INTELLECTUELS INVENTAIRE AVANT LIQUIDATION DANS LE POINT N° 965 18 MARS 1991

169°JEAN LACOUTURE LEON BLUM EDTITION DU SEUIL 1977

170° TIMOUR LE PORTRAIT DU MOIS PHAN DINH KHAI DIT LE DUC THO (1911-1990) DANS HISTORAMA N° 255 FEVRIER 1973

171° FRANCOIS FEJTO LES SOUBRESAUTS DE L'EMPIRE DANS L'EXPRESS N° 1747 28 DECEMBRE-3 JANVIER 1985

172° HANS BAUR J'ETAIS LE PILOTE DE HITLER EDITION FRANCE-EMPIRE 1957

173° MARIE JEGO TCHEKA, GUEPEOU, NKVD, KGB : LES ORGANES SONT PARTOUT DANS LE MONDE 26 FEVRIER 2003

174° JAN KRAUZE STALINE, COMPLICE PUIS VAINQUEUR DE HITLER DANS LE MONDE 26 FEVRIER 2003

175° CLAUDE GUILLAUMIN L'ETRANGE BERIA CHEF DE LA POLICE SECRETE DE STALINE DANS HISTORAMA N° 284 JUILLET 1975

176° ROBERT ARON (1898-1975) HISTOIRE DE VICHY TOME II ARTHEME FAYARD 1954

177° MICHAEL VOSLENSKY LA NOMENKLATURA. LES PRIVELEGIES EN URSS PIERRE BELFOND 1980

178° GERALD ROSENTHAL PREMIERE PURGE EN URSS : LA DISGRACE DE TROTSKI DANS HISTORAMA N°294 MAI 1976

179° HARRISON SALISBURI IL Y A TRENTE ANS LES ALLEMANDS ENVAHISSAIENT L'RRSS BARBAROSSA HISTORIA N° 295 JUIN 1971

180° ALEXANDRA KWIATKOWSKA-VIATTEAU KATYN : LA NEGATION D'UN MASSACRE DANS L'HISTOIRE N° 35 JUIN 1981

181° WALTER GORLITZ ET HERBERT A. QUINT ADOLF HITLER PRESSE POCKET 1962

182° WALTHER HOFER HITLER DECHAINE LA GUERRE. ETUDE SUR LES RELATIONS INTERNATIONALES AU COURS DE L'ETE 1939 EDITIONS DU SEUIL 1967

183° CHARLES DE GAULLE (1890-1970) LA FRANCE ET SON ARMEE LIBRAIRIE PLON 1938

184° RENE SEDILLOT LA BATAILLE DU PETROLE AU MOYEN-ORIENT : LES PREMIERES RIVALITES HISTORAMA JUILLET 1975 N° 284

185° BORIS PASTERNAK (1890-1960) LE DOCTEUR JIVAGO EDITIONS GALLIMARD 1958

186° ALBERT SPEER (1905-1981) AU C¼UR DU TROISIEME REICH LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD 1971

187° JACQUES BENOIST-MECHIN (1901-1983) HISTOIRE DE L'ARMEE ALLEMANDE II LA DISCORDE 1919-1925 EDITIONS ALBIN MICHEL 1938

188° PAUL CARELL A L'ASSAUT DE STALINGRAD HISTORIA N° 250 SEPTEMBRE 1967

189° PAUL STEHLIN TEMOIGNAGE POUR L'HISTOIRE ROBERT LAFFONT 1964

190° LA DERNIERE GUERRE EDITIONS ATLAS VOLUME 3 FEVRIER 1984

191° PIERRE NORD (1900-1985) l'INTOXICATION EDITIONS RENCONTRE 1971

192° PIERRE NORD (1900-1985) LE KAWASS D'ANKARA LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD 1967

193° JACQUES BENOIST-MECHIN (1901-1983) HISTOIRE DE L'ARMEE ALLEMANDE IV L'EXPANSION 1937-1938 EDITIONS ALBIN MICHEL 1964

194° BERNARD-HENRI LEVY L'IDEOLOGIE FRANCAISE EDITIONS GRASSET ET FASQUELLE 1981

195° PATRICK KECHICHIAN APRES SON « RETOUR D'URSS », ANDRE GIDE QUALIFIE « D'ESTHETE DECADENT » DANS LE MONDE MERCREDI 26 FEVRIER 2003

196° FRANCOIS FURET (1927-1997) LE PASSE D'UNE ILLUSION ESSAIS SUR L'IDEE COMMUNISTE AU XX ème SIECLE LAFFONT-CALMANN-LEVY 1995

197° TZVETAN TODOROV UN ELEVE PAROXYSTIQUE DE MACHIAVEL DANS LE MONDE MERCREDI 26 FEVRIER 2003

198° PIERRE ET RENEE GOSSET LA CONFERENCE DE YALTA DANS LISEZ-MOI HISTORIA N° 51 FEVRIER 1951

199° ALEXANDRE DOROZYNSKI L'INSTITUT VAVILOV. ELDORADO DES BOTANISTE DANS SCIENCE ET VIE N° 922 JUILLET 1994

200° PHILIPPE LEFOURNIER LA FIN D'UN MONDE DANS L'EXPANSION N° 200-201 OCTOBRE 1982

201° MARC FERRO POURQUOI LES ETATS NIENT LEURS CRIMES DANS L'HISTOIRE N° 35 JUIN 1981

202 BORIS SOUVARINE (1894-1984) STALINE EDITIONS PLON 1935

203° JACQUES DE LAUNAY LA GUERRE PSYCHOLOGIQUE DANS DOSSIERS DE LA GUERRE FROIDE EDITION GERARD 1969

204° ANNE MANSON L'ASSASSINAT DE LEON TROTSKY L'HOMME TRAQUE DANS LE ROMAN VRAI DU DEMI-SIECLE 1930-1940 LA DROLE DE PAIX EDITIONS DENOEL 1960

205° VICTOR ALEXANDROV STALINE ELIMINE SES RIVAUX DANS HISTORIA HORS SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2ème TRIMESTRE 1967

206° FABRICE ROUSSELOT LE PULITZER AMER DU « NEW YORK TIMES » DANS LIBERATION MERCREDI 29 OCTOBRE 2003

207° ROBERT PAYNE LE SECRET LE MIEUX GARDE DE LA GUERRE : LE REPAIRE DU LOUP DANS HISTORAMA N° 284 JUILLET 1975

208° HENRY ROUSSO LE SYNDROME DE VICHY DE 1944 A NOS JOURS EDITIONS DU SEUIL 1990

209 ANDRE MALRAUX (1901-1976) LE MIROIR DES LIMBES ANTIMEMOIRES EDITIONS GALLIMARD 1972

210° CLAUDE ROY (1915-1997) NOUS EDITIONS GALLIMARD 1972

211° HERVE MORIN TROFIN LYSSENKO, AGRONOME FARFELU ET HEROS DE LA « SCIENCE PROLETARIENNE » DANS LE MONDE MERCREDI 26 FEVRIER 2003

212° DIDIER MAUS LE PARLEMENT SOUS LA Vème REPUBLIQUE PRESSE UNIVERSITAIRE DE FRANCE 1984

213° HENRY SHAPIRO BERIA EST LIQUIDE DANS HISTORIA HORS SERIE 6 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1939-1967 LA GUERRE ET LA PAIX 3ème TRIMESTRE 1967

214° PARIS -SOIR MARDI 11 JUIN 1940 N° 6111

215° RENE ETIEMBLE (1909-2002) LE MEURTRE DU PETIT PERE EDITION ARLEA 1990

216° BORIS SOUVARINE (1884-1984) SOUVENIR EDITIONS LEBOVICI 1985

217° SIMONE SIGNORET (1921-1985) LA NOSTALGIE N'EST PLUS CE QU'ELLE ETAIT EDITIONS DU SEUIL 1975

218° ALEXANDRE SOLJENITSYNE L'ARCHIPEL DU GOULAG FAYARD 1973

219° ERNEST HEMINGWAY (1899-1961) POUR QUI SONNE LE GLAS HEINEMANN & ZSOLNAY 1940

220° MARINA VLADY VLADIMIR OU LE VOL ARRETE LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD 1987

221° LOUIS GARROS LES SS DANS HISTORAMA N° 212 JUIN 1969

222° JEAN-FRANCOIS REVEL (1924-2006) LENINE LE MORT DE L'ANNEE DANS LE POINT N° 901 25 DECEMBRE 1989

223° NINA GOURFINKEL D'OU VENAIT CE LENINE QUI ALLAIT BOULEVERSER LE MONDE ? DANS HISTORIA HORS SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2ème TRIMESTRE 1967

224° BERTRAND DE JOUVENEL (1909-1987) DU POUVOIR LIBRAIRIE HACHETTE 1972

225° GERARD WALTER LA LENTE AGONIE DE LENINE DANS HISTORIA HORS SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2ème TRIMESTRE 1967

226° LES PRINCIPALES USINES DE LA MORT DANS HISTORIA MAGAZINE 2ème GUERRE MONDIALE N° 78 2ème TRIMESTRE 1969

227° CLAUDE MORGAN (1898-1980) LES DON QUICHOTTE ET LES AUTRES EDITIONS GUY ROBLOT 1979

228° RALPH SCHOR LE PARTI COMMUNISTE ET LES IMMIGRES DANS L'HISTOIRE N° 35 JUIN 1981

229° ANDRE GIDE (1869-1951) LITTERATURE ENGAGEE EDITIONS GALLIMARD 1950

230° CHIFFRES DONNES DANS HISTORIA N° 401 AVRIL 1980

231° J . GUMKOWSKI ET K . LESZCZYNSKI LE GHETTO DE VARSOVIE DANS DOSSIER HISTORAMA N°1 HISTOIRE DU NAZISME : LES SS 1ER TRIMESTRE 1975

232° NICOLAS WEILL LE PROCES DE NUREMBERG 20 NOVEMBRE 1945 DANS LE MONDE 19 NOVEMBRE 1990

233° PHILIPPE CONRAD ALEXANDRE MILLERAND : LA GAUCHE CONTRE L'ELYSEE DANS HISTOIRE MAGAZINE N° 16 MAI JUIN 1981

234° HERVE HAMON PATRICK ROTMAN TU VOIS, JE N'AI PAS OUBLIE EDITIONS DU SEUIL ET EDITIONS FAYARD 1990

235° ROGER VAILLAND (1907-1965) DROLE DE JEU BUCHET-CHASTEL 1945

236° D . J GOOGSPEED DIX JOURS QUI EBRANLERENT LE MONDE : LA REVOLUTION D'OCTOBRE DANS HISTORIA HORS SERIE N° 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1 1917-1939 DE LENINE A STALINE 27ème TRIMESTRE 1967

237° IRINA DE CHIKOFF L'HOMME AU FEUTRE MOU DANS LE FIGARO 5 JANVIER 2003

238° JEAN MARTIN-CHAUFFIER (1922-1987) LA MYSTERIEUSE AFFAIRE TOUKHATCHEVSKI DANS LES GRANDES ENIGMES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE EDITIONS DE SAINT-CLAIR 1965

239° CZESLAW MILOSZ MON RETOUR DE POLOGNE DANS LE NOUVEL OBSERVATEUR 16-22 NOVEMBRE 1989

240° LUC FERRY LE NOUVEL ORDRE ECOLOGIQUE EDITIONS GRASSET 1993

241° L'EXPRESS 7 FEVRIER 1981

242° CHRISTIAN BERNADAC LE CAMP DE FEMME RAVENSBRUCK EDTIONS FRANCE-EMPIRE 1973

243°NICOLAS WEILL L'INSURRECTION DU GHETTO DE VARSOVIE 19 AVRIL 1943 DANS LE MONDE 19 AVRIL 1993

244° DOMINIQUE LAPIERRE LARRY COLLINS PARIS BRULE-T-IL ? EDITIONS ROBERT LAFFONT 1964

245° ANTON KOLENDIC LES DERNIERS JOURS : DE LA MORT DE STALINE A CELLE DE BERIA EDITIONS FAYARD 1982

246° INTERVIEW DE PIERRE DAIX PAR CATHERINE DAIX ET PATRICE DE NERITENS DANS LE FIGARO MAGAZINE DU 24 FEVRIER 2001

247° FRANCOIS DE CLOSETS LA FRANCE ET SES MENSONGES EDITIONS DENOEL 1977

248° D.BOURCART ENLEVEMENTS CELEBRES : L'AFFAIRE KOUTIEPOV DANS LE MIROIR DE L'HISTOIRE N°161 MAI 1963

249° SUZANNE LABIN LES SECRETS DE LA GUEPEOU DANS HISTORIA HORS SERIE 5 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE RUSSIE 1 1917-1939 DE LENINE A STALINE 2 ème TRIMESTRE 1967

250° RENE DABERNAT LE KREMLIN ET LE SCHISME CHINOIS DANS HISTORIA HORS SERIE 6 1917-1967 CINQUANTE ANS D'HISTOIRE DE LA RUSSIE 1939-1967 LA GUERRE ET LA PAIX 3ème TRIMESTRE 1967

251° F DE MONICAULT J.BRUNO L'AUTRE VERITE SUR OSKAR SCHINDLER DANS HISTORIA N° 612 DECEMBRE 1997

252° DOMINIQUE DESANTI L'APPAREIL DE LA PROPAGANDE DU PARTI COMMUNISTE A TRAVERS LA FRANCE DANS LE JOURNAL DE LA FRANCE N° 192 19 FEVRIER 1973

253° ANDRE MARTY, FUTUR EXCLU DANS LE JOURNAL DE LA FRANCE N° 192 19 FEVRIER 1973

254° EDMOND PETIT LE SURPRENANT RAID DU LIEUTENANT MARCHAL DANS HISTORIA N° 226 SEPTEMBRE 1965

255° WALTER BEDELL SMITH (1895-1961) J'AU VU STALINE DANS LISEZ-MOI HISTORIA N° 52 MARS 1951

Durant la seconde guerre mondiale, Bedell Smitch fut le chef d'état-major d'Eisenhower.
Après guerre, Bedell Smith fut ambasseur des Etats-Unis en URSS.
En octobre 1950, Bedell Smith devient directeur de la CIA.
Il restera à ce poste jusqu'au 10 février 1953.

256° AUGUSTE LECOEUR : LE MINEUR ANTI-CONFORMISTE DANS LE JOURNAL DE LA FRANCE N° 192 19 FEVRIER 1973

257° ANDRE FRANCOIS-PONCET (1887-1978) CARNET D'UN CAPTIF : AU CHATEAU D'ITTER DANS LISEZ-MOI HISTORIA N° 57 AOUT 1951

258° HISTORIA MAGAZINE 2Eme GUERRE MONDIALE N° 78 15 MAI 1969

259° DOMINIQUE DESANTI Xème CONGRES : L'UNITE ET LA MODERATION DANS LE JOURNAL DE LA FRANCE N° 192 19 FEVRIER 1973

260° JACQUES DE LAUNAY LES GRANDES DECISIONS DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE EDITO-SERVICE 1975

261° SERGE KLARSFELD L'EVOLUTION DU SORT DES JUIFS PENSANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE DANS LE MONDE 11 MAI 1985

262° FRANCOISE GIROUD (1916-2003) LA COMEDIE DU POUVOIR EDITIONS ARTHEME FAYARD 1977

263° VASSILI GROSSMAN (1905-1964) TOUT PASSE EDITIONS STOCK

264° ANDRE CASTELOT (1911-2004) SOUVERAINS RUSSES EN FRANCE DANS HISTORIA N° 161 AVRIL 1960

265° CONSTANTIN MELNIK DES SERVICES TRES SECRETS EDITIONS DE FALLOIS 1989

266° CHRISTIAN HOCHE UN PEUPLE DE FANTOMES DANS L'EXPRESS 18 AOUT 1979

267° JEAN CATHALA (1905-1991) TROTSKI, L'ETOILE ROUGE DANS L'EXPRESS 18 NOVEMBRE 1988

268° L'HUMANITE 1904-2004 LE NUMERO DU CENTENAIRE HORS -SERIE AVRIL/MAI/JUIN 2004

269° JEAN-FRANCOIS DENIAU (1928-2007) MEMOIRE DE 7 VIES . 1. LES TEMPS AVENTUREUX LIBRAIRIE PLON 1994

270° PARIS-NORMANDIE 1ER SEPTEMBRE 2004

271° EDOUARD CHEMEL - PATRICK FACON - BERNARD MARCK - JEAN-LOUIS FRACHIN HISTOIRE DE L'AVIATION UNE EPOPEE DU XXe SIECLE MONTPARNASSE MULTIMEDIA 1998

272° STEPHANE COURTOIS - MARC LAZAR HISTOIRE DU PARTI COMMUNISTE FRANCAIS PRESSE UNIVERSITAIRE DE FRANCE 1995

273° ROMAN BRACKMAN STALINE AGENT DU TSAR L'ARCHIPEL 2003
Roman Brackman est né en 1931 à Moscou.

274° MARGARETE BUBER-NEUMANN (1901-1989) MILENA EDITION DU SEUIL 1986

275° JAN TUMA ENCYCLOPEDIE ILLUSTREE DES TRANSPORTS GRUND 1978

276° MATTHIEU DELAYGUE LE COLONIALISME ET L'IDEAL FRANCAIS DANS HISTOIRE EVENEMENT N° 1 MARS 2001

277° GEORGES BLOND (1906-1989) CONVOIS VERS L'URSS ARTHEME FAYARD 1950

278° PIERRE NORD DOUBLE CRIME SUR LA LIGNE MAGINOT LIBRAIRIE FAYARD 1935

279° VICTOR EROFEEV CE BON STALINE ALBIN MICHEL 2005

280° MARIALYS BERTAULT SUR LES TRACES D'EICHMANN : 15 ANNEES DE CHASSE A L'HOMME DANS HISTOIRE POUR TOUS NOVEMBRE 1970 N° 127






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#Posté le jeudi 26 juin 2008 05:22

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